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LE MONDE | 08.03.04 | 13h45
Le tremblement de terre qui a frappé cette région marocaine a aussi rappelé de façon dramatique son dénuement
Al-Hoceima de notre envoyé spécial
Touché par un séisme qui, selon le bilan définitif, a fait 628 morts et 926 blessés il y a deux semaines, la région d'Al-Hoceima a retrouvé une vie plus normale. Mais le spectacle des familles d'agriculteurs fuyant la région avec, pour tout viatique, quelques baluchons transportés à dos d'âne est venu rappeler de façon dramatique le dénuement de cette partie du Rif oriental, entre Tanger et la frontière algérienne.
"On a le sentiment d'avoir été abandonnés par Rabat depuis l'indépendance", résume Omar Moussa, animateur d'une association locale, Bades. Il n'est pas le seul à penser ainsi. La gare ferroviaire la plus proche d'Al-Hoceima, la capitale régionale (70 000 habitants), est à trois heures de bus. L'aéroport vivote. Il n'est plus relié aux autres villes du royaume ; le trafic aérien régulier se résume à un vol hebdomadaire en direction de l'Europe, où une partie de la population a émigré. Le port est en cours d'agrandissement, mais l'état désastreux du réseau routier rend vain tout espoir d'en faire un pôle de développement.
Six poissonneries existaient naguère. Toutes ont fermé. "Jusqu'à leur interdiction, on utilisait des explosifs pour attraper le poisson, qui était revendu directement en mer à des pêcheurs espagnols", raconte un enseignant, Ahmed El-Azouzi. La région est trop enclavée pour le tourisme (le village du Club Méditerranée d'Al-Hoceima a fermé ses portes). Reste l'agriculture, mais le relief et le climat ne favorisent pas une production intensive. "Quand il pleut il y a de la récolte ; quand il ne pleut pas, il n'y a rien", résume Omar, un agriculteur de Tazahhine.
Dans ce "Maroc d'en bas", épicentre du séisme, la vie est encore plus rude que dans la ville d'Al-Hoceima. Si une première ligne électrique a été posée, il y a quelques semaines, il faut toujours aller tirer l'eau dans des puits communautaires. Un dispensaire existe, mais l'infirmier, muni de quelques médicaments de base, ne vient le visiter que deux fois par semaine. Des écoles ont été créées, mais le maillage reste lâche. Un adolescent, Moussaoui Fahmi, raconte qu'il a cessé de fréquenter l'école, distante de 7 km, parce que ses parents ne pouvaient plus payer le taxi collectif pour s'y rendre.
"LES BASQUES DU MAROC"
L'émigration a longtemps été la planche de salut de la région. Dans les douars les plus reculés c'est par dizaines que les habitants sont partis en quête d'une vie moins rude, d'abord vers les Pays-Bas et la Belgique et, plus récemment, l'Espagne toute proche, dont beaucoup de Rifains maîtrisent plus ou moins la langue.
Mais il faut surmonter le durcissement des politiques d'immigration. Sur les falaises d'Al-Hoceima, la marine royale a installé des postes de garde. On émigre de nuit, sur des Zodiac qui, dans une première étape, filent se mettre à l'abri dans les eaux internationales. Ce n'est que le lendemain, toujours à la faveur de la nuit, que les embarcations s'efforcent d'atteindre la côte espagnole, située à bonne distance.
Il y a quelques mois, les Algériens ont secouru un Zodiac parti d'Al-Hoceima qui avait été pris dans une tempête. Sur la vingtaine de passagers clandestins, il ne restait plus qu'un survivant, un jeune marin natif de la ville, Adil, miraculeusement sauvé par la corde qui le rattachait à l'embarcation.
L'histoire n'est pas innocente dans la marginalisation de cette province du Rif peuplée de Berbères. "Nous sommes vus comme les Basques du Maroc", dit Elyas El-Omari, un ancien militant d'extrême gauche converti au berbérisme comme nombre d'intellectuels du cru. Le souvenir de l'éphémère République du Rif d'Abdelkrim, dans les années 1920, écrasée par les Espagnols et les Français, entretient cette légende d'une province rétive.
De l'indépendance du Maroc jusqu'en 1987, les relations entre Rabat et la lointaine province ont été le plus souvent conflictuelles. Hassan II se méfiait des Rifains, qui le lui rendaient bien. Depuis l'arrivée sur le trône de Mohammed VI, un espoir de changement existe. Qu'il se soit rendu deux fois à Al-Hoceima est perçu comme une preuve d'intérêt, même si les projets annoncés - dont celui d'une route côtière à grand gabarit - piétinent.
L'avancée principale touche à la culture et à l'identité berbères. Donner à un enfant un prénom qui renvoie à l'histoire locale n'est plus un sacrilège. L'école réserve désormais une place à l'enseignement de la langue berbère et la radio lui consacre quelques minutes d'émission quotidienne. "C'est un début, mais nous voulons la reconnaissance de notre langue au même titre que l'arabe", lance Elyas El-Omari.
D'autres vont plus loin et réclament l'autonomie pour la région du Rif. L'objectif est lointain, et certains, à Al-Hoceima, se contenteraient de voir l'Etat se préoccuper de développer la région. "Si cela arrive, souligne un adjoint du maire de la ville, le séisme n'aura pas été qu'un malheur supplémentaire."
Jean-Pierre Tuquoi
Le tremblement de terre qui a frappé cette région marocaine a aussi rappelé de façon dramatique son dénuement
Al-Hoceima de notre envoyé spécial
Touché par un séisme qui, selon le bilan définitif, a fait 628 morts et 926 blessés il y a deux semaines, la région d'Al-Hoceima a retrouvé une vie plus normale. Mais le spectacle des familles d'agriculteurs fuyant la région avec, pour tout viatique, quelques baluchons transportés à dos d'âne est venu rappeler de façon dramatique le dénuement de cette partie du Rif oriental, entre Tanger et la frontière algérienne.
"On a le sentiment d'avoir été abandonnés par Rabat depuis l'indépendance", résume Omar Moussa, animateur d'une association locale, Bades. Il n'est pas le seul à penser ainsi. La gare ferroviaire la plus proche d'Al-Hoceima, la capitale régionale (70 000 habitants), est à trois heures de bus. L'aéroport vivote. Il n'est plus relié aux autres villes du royaume ; le trafic aérien régulier se résume à un vol hebdomadaire en direction de l'Europe, où une partie de la population a émigré. Le port est en cours d'agrandissement, mais l'état désastreux du réseau routier rend vain tout espoir d'en faire un pôle de développement.
Six poissonneries existaient naguère. Toutes ont fermé. "Jusqu'à leur interdiction, on utilisait des explosifs pour attraper le poisson, qui était revendu directement en mer à des pêcheurs espagnols", raconte un enseignant, Ahmed El-Azouzi. La région est trop enclavée pour le tourisme (le village du Club Méditerranée d'Al-Hoceima a fermé ses portes). Reste l'agriculture, mais le relief et le climat ne favorisent pas une production intensive. "Quand il pleut il y a de la récolte ; quand il ne pleut pas, il n'y a rien", résume Omar, un agriculteur de Tazahhine.
Dans ce "Maroc d'en bas", épicentre du séisme, la vie est encore plus rude que dans la ville d'Al-Hoceima. Si une première ligne électrique a été posée, il y a quelques semaines, il faut toujours aller tirer l'eau dans des puits communautaires. Un dispensaire existe, mais l'infirmier, muni de quelques médicaments de base, ne vient le visiter que deux fois par semaine. Des écoles ont été créées, mais le maillage reste lâche. Un adolescent, Moussaoui Fahmi, raconte qu'il a cessé de fréquenter l'école, distante de 7 km, parce que ses parents ne pouvaient plus payer le taxi collectif pour s'y rendre.
"LES BASQUES DU MAROC"
L'émigration a longtemps été la planche de salut de la région. Dans les douars les plus reculés c'est par dizaines que les habitants sont partis en quête d'une vie moins rude, d'abord vers les Pays-Bas et la Belgique et, plus récemment, l'Espagne toute proche, dont beaucoup de Rifains maîtrisent plus ou moins la langue.
Mais il faut surmonter le durcissement des politiques d'immigration. Sur les falaises d'Al-Hoceima, la marine royale a installé des postes de garde. On émigre de nuit, sur des Zodiac qui, dans une première étape, filent se mettre à l'abri dans les eaux internationales. Ce n'est que le lendemain, toujours à la faveur de la nuit, que les embarcations s'efforcent d'atteindre la côte espagnole, située à bonne distance.
Il y a quelques mois, les Algériens ont secouru un Zodiac parti d'Al-Hoceima qui avait été pris dans une tempête. Sur la vingtaine de passagers clandestins, il ne restait plus qu'un survivant, un jeune marin natif de la ville, Adil, miraculeusement sauvé par la corde qui le rattachait à l'embarcation.
L'histoire n'est pas innocente dans la marginalisation de cette province du Rif peuplée de Berbères. "Nous sommes vus comme les Basques du Maroc", dit Elyas El-Omari, un ancien militant d'extrême gauche converti au berbérisme comme nombre d'intellectuels du cru. Le souvenir de l'éphémère République du Rif d'Abdelkrim, dans les années 1920, écrasée par les Espagnols et les Français, entretient cette légende d'une province rétive.
De l'indépendance du Maroc jusqu'en 1987, les relations entre Rabat et la lointaine province ont été le plus souvent conflictuelles. Hassan II se méfiait des Rifains, qui le lui rendaient bien. Depuis l'arrivée sur le trône de Mohammed VI, un espoir de changement existe. Qu'il se soit rendu deux fois à Al-Hoceima est perçu comme une preuve d'intérêt, même si les projets annoncés - dont celui d'une route côtière à grand gabarit - piétinent.
L'avancée principale touche à la culture et à l'identité berbères. Donner à un enfant un prénom qui renvoie à l'histoire locale n'est plus un sacrilège. L'école réserve désormais une place à l'enseignement de la langue berbère et la radio lui consacre quelques minutes d'émission quotidienne. "C'est un début, mais nous voulons la reconnaissance de notre langue au même titre que l'arabe", lance Elyas El-Omari.
D'autres vont plus loin et réclament l'autonomie pour la région du Rif. L'objectif est lointain, et certains, à Al-Hoceima, se contenteraient de voir l'Etat se préoccuper de développer la région. "Si cela arrive, souligne un adjoint du maire de la ville, le séisme n'aura pas été qu'un malheur supplémentaire."
Jean-Pierre Tuquoi