Amazigh Kateb : Chnateur algérien

agerzam

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Amazigh Kateb, leader charismatique de la célèbre composition maroco-algériano-française Gnawa diffusion, et fils du non moins célèbre homme de lettres algérien Kateb Yacine, est un personnage singulier avec un sourire charmant et un esprit poignant typiquement algérien, un obus dans un Maghreb de plus en plus amadoué…


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Pourquoi ce prénom «Amazigh» ? Tu es arabe...

Pas arabe non ! Je suis algérien kabyle. Les gens me demandent souvent pourquoi je revendique tant mon origine amazigh alors que je ne parle pas kabyle. Mes chansons sont un mélange de langues hormis l'amazigh. On y trouve des couplets en arabe, en français et même en anglais. Je ne parle pas la langue de mes ancêtres, je suis toujours en contradiction avec ce prénom !

Quel effet ça a d'être le fils d'un célèbre homme de lettres algérien, qu'est Kateb Yacine ? Est-ce un poids ou un catalyseur ?

Tu l'as bien dis, Kateb Yacine est avant tout mon père. Il a naturellement influencé ma vie, mais pas ma musique. Ce que je fais, je le fais pour être moi-même, en étant moi-même. Je travaille en solitaire, en symbiose avec la nature, c'est elle qui m'influe le plus.
L'héritage qu'il m'a légué n'est donc nullement un poids.

Travailles-tu sur son œuvre ?

Je travaille sur l'œuvre de mon père sans y toucher, sans vraiment l'exploiter, pour l'instant c'est un pur travail d'archivage. Ce n'est pas évident de rassembler toute son œuvre et de la remettre en forme, vu le temps que consomment la musique et ses impératifs.

D'ailleurs, aujourd'hui, je ne dispose que de manuscrits ou, dans le meilleur des cas, de textes tapés, mais aucune édition. Il faut dire qu'il n'y a pas d'éditeurs pour les textes en arabe dialectal. C'est malheureux, il y a pourtant un public pour ça !

Ceci dit, je travaille actuellement sur deux pièces de mon père, «majzarat al amal» (boucherie de l'espérance) et «sawt annisaa» (voix de femmes) qui raconte l'histoire de Yahmourassan, un roi kabyle de Tlemcen.
Nous autres musiciens avons une responsabilité vis-à-vis de notre patrimoine culturel. Le travail de mon père fait partie du patrimoine du peuple algérien, et je ne peux me permettre de compter sur l'Etat pour le préserver. Nos Etats arabes sons très mauvais pour faire de la culture !

Pourquoi as-tu choisi la musique et non le théâtre ?

J'ai fait les marionnettes dans le temps, mais ça n'a pas abouti. J'étais chômeur et je n'avais rien à faire, avec une bande de copains on a monté Gnawa Diffusion en 1992 et l'aventure a commencé. Musique ou théâtre, peu importe, c'est l'hbal !

L'hbal ?
C'est beaucoup de chose à la fois. Moi je l'ai trouvé dans la musique, les mots engagés, le rythme déchaîné, tagnawit…

Pourquoi Gnawa ?
J'ai choisi Gnawa parce que j'ai un manque de l'Afrique. Les maghrébins sont de plus en plus branchés sur l'orient, alors qu'on a besoin recomposer notre identité sur une plateforme africaine.
Gnawa diffusion est une idée qui représente l'Afrique, l'ghorba...Elle reflète la société où on vit, la France, l'Algérie, le Maroc...

Quelle relation avec le reggae ?
C'est une musique née dans une petite île. Un petit peuple qui a fait danser toute la terre…
Il faudrait qu'on se mette définitivement dans la tête que nous autres peuples pauvres pouvons faire des miracles, si on se débarrassait de ce complexe d'infériorité qui nous ligote !

Gnawa Diffusion est venu au Maroc en tant qu'invité du Boulevard des jeunes musiciens. C'est là que tu as interprété une chanson avec le groupe marocain de fusion le plus en vogue, Hoba Hoba Spirit. Pourquoi Hoba ?

J'ai connu Réda Allali il y a trois ans quand il était venu après un concert à Paris m'offrir un tee-shirt où c'est marqué «hoba hoba spirit, haïha music», je n'avais jamais entendu parler d'eux à l'époque. En 2003 on s'est revu à Essaouira, et c'est grâce à Reda que j'ai pu connaître le Boulevard.

L'idée de la chanson avec Hoba est venue à cause d'une histoire qui s'intitule «ma3jebtinich» (tu ne m'as pas plue)! Même que dans la chanson j'insiste «Brigitte vraiment ne m'a pas plue» ...

Ceci dit, cette rencontre sur scène avec Hoba c'est avant tout une partie de plaisir, un jeu, l'hbal...On veut que chacun danse sur la musique de l'autre !

Tu disais souvent qu'il t'incombe de mélanger entre les mots engagés et le rythme qui fasse vibrer, danser…Tu as réussi ?

Je ne pense pas avoir complètement réussi, sinon j'aurais tout arrêté. La musique «engagée» ne fait pas plaisir, ne fait pas danser, elle n'est pas faite pour des humains, mais pour des méninges. On n'a pas besoin pour l'apprécier ni de ses mains, ni de ses jambes, on peut se contenter de ne ramener que son cerveau ! La musique doit viser le corps aussi, c'est pour ça que je préfère qu'ils ne disent pas la que Gnawa diffusion font de la musique engagée, mais qu'ils disent seulement «Gnawa diffusion».

Il faut révolutionner le concept même de la musique, on ne veux pas être seulement engagé, ou engager seulement notre anatomie, on veux les deux…

Ta musique est donc en elle-même une révolution...
La musique est mon bulletin de vote. Je vote évidement sur ma liste et non sur la leur…

Sens de la fête et conscience politique, tel est l'esprit de Gnawa Diffision…Quelle place occupe la politique dans la vie d'Amazigh, dans un contexte mondial où la vague fondamentaliste ne cesse de croître?

Je suis d'extrême gauche. On a tendance à croire que les extrêmes se rejoignent, mais je suis loin, très loin d'être un fondamentaliste. Nos pauvres ne sont pas les leurs…

La religion est à mon avis une affaire personnelle. Si je fais de la résistance, je ne la fais pas au non de la religion, mais en mon nom ! D'ailleurs la religion ne me lie avec personne, je ne dirais pas à un musulman «mon frère» juste parce qu'il l'est. Je côtoie des juifs, des chrétiens, et y en a même que j'appelle «mon frère».

Tu scandes toujours la révolution. De quelle révolution s'agit-il ?

Ce que je regrette le plus aujourd'hui c'est qu'il n'y a pas de projets révolutionnaires ! Dans les années 70 on a raté une révolution. Le monde a raté une révolution. Cela nous jette aujourd'hui dans un vide ténébreux d'idées, de principes, de volontés !

L'alternative ? L'altermondialisme, le développement durable, l'abolition des disparités sociales, la fin du capitalisme !
J'ai la conviction que cela viendra. Une société est comme un groupe de musique qui prend du temps pour forger son esprit, pour s'épanouir. Elle a besoin de temps pour s'organiser autour d'un projet de justice, d'équité...

La révolution n'est pas un concept paria, elle est en nous ! A chaque fois qu'on a besoin de changer, de nous déplacer, de réfléchir, c'est une révolution qu'on entame. Une belle femme qui monte l'escalier en est une…
Il faudrait peut être songer à synchroniser toutes ces révolutions pour aboutir à cet ultime soulèvement qui marquera la fin du despotisme ! En attendant, remplaçons le mot révolution par éducation, c'est son avenir. Si on ne le fait pas ce sont les jeux vidéos, la télé, l'Amérique qui le feront !

Marxiste Léniniste tu te déclares, et dans tes chansons tu scandes " kayn llah "…Quelle contradiction !
Je n'ai rien contre la religion ! Les maghrébins ne peuvent dissocier entre modernité, tradition et religion, tout ça est bien ancré dans notre culture, mais le communisme reste à mon sens la meilleure idéologie qui existe. Ceci dit, il y a autant de façon de l'être qu'il y a de communistes, comme il y a autant de façons d'être musulmans qu'il y a de musulmans…

Question un peu saugrenue…Qui est l'âne sur la pochette de ton dernier album " souk system " ?

Chacun a son âne, donc libre à chacun d'en choisir un ! Pour moi l'âne est le symbole du labeur, de l'injustice sociale, l'mizirya ...
Tu peux y mettre le portrait d'un président si ça te chante!

«Souk System» soulève une actualité mondiale foisonnante d'injustices et d'insurrections. L'Algérie s'y trouve aussi avec " Match Bettikh " et la conciliation nationale…

La conciliation nationale veut dire donner des droits, de l'argent et du travail aux terroristes et laisser le peuple croupir davantage dans la misère et le dénuement. Le peuple algérien mutilé et martyrisé ayant perdu les siens à causes de ces mêmes terroristes, va devoir cohabiter avec eux, et même chômer pour qu'ils puissent travailler. C'est une injustice ! Si je dois la subir, moi je me convertirai en terroriste !

Une dernière question, ta voix est assez exceptionnelle, la travailles-tu ?

Je n'ai jamais travaillé ma voix, c'est naturel...

C'est de l'art...
Je ne dirais pas ça, l'art c'est ce qui ne se périme jamais…C'est quelque chose qui dure au moins un siècle !




Propos recueillis par Houda Chaloune
LeMatin.
 
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Kateb Yacine est né en 1929 à Constantine, dans l'Est de l'Algérie. Son père avait une double culture, française et musulmane. Après l'école coranique, il entre à l'école et au lycée français. Il a participé, lorsqu'il avait 15 ans (1945) à Sétif à la grande manifestation des musulmans qui protestent contre la situation inégale qui leur est faite. Kateb est alors arrêté et emprisonné quatre mois durant. Il ne peut reprendre ses études et se rend à Annaba, puis en France. De retour en Algérie, en 1948, il entre au quotidien Alger Républicain et y reste jusqu'en 1951. Il est alors docker, puis il revient en France où il exerce divers métiers, publie son premier roman et part à l'étranger (Italie, Tunisie, Belgique, Allemagne...). Ensuite, il poursuivra ses voyages avec les tournées de ses différents spectacles. Il est mort en 1989.

source Radio France
 
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