Aux sources de la monarchie : les assises historiques de l’institution royale au Maroc (SUITE)
Si les auteurs avaient pris connaissance des sources littéraires grecques et latines , ils auraient découvert que le Maroc antique était un grand royaume gouverné par des Rois historiques. A ces sources littéraires s’ajoutent de nombreuses monnaies portant les effigies de ces Rois maures diadémés, barbe taillée ou en pointe et leur titre de Roi protecteur du royaume, écrit en punique ou de Rex en latin.
Il obtint de lui, “pour l’escorter sur sa route - faute de pouvoir en obtenir pour combattre- quatre mille Maures”. Sous leur protection, “après avoir envoyé un message aux amis de son père et aux siens, il arriva aux frontières de son royaume où cinq cents Numides environ vinrent à lui”. Le numide renvoya “alors les Maures, comme c’était convenu, à leur Roi”. C’était en 204 Avant J.-C. .
Il ressort de ce texte :
- Premièrement: que le Maroc antique, le pays des Maures, était réuni en un royaume, tout comme ses voisins de l’époque à savoir les Massaesyles et les Massyles.
-Deuxièmement: que son Roi, Baga, était un souverain important. Il était en mesure, pour une simple escorte d’un Prince étranger, dont le sort politique était encore fort hypothétique, de mobiliser, en un temps record, quatre mille hommes.
-Troisièmement : que le Roi Baga était libre de ses agissements. En accédant à la demande de Masinissa, ce Roi a, en effet, agi contre les intérêts de son voisin immédiat de l’Est, Suphax II, lequel convoitait, à l’époque, les possessions Massyles, donc celles de Masinissa .
- Quatrièmement : qu’à la fin du IIIème siècle le royaume du Maroc antique devait contourner au sud celui de Suphax II .Ses frontières arrivaient, apparemment, jusqu’aux Aurès, limite sud , à cette époque, du royaume des pères de Masinissa. Autrement, comment expliquer l’arrivée de l’escorte maure aux frontières du royaume numide ?
Par la suite , n’ayant eu aucun contact amical ou belliqueux avec la ville de Romulus, les sources grecques et latines ne vont pas s’intéresser aux événements qui ont jalonné un siècle de notre histoire. Il faut attendre la fin du deuxième siècle avant J.-C., date à laquelle apparaît sur la scène de la politique méditerranéenne, le Roi maure Bocchus (= BQS selon les monnaies = Aboqs ?). Avant de se mêler aux événements créés par Rome autour de son voisin et gendre Iugurthan, ce Roi “ ignorait tout du peuple romain”, nous précise Salluste dans son Bellum Iugurthinum, qui poursuit “et avec qui nous nous n’avions pas l’avantage de relations pacifiques ou hostiles”. C’est donc seulement le fait que ce Roi soit mêlé à ces événements où Rome était présente, qui fait que son existence nous soit connue. On connaîtra aussi celle de ses descendants qui demeureront en relation avec l’Urbs.
Que sait-on de ce Roi qui a gouverné le royaume du Maroc antique d’environ 118 aux années70 avant J.-C.?
Nous avons, sans doute, là un politicien fini, sans scrupule, sans état d’âme quant aux moyens utilisés pour étendre son royaume vers l’Est. Pensait-il que la partie occidentale du royaume massyle, qui couvrait en réalité l’ancien royaume masaesyle, lui revenait de droit ? Se présentait-il comme héritier du Roi Suphax II ? Comment expliquer son entêtement et celui de sa descendance à avoir pour limite Est de leur royaume l’oued de l’Ampsaga. Quel sens donner à ses tractations avec Iugurthan (= le plus grand) concernant ce territoire-même et qui se sont soldées, déjà en 107 avt J.-C., par l’offre par ce dernier de ce fameux tiers de la Numidie au Roi maure en échange de son alliance contre Rome? Comment interpréter le discours que prête Salluste à ce Roi maure devant une délégation romaine qui venait solliciter son alliance, si ce n’est pas dans ce sens ? Quoiqu’il en soit, nous constatons que, si jusqu’en 118 son royaume se limitait vers l’Est à la Moulouya, en 105 ses Etats s’étendirent jusqu’au niveau du cours Cena (= l’oued Mina) et du cours inférieur du chélif. Autrement dit, ses frontières orientales arrivaient jusqu’à l’Est de la ville actuelle de Mostaghanem en Algérie. En 81 avt J.-C., après l’aide apportée par ce même Bocchus Ier aux deux Rois numides, Masinissa II et Hiempsal II, détrônés tous deux par un certain Iarbas (= le sans père?), le roi maure vit ses territoires s’étendre jusqu’à l’oued Soummam, cours d’eau qui se jette aux environs de l’actuelle ville de Bougie.
Après la mort de Bocchus I dans les années soixante-dix avant J.-C., son royaume fut partagé entre ses fils Bogud et Mastanesosus. A Ce roi, Amstan N’ Souss?(=protecteur du Sous) échut la partie Est du royaume du Maroc antique avec Iol, la future Caesarea et l’actuelle Cherchel, comme capitale. Après sa mort son fils Bocchus II lui succéda. On ne sait pas en quelle année, exactement, celui-ci prit le pouvoir dans cette partie Est du royaume de Maurétanie. En 63, son père était encore vivant. Mais 49 il fut, lui Bocchus II, selon Dion Cassius, reconnu par César et le Sénat Romain. C’est donc entre ces deux dates qu’il accéda au trône. Trois années après, ce même Bocchus II réussit à agrandir son royaume vers l’Est en se mettant du côté de César et contre Juba I. En effet, après la disparition de celui-ci en 46 avt J.-C., César octroya au Roi maure la partie située entre l’Oued Soummam et l’Ampsaga, courant d’eau qui marquait initialement la frontière Est du royaume de Suphax II.
Bocchus II devint ainsi le Roi d’un territoire qui s’étend de la Moulouya à l’ouest à l’Ampsaga (l’Oued Lékbir à l’Est). La partie située à l’ Ouest de la Moulouya, quant à elle, était revenue, au lendemain de la mort de Bocchus I, à son fils Bogud. Elle était amputée, au nord, de la frange méditerranéenne que constituait le royaume d’Ascalis. C’est à Bogud, roi belliqueux et ouvert à la civilisation gréco-romaine que revint le mérite de l’annexion de ce qui fut le royaume d’Ascalis. C’est lui, sans doute, le roi à l’armée aux trente éléphants dont parle Al-Bakri. Lors des guerres qui opposèrent Octave à Marc Antoine et la grande Cléopâtre, le roi amazigh se mit du côté de ces derniers. C’est en Espagne qu’il mena le combat. Après sa défaite et celle de Marc Antoine et leur fuite tous les deux vers le monde grec, Octave, le futur Auguste, octroya cette partie ouest de la Maurétanie à Bocchus II. C’était vers 40 avant J.-C..
Le royaume du Maroc antique se trouva alors réuni sous le pouvoir d’un seul homme, le Roi Bocchus II et s’étendait de l’Océan à l’Ampsaga ( à l’ouest de Constantine) et de la Méditerranée au nord aux chaînes atlasiques au Sud. Après la mort, en 33 avt J.-C., de ce Roi, qui semble ne pas avoir laissé d’héritier, son royaume passa, apparemment, pendant huit ans sous le contrôle direct de Rome. Mais jugeant, sans doute, la poire maure pas encore mûre pour la cueillette, Rome , en la personne d’Octave, se contenta de convertir certaines villes côtières en colonies en y installant des vétérans et des citoyens romains et accorda ce royaume au grand érudit de l’antiquité, l’amzigh Juba II, fils de Juba I, élevé à Rome depuis l’âge de 4/5 ans.
Ce Roi eut pour tâche de gouverner les Maures, mais aussi de réduire les Gaetuli (G Aït ulli), ce qu’il fit. Ainsi Juba II et plus tard son fils Ptolémée se trouvèrent à la tête d’un royaume du Maroc dans ses plus grandes dimensions pendant l’Antiquité. De l’Océan atlantique à l’Ouest à la ville actuelle de Constantine à l’Est et de la Mer Méditerranée au Nord au Sahara marocain et algérien au Sud, s’étendait alors le royaume du Maroc antique , commandé du Nord au Sud et de l’Est à l’Ouest par un seul chef, le Roi. Le royaume du Maroc antique demeura ainsi jusqu’à l’an quarante, date de son annexion, non sans grand mal, par Rome.
Celle-ci en fit deux provinces de part et d’autre de la Moulouya : la province de Maurétanie tingitane, avec Tingi pour capitale, à l’Ouest de ce cours d’eau, celle de Maurétanie Césarienne, avec la ville de Caesarea (Cherchel) à sa tête, à l’Est. La qualification de ces deux provinces, par toutes les sources de maurétaniennes , leurs mises parfois sous le commandement d’un seul gouverneur romain constituent, avec évidence, une reconnaissance implicite de l’unité de ce pays que formait le royaume du Maroc antique.
Le souvenir de ce royaume, dans son extension antique, sera perpétué par les sources arabes qui lui réserveront l’appellation al-maghrib (ce qui n’est pas sans nous rappeler la Maurusia grecque) en lui donnant pour limite orientale une ligne passant à l’Ouest de Constantine, autrement dit l’Ampsaga (l’oued El-kébir). Ceci au moment où la zone située à l’Est de cette limite était, elle, nommée Afriqa, une autre survivance de la géographie politique de l’Antiquité. Seulement en annexant le royaume à l’Empire et en le divisant en deux provinces, Rome a brisé le système de sa royauté forte qui couvrait un immense territoire et qui datait de plusieurs siècles. Mais en même temps elle n’a pas réussi à mettre fin à la continuité de ce système .
Aussi assiste-t-on , à l’Est comme à l’Ouest de l’ancien royaume, intra ou extra limitem des possessions romaines, avant ou après l’effritement de la puissance de l’Urbs, à l’apparition de principautés, de petites royautés, voir de petits Rois sans véritable royaume. Preuve, s’il en est besoin, de l’attachement de nos ancêtres à ce système. Ainsi, entre le IIème et le VIIème siècles après J.-C., des sources littéraires et épigraphiques nous révèlent l’existence , sur les terres de l’ancien royaume de Maurétanie, des noms de Princes, de chefs de résistance et de Rois tels que, entre autres, Tuccuda, Ucmetius, Canartha, Uret, Ililasen, Sepemazin, Matif, Neffusi, Nubel, Firmus, Masuna, Massônas, Mastigas, Mastinas, Masties, Ortaïas ( Vartaïa), Iabdas, Ierna, Coutsina, Carcassan ,Antalas, Koseila ( sans doute Oug Sila = l’originaire de Sila) et Dihia .
C’est le souvenir de cette période du morcellement de ce grand royaume qu’était le Maroc antique, et surtout celui de la période où se côtoyaient l’occupant byzantin avec ces principautés ou petites royautés maures qu’Ibn Khaldoun nous rapporte lorsqu’il écrit “Dans les campagnes situées en dehors de l’action des grandes villes où il y avait toujours des garnisons imposantes, les Amazighs (Al-Barbar), forts de leur nombre et leurs ressources, obéissaient à des rois, des chefs , des princes et des émirs. Ils vivaient à l’abri d’insultes et loin des atteintes que la vengeance et la tyrannie des Roums (les Byzantins) et des Ifranjs auraient pu leur faire subir” (T. XI, p.213).
Malgré la clarté du texte de ce grand savant nord africain quant à la période visée, des chercheurs mal intentionnés ou mal renseignés et parfois les deux à la fois ont étendu cet état de fait à toute l’antiquité et ont véhiculé l’idée que l’Afrique mineure antique en général et le Maroc en particulier, n’ont jamais connu de formation de grandes entités politiques. Aussi n’ a-t-on pas cessé de répandre pour les uns et de croire pour les autres, que le Maroc n’a jamais constitué, avant les Idrissides, une entité politique et que son système se limitait à un système tribal mené par de multiples petits chefs.
Ainsi, et contrairement à la réalité historique on a fait de notre histoire, celle de tous les Marocains, une histoire cul-de-jatte, sténographiée en douze siècles. Ceci au moment où d’autres nations-sœurs en Islam (Tunisie, Egypte, Syrie, Iraq etc.) fouillent dans leur passé d’avant l’Islam et mettent, avec fierté, en exergue leur histoire antique. S’il est connu que le Maroc a vécu une petite période d’émirat avec les Idrissides ,dynastie elle même biologiquement arabo-amazighe et que la société patriarcale à voulu qu’elle soit uniquement arabe, il doit être tout aussi reconnu que le Maroc en tant qu’entité politique n’a pas attendu cette période pour se faire.
L’extension de son territoire dépassait et de loin celle de la principauté Idrisside. Sa monnaie nationale était frappée au nom de tout le royaume dans des ateliers tels que ceux de Lixus, de Siga et de Iol-Caesarea dix siècles avant l’avènement des Idrissides. Et c’est une banalité que de dire que c’est une ville de ce grand héritage antique qui a accueilli à bras ouvert le descendant du prophète persécuté lui et les siens en Orient .
A Suivre