Zalhoud
New Member
Appartenance secrète
Dédiée à Tamouchte, à Boucharba et à Nikyta
Celle qui a légué sa cécité, son mutisme et sa surdité au fils des Météorites et de la Terre, jeunot jonc poussant sous un galet de l’oued Tagrammoute, s’est éteinte sous une 4L conduite par un chauffard myope comme une taupe. C’est vrai qu’après un constat de routine, un petit groupe de villageois d’Aday a enterré Tagnaoute :la servante sourde, aveugle et muette ;mais elle est à jamais vivante dans ma mémoire nécrologique et c’est logique à mes yeux de relater les péripéties de sa vie fauchée par un accident tragique et fatal. Pour deux raisons, ce récit est né sous ma plume. La première est mue par un souci personnel de rendre hommage à la roture, à la lie exploitée et rejetée par la suite comme une olive pressée…classe qui bosse, qui souffre, qui subit sans oser pour différentes raisons crier haro ;et la deuxième raison derrière cette œuvre est d’avouer ouvertement mon appartenance maintenue jusqu’à alors secrète aux morts, à toutes les personnes que j’ai connues, que j’ai aimées et qui, malgré leur disparition à tout jamais, continuent à peupler mon imaginaire comme un défi à la mort inévitable et malheureusement absurde.
Je suis né sous un signe révélateur :hiver plus pluvieux que d’habitude avec des oueds en crue, des maisons écroulées ;mais avec une bonne récolte en orge et surtout en dattes. Faute de date précise, ce devait être en 1959 et ce l’est dans le registre de l’Etat Civil. J’ai connu cette femme-là que l’on surnommait Waâwaâ comme tous les gens de mon village natal. Elle, qui n’avait pas de domicile fixe, allait de maison en maison pour aider les ménagères. Jamais je n’avais peur de cette femme colossale, comme c’était le cas de mes amis d’enfance qui la craignaient à en mourir ,malgré ce qu’on racontait de méchancetés à son encontre. Je la voyais souvent lancer des pierres aux freluquets, pouilleux, teigneux, nu-pieds, rejetons mal élevés du village qui la poursuivaient en criant à tue-tête : « Waâwaâ !Waâwaâ ! »,mot dont personne ne connaissait le sens mais qui rendait la pauvre femme hors d’elle-même. Elle courait maladroite comme un corbeau et grognait car la pauvre n’arrivait à articuler que quelques mots et de surcroît difficiles à interpréter :Iwata (Hé !toi), Akhellal (la tête), Atab atab (sœur aînée sœur aînée),Aroumi (Chrétien) et Asafar (Médicament)…Moi, je n’aimais pas ce jeu-là ;je lui préférais celui qui consistait à détacher un âne et à le poursuivre dans les ruelles du village, question de dilater la rate.
Mon père m’aurait coupé la langue si je m’étais aventuré à lancer des mots grossier à qui que ce soit. Il n’aimait pas que mes frères et moi manquions de respect envers les gens surtout les personnes âgées. Papa détestait et déteste encore la médisance, le vol , le mensonge et l’école buissonnière.
Ma mère aimait beaucoup Tagnaoute. Elle la recevait souvent chez nous comme sa propre sœur. Dès qu’elle pénétrait le seuil de notre maison,elle saisissait la main droite de mère qu’elle baisait tendrement en répétant :Iwata atab atab (Hé !toi sœur aînée).Maman lui offrait du thé à la menthe, du pain et Timkiline (bols pleins de l’huile d’amandes, d’argane, de beurre cuit et de miel).Je me souviens comme si cela datait d’hier du regard confus :mi-triste mi-joyeux que ma mère déposait sur cette pauvre femme affamée qui avalait comme un concasseur tout ce qui se trouvait sous ses yeux plus avides que son estomac. Ma mère, contrairement à ses voisines, n’assignait jamais à Tagnaoute une corvée à exécuter. Elle lui faisait signe de s’en aller après s’être régalée. Avant de continuer sa tournée, elle prenait ma mère par le pan de sa tamelhafte (ample drap noir au liseré rouge ou vert que portent les femmes de Tafraout) et gesticulait mimant une femme qui s’habillait. Ma mère allait lui en chercher une vieille tamelhafte, une paire de rihite (babouches féminines de couleur rouge),un vieux saroual (pantalon ample),un pain de sucre et une poignée de thé vert de Chine. Tagnaoute nous quittait toujours heureuse et revenait souvent rendre-visite à sa sœur aînée, ma mère.
Sans famille, elle était venue à Aday, mon village natal, depuis longtemps. Elle puisait de l’eau du puits pour presque tous les foyers du village. Elle déboisait, labourait, moissonnait, sassait ,cassait les noix d’amandes ou d’argane, moulait, cousait, lavait et faisait des you-you ensorcelants et stridents qu’aucune autres femmes du village ne fut capable d’en faire. C’était une fourmis industrieuse et inlassable.
Une bonne femme lui a offert un Anoual (cuisine à l’extérieur d’une maison) qu’elle a occupé pendant les dernières années de sa vie. Tout le monde savait que la pauvre femme n’était pas pauvre ,puisque les gens lui donnaient de l’argent et dont elle ne dépensait jamais un dirham. Elle avait donc un trésor caché quelque part. Comme elle vieillissait, elle commençait à perdre une à une ses dents. Ce qui poussa un galant vieil escroc et ,ma foi ,un père de famille et bon croyant pratiquant à lui faire des propos flatteurs pour s’emparer de son argent prétextant qu’il allait l’accompagner chez un célèbre dentiste. Un autre piquepoule, non moins croyant et pratiquant ,réussit à son tour à soutirer à Tagnaoute une partie de son trésor en lui faisant croire qu’il l’emmènerait chez un opticien de son imagination pour lui faire faire des lunettes médicales. Le reste de sa petite fortune fut l’aubaine des gosses du village. Le comble des ennuis vint quand le logis de la pauvre femme fut ravagé par un incendie pendant son absence.
N’ayant plus rien :ni santé, ni vue, ni force, ni ouïe ,ni parole ,ni famille ,ni amies, Tagnaoute errait à travers les ruelles du village méconnaissable dans sa tamelhafte en loques, pieds-nus, seule parmi des portes fermées et des cœurs ferrés et impitoyables. Les femmes qui l’avaient connue depuis de longues années ne la regardaient même plus, l’évitaient dans des passages où elle tâtonnait posant ses mains frêles et hésitantes à même les épines de nopal ou voire parfois sur un tas d’inconvenances. Ma mère n’était plus là pour la recevoir. Elle était allée rejoindre ses ancêtres au cimetière. Moi non plus je n’étais plus là. J’étais à 800 km de chez moi à cause de mes études universitaires. Tagnaoute traversait la route sans savoir où elle était ni où elle allait. La route lui fut fatale. On l’enterra à côté de sa sœur aînée. Je leur rends souvent visite le soir. Je les salue à ma façon sans prier quelques fois. Je leur dis que je les rejoindrai, que je parle d’elles, qu’elles sont vivante dans mes poèmes ,dans mes nouvelles, dans mes veines, dans ma mémoire…Je leur dis que je ne les pleure plus car ,pour moi ,elles ne sont pas mortes. Les vrais morts sont les vivants indifférents que la mort effraie du matin au soir et même dans les cauchemars car ceux-ci n’ont plus de rêves.
Farid Mohamed Zalhoud
Amedyaz
Aday Tafraout Maroc
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"Je n'existe que dans la mesure où j'existe pour autrui" Manet
Dédiée à Tamouchte, à Boucharba et à Nikyta
Celle qui a légué sa cécité, son mutisme et sa surdité au fils des Météorites et de la Terre, jeunot jonc poussant sous un galet de l’oued Tagrammoute, s’est éteinte sous une 4L conduite par un chauffard myope comme une taupe. C’est vrai qu’après un constat de routine, un petit groupe de villageois d’Aday a enterré Tagnaoute :la servante sourde, aveugle et muette ;mais elle est à jamais vivante dans ma mémoire nécrologique et c’est logique à mes yeux de relater les péripéties de sa vie fauchée par un accident tragique et fatal. Pour deux raisons, ce récit est né sous ma plume. La première est mue par un souci personnel de rendre hommage à la roture, à la lie exploitée et rejetée par la suite comme une olive pressée…classe qui bosse, qui souffre, qui subit sans oser pour différentes raisons crier haro ;et la deuxième raison derrière cette œuvre est d’avouer ouvertement mon appartenance maintenue jusqu’à alors secrète aux morts, à toutes les personnes que j’ai connues, que j’ai aimées et qui, malgré leur disparition à tout jamais, continuent à peupler mon imaginaire comme un défi à la mort inévitable et malheureusement absurde.
Je suis né sous un signe révélateur :hiver plus pluvieux que d’habitude avec des oueds en crue, des maisons écroulées ;mais avec une bonne récolte en orge et surtout en dattes. Faute de date précise, ce devait être en 1959 et ce l’est dans le registre de l’Etat Civil. J’ai connu cette femme-là que l’on surnommait Waâwaâ comme tous les gens de mon village natal. Elle, qui n’avait pas de domicile fixe, allait de maison en maison pour aider les ménagères. Jamais je n’avais peur de cette femme colossale, comme c’était le cas de mes amis d’enfance qui la craignaient à en mourir ,malgré ce qu’on racontait de méchancetés à son encontre. Je la voyais souvent lancer des pierres aux freluquets, pouilleux, teigneux, nu-pieds, rejetons mal élevés du village qui la poursuivaient en criant à tue-tête : « Waâwaâ !Waâwaâ ! »,mot dont personne ne connaissait le sens mais qui rendait la pauvre femme hors d’elle-même. Elle courait maladroite comme un corbeau et grognait car la pauvre n’arrivait à articuler que quelques mots et de surcroît difficiles à interpréter :Iwata (Hé !toi), Akhellal (la tête), Atab atab (sœur aînée sœur aînée),Aroumi (Chrétien) et Asafar (Médicament)…Moi, je n’aimais pas ce jeu-là ;je lui préférais celui qui consistait à détacher un âne et à le poursuivre dans les ruelles du village, question de dilater la rate.
Mon père m’aurait coupé la langue si je m’étais aventuré à lancer des mots grossier à qui que ce soit. Il n’aimait pas que mes frères et moi manquions de respect envers les gens surtout les personnes âgées. Papa détestait et déteste encore la médisance, le vol , le mensonge et l’école buissonnière.
Ma mère aimait beaucoup Tagnaoute. Elle la recevait souvent chez nous comme sa propre sœur. Dès qu’elle pénétrait le seuil de notre maison,elle saisissait la main droite de mère qu’elle baisait tendrement en répétant :Iwata atab atab (Hé !toi sœur aînée).Maman lui offrait du thé à la menthe, du pain et Timkiline (bols pleins de l’huile d’amandes, d’argane, de beurre cuit et de miel).Je me souviens comme si cela datait d’hier du regard confus :mi-triste mi-joyeux que ma mère déposait sur cette pauvre femme affamée qui avalait comme un concasseur tout ce qui se trouvait sous ses yeux plus avides que son estomac. Ma mère, contrairement à ses voisines, n’assignait jamais à Tagnaoute une corvée à exécuter. Elle lui faisait signe de s’en aller après s’être régalée. Avant de continuer sa tournée, elle prenait ma mère par le pan de sa tamelhafte (ample drap noir au liseré rouge ou vert que portent les femmes de Tafraout) et gesticulait mimant une femme qui s’habillait. Ma mère allait lui en chercher une vieille tamelhafte, une paire de rihite (babouches féminines de couleur rouge),un vieux saroual (pantalon ample),un pain de sucre et une poignée de thé vert de Chine. Tagnaoute nous quittait toujours heureuse et revenait souvent rendre-visite à sa sœur aînée, ma mère.
Sans famille, elle était venue à Aday, mon village natal, depuis longtemps. Elle puisait de l’eau du puits pour presque tous les foyers du village. Elle déboisait, labourait, moissonnait, sassait ,cassait les noix d’amandes ou d’argane, moulait, cousait, lavait et faisait des you-you ensorcelants et stridents qu’aucune autres femmes du village ne fut capable d’en faire. C’était une fourmis industrieuse et inlassable.
Une bonne femme lui a offert un Anoual (cuisine à l’extérieur d’une maison) qu’elle a occupé pendant les dernières années de sa vie. Tout le monde savait que la pauvre femme n’était pas pauvre ,puisque les gens lui donnaient de l’argent et dont elle ne dépensait jamais un dirham. Elle avait donc un trésor caché quelque part. Comme elle vieillissait, elle commençait à perdre une à une ses dents. Ce qui poussa un galant vieil escroc et ,ma foi ,un père de famille et bon croyant pratiquant à lui faire des propos flatteurs pour s’emparer de son argent prétextant qu’il allait l’accompagner chez un célèbre dentiste. Un autre piquepoule, non moins croyant et pratiquant ,réussit à son tour à soutirer à Tagnaoute une partie de son trésor en lui faisant croire qu’il l’emmènerait chez un opticien de son imagination pour lui faire faire des lunettes médicales. Le reste de sa petite fortune fut l’aubaine des gosses du village. Le comble des ennuis vint quand le logis de la pauvre femme fut ravagé par un incendie pendant son absence.
N’ayant plus rien :ni santé, ni vue, ni force, ni ouïe ,ni parole ,ni famille ,ni amies, Tagnaoute errait à travers les ruelles du village méconnaissable dans sa tamelhafte en loques, pieds-nus, seule parmi des portes fermées et des cœurs ferrés et impitoyables. Les femmes qui l’avaient connue depuis de longues années ne la regardaient même plus, l’évitaient dans des passages où elle tâtonnait posant ses mains frêles et hésitantes à même les épines de nopal ou voire parfois sur un tas d’inconvenances. Ma mère n’était plus là pour la recevoir. Elle était allée rejoindre ses ancêtres au cimetière. Moi non plus je n’étais plus là. J’étais à 800 km de chez moi à cause de mes études universitaires. Tagnaoute traversait la route sans savoir où elle était ni où elle allait. La route lui fut fatale. On l’enterra à côté de sa sœur aînée. Je leur rends souvent visite le soir. Je les salue à ma façon sans prier quelques fois. Je leur dis que je les rejoindrai, que je parle d’elles, qu’elles sont vivante dans mes poèmes ,dans mes nouvelles, dans mes veines, dans ma mémoire…Je leur dis que je ne les pleure plus car ,pour moi ,elles ne sont pas mortes. Les vrais morts sont les vivants indifférents que la mort effraie du matin au soir et même dans les cauchemars car ceux-ci n’ont plus de rêves.
Farid Mohamed Zalhoud
Amedyaz
Aday Tafraout Maroc
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"Je n'existe que dans la mesure où j'existe pour autrui" Manet