AVENTURES DE DEUX ENFANTS PERDUS DANS UNE FORET PAR LEUR PERE ( Conte Chleuh )

sandokan

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AVENTURES DE DEUX ENFANTS PERDUS DANS UNE FORET PAR LEUR PERE

On raconte qu'un homme, s'étant marié, eut de sa femme deux enfants, un garçon et une fille.
Quelques temps après, la femme mourut lui laissant ses deux orphelins.
Lui attendit un peu et se remaria.
Or cet homme avait coutume d'aller chaque jour à la chasse. Quand il avait pris deux perdrix et quelques oiseaux, il rentrait au logis et donnait le gibier à sa seconde femme qui le faisait cuire; il y avait une perdrix pour lui et la femme, l'autre était pour le petit garçon et sa soeur.
Les choses allaient ainsi, lorsqu'un jour la marâtre dit à son mari :
"Mon homme, tous les jours tu vas courir la montagne jusqu'au soir, et tu ne rapportes que deux perdrix et quelques oiseaux; c'est peu pour quatre estomacs. Que vas-tu faire maintenant de ces deux enfants? Les voilà grands; envoie-les donc quelque autre part où ils travaillerons à leur compte. Si tu n'y consens pas, quant à moi vais ailleurs".
-Dès demain, lui répondit l'homme, je leur chercherai du service."
Le lendemain, il passa la journée en recherches, mais il ne trouva personne qui voulut de ses enfants.
-Que vas-tu faire? Lui dit sa femme à son retour.
-Je ne sais pas.
-Eh bien ! fit elle, prends-les quelques jour avec toi dans la forêt; tu les y laisseras; quand ils seront fatigués à te chercher, ils iront dans un autre pays.
Le mari répondit:
- Demain je les emmènerai et les perdrai dans les bois.
Or la fille, qui était l"aînée, entendit la conversation de son père et de sa mère.
Elle se leva et se passa au bras un panier en disant:
" Donc puisque notre père veut nous perdre dans les bois, j'emporterai de quoi marquer le chemin."
Elle prit quelques amandes, des dattes, des raisins secs, du son, et mit le tout ensemble dans le panier, puis se coucha.
Au matin, le père éveilla les enfants.
On mangea.
Alors il dit:
"Mes enfants, vous restez toujours à la maison; venez donc au bois avec moi, un peu de promenade chaque jour, vous fera du bien."
Ils répondirent:
"Père, volontiers!"
On partit.
En avant marchait le père, suivi du garçon, la fille se tenait en arrière, et tant qu'ils cheminèrent, elle puisa dans le panier et en jeta au fur et à mesure le contenu, par petites poignées, sur sa route.
Quand ils furent au milieu de la forêt, le père dit:
"Mes enfants, restez ici, vous êtes fatigués. Attendez-moi jusqu'à ce que je revienne de la chasse, nous rentrerons ensemble à la maison. Tenez voici de quoi manger et de quoi boire jusqu'à mon retour."
Il s'éloigna et chassa dans la montagne comme il avait coutume de faire; il prit sa proi ordinaire, des oiseaux et deux perdrix, ensuite, par un chemin détourné, il regagna son logis.
Les enfants avaient attendu jusqu'à midi, le père ne reparaissait point.
Le petit garçon parla à sa soeur:
"Ma soeur, dit-il, c'est l'heure où tous les jours notre père est déjà à la maison. Si tu veux nous rentrerons aussi.
-Par Dieu, en route! reprit la fille.
Ils se mirent en route, la fille en avant; celle-ci cherchait des yeux ce qu'elle avait jeté sur le chemin et suivait la trace.
Ils arrivèrent ainsi à la maison.
"Mon frère, dit alors la soeur, tiens-toi dans cette mangeoire, et moi dans celle-ci, nous verront ce que diront notre père et notre mère."
Ils se blottirent chacun dans sa mangeoire.
Or le souper était cuit.
La femme servit; ensuite elle commença par prendre du perdrix, qu'elle donna à son mari; pour l'autre, elle la plaça devant elle et dit:
"Regarde, maintenant chacun de nous à sa perdrix."
L'homme fit "Voici ta part, mon garçon."
Et la femme :
"Voici ta part, ô ma fille."
Les enfants entendirent et s'en vinrent tout courant :
"Me voici, papa !" disait le garçon.
"Me voici, maman !" disait la fille.
Ils se pressèrent contre leurs parents, ils prirent place et reçurent encore une perdrix à partager entre eux, pendant que l'homme et la femme se partageaient la seconde.
Après le souper, chacun des enfants s'en alla dormir comme de coutume.
Alors la marâtre se leva et commença à quereller son mari :
"Ce sont là tes exploits, tes menteries! Tu n'as point perdu les enfants; et moi puisque les voilà revenus, je leur cède la place."
-Demain, fit l'homme, je les conduirai bien loi, de façon qu'ils ne connaissent plus aucun chemin qui les mène chez nous.
La fille écoutait.
Elle reprit son panier, elle y mit encore dattes, raisins secs et son, tout ce qu'elle trouva.
Le lendemain, le père appela :
"Mes enfants, allons! Suivez-moi encore à la chasse."
-Volontiers, répondirent les enfants, nous vous suivrons, mais ne faites pas comme hier.
-Cette fois, je ne vous abandonnerai pas comme hier.
Ils partirent ensemble, le père en tête, puis la fille et le garçon derrière.
En marchant, la fille jetait peu à peu ce qu'elle avait dans son panier, et sur ses pas le garçon ramassait au fut et à mesures.
Quand ils furent en pleine montagne, le père dit:
"Mes enfants, restez ici, vous êtes fatigués, je vais revenir et ne m'attarderai point."
Il alla chassé comme d'ordinaire, et, ayant fait sa provision, il suivit un autre chemin et rentra chez lui.
Il trouva sa femme, et lui dit:
"Aujourd'hui, nos enfants ne reviendront pas ici, je les ai laissés très loin.
-Ce soi, reprit-elle, au moment du souper, je verrai bien.
Ils attendirent.
Quand le souper fut cuit et mis sur la table, on partagea.
La femme choisit une perdrix et la donna à son mari; elle plaça l'autre devant elle.
"Voilà ta part ô mon fils" dit l'homme.
"Voilà ta part ma fille", ajouta la femme.
A l'un comme à l'autre personne ne répondit.
Cette femme en fut toute joyeuse:
"Vois maintenant, dit-elle, ce que nous sommes tous deux, nous avons deux parts pour chacun de nous."
Ils mangèrent leur souper et dormirent.
 
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Suite du conte:



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Cependant les enfants étaient restés dans la montagne où leur père les avait quittés.
A un moment, le garçon prit la parole et dit à sa soeur:
"Allons, en route pour la maison! le père nous a fait comme hier, voici l'instant où il est rentré!
-Attends un peu, fit elle.
Après une pause, l'enfant dit à nouveau :
"Approche ma soeur, mangeons ce que j'ai trouvé sur le chemin par où nous sommes venus."
Il tira de sa poche des dattes, des raisins secs, des amandes qu'il plaça sur ses genoux.
Alors la fille se mit à pleurer amèrement, en voyant ses larmes, son frère aussi pleura.
"Mon frère, dit-elle, maintenant nous avons bien perdu le chemin de la maison; ce qui devait nous le marquer, tu l'as ramassé. Vois, le vent a passé et emporte tout le son que j'avais semé."
Ils errèrent dans la montagne.
La nuit vint, ils n'avaient pas encore trouvé le chemin du retour:
"Mon frère, dit la fille, montons sur cet arbre pour y passer la nuit."
Ils escaladèrent l'arbre et s'endormirent; mais vers minuits, ils entendirent les chacals qui hurlaient de toutes parts.
Aux premiers feux du jour, ils se remirent en quête de ça et de là; enfin ils aperçurent un homme dans le lointain et coururent vers lui :
"Pour l'amour de Dieu, lui dirent-ils dès qu'ils furent proche, indiquez-nous un chemin qui conduise à quelque pays.
-Mes enfants, répondit l'homme, moi-même je ne fréquente pas beaucoup dans ces parages; mais prenez ce sentir, vous le suivre jusqu'à ce que vous trouviez deux chemins, l'un à gauche, l'autre à droite. Voici deux pelotes de fil, une blanche, une noire: quand vous serez au carrefour, jetez-les en l'air et prenez le chemin du côté où ira la blanche. Pour le chemin de la pelote noir, évitez-le.
Les enfants s'éloignèrent.
En route, le garçon dit à sa soeur :
"Soeur, donne-moi donc ces pelotes, que je voie"
Il les prit de sa soeur et se mit à jongler les lançant, les rattrapant l'une après l'autre, jusqu'à ce qu'elles fussent toutes dévidées et le fil embrouillé.
Alors il les jeta et rejoignit sa soeur.
Quand ils furent arrivés aux deux chemins, celle-ci lui dit:
"Mon frère, voici les deux chemins dont nous a parlé cet homme, rends-moi les pelotes qu'il nous a données.
-Ma soeur, je me suis amusé avec, et comme elles étaient toutes défaites, je les ai jetées.
-Ah! Mon frère, nous voilà encore égarés!
Ils s'engagèrent dans un des deux chemins et marchèrent jusqu'à la nuit, sans rencontrer sur leur route aucun lieu habité. Enfin, ils virent au loin une lumière, et en avançant dans la direction où elle brillait, ils parvinrent à une cabane dont la porte était ouverte.
Ils entrèrent.
La porte se referma.
Ils virent alors une ogresse qui leur demanda:
"Qui entre?"
La fille répondit:
-C'est nous madame!
-Combien êtes-vous?
-Moi et mon frère.
- C'est que je ne vois pas, je ne distingue pas très bien. Restez dans cette petite chambre, je vous apporterai votre souper.
L'enfant eut peur:
"Elle va nous manger cette nuit." dit-il à sa soeur.
Celle-ci le rassura.
Ils se tinrent cois, jusqu'à ce que l'ogresse leur donnât un peu de pain, en disant:
"Mangez ceci; demain j'examinerai ce que je ferai de vous."
Elle alla ensuite faire cuire son souper.
Ce qu'elle faisait cuirs, c'était de la viande d'âne; et, cuite comme crue, elle l'avala, puis dormit.
Le matin, elle se leva et dit aux enfants:
"Je n'ai plus rien à manger pour mon souper de ce soir; je sors, avec mon outre pour apporter de l'eau, et si je ne rencontre rien de bon à manger, c'est Dieu qui vous aura amenés pour me servir de souper."
Les pauvres enfants se mirent à pleurer.
Du haut de la maison un corbeau les voyait. Il leur parla:
"Enfants, ne pleurez pas. Je vais vous indiquer les moyens de vous sauver. Accepter ces trois sachets: si vous jetez ce que renferme le premier, vous verrez paraître un fourré d'arbres, si vous jetez le contenu du second, ce sera une rivière, avec le troisième, des rasoirs. Prenez du champ, moi je vais crever l'outre de l'ogresse."
Les enfants gagnèrent aussitôt la route, et au moment où l'ogresse s'approchait de la maison, le corbeau s'élança et creva l'outre; l'eau se répandit. L'ogresse s'arrêta, et raccommoda l'outre et retourna pour la remplir de nouveau à la fontaine. Près de la maison, le corbeau fondit une seconde fois et la creva:
"Etrange! dit l'ogresse. Les enfants qui sont là-dedans vont se sauver."
Elle entra dans la cabane; il n'y avait plus personne. Alors elle se frappa la tête contre les murs en poussant des cris, puis elle courut dehors, et ayant reconnu dans quelles directions étaient les enfants, elle se mit à leur poursuite.
Comme elle était sur le point de les atteindre, la jeune fille se retourna:
"Mon frère, dit-elle, je vois quelque chose qui court derrière nous; c'est gros comme un oiseau."
Ils reprirent leur élan.
La fille se retourna :
"Ce que je vois maintenant, c'est gros comme un dromadaire!"
Ils s'élancèrent encore, après un temps elle se retourna:
"Mon frère, c'est l'ogresse, elle est sur nous!"
Elle ouvrit un sachet, jeta le contenu sur la route et un fourré d'arbres sortit de terre.
Au bout d'un instant, elle revit l'ogresse. Elle ouvrit un second sachet, le jeta sur le chemin qui fut coupé par un grand fleuve. Ils hâtèrent leur course. Bientôt ils virent l'ogresse sur leurs traces. Le troisième sachet, lancé par la fille, fit un sol tout de rasoirs et de sel.
L'ogresse n'arrêta point sa poursuite, mais les rasoirs lui coupèrent les pieds pendant que le sel pénétrait dans les blessures; elle ne pouvait plus avancer. Alors elle appela:
"Mes enfants, puisque vous voilà sauvés, je vais vous faire une recommandation ; si vous venez à rencontrer un agneau couché en travers du chemin, avec des ciseaux sur le dos, et criant : "Qui me tondra la toison qui me couvre?" ne l'écoutez point. Une autre recommandation : Si vous trouvez deux oiseaux se querellant entre eux, ne les séparez point. Enfin mes enfants, si vous faites une troisième rencontre de cruches pleines d'une belle eau, n'y buvez point".
L'ogresse les quitta là-dessus.
Les enfants se mirent en route. Ils rencontrèrent un agneau étendu sur le bord du chemin, avec des ciseaux dans sa laine. L'agneau disait : Qui coupera cette toison, pour l'amour de Dieu?
Ils le frappèrent et passèrent le laissant là:
"Présage de quelque danger" dit la fille à son frère. Ensuite ils arrivèrent à un endroit où deux oiseaux se battaient. L'un d'eux dit : Qui donc mettra la paix entre nous?
Les enfants les frappèrent et passèrent, les laissant à leur querelle. Plus loin ils rencontrèrent deux cruches pleines d'une eau magnifique.
Le garçon dit:
"Ma soeur, je vais boire. Je meurs de soif."
-Mon frère, reprit la fille, il ne faut pas se fier à cette eau; elle ne présage rien de bon. Passons, considère ce à quoi nous avons échappé jusqu'à présent, puissions nous de même éviter ceci!
-Je suis en feu, je ne t'obéirai pas et je boirai.
Il alla vers une cruche, se pencha pour y boire et disparu avec elle, au grand saisissement de sa soeur.
La pauvre enfant continua sa route toute seule. Au voisinage d'un pays, elle croisa un berger :
"Berger, dit-elle, pour l'amour de Dieu, enseigne-moi mon chemin."
Le berger répondit:
"Il y a un pays qui est proche, si tu cherches où travailler, il n'y manque pas d'endroits."
La fille reprit:
"Vous plait-il, monsieur, de me vendre quelques-unes de ces peaux?
-Certes, mais ce sont des peaux de lévrier.
-Vendez-les moi donc.
Il les lui vendit; elle paya et monta vers un petit coteau. Là elle tailla les peaux et, les cousant ensemble, elle confectionna un vêtement en forme de lévrier.
Elle l'essaya et se dit :
"Je m'habillerai donc de ceci pour voir comment est ce pays."
Elle partit et, aux approches de la ville, elle ôta son vêtement ordinaire, entra dans son costume de levrette, et, trottant comme les lévriers, elle parvint à la porte d'une maison, où elle s'arrêta.
Le fils de l’Aguellid, vint à passer:
"Lévrier ou levrette, dit-il, quelle jolie bête.
Il alla à elle, s'en empara, lui passa un collier et l'emmena au palais. Il la mit dans une chambre voisine de celle où il dormait. Et tous les serviteurs disaient :
"Quelle jolie levrette à trouvée le prince!"
On lui apporta son souper, on lui fit un lit. Vers minuit le prince entendit tousser à petits coups:
"Ce n'est pas ainsi que toussent les chiens, se dit-il; c'est une toux humaine."
Par une fente, il aperçut de la lumière, il regarda et vit une jeune fille dans la chambre où il avait laissé la levrette. Au matin, il lui ouvrit et la conduisit dans son appartement. Ils restèrent ensemble quelques jours.
Voyant qu'il avait reconnu qu'elle n'était point de la race des levrettes, elle lui avait avoué qu'elle était une jeune fille et lui avait conté ses aventures jusqu'à son arrivée au palais.
Le prince alors lui dit:
"Je vous épouserai si vous y consentez."
Et elle consentit.
Il alla trouver L’Aguellid son père et lui dit:
"Mon père, je veux me marier."
Les frères se levèrent, disant avec colère:
"C'est une levrette qu'il épouse."
L’Aguellid se fâcha ajoutant:
"Tu as trouvé ton épouse."
Il se leva pour commander la noce. Les princes se retirèrent, ne voulant pas assister au mariage de leur frère.
Les épousailles se firent donc. La mariée sorti couverte de vêtements et de parures magnifiques, telles qu'on ne pouvait en imaginer dans ce pays.
A la vue de cette jeune fille si richement parée, les esclaves et les négresses s'en furent précipitamment dire à l’Aguellid et à ses enfants:
"Ce n'est pas une levrette qui est avec le prince, c'est une fille sans pareille."
Ils se levèrent et accoururent pour voir. On fit une fête splendide pendant nombre de jours, en son honneur.

FIN
 
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