Batoula Benchikh est créatrice de mode. Elle avait même sa griffe. Puis, elle s'est dit qu'entre les podiums et Tahanaout, il n'y a que l'authentique qui compte.
Cheveux courts, lunettes sombres, bottes et veste de motard. Le dress code est immuable. Le look est rock'n'roll et pas qu'le look, vieux ! La Benchikh est une artiste. Pas de ceux que l'on affuble du sobriquet comme si l'on voulait bien leur prêter un métier, ou dont on excuse, par une jolie tournure, la névrose patentée. Elle en est une. Parce que, ne lui déplaise, derrière ses lunettes noires il y a un regard qui trahit l'exacte somme des novas, comètes ou autres étoiles, sorties de l'usine à rêves que chez d'autres on nomme communément cerveau.
Première rencontre… Grande salle du Hilton de Rabat, clôture très sélect de la saison épique, flash et néon. C'est un défilé de mode vraiment pas comme les autres. Pas de caftans, pas d'arabesques et même un peu d'intelligence dans le sourire des mannequins. Mais surtout, des cols vertigineusement hauts et des silhouettes taillées au scalpel. On se croirait chez Muggler. Et puis la motarde débarque sur le podium et salue. On comprend mieux. Les plus pointus disent même avoir reconnu la griffe. C'est que Batoula Benchikh n'en est pas à son coup d'essai. Marrakech, Casablanca, Meknès… A chaque fois qu'un taxi la dépose (elle ne conduit pas), c'est le cirque du soleil qui traverse les planches. La styliste ne dessine pas que des fringues. Non ! Ce serait trop ordinaire ! Elle fait des Arts plastiques et construit des secondes peaux dans lesquelles forcément on se sent mieux que dans la première. Dix ans passés dans la lingerie derrière 400 ouvrières ne lui ont rien fait oublier de la sophistication ou la fantaisie nécessaire à l'exercice de la psychanalyse du vêtement. Elle avait 31 ans. C'était l'époque flashy. Et c'était limite, pas elle.
De Tafraout à Tahanaout
Deux ans plus tard… Tahanaout. La motarde et la montagne. Deuxième rue à droite dans ce petit village à 40 km de Marrakech qui en compte… deux. Deux rues, pas deux motardes. Finis l'usine et ses chiffres d'affaires à faire pâlir les chinois, « parce que c'est pas de la création ». Finis les défilés et « Introduction to Fashion World », la griffe qu'elle avait créée. « Parce que ça nourrit pas son homme ». Batoula rit. Tahanaout, c'est le juste retour aux choses. La 9ème naissance de la lignée Benchikh s'est enfin souvenue. Souvenue que sa mère lui disait « au moins la fac », souvenue qu'elle s'était perdue dans le système. A Tahanaout, ils sont plusieurs à monter depuis quelques mois, le Village de l'Artisan. Un show-room qui regroupe différents bouts de l'artisanat local, qui se donne la vocation de le perpétuer et, tant qu'à faire, des mains mêmes des femmes du village. Autour du patio qu'elle repeint, plusieurs ateliers se font face. Elle raconte l'idée. « Le travail industriel reste un travail de commande qui ne laisse que peu de place à la création, sans compter que tout le monde le fait ou peut le faire ». Le but est donc d'obtenir un produit original qui n'aurait pas pour seul dessein d'être consommé. « Le travail de l'artisan est un savoir-faire aussi authentique, et donc recherché, que nécessaire à la survie de ces corps de métier. On voudrait, chacun dans son domaine, créer des produits marocains à partir de la matière première et de la pratique locale. A nous d'y apporter la touche de design ou de modernité qui feront connaître cet artisanat revisité et le faire se vendre à sa juste valeur. Et surtout à la juste valeur des habitants qui y gagneront leur vie au lieu d'envoyer leurs filles travailler dans les maisons de Marrakech. Ce qui est ici le seul moyen de subsistance ». Un show-room à Tahanaout… On n'arrête pas le progrès ! Là-bas, les femmes se sont remises à leur métier à tisser et les hommes à leurs cuivres et leurs cuirs. C'est qu'à Tahanaout, maintenant, il y a une motarde berbère qui, avec deux ou trois autres déjantés misanthropes, s'est souvenue d'un autre Maroc et de son patrimoine. Et s'est juste dit : Pourquoi pas ?
Oumama DraouI
Journal Hebdo
Cheveux courts, lunettes sombres, bottes et veste de motard. Le dress code est immuable. Le look est rock'n'roll et pas qu'le look, vieux ! La Benchikh est une artiste. Pas de ceux que l'on affuble du sobriquet comme si l'on voulait bien leur prêter un métier, ou dont on excuse, par une jolie tournure, la névrose patentée. Elle en est une. Parce que, ne lui déplaise, derrière ses lunettes noires il y a un regard qui trahit l'exacte somme des novas, comètes ou autres étoiles, sorties de l'usine à rêves que chez d'autres on nomme communément cerveau.

Première rencontre… Grande salle du Hilton de Rabat, clôture très sélect de la saison épique, flash et néon. C'est un défilé de mode vraiment pas comme les autres. Pas de caftans, pas d'arabesques et même un peu d'intelligence dans le sourire des mannequins. Mais surtout, des cols vertigineusement hauts et des silhouettes taillées au scalpel. On se croirait chez Muggler. Et puis la motarde débarque sur le podium et salue. On comprend mieux. Les plus pointus disent même avoir reconnu la griffe. C'est que Batoula Benchikh n'en est pas à son coup d'essai. Marrakech, Casablanca, Meknès… A chaque fois qu'un taxi la dépose (elle ne conduit pas), c'est le cirque du soleil qui traverse les planches. La styliste ne dessine pas que des fringues. Non ! Ce serait trop ordinaire ! Elle fait des Arts plastiques et construit des secondes peaux dans lesquelles forcément on se sent mieux que dans la première. Dix ans passés dans la lingerie derrière 400 ouvrières ne lui ont rien fait oublier de la sophistication ou la fantaisie nécessaire à l'exercice de la psychanalyse du vêtement. Elle avait 31 ans. C'était l'époque flashy. Et c'était limite, pas elle.
De Tafraout à Tahanaout
Deux ans plus tard… Tahanaout. La motarde et la montagne. Deuxième rue à droite dans ce petit village à 40 km de Marrakech qui en compte… deux. Deux rues, pas deux motardes. Finis l'usine et ses chiffres d'affaires à faire pâlir les chinois, « parce que c'est pas de la création ». Finis les défilés et « Introduction to Fashion World », la griffe qu'elle avait créée. « Parce que ça nourrit pas son homme ». Batoula rit. Tahanaout, c'est le juste retour aux choses. La 9ème naissance de la lignée Benchikh s'est enfin souvenue. Souvenue que sa mère lui disait « au moins la fac », souvenue qu'elle s'était perdue dans le système. A Tahanaout, ils sont plusieurs à monter depuis quelques mois, le Village de l'Artisan. Un show-room qui regroupe différents bouts de l'artisanat local, qui se donne la vocation de le perpétuer et, tant qu'à faire, des mains mêmes des femmes du village. Autour du patio qu'elle repeint, plusieurs ateliers se font face. Elle raconte l'idée. « Le travail industriel reste un travail de commande qui ne laisse que peu de place à la création, sans compter que tout le monde le fait ou peut le faire ». Le but est donc d'obtenir un produit original qui n'aurait pas pour seul dessein d'être consommé. « Le travail de l'artisan est un savoir-faire aussi authentique, et donc recherché, que nécessaire à la survie de ces corps de métier. On voudrait, chacun dans son domaine, créer des produits marocains à partir de la matière première et de la pratique locale. A nous d'y apporter la touche de design ou de modernité qui feront connaître cet artisanat revisité et le faire se vendre à sa juste valeur. Et surtout à la juste valeur des habitants qui y gagneront leur vie au lieu d'envoyer leurs filles travailler dans les maisons de Marrakech. Ce qui est ici le seul moyen de subsistance ». Un show-room à Tahanaout… On n'arrête pas le progrès ! Là-bas, les femmes se sont remises à leur métier à tisser et les hommes à leurs cuivres et leurs cuirs. C'est qu'à Tahanaout, maintenant, il y a une motarde berbère qui, avec deux ou trois autres déjantés misanthropes, s'est souvenue d'un autre Maroc et de son patrimoine. Et s'est juste dit : Pourquoi pas ?
Oumama DraouI
Journal Hebdo