C'est la mémoire de Mohammed kacimi qu'on assassine !

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C’est la mÈmoire de Mohammed Kacimi qu’on assassine†!

Cela fait maintenant prËs de quatre ans que Mohammed Kacimi nous a quittÈs. A l’annonce de cette perte, l’Èmotion a ÈtÈ vive tant au Maroc que dans le reste du monde, o_ ce remarquable passeur entre les rives culturelles comptait de nombreux amis et admirateurs dans les milieux artistiques. Comme ce fut le cas pour d’autres de nos grandes figures intellectuelles, un scÈnario identique s’est rÈpÈtÈ. Pendant quelques semaines, quelques mois, un chœur de louanges s’est ÈlevÈ, entonnÈ par les voix sincËres de ceux, celles qui ont aimÈ l’homme et le crÈateur, mais aussi par une foule de pleureuses professionnelles et d’intrus passÈs maÓtres dans l’art douteux de l’oraison funËbre, indÈpendamment de l’identitÈ du dÈfunt. Puis, sans surprise, le silence est retombÈ, amÈnageant dÈj‡ le lit de l’oubli.
Notre scËne culturelle se caractÈrise ainsi, entre autres tares, par une grande cruautÈ. Et, dans le cas de Kacimi, celle-ci se traduit par un dÈni de ses derniËres volontÈs, et donc une indiffÈrence ‡ sa mÈmoire. MÍme s’il a travaillÈ sans rel‚che pendant plus de quarante ans, Kacimi n’a pas amassÈ une fortune. Il a laissÈ une maison modeste, situÈe dans le quartier des Vieux Marocains ‡ TÈmara, dont il a amÈnagÈ progressivement la b‚tisse et le jardin et o_ il a installÈ son atelier. Une maison devenue au fil des annÈes un havre pour des artistes de passage, un lieu de convivialitÈ, d’Èchange et de cÈlÈbration de l’amitiÈ. Parmi les papiers retrouvÈs aprËs sa mort, il y avait un document dans lequel Kacimi Èmettait le vœu que sa maison acquiËre aprËs lui un statut de fondation o_ ses œuvres seraient prÈservÈes, o_ se tiendraient des expositions permanentes, o_ une aile qu’il projetait de construire ferait office de rÈsidence d’artistes ‡ condition que ceux-ci s’engagent pendant leur sÈjour ‡ animer des ateliers de peinture en direction des enfants.
L’idÈe, dans sa simplicitÈ, exprime bien la gÈnÈrositÈ de l’homme, son souci des autres artistes et de la transmission des valeurs esthÈtiques aux gÈnÈrations futures.
Quelques-uns de ses amis se sont aussitÙt activÈs pour essayer de rÈaliser ces vœux. Reconnaissons par ailleurs au ministre de la Culture le mÈrite d’avoir usÈ de son influence pour mettre des scellÈs sur la porte de l’atelier afin de protÈger les œuvres du peintre qui y sont entreposÈes de toute visÈe malveillante. Mais, bien vite, un Ècueil imprÈvisible s’est dressÈ sur le chemin de ces bonnes volontÈs†: deux personnes, qui se sont improvisÈes frËres de Kacimi, ont introduit un recours en justice pour disputer son hÈritage ‡ Batoul, l’enfant unique de Kacimi. Or, ce que ce dernier, par pudeur, n’a jamais rÈvÈlÈ, sauf ‡ de rares intimes, c’est qu’il avait ÈtÈ abandonnÈ en trËs bas ‚ge par son pËre, qui ne l’a jamais reconnu par la suite.
De comparutions en appels, l’imbroglio juridique continue. Entre-temps, les toiles entreposÈes dans l’atelier, faute d’un dispositif adÈquat de prÈservation, sont menacÈes de dÈgradation ‡ cause de l’humiditÈ, aggravÈe par la proximitÈ de la mer.
Et, comble du grotesque, voil‡ que l’Administration des impÙts vient d’Èmettre pour l’annÈe 2006 un avis d’imposition s’Èlevant ‡ dix mille dirhams au titre de l’impÙt foncier pour la maison, considÈrÈe dÈsormais comme ´†rÈsidence secondaire†ª, alors que la fille de Kacimi, Ètudiante ‡ Bordeaux, est encore loin d’en Ítre la propriÈtaire et qu’elle continue ‡ l’entretenir avec les moyens du bord.
Trop, c’est trop†! Il s’agit l‡ d’un scandale qu’il faut faire Èclater au grand jour. Et tout le monde devra en prendre pour son grade. L’Etat, qui dilapide des milliards pour que le monde du show-biz international vienne nous jeter en p‚ture quelques miettes de ses paillettes. La justice, qui n’a pas pu ou pas voulu dÈceler l’imposture des charognards qui veulent dÈpecer l’hÈritage matÈriel de Kacimi. La presse, mÍme la mieux intentionnÈe, qui n’a de religion que celle de la tendance et de l’ÈvÈnement. Ceux parmi les intellectuels, et ils sont lÈgion, qui ne savent plus conjuguer la solidaritÈ que quand elle sert leurs petits intÈrÍts personnels. Les partis, qui nous servent la rengaine du silence des intellectuels et n’ont pour le combat de ces derniers qu’indiffÈrence amusÈe. La sociÈtÈ civile elle-mÍme, qui n’a pas encore pris la mesure de l’enjeu culturel dans la configuration d’un projet de sociÈtÈ garantissant progrËs et modernitÈ. Les amateurs d’art, qui se sont convertis ‡ la bourse des valeurs marchandes et ne voient dans l’œuvre de Kacimi qu’un objet de spÈculation juteuse..
Il y a l‡ comme un consensus de l’aveuglement et de la bÍtise.
Qu’on se le dise, c’est sous nos yeux qu’on assassine la mÈmoire d’un grand artiste marocain.
Ce ne sera, hÈlas, ni le premier ni le dernier. Jusqu'‡ quand†? Jusqu’au sursaut qui nous permettra de prendre conscience que la mÈmoire d’un peuple, amputÈe de l’œuvre civilisatrice de ses penseurs, de ses intellectuels et de ses crÈateurs, n’est qu’une coquille vide.
Cela dit, Kacimi continuera, contre vents et marÈes, ‡ vivre dans une autre mÈmoire, celle qui, partout dans le monde, cherche la lumiËre dans l’incroyable aventure de l’esprit.


Abdellatif Laabi
14 mai 2007
 
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