[size=medium][color=0000FF]voici un exemple de cooperation arabe[/color][/size]
Al Najat : l'État coupable de complicité
Thabo Mbeki (PADS)
Avec l'arrestation de présumés escrocs, le mystère Annajat est loin d'être élucidé et la responsabilité des politiques passée sous silence. Reconstitution d’un scandale où l’État, d’une manière irréelle, a cautionné l’escroquerie de 45.000 Marocains en quête d’un emploi. Par Karim Boukhari
Le scandale Al Najat a commencé par une invitation au rêve : en février 2002, le quotidien istiqlalien Al-Alam publie une petite annonce dans laquelle une société émiratie, Al Najat Marine Shipping, offre de l’emploi à 22.000 Marocains. Les candidats
sont priés de prendre contact avec le bureau de l’ANAPEC (Agence nationale de promotion de l’emploi et des compétences) le plus proche. L’information se propage comme une traînée de poudre. Des quatre coins du royaume, des milliers de personnes prennent d’assaut les représentations de l’agence officielle de l’emploi. Les candidats doivent avoir entre 18 et 45 ans, et être en bonne condition physique. Ils doivent accompagner leur demande d’une visite médicale, à effectuer à la clinique Dar Essalam à Casablanca, contre une somme de 900 DH. Les personnes issues des provinces du Sud, quant à elles, sont acheminées vers les centres de Laâyoune et Guelmim où le prix des consultations médicales a été établi à 500 DH. On présente alors Al Najat comme une société internationale de "placement", qui recrute des candidats pour les affecter à des boulots de maintenance dans les domaines de l’hôtellerie et du frêt, à bord de bateaux de plaisance européens et américains. Les contrats courent sur une année renouvelable, avec un salaire mensuel de 580 dollars, en plus d’une prime d’embarquement de 80 dollars et d’une rallonge mensuelle de 100 dollars pour les candidats anglophones.
L’engouement est tel que, en quelques semaines, le nombre de candidats dépasse largement les 22.000 postes à pourvoir. L’occasion est trop belle pour tout le monde, candidats au travail comme hommes politiques et agents d’autorité. D’un côté, les diplômés chômeurs, les petits salariés mécontents de leur situation matérielle, voire les rêveurs d’une émigration définitive, se bousculent au portillon. De l’autre côté, celui des officiels, la surenchère et la récupération battent leur plein. 22.000 emplois, voire plus, d’un seul coup, c’est pratiquement de l’inédit, une première nationale qu’il convient de capitaliser au maximum. Les formulaires d’inscription estampillés du sigle de l’ANAPEC s’arrachent. Derrière, le parti de l’Istiqlal, dont le S.G, Abbes El Fassi, est alors ministre de l’Emploi, se frotte les mains et joue à fond la carte de l’embauche en cette période pré-électorale. Dans l’entourage du ministre, on va jusqu’à saluer "cette diversification de la société émiratie, qui recrutait jusqu’ici en Asie". D’autres partis politiques se mêlent aussi à la course en incitant, via leurs délégations régionales, les candidats au travail à répondre à l’offre d’Al Najat. Même les auxiliaires de l’autorité locale sont mobilisés pour booster ce qui ressemble bien à une affaire nationale.
Dans cette période initiale, le consensus politique a été si important qu’il a étouffé, sans problème, les quelques voix dissonantes. Parce qu’il y en a eu. Dans les coulisses du gouvernement, on craint que ce recrutement massif ne se transforme en émigration clandestine de masse "qui fâcherait le Maroc avec les Émirats Arabes Unis et une bonne partie de l’U.E". Et on se demande, en raillant, combien de bateaux il faudrait pour accueillir une main d’œuvre qui pourrait grimper jusqu’à 40.000 travailleurs. Ces voix n’obtiennent guère d’écho. Le Maroc, alors sous gouvernement d’alternance, est politiquement dominé par deux partis au pouvoir : l’USFP, dont Abderrahmane Youssoufi est Premier ministre (et président de facto du conseil d’administration de l’Anapec), et l’Istiqlal, dont Abbes El Fassi est ministre de l’Emploi et tuteur de la même Anapec. L’un et l’autre se livrent à une guerre d’influence, par Anapec interposée. L’Istiqlal a cependant une bonne longueur d’avance sur son frère-ennemi. Abbes El Fassi a fait de cette histoire d’Al Najat une affaire personnelle, qu’il défend même sur la place publique. Et puis, le staff dirigeant de l’Anapec, pour une bonne partie, doit sa nomination au même El Fassi, depuis qu’il est aux commandes du ministère de l’Emploi…
Pendant que les politiques se livrent à une guerre fratricide sans merci, le corps médical est saisi d’une agitation d’un ordre strictement matériel. Des cliniques privées, notamment à Casablanca, montent au créneau pour réclamer leur part du gâteau. "Pourquoi Dar Essalam, et pourquoi pas nous ?", ruent-ils dans les brancards. Le choix de la clinique Dar Essalam, en la personne de son directeur Jamil Bahnini, loin de toute caution du conseil de l’ordre des médecins, est d'autant plus mystérieux qu'une partie du pactole amassé est bientôt remise à des intermédiaires d'Al Najat, sans même transiter par un compte bancaire.
En mars 2002, les souscriptions pour ce qui ressemble au contrat du siècle ont déjà atteint la barre de 30.000. Mais la demande continue d’affluer. Près de 45.000 candidats attendent, munis de leur "contrat" (lire témoignage), dont 2500 sont issus des provinces du Sud. Comment maîtriser toute cette marée humaine ? Jusqu’où le phénomène va-t-il s’arrêter ? La seule réponse tient en une phrase : un premier contingent, regroupant 2500 à 5000 candidats au voyage, devra être "convoyé" sur les bateaux promis à partir d’août 2002. L’excitation se prolonge ainsi jusqu’à l’amorce de l’été 2002. Et là, coup de théâtre, le Maroc "découvre" que les quelques représentants d’Al Najat présents sur place ont déjà quitté le Maroc, vers une destination inconnue. Le rêve (le gag ?) est fini, le scandale démarre.
Septembre 2002. La rentrée politique est dominée par les élections législatives. L’USFP capitalise sur le scandale Al Najat pour pointer l’Istiqlal d’El Fassi du doigt. Loin de se démonter, le ministre de l’Emploi se défend en expliquant qu’une enquête avait été diligentée, dès le début, via la représentation diplomatique du Maroc aux Émirats, pour vérifier la crédibilité de la société émiratie. Dans les coulisses, pourtant, d’autres bruits courent, qui seront bientôt confirmés. Al Najat est bien répertoriée dans les registres de commerce des Émirats. C’est une société montée par un Pakistanais, Sajad Muhammad Ali Akbar Shah, qui, selon le code des investissements locaux, s’est associé à un Émirati (un dignitaire du régime) pour monter Al Najat. Mais "l’enquête" sur laquelle l’Anapec et son ministère de tutelle se sont apparemment reposés s’est limitée à vérifier l’existence d’une patente au nom de la société aux Émirats, sans plus. Selon des sources proches du dossier, il existe en effet une deuxième enquête, diligentée par les services de renseignement marocains. Le document, déposé sous pli confidentiel au ministère de l’Intérieur, signale les antécédents terribles d’Al Najat, déjà impliquée dans un scandale d’emplois fictifs au Kenya. Ce document a-t-il été pris en considération ? A-t-il au moins été lu ?
Le scandale social et économique, avec 45.000 Marocains escroqués et plus de 4 milliards de centimes volatilisés, n’est que la partie visible de l’iceberg. Al Najat a provoqué aussi un séisme politique, dans la foulée des législatives 2002. L’affaire met un bémol aux rêves de Primature de deux illustres personnages : Youssoufi, en sa qualité de président du C.A de l’Anapec et surtout El Fassi, ministre de tutelle. Les deux hommes sont fragilisés dans leur quête pour le fauteuil de Premier ministre, au lendemain des premières élections - à peu près - honnêtes du Maroc indépendant. Même le Premier ministre choisi, Driss Jettou, sera fragilisé parce que le titulaire du portefeuille de l’Intérieur, au moment de l’escroquerie Al Najat, c’était lui…
El Fassi, Jettou, et à un degré moindre Youssoufi, sans oublier Rachid Chafik, le directeur de l’Anapec (toujours en poste), portent depuis les stigmates de l’affaire. Une société que les Émirats, échaudés par le scandale marocain, ont mise sous scellés. Son patron est porté disparu depuis que, un beau jour de l’été 2002, il a pu quitter, sans être inquiété, l’aéroport Mohammed V à Casablanca.
Dans un rapport publié fin 2002, la Fédération internationale des ouvriers du transport (ITF) explique qu’Al Najat a déjà sévi dans 8 pays, le dernier scandale remontant à mai 2002, soit au moment même où le Maroc officiel accueillait à bras ouverts le généreux promoteur
pakistanais ! "L’ITF peut confirmer, continue le rapport, qu’au moins dans le cas du Kenya et du Maroc, cette fraude a bénéficié de la participation active des ministères de l’Emploi (…). Il fallait bien se douter que si les Émirats ne faisaient rien et si les pays touchés refusaient de s’adresser à Interpol de peur d’être mis en cause, Ali Pasha disparaîtrait avec l’argent". C’est apparemment ce qui a été fait. De tous les éventuels mis en cause par le scandale, seul Jamil Bahnini, le directeur de Dar Essalam, a été écroué.
Temoignage* : "45.000 victimes, 360 repêchés"
"Au début, c’était le délire. Dans certains endroits du royaume, les formulaires ont été vendus au marché noir jusqu’à 300 DH. L’annonce parlait de 22.000 candidats au travail dans des bateaux de luxe. Après, on nous a expliqué qu’il y a eu rallonge jusqu’à 30.000. Mais quand on a vu que le chiffre des candidats a atteint 45.000, on a commencé à se poser des questions. Nous avons multiplié les demandes d’explication auprès des agents de l’Anapec, qui nous ont toujours rassurés. Un mois après les visites médicales, les réponses de la clinique commençaient à nous arriver, attestant que la plupart des candidats étaient aptes au travail. On s’est présentés par la suite aux agences de l’Anapec, qui nous ont remis des contrats à signer. Ces contrats, en fait de simples photocopies, étaient des lettres d’engagement de notre part, où il n’y avait aucune trace de l’employeur. On nous a expliqué que c’était normal et que les premiers inscrits parmi nous ne tarderaient pas à partir en voyage. La première vague devait concerner 2500 personnes, le 15 août 2002. À cette date, on s’est rendus compte que personne n’était parti mais, là encore, l’Anapec nous a rassurés en expliquant que les recrutements étaient imminents. Dans le même temps, on suivait les débats parlementaires à la télévision et on voyait le ministre de l’Emploi, Abbes El Fassi, répondant à des questions orales, brandir des documents qui garantissaient, selon lui, la crédibilité des opérations en cours. C’est à la rentrée suivante, en pleine période électorale, qu'on a lu dans la presse nationale une information selon laquelle le directeur d’Al Najat avait plié bagage sans laisser de trace. C’était la sonnette d’alarme. Nous n’avions jusque-là vu aucun représentant d’Al Najat, notre seul interlocuteur était l’Anapec, qui n’a jamais cessé de nous rassurer. Incroyable mais vrai, nous étions victimes d’une arnaque à l'échelle nationale! Pour réagir, nous nous sommes regroupés en association pour faire valoir nos droits et nous avons tapé à toutes les portes. Quand la fièvre électorale était complètement retombée, le discours qu’on nous tenait a brusquement changé. On nous écoutait désormais à peine et on nous disait que personne n’était responsable de ce qui venait de nous arriver. Nos sit-in et nos manifestations n’ont servi à rien, certains parmi nous finissant même par être tabassés et jugés par les autorités. Nous n’avons jamais osé porter plainte. Et puis porter plainte contre qui ? Le ministère de l’Emploi ou l’Anapec, ou Al Najat, ou contre tous ceux qui nous ont menti et pris notre argent ? Par quoi commencer ? Le dialogue avec les autorités n’a pas servi à grand-chose. Nous avons demandé à être remboursés sur la base de 13 mois du salaire promis, en plus de tous les frais engagés, soit une moyenne de 10.000 dollars. En réponse, l’État nous a promis du travail, mais le fait est que sur les 45.000 victimes que nous représentons, seules 360 personnes ont été effectivement repêchées par l’État qui leur a trouvé des contrats divers…"
Mohamed Ghazi, un des représentants de l’association des victimes d’Al Najat, originaire de l’Oriental
© 2003 TelQuel Magazine. Maroc. Tous droits résérvés
Al Najat : l'État coupable de complicité
Thabo Mbeki (PADS)
Avec l'arrestation de présumés escrocs, le mystère Annajat est loin d'être élucidé et la responsabilité des politiques passée sous silence. Reconstitution d’un scandale où l’État, d’une manière irréelle, a cautionné l’escroquerie de 45.000 Marocains en quête d’un emploi. Par Karim Boukhari
Le scandale Al Najat a commencé par une invitation au rêve : en février 2002, le quotidien istiqlalien Al-Alam publie une petite annonce dans laquelle une société émiratie, Al Najat Marine Shipping, offre de l’emploi à 22.000 Marocains. Les candidats
sont priés de prendre contact avec le bureau de l’ANAPEC (Agence nationale de promotion de l’emploi et des compétences) le plus proche. L’information se propage comme une traînée de poudre. Des quatre coins du royaume, des milliers de personnes prennent d’assaut les représentations de l’agence officielle de l’emploi. Les candidats doivent avoir entre 18 et 45 ans, et être en bonne condition physique. Ils doivent accompagner leur demande d’une visite médicale, à effectuer à la clinique Dar Essalam à Casablanca, contre une somme de 900 DH. Les personnes issues des provinces du Sud, quant à elles, sont acheminées vers les centres de Laâyoune et Guelmim où le prix des consultations médicales a été établi à 500 DH. On présente alors Al Najat comme une société internationale de "placement", qui recrute des candidats pour les affecter à des boulots de maintenance dans les domaines de l’hôtellerie et du frêt, à bord de bateaux de plaisance européens et américains. Les contrats courent sur une année renouvelable, avec un salaire mensuel de 580 dollars, en plus d’une prime d’embarquement de 80 dollars et d’une rallonge mensuelle de 100 dollars pour les candidats anglophones.
L’engouement est tel que, en quelques semaines, le nombre de candidats dépasse largement les 22.000 postes à pourvoir. L’occasion est trop belle pour tout le monde, candidats au travail comme hommes politiques et agents d’autorité. D’un côté, les diplômés chômeurs, les petits salariés mécontents de leur situation matérielle, voire les rêveurs d’une émigration définitive, se bousculent au portillon. De l’autre côté, celui des officiels, la surenchère et la récupération battent leur plein. 22.000 emplois, voire plus, d’un seul coup, c’est pratiquement de l’inédit, une première nationale qu’il convient de capitaliser au maximum. Les formulaires d’inscription estampillés du sigle de l’ANAPEC s’arrachent. Derrière, le parti de l’Istiqlal, dont le S.G, Abbes El Fassi, est alors ministre de l’Emploi, se frotte les mains et joue à fond la carte de l’embauche en cette période pré-électorale. Dans l’entourage du ministre, on va jusqu’à saluer "cette diversification de la société émiratie, qui recrutait jusqu’ici en Asie". D’autres partis politiques se mêlent aussi à la course en incitant, via leurs délégations régionales, les candidats au travail à répondre à l’offre d’Al Najat. Même les auxiliaires de l’autorité locale sont mobilisés pour booster ce qui ressemble bien à une affaire nationale.
Dans cette période initiale, le consensus politique a été si important qu’il a étouffé, sans problème, les quelques voix dissonantes. Parce qu’il y en a eu. Dans les coulisses du gouvernement, on craint que ce recrutement massif ne se transforme en émigration clandestine de masse "qui fâcherait le Maroc avec les Émirats Arabes Unis et une bonne partie de l’U.E". Et on se demande, en raillant, combien de bateaux il faudrait pour accueillir une main d’œuvre qui pourrait grimper jusqu’à 40.000 travailleurs. Ces voix n’obtiennent guère d’écho. Le Maroc, alors sous gouvernement d’alternance, est politiquement dominé par deux partis au pouvoir : l’USFP, dont Abderrahmane Youssoufi est Premier ministre (et président de facto du conseil d’administration de l’Anapec), et l’Istiqlal, dont Abbes El Fassi est ministre de l’Emploi et tuteur de la même Anapec. L’un et l’autre se livrent à une guerre d’influence, par Anapec interposée. L’Istiqlal a cependant une bonne longueur d’avance sur son frère-ennemi. Abbes El Fassi a fait de cette histoire d’Al Najat une affaire personnelle, qu’il défend même sur la place publique. Et puis, le staff dirigeant de l’Anapec, pour une bonne partie, doit sa nomination au même El Fassi, depuis qu’il est aux commandes du ministère de l’Emploi…
Pendant que les politiques se livrent à une guerre fratricide sans merci, le corps médical est saisi d’une agitation d’un ordre strictement matériel. Des cliniques privées, notamment à Casablanca, montent au créneau pour réclamer leur part du gâteau. "Pourquoi Dar Essalam, et pourquoi pas nous ?", ruent-ils dans les brancards. Le choix de la clinique Dar Essalam, en la personne de son directeur Jamil Bahnini, loin de toute caution du conseil de l’ordre des médecins, est d'autant plus mystérieux qu'une partie du pactole amassé est bientôt remise à des intermédiaires d'Al Najat, sans même transiter par un compte bancaire.
En mars 2002, les souscriptions pour ce qui ressemble au contrat du siècle ont déjà atteint la barre de 30.000. Mais la demande continue d’affluer. Près de 45.000 candidats attendent, munis de leur "contrat" (lire témoignage), dont 2500 sont issus des provinces du Sud. Comment maîtriser toute cette marée humaine ? Jusqu’où le phénomène va-t-il s’arrêter ? La seule réponse tient en une phrase : un premier contingent, regroupant 2500 à 5000 candidats au voyage, devra être "convoyé" sur les bateaux promis à partir d’août 2002. L’excitation se prolonge ainsi jusqu’à l’amorce de l’été 2002. Et là, coup de théâtre, le Maroc "découvre" que les quelques représentants d’Al Najat présents sur place ont déjà quitté le Maroc, vers une destination inconnue. Le rêve (le gag ?) est fini, le scandale démarre.
Septembre 2002. La rentrée politique est dominée par les élections législatives. L’USFP capitalise sur le scandale Al Najat pour pointer l’Istiqlal d’El Fassi du doigt. Loin de se démonter, le ministre de l’Emploi se défend en expliquant qu’une enquête avait été diligentée, dès le début, via la représentation diplomatique du Maroc aux Émirats, pour vérifier la crédibilité de la société émiratie. Dans les coulisses, pourtant, d’autres bruits courent, qui seront bientôt confirmés. Al Najat est bien répertoriée dans les registres de commerce des Émirats. C’est une société montée par un Pakistanais, Sajad Muhammad Ali Akbar Shah, qui, selon le code des investissements locaux, s’est associé à un Émirati (un dignitaire du régime) pour monter Al Najat. Mais "l’enquête" sur laquelle l’Anapec et son ministère de tutelle se sont apparemment reposés s’est limitée à vérifier l’existence d’une patente au nom de la société aux Émirats, sans plus. Selon des sources proches du dossier, il existe en effet une deuxième enquête, diligentée par les services de renseignement marocains. Le document, déposé sous pli confidentiel au ministère de l’Intérieur, signale les antécédents terribles d’Al Najat, déjà impliquée dans un scandale d’emplois fictifs au Kenya. Ce document a-t-il été pris en considération ? A-t-il au moins été lu ?
Le scandale social et économique, avec 45.000 Marocains escroqués et plus de 4 milliards de centimes volatilisés, n’est que la partie visible de l’iceberg. Al Najat a provoqué aussi un séisme politique, dans la foulée des législatives 2002. L’affaire met un bémol aux rêves de Primature de deux illustres personnages : Youssoufi, en sa qualité de président du C.A de l’Anapec et surtout El Fassi, ministre de tutelle. Les deux hommes sont fragilisés dans leur quête pour le fauteuil de Premier ministre, au lendemain des premières élections - à peu près - honnêtes du Maroc indépendant. Même le Premier ministre choisi, Driss Jettou, sera fragilisé parce que le titulaire du portefeuille de l’Intérieur, au moment de l’escroquerie Al Najat, c’était lui…
El Fassi, Jettou, et à un degré moindre Youssoufi, sans oublier Rachid Chafik, le directeur de l’Anapec (toujours en poste), portent depuis les stigmates de l’affaire. Une société que les Émirats, échaudés par le scandale marocain, ont mise sous scellés. Son patron est porté disparu depuis que, un beau jour de l’été 2002, il a pu quitter, sans être inquiété, l’aéroport Mohammed V à Casablanca.
Dans un rapport publié fin 2002, la Fédération internationale des ouvriers du transport (ITF) explique qu’Al Najat a déjà sévi dans 8 pays, le dernier scandale remontant à mai 2002, soit au moment même où le Maroc officiel accueillait à bras ouverts le généreux promoteur
pakistanais ! "L’ITF peut confirmer, continue le rapport, qu’au moins dans le cas du Kenya et du Maroc, cette fraude a bénéficié de la participation active des ministères de l’Emploi (…). Il fallait bien se douter que si les Émirats ne faisaient rien et si les pays touchés refusaient de s’adresser à Interpol de peur d’être mis en cause, Ali Pasha disparaîtrait avec l’argent". C’est apparemment ce qui a été fait. De tous les éventuels mis en cause par le scandale, seul Jamil Bahnini, le directeur de Dar Essalam, a été écroué.
Temoignage* : "45.000 victimes, 360 repêchés"
"Au début, c’était le délire. Dans certains endroits du royaume, les formulaires ont été vendus au marché noir jusqu’à 300 DH. L’annonce parlait de 22.000 candidats au travail dans des bateaux de luxe. Après, on nous a expliqué qu’il y a eu rallonge jusqu’à 30.000. Mais quand on a vu que le chiffre des candidats a atteint 45.000, on a commencé à se poser des questions. Nous avons multiplié les demandes d’explication auprès des agents de l’Anapec, qui nous ont toujours rassurés. Un mois après les visites médicales, les réponses de la clinique commençaient à nous arriver, attestant que la plupart des candidats étaient aptes au travail. On s’est présentés par la suite aux agences de l’Anapec, qui nous ont remis des contrats à signer. Ces contrats, en fait de simples photocopies, étaient des lettres d’engagement de notre part, où il n’y avait aucune trace de l’employeur. On nous a expliqué que c’était normal et que les premiers inscrits parmi nous ne tarderaient pas à partir en voyage. La première vague devait concerner 2500 personnes, le 15 août 2002. À cette date, on s’est rendus compte que personne n’était parti mais, là encore, l’Anapec nous a rassurés en expliquant que les recrutements étaient imminents. Dans le même temps, on suivait les débats parlementaires à la télévision et on voyait le ministre de l’Emploi, Abbes El Fassi, répondant à des questions orales, brandir des documents qui garantissaient, selon lui, la crédibilité des opérations en cours. C’est à la rentrée suivante, en pleine période électorale, qu'on a lu dans la presse nationale une information selon laquelle le directeur d’Al Najat avait plié bagage sans laisser de trace. C’était la sonnette d’alarme. Nous n’avions jusque-là vu aucun représentant d’Al Najat, notre seul interlocuteur était l’Anapec, qui n’a jamais cessé de nous rassurer. Incroyable mais vrai, nous étions victimes d’une arnaque à l'échelle nationale! Pour réagir, nous nous sommes regroupés en association pour faire valoir nos droits et nous avons tapé à toutes les portes. Quand la fièvre électorale était complètement retombée, le discours qu’on nous tenait a brusquement changé. On nous écoutait désormais à peine et on nous disait que personne n’était responsable de ce qui venait de nous arriver. Nos sit-in et nos manifestations n’ont servi à rien, certains parmi nous finissant même par être tabassés et jugés par les autorités. Nous n’avons jamais osé porter plainte. Et puis porter plainte contre qui ? Le ministère de l’Emploi ou l’Anapec, ou Al Najat, ou contre tous ceux qui nous ont menti et pris notre argent ? Par quoi commencer ? Le dialogue avec les autorités n’a pas servi à grand-chose. Nous avons demandé à être remboursés sur la base de 13 mois du salaire promis, en plus de tous les frais engagés, soit une moyenne de 10.000 dollars. En réponse, l’État nous a promis du travail, mais le fait est que sur les 45.000 victimes que nous représentons, seules 360 personnes ont été effectivement repêchées par l’État qui leur a trouvé des contrats divers…"
Mohamed Ghazi, un des représentants de l’association des victimes d’Al Najat, originaire de l’Oriental
© 2003 TelQuel Magazine. Maroc. Tous droits résérvés