Contes et devinettes : la femme amazighe devinée

Anchou

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Source: Le Matin du Maroc
Tamazight


Notre propos n'est pas de parler ici de la femme dans la mythologie, mais de la femme dans les devinettes amazighes combien fertile et variée. La tradition orale et la littérature populaire amazighes nous ont livré différentes évocations de la femme. Quelle est la place qui lui revient dans la société, et principalement dans la culture amazighe ? Ce vaste sujet, encore mal exploité, nécessiterait plus de place que celle qui nous est ici impartie. Dans cette contribution nous proposons d'examiner comment la femme amazighe est définit ? Comment la femme concourt-elle à définir les objets à deviner ? La femme-mère, la femme-enceinte, la femme-corps, la femme parure, ainsi sont les points saillants que nous contons présenter en nous appuyant sur quelques figures dans les devinettes amazighes.

Femme-mère

En parcourant l'ensemble des devinettes amazighes, nous étions amené à poser un certain nombre d'interrogations concernant notamment le caractère définitoire et anthropologique de ces exemples et les propriétés qu'ils mettent en œuvre en définissant la femme amazighe.

Elle est chère au cœur, si elle disparaît aies foi en Dieu et oublie-la. Il est vrai que cette devinette nous apporte un contenu définitionnel plein de stimulation en faisant rebondir successivement un tas de questions.

Pour comprendre cet exemple, il faut interroger avant tout la tradition orale et la culture amazighes : on ne perçoit la femme-mère, dans cette devinette, que sous le symbole de cherté lié à la mort. Ainsi la femme-mère, être suprême, être vénéré dans toutes les cultures : le paradis est aux pieds des femmes, dit le proverbe soufi ou encore l'asile le plus sûr et le sein d'une mère, dit le proverbe français, se traduit dans cet exemple par la perte, la séparation de la mère. Cette devinette met volontiers en valeur la place qu'occupe la femme amazighe, la place que l'on aime honorer par excellence est celle de la femme-mère.


Femme enceinte

Après la femme-mère, voyons la femme enceinte et l'image qu'elle représente dans les devinettes amazighes. Multiples et diverses sont ces images si on fait observer les exemples suivants :
Elle est ceinturée et enroulée et ces clefs sont au ciel.
Notre grenade est fermée, nous ignorons si elle est douce ou aigre.
Notre silo est sur le lit, j'ignore si c'est du blé ou de l'orge.

Madame a une récolte dans un puits, on ignore si c'est du maïs ou de l'orge. En examinant ces devinettes, on a pu distinguer un certain nombre de traits structuraux déterminant la femme enceinte. Sa définition repose surtout sur des propriétés qui déterminent la forme ballonnée de son ventre et le fœtus.

La diversité du profil de la femme enceinte rend difficile l'évaluation de l'ensemble des traits qui la caractérisant. Cependant cette diversité favorise l'instauration d'éléments qui permettent la détermination de la femme enceinte. La question se pose au niveau de la reconnaissance de l'apport de chaque terme qui entre en jeu dans la description de son aspect. Sur ce plan le questionneur a déployé un ensemble de procédés, on trouve entre autre la métaphore.

La forme ballonnée ou arrondie du ventre de la femme enceinte est traduite par métaphore par les termes suivants : ceinturée et enveloppée, grenade fermée, silo et puits. Les deux premiers termes renvoient à la forme arrondie du ventre.

L'image rendue par ces deuxtermes correspond assez fidèlement à l'apport vestimentaire traditionnel chez la femme amazighe, le second illustre la forme du ventre (grenade (taremmant). Les deux autres termes (silo, puits) renvoient par translation du sens certes au ventre de la femme mais c'est pour souligner beaucoup plus le mystère et l'ambiguïté: on ignore la contenance du silo et du puits. Pour définir le fœtus, le questionneur emploi des référents qui ont une indication particulière dans la culture amazighe.

L'emploi des termes blé / orge, douce/ aigre et maïs / orge est loin d'être fortuit. Ces termes ne sont pas de simples occurrences désignatives, c'est à dire des plantes ou des céréales, mais ils engendrent une autre valeur, c'est à dire la préférence du garçon à la fille. Cette remarque pourrait paraître triviale : si on compare le blé à l'orge en tant que céréale, on sait que le blé est plus important que l'orge. Donc la représentation du garçon dans un cas par blé et orge et dans l'autre par le prédicat douce montre d'emblée qu'on vénère le garçon plus que la fille, la preuve est que celle-ci est désignée par orge et maïs dont la valeur est moins importante que celle du blé et de l'orge.

De façon générale, la femme et son fœtus sont représentés, en tant qu'être indissociables, aussi bien physiquement que culturellement. La femme enceinte amazighe qui ne compte guère avant les premières phases de son initiation sociale et culturelle, n'est presque jamais représentée pour elle-même. Cet accomplissement entre la femme et son fœtus (bébé) trouve son parachèvement quand elle donne naissance à un mâle.


La femme-corps, le sein nourricier

Le sein, dans les devinettes amazighes, est défini pour déterminer le maternage des femmes ainsi que leur statut et leur identité, d'où ce lien métaphorique entre sein et nourrisson qui apparaît dans les exemples suivants :
Madame habite les hauteurs, sa beauté est éclatante, après avoir été admirée, elle est devenue un jeu pour les enfants.

Notre hôte est venu d'un pays sans terre et nous lui avons préparé deux galettes non cuites.

Notre hôte est venu des pays des ténèbres et nous lui avons préparé deux moutons sans sang. L'acception du sein est associée dans ces devinettes à l'allaitement alliant ainsi l'enfantement à la maternité. Le sein, partie du corps la plus saillante chez la femme, n'est plus considéré dans ces exemples comme symbole de la beauté, de l'esthétique féminine, comme une ostentation des attraits érotiques, comme vecteur de plaisir, mais il est réduit aux rets d'une normativité:
Celle du sein nourricier, du devoir maternel, de la réplétion et de la béatitude du nourrisson. D'ailleurs les seins sont représentés vivement par translation du sens par galettes et moutons qu'on présente comme offrande à l'invité (nourrisson). Cette partie du corps, cette offrande, permet à la femme amazighe à concourir à «l'achèvement» du corps de l'enfant. Les seins, dans ces devinettes, unissant tradition et culture, mettent en valeur la féminité et la maternité de la femme amazighe aussi difficiles à assumer soient-elles.

Les mots font la femme et la femme, elle, concourt à faire les mots. Il existe en amazigh maintes façons de rendre linguistiquement les différentes acceptions du lexique, on citera, pour la commodité de l'analyse, les attributs, la parure et le corps de la femme amazighe qui participent quant à leur tour à la définition des mots dit référents.


La femme et ses attributs

Une vieille femme ridée a vaincu le sultan au dîner. (Piment piquant). Madame Bercha apporte les nouvelles dans son ventre. (Lettre)

Belle est studieuse, son frère découpe et elle ligature. (Aiguille). Celle qui vêtit les autres et demeure nue. (Aiguille). L'interprétation des entités «vieille femme ridée» et «sultan» dépend de leur signification dans la culture amazighe. Une vieille personne passe pour être experte en sorcellerie, en magie et par-là même pourra dépasser Satan. Pour rendre compte du goût piquant du piment, le questionneur a employé le terme «vielle femme ridée» puisque la vieille femme dans la culture amazighe représente le symbole de la ruse et de la perfidie, et peut vaincre même le sultan symbole de la puissance.

L'aiguille est assimilée à une femme active, studieuse et laborieuse. Pour déterminer et souligner le rôle de l'aiguille dans le dernier exemple, le questionneur se sert également d'une propriété qualifiant la femme, son sacrifice et son dévouement en l'occurrence :
Celle qui vêtit les autres et demeure nue, n'est-ce pas une qualité propre à la femme amazighe, une femme qui se néglige au profit des autres ?


La femme parure

Venons à la parure de la femme amazighe que le poseur des devinettes utilise savamment pour définir les mots référents :
Elle a la taille d'un poing et dépasse le caïd par ses vêtements. (Oignon). Celle qui porte 166 caftans mais quand le vent souffle, elle se plaint du froid.

(Epis de maïs).Madame habite les hauteurs et son caftan traîne. (Fleur). Madame Hniyya est enveloppée de foulard. (Morve). Pour définir, l'oignon, la fleur, le maïs le questionneur se sert de la parure féminine. L'ensemble de ces entités est défini en faisant référence à une tradition vestimentaire amazighe. Le questionneur détermine l'oignon en faisant référence à ces nombreuses feuilles.

Celles-ci sont définies par métaphore par «caftan». La belle femme amazighe doit d'abord produire une allure sans défaut ; le travail esthétique proprement dit consiste à prendre soin de sa parure porter un caftan, mettre de beaux foulards qui nous attirent tant bien par leur couleur que par leur tissu. C'est cette allure et cette parure qui sont employées pour définir les mots.


La femme et les mots du corps

La présence des mots du corps de la femme amazighe dans les devinettes est loin d'être fortuite car le questionneur, à l'instar des publicistes, se sert du corps de la femme pour brouiller les pistes du codage et «promouvoir les entités à deviner». Parallèlement aux autres parties du corps féminin, l'emploi assez marqué du teint de la femme est frappant :

Ce sont deux sœurs à l'intérieur d'un coffre, l'une est une domestique noire, l'autre une noble.

Expressions d'un certain type de statut, le teint de la femme amazighe apparaît chargé de symboles et fonctionne comme autant de signes. Belle par la grâce des poètes, la femme noble a été si unanimement célébrée que femme noble et blancheur sont devenues indissociables.

Le terme «noble» est employé dans la devinette pour désigner par métaphore les poumons. Si on prend le terme «domestique noire», on constate que la référence à la culture est fort intéressante.

L'emploi symbolique dévoile à travers les devinettes la relation étroite avec la culture marocaine où «domestique noire» est liée à l'esclavage mais surtout à la couleur noire. Ici, «domestique noire» représente par translation du sens le foie.
 
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