Deux Français chez les Amazighes

"Vous avez de la chance, c'est aujourd'hui qu'a lieu le souk berbère hebdomadaire. Venez, je vous y emmène gratuitement". Quel touriste n'a pas eu droit à cette annonce prometteuse, avant de se retrouver devant un verre de thé à la menthe... chez un marchand de tapis! Les rabatteurs n'hésitent pas à se référer à la culture berbère pour attirer les étrangers dans leurs boutiques, et se servent de la différence berbère comme argument commercial. Pour agrémenter le folklore et faciliter la vente, les Berbères sont décrits comme un peuple vivant dans les montagnes et passant ses journées à tisser des tapis, de façon traditionnelle bien sûr. Et le touriste repart satisfait, son tapis sous le bras, persuadé d'avoir acheté un objet artisanal fabriqué par une minorité ethnique qui vit en marge de la société, dans les montagnes. [Haut]

Or la vérité est fort différente. D'une part, tapis ne signifie pas "origine berbère", et certains sont fabriqués de façon industrielle. Mais surtout, les Berbères ne sont pas une minorité peu intégrée à la société, vivant dans des conditions archaïques, comme on veut trop souvent nous le faire croire. Quand on sait que 80% de la population marocaine est berbérophone, on saisit l'importance de cette culture...[Haut]

Ce fort pourcentage trouve ses explications dans l'Histoire. Mais avant toutes choses, il faut ici rappeler que le nom "Berbère" provient du mot latin "barbarus": barbare. Les Berbères quant à eux préfèrent se doter du nom d'Amazigh (prononcer amarzirt), qui signifie homme libre. Par respect pour eux, nous emploierons donc nous aussi le terme d'Amazigh. On sait que les Amazighs ont été les premiers habitants du Maroc, bien avant l'invasion romaine. Mais leur origine et leur date d'arrivée au Maroc ne sont pas connus. A partir de 50 ap.JC, ils ont subi la domination romaine, et ce jusqu'en +450, puis deux siècles de domination byzantine. Mais c'est surtout l'invasion arabe, au milieu du septième siècle, qui constitue un fait marquant dans l'histoire amazighe. Malgré une forte révolte, le pays a été conquis, et l'Islam s'est imposé. Cependant, vu l'immensité de leur empire, les Arabes n'ont pu empêcher la constitution de royaumes indépendants, et les dynasties amazighes se sont succédées, avec une apogée au milieu du douzième siècle, sous les Almohades. Les Amazighs étaient alors maîtres d'un immense territoire, allant de la Libye à l'Espagne. Ainsi, malgré les invasions, la population amazighe a perduré, tout en s'islamisant. Mais elle n'est jamais devenue arabe. [Haut]

Le problème que connaissent depuis des siècles les Amazighs est celui du manque de reconnaissance de leur culture. Ils ont leur propre langue, fort différente, qui emprunte de nombreux mots à d'autres langues, dont l'arabe. Mais n'est ce pas plutôt l'arabe qui s'est doté de mots amazighs? Tous les Marocains apprennent l'arabe à l'école dès leur plus jeune âge, mais on trouve encore des personnes qui n'ont pas été scolarisées, dans les campagnes essentiellement, et qui ne parlent que tamazight, la langue des Amazighs. Elles ne peuvent communiquer avec celles ne parlant que l'arabe. Au sein d'un même pays, deux langues cohabitent donc. Mais c'est l'arabe qui est reconnue comme langue officielle, alors que la population a pour la majorité le tamazight comme langue maternelle...
Ainsi, tous les cours sont donnés en arabe, souvent par des professeurs amazighs qui ne parlent pas l'arabe dans leurs familles, au quotidien. On en arrive parfois à des situations aberrantes: des professeurs enseignant une matière dans une langue qu'ils ne maîtrisent pas parfaitement, à des élèves qui apprennent l'arabe depuis quelques années seulement! Une fois les cours terminés, chacun se remet à parler tamazight... D'ailleurs, beaucoup de femmes ne connaissent que cette langue, n'ayant pas été scolarisées. Cependant, depuis 1999, un double programme a été mis en place pour lutter contre l'analphabétisme féminin dans les campagnes: une aide financière aux parents envoyant leurs filles à l'école primaire d'une part, et dix heures de cours hebdomadaires pendant six mois pour les jeunes filles et les femmes d'autre part. Ainsi, on cherche à faire en sorte que chacun, homme ou femme, sache parler, lire et écrire l'arabe. Mais les cours de tamazight ne sont toujours pas autorisés, même si un changement est espéré pour la rentrée prochaine,en 2001... [Haut]

Même si tous parlent couramment tamazight, il n'en va pas de même pour l'écriture de cette langue, qui nécessite un apprentissage rigoureux. En fait, n'étant pas une langue reconnue, le tamazight est surtout une langue de tradition orale. Il n'existe pas à ma connaissance de journaux en tamazight (si ce n'est des bulletins associatifs), et les livres sont encore peu nombreux. Cela s'explique par deux éléments. D'une part, la langue, étant orale, n'a pas de grammaire définie, et a dès lors évolué différemment selon les régions. D'autre part, son alphabet est très ancien, même s'il a subi diverses modifications, et utilise des signes plutôt que des lettres. N'étant pas familiarisés avec cet alphabet, les Amazighs préfèrent lire en arabe, ou en français, langue qu'ils apprennent à l'école dès l'âge de neuf ans. Il existe cependant une transcription latine du tamazight, permettant l' impression de livres. Ainsi, seule une minorité d'Amazighs, intéressés par l'origine de leur langue, sont à même de la lire. Mais si l'enseignement du tamazight entre dans les programmes scolaires, on peut s'attendre à un développement considérable de l'écrit...[Haut]

Un mot est écrit, en tamazigh, sur nombre de murs: Azoul, qui signifie Salut! (Voir sur le camion dans la page de garde sur le Maroc pour avoir une idée de l'écriture...). Depuis environ cinq ans, le désir de reconnaissance de la culture amazighe s'est fortement développé et se traduit par exemple à Boumalne par le fait de se saluer en tamazight, et non plus en arabe. Mais cela reste encore très limité géographiquement. C'est en effet sous l'action d'associations et de particuliers intéressés par l'évolution de cette culture que certaines expressions renaissent et s'imposent. Cela ne peut donc être que le résultat d'initiatives locales. Mais il semble qu'à l'heure actuelle, contrairement à quelques années auparavant, parler tamazight n'est plus une honte, ni un langage à éviter au profit de l'arabe. Les Amazighs sont même très fiers de leur culture... On assiste à un renouveau d'intérêt. L'impact sur la population est d'autant plus fort qu'il est encouragé par les arts, essentiellement la musique et la littérature. Les chansons en tamazight connaissent un vif succès auprès des jeunes et des moins jeunes, tel Idir qui a repris des textes connus en les transformant pour transmettre ses revendications. Les jeunes aiment aussi à chanter l'hymne tamazight, qui affirme que "la femme amazighe et l'homme amazigh sont deux êtres inséparables qui n'ont pas oublié leur identité et ne vont ni la vendre, ni l'abandonner". [Haut]

C'est par le biais d'associations, pour beaucoup, que revit cette culture amazighe. Là où il y a des Amazighs, que ce soir au Maroc, en Tunisie, en Kabylie, au Niger, au Mali ou aux Canaries, des associations se créent et se rencontrent pour soutenir cette culture commune qui n'est pas toujours bien acceptée par les gouvernements. Cela dépasse même le cadre du continent africain, puisque l'on retrouve des associations ayant la même vocation en France, en Europe et dans le monde entier, à la suite des mouvements d'immigration. Il y a ainsi un congrès international annuel amazigh. Concernant le Maroc, diverses associations agissent pour la culture amazighe. L'association AZEMZ, à Boumalne, a été créée il y a six ans à l'initiative de six professeurs. Ils ont décidé d'agir localement en se réunissant régulièrement, en mettant la presse à disposition des membres et en organisant des débats et des conférences... Leur but est d'en faire un lieu de rencontre et de sensibiliser les jeunes surtout, à la culture amazighe. C'est cette association qui, à la suite de notre courrier, nous a invité à venir à Boumalne pour les rencontrer. Nous tenons ici à les remercier.


Julie et Manu
 
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