DEVELOPPEMENT ET AMAZIGHITE (ASGAM D TIMMUZGHA)
Lahcen OULHAJ, membre du Comité du Manifeste Amazighe
Dans le présent papier, j’essayerai de traiter de trois idées : 1) Conditions positives, 2) conditions négatives et 3) conditions spécifiques du développement. Je voudrai dire par là que, 1) pour nous développer, il nous faut nous intégrer pleinement dans l’économie mondiale, 2) pour ce faire, nous devons rompre de manière radicale avec l’idéologie arabo-islamiste, et, 3) pour ce faire, nous devons nous armer de l’Amazighité dans toutes ses dimensions, tant comme rempart contre l’arabo-islamisme que comme vaisseau spécifique de navigation dans la mer commune, la civilisation universelle, que nous embrassons sans ambages et sans hypocrisie.
I-Conditions positives du développement
Dans cette section, il ne sera point question de la politique économique qu’il faut ou qu’il ne faut pas que notre pays applique à présent pour qu’il se développe économiquement, socialement… ou, plutôt, pour qu’il accélère son développement économique et social. Il ne s’agira que des conditions permissives du développement socio-économique. Il nous faut donc considérer deux moments précis dans l’histoire de l’humanité. Le premier est le point de départ de cette prodigieuse aventure humaine qu’est le développement économique lancé par la révolution industrielle. Le second est l’après-guerre du vingtième siècle, les indépendances et l’émergence du tiers monde pour voir comment certains pays membres de ce tiers monde ont pu s’échapper du groupe alors que d’autres se sont enfoncés dans le sous-développement.
Aux origines de la Révolution Industrielle
Encore une fois, il ne m’appartient pas ici de décrire les différents aspects de la Révolution Industrielle. Si je remonte à ce processus, c’est juste pour voir quelles ont été les conditions culturelles l’ayant permis, conditions qu’il nous faut maintenant vérifier pour nous permettre d’aspirer à en bénéficier.
La Révolution Industrielle n’est pas qu’une révolution matérielle. Elle est d’abord et avant tout une révolution intellectuelle et morale, puis économique, politique et sociale avant d’être technique.
Les aspects matériels de la Révolution Industrielle sont les plus connus chez nous : révolution géographique, révolution technique avec l’apparition de nouvelles techniques du livre, de la soie de l’artillerie et la mécanisation d’anciennes comme les textiles et les transports maritimes…
Sur les plans politique, social, intellectuel et moral, on peut résumer en disant que la Révolution Industrielle est le produit de la combinaison de la Renaissance et la Réforme. La Renaissance n’est autre que l’émancipation de la science et de la raison par rapport à la foi. Ce qui a donné une impulsion aux recherches scientifiques et techniques. Quant à la Réforme, fille révoltée de la Renaissance, elle a malgré son rigorisme, favorisé l’éclosion de l’esprit capitaliste. C’est ce qui a été mis en évidence par le grand sociologue allemand, Max Weber. Les Réformateurs entendaient remplacer une religion trop rituelle par une religion plus intime en proscrivant la vie monastique. Calvin voyait dans l’activité économique un remède au doute angoissant de la prédestination. La prospérité matérielle devient un signe de bénédiction céleste alors qu’au cours du Moyen Age, les discussions tournaient autour de la pauvreté ou non du Christ ( voir le Nom de la Rose de Umberto Eco).
C’est vrai que Luther a aggravé la prohibition de l’intérêt, mais c’est vrai aussi que Calvin a levé cette interdiction et a permis le développement économique.
Ce qui est important dans la Réforme c’est qu’elle a permis la sécularisation des biens d’Eglise et la suppression de quantité de monastères. La mentalité d’assisté des pauvres et des miséreux va faire place à la mentalité de travail et d’intérêt. En France où la Réforme ne l’avait pas emporté, ce sera la Révolution de 1789 qui viendra supprimer des couvents et laïciser la vie économique et sociale. Et ce n’est pas par hasard que les premiers pays capitalistes, de commerce et de finance ont été les pays protestants : Hollande, Angleterre, Ecosse, Genève, Bâle, et plus tard les Etats-Unis.
Sur le plan socio-économique, c’est le libéralisme économique qui a été à l’origine du prodigieux développement économique enregistré par les pays du Nord à partir du dix-huitième siècle et ce libéralisme ne pouvait pas se mettre en place sans une véritable révolution philosophique et culturelle. Les traits saillants de cette révolution ne sont autres que la révolte de la raison ou le rationalisme français et la recherche d’une physique économique, l’empirisme britannique et la recherche d’une arithmétique économique. Tout cela bien entendu participe de la même démarche que celle de l’optimisme naturaliste principalement représenté par Jean-Jacques Rousseau contre le pessimisme de Hobbes, mais aussi et surtout le pessimisme de Mandeville, l’auteur de la Fable des Abeilles qui montre que la concurrence des égoïsmes fait la richesse de la ruche, idée transposée par le fondateur de l’économie politique, Adam Smith, dans le domaine économique et social.
Pour parler comme André Piettre, disons que – après la raison critique de Voltaire et " le saint de la nature " de Rousseau -- , le troisième terme de la pensée du dix-huitième siècle est l’individualisme. et c’est Diderot avec son anarchisme qui le représente : " la vérité n’est qu’opinion : elle est dans l’homme, dans la liberté de son jugement ; elle ne relève que de son libre choix ". C’est le " laissez-dire, laissez-penser " de l’individualisme philosophique, moins connu que le " laissez-faire, laissez-passer " de l’individualisme économique des physiocrates et d’Adam Smith et que l’individualisme politique dont l’idée est que la norme politique dérive de la libre opinion de chacun.
Facteurs de succès des Nouveaux Pays Industriels (NPI)
Je ne vais pas parler des politiques économiques poursuivies par les NPI pour expliquer leur succès et donc l’échec des autres pays du tiers monde dans leur lutte contre le sous-développement et la pauvreté. Je vais simplement faire un constat que tout honnête personne ne peut qu’appuyer. C’est le suivant : depuis la seconde guerre mondiale et, surtout, depuis les indépendances, aucun pays du tiers monde ne s’est développé contre ou à l’écart des échanges économiques internationaux. Bien plus, les pays du tiers monde qui ont remporté les plus grands succès dans la lutte pour le développement, autrement dit, les NPI, sont les pays qui ont choisi de s’intégrer complètement dans le système économique mondial. Ce sont les pays qui ont choisi d’importer massivement la technologie des pays du Nord, de développer l’éducation scientifique de leurs populations, d’acquérir des connaissances d’un haut niveau scientifique à partir des pays du Nord et d’exporter vers ces pays et à chaque moment les produits technologiques pour lesquels ils ont un avantage comparatif, étant donné que leur position ou que cet avantage comparatif ne pouvait qu’évoluer favorablement avec l’élévation du niveau scientifique et technologique de leurs populations.
L’intégration audacieuse et ne traînant pas les pieds à l’économie mondiale est d’autant plus nécessaire au développement économique que le savoir scientifique et technique est devenu de nos jours bien indispensable à toute production industrielle et à toute réussite économique. C’est que le centre critique de l’apprentissage n’est plus l’atelier. C’est désormais le laboratoire et la salle de conférence. La production industrielle fait de plus en plus appel à des connaissances scientifiques que l’on ne peut point acquérir sur le tas, dans l’atelier. Il faut envoyer de plus en plus d’étudiants se former à l’étranger car le niveau de nos universités ne peut pas procurer un savoir scientifique de pointe, lequel est évolutif et avec une rapidité vertigineuse.
Mais, il faut que ces étudiants reviennent. Seulement, il faudra les utiliser à bon escient et non pas dans des tâches administratives avilissantes et corruptrices.
L’intégration de nos pays au système mondial n’est pas seulement indispensable sur le plan économique. Elle est également nécessaire sur le plan politique, social et culturel. La démocratie et les droits humains, la liberté et la tolérance sont un produit des pays du Nord. Toute l’humanité, dont nous sommes, y aspire. Le salut de l’humanité passe par son intégration à ces valeurs.
I-Conditions négatives du développement
A l’heure actuelle, la seule idéologie qui affiche son hostilité à l’intégration dans la civilisation économique, politique, sociale et culturelle mondiale est l’arabo-islamisme.
Dans le passé, il y a eu l’idéologie de la dépendance et de la domination développée à partir des travaux de la CEPAL dont le chef de file n’était autre que l’argentin Raul Prebisch, mais aussi des travaux de André Gunder Frank, Samir Amin, François Perroux en France et ses disciples dont notamment G. Destanne de Bernis, A. Emmanuel. Cette idéologie qui considère que les pays du tiers monde sont dominés, exploités, pillés, qu’ils ne peuvent entretenir avec les pays développés que des échanges inégaux aggravant leur sous-développement, cette idéologie ou doctrine est de nos jours oubliée et dépassée.
Seuls les Arabo-islamistes ayant hérité et ayant surtout développé une haute opinion d’eux-mêmes et de leur culture continuent à croire à ce genre de doctrine. Ils entretiennent le mythe de leur supériorité et de leur créativité. Ils considèrent les " autres ", les non arabo-islamiques, comme des voleurs et des usurpateurs. Ils pensent que l’Histoire a été injuste et traître envers eux. Les " autres " leur ont volé le savoir scientifique qui se trouve dans le Coran. Ils leur ont volé leur culture et leur science. Tous les autres sont les ennemis de l’Islam et des Arabes. Ils les empêchent de pratiquer le vrai Islam pour redécouvrir le savoir scientifique, renouer avec le passé et ses vertus, c’est-à-dire dominer les infidèles, écraser les femmes... Autant dire toute la barbarie que tout un chacun sait.
En réalité, il y a deux hypothèses implicites erronées derrière cette doctrine arabo-islamiste avec laquelle il faut absolument rompre si l’on veut s’intégrer à la civilisation universelle et se développer et s’émanciper.
1.La première hypothèse implicite erronée est que le Coran est un recueil de vérités scientifiques qu’il suffit de comprendre pour dominer la nature, développer la bombe atomique et les fusées pour conquérir l’espace. Les vérités scientifiques sont des vérités évolutives, relatives et historiques. Elles sont humaines. On pensait que la masse était invariable. On sait maintenant qu’elle ne l’est pas quand on passe à de grandes vitesses. Plusieurs théories de la lumière existent. On peut la considérer comme ondulatoire, corpusculaire, comme quelque chose qui se projette en ligne droite… Les vérités scientifiques sont imparfaites et sont affaire de ce bas monde. Le Coran, comme c’est le cas des autres Livres Saints ne devrait s’occuper que de Vérités absolues, parfaites, immuables et éternelles.
2.La seconde hypothèse implicite et erronée consiste à croire ou à accroire que la grandeur de l’empire islamique du Moyen Age était l’œuvre des seuls Arabes Musulmans. Tout un chacun sait que cela est archifaux. La contribution des Persans, Turcs, Imazighen, Uzbeks, et d’autres peuples musulmans non arabes a été considérable et décisive. On sait aussi que l’apport des non musulmans à cette civilisation appelée injustement arabo-islamique, juifs, chrétiens et autres, a été considérable.
Pour un développement économique et social, notre pays doit donc s’intégrer à la civilisation universelle. Et, pour ce faire, il ne peut que rompre avec cette idéologie arabo-islamiste hostile à cette intégration et fondée sur des hypothèses erronées. Le Maroc doit s’intégrer à cette civilisation d’autant plus que cette dernière n’appartient en fait à personne pour ce qui est de son aspect matériel, technique et scientifique, dominant. Le savoir scientifique à la base de cette civilisation est en effet le produit d’une accumulation à laquelle tous les peuples de la terre ont plus ou moins participé à un moment ou un autre de l’histoire de l’humanité. La civilisation matérielle universelle appartient à l’humanité toute entière.
I-Conditions spécifiques du développement
La rupture avec l’arabo-islamisme s’impose pour au moins trois raisons :
1.La première est que cette idéologie vise à instaurer un système socio-économique et politique insoutenable, un système inégalitaire où seule une élite masculine décide et jouit du fruits du travail de la majorité exclue du pouvoir de décision, exclue linguistiquement de la parole et de l’expression…
2.La deuxième raison est que l’idéologie en question nous impose un état de guerre permanente contre le reste du monde. Ce qui implique des efforts considérables d’armement. Ce qui est coûteux pour le budget de l’Etat et pour la société entière.
3.La troisième raison est que l’implication logique de cette idéologie est de vivre en autarcie et d’essayer de réinventer la poudre. Ce qui est presque impossible car insupportable sur le plan économique.
En tout cas, l’humanité entière est témoin du coût occasionné par le choix de cette idéologie et d’une partie seulement des implications logiques de ce choix, dans le cas de l’Irak.
Nous devons rompre avec l’arabo-islamisme car nous ne sommes pas des Arabes et nous n’acceptons pas l’interprétation que donnent les Arabes de l’Islam. Ce dernier est pluriel et, lorsque Imazighen l’ont embrassé, ils l’ont intégré comme spiritualité et ont continué à organisé leur vie sociale selon leurs coutumes. Ceux qui croient pouvoir imposer à Imazighen, à travers l’Islam, les coutumes des Arabes, se trompent lourdement. Nos ancêtres se sont convertis à l’Islam et non pas à l’Arabisme qui, d’ailleurs, n’existe que depuis le vingtième siècle. Il n’est qu’une création des écoles britanniques et françaises en Orient dans leur lutte contre l’empire ottoman. En tout cas, la prétendue nation arabe n’a jamais englobé le pays des berbères, Tamazgha, ni même l’Egypte. Il suffit de se rappeler que lorsque les britanniques avaient promis au Grand Chérif de Mecca un royaume arabe, ce royaume ne comprenait que la péninsule arabique, la Syrie, la Palestine et l’Irak.
Pour nous intégrer dans la civilisation universelle en vue d’un développement économique, politique et social, nous devons être nous mêmes, c’est-à-dire musulmans Imazighen. Mais que nous apporte l’Amazighité ou Timmuzgha ?
Timmuzgha nous apporte une langue et des valeurs qui tout en étant les nôtres ne nous opposent pas au monde, au contraire.
L’Amazighité en tant que langue est d’une grande souplesse. Elle permet plus facilement que d’autres de passer à l’anglais, langue universelle des sciences et de la technologie. Elle permet des emprunts absolument nécessaires de nos jours. Elle n’a aucun caractère sacré pour nous. Elle est vivante.
L’Amazighité en tant que culture permet de satisfaire tous les préalables philosophico-culturels de la démocratisation nécessaire tant pour notre développement que pour nous entendre avec le reste du monde. En plus, la démocratie comme on dit est le moins mauvais des systèmes qui existent au monde. Ces préalables sont : 1) L’amazighité n’a jamais prétendu détenir quelque vérité absolue à imposer aux autres. La vérité, d’ailleurs toute relative et susceptible d’évoluer, est celle qui sortira des urnes. 2) Il suffit de considérer la culture amazighe orale exprimée dans les anecdotes pour se rendre compte à quel point les Imazighen ne se privent pas de tout critiquer et même de se tourner en dérision. L’esprit critique nécessaire à la démocratie et au progrès ne leur a jamais fait défaut. 3) Il suffit de considérer l’histoire des Imazighen pour s’apercevoir que la femme a été à la tête des combattants Imazighen de la liberté. Tous les individus sont égaux et seule la valeur intrinsèque de chacun lui permet de l’emporter dans la compétition. 4) Il suffit de reconsidérer les anecdotes de tout à l’heure pour se rendre compte que l’Amazigh accepte difficilement les explications métaphysiques qu’on lui sert pour rendre compte de ses misères. Loin de toute fatalité, la raison est donc sollicité par l’Amazigh pour rechercher les causes de ses défaites et revers. C’est là une attitude favorable au développement économique. 5) Les Imazighen sont universalistes un peu à leurs dépens d’ailleurs. C’est qu’ils ont beaucoup emprunté aux autres. Ils ont embrassé la culture et la langue des autres et ont produit des œuvres reconnues universellement : l’influence sur le théâtre exercée par Afulay ne s’est estompée qu’au dix-septième siècle, celle d’Augustin est toujours vivante, les analyses du grand historien et sociologue Ibn Khaldoun sont toujours d’une actualité étonnante, et j’en passe. " Nous sommes capables de prendre sans complexe aucun ce qu’il y a de meilleur chez les autres y compris chez ceux qui nous combattent ".
En résumé et pour conclure, le développement économique et social de notre pays passe par une redéfinition de notre identité nationale pour rompre avec l’idéologie panarabiste et islamiste et pour reconnaître officiellement l’amazighité du Maroc dans toutes ses dimensions, linguistique, culturelle mais aussi au niveau des valeurs nobles de l’amazighité qui permettront à notre pays de s’intégrer sans complexe aucun dans la civilisation universelle fondée sur la démocratie, la liberté, l’égalité de tous, la tolérance et les droits humains.
Tanemmirt
Lahcen OULHAJ, membre du Comité du Manifeste Amazighe
Dans le présent papier, j’essayerai de traiter de trois idées : 1) Conditions positives, 2) conditions négatives et 3) conditions spécifiques du développement. Je voudrai dire par là que, 1) pour nous développer, il nous faut nous intégrer pleinement dans l’économie mondiale, 2) pour ce faire, nous devons rompre de manière radicale avec l’idéologie arabo-islamiste, et, 3) pour ce faire, nous devons nous armer de l’Amazighité dans toutes ses dimensions, tant comme rempart contre l’arabo-islamisme que comme vaisseau spécifique de navigation dans la mer commune, la civilisation universelle, que nous embrassons sans ambages et sans hypocrisie.
I-Conditions positives du développement
Dans cette section, il ne sera point question de la politique économique qu’il faut ou qu’il ne faut pas que notre pays applique à présent pour qu’il se développe économiquement, socialement… ou, plutôt, pour qu’il accélère son développement économique et social. Il ne s’agira que des conditions permissives du développement socio-économique. Il nous faut donc considérer deux moments précis dans l’histoire de l’humanité. Le premier est le point de départ de cette prodigieuse aventure humaine qu’est le développement économique lancé par la révolution industrielle. Le second est l’après-guerre du vingtième siècle, les indépendances et l’émergence du tiers monde pour voir comment certains pays membres de ce tiers monde ont pu s’échapper du groupe alors que d’autres se sont enfoncés dans le sous-développement.
Aux origines de la Révolution Industrielle
Encore une fois, il ne m’appartient pas ici de décrire les différents aspects de la Révolution Industrielle. Si je remonte à ce processus, c’est juste pour voir quelles ont été les conditions culturelles l’ayant permis, conditions qu’il nous faut maintenant vérifier pour nous permettre d’aspirer à en bénéficier.
La Révolution Industrielle n’est pas qu’une révolution matérielle. Elle est d’abord et avant tout une révolution intellectuelle et morale, puis économique, politique et sociale avant d’être technique.
Les aspects matériels de la Révolution Industrielle sont les plus connus chez nous : révolution géographique, révolution technique avec l’apparition de nouvelles techniques du livre, de la soie de l’artillerie et la mécanisation d’anciennes comme les textiles et les transports maritimes…
Sur les plans politique, social, intellectuel et moral, on peut résumer en disant que la Révolution Industrielle est le produit de la combinaison de la Renaissance et la Réforme. La Renaissance n’est autre que l’émancipation de la science et de la raison par rapport à la foi. Ce qui a donné une impulsion aux recherches scientifiques et techniques. Quant à la Réforme, fille révoltée de la Renaissance, elle a malgré son rigorisme, favorisé l’éclosion de l’esprit capitaliste. C’est ce qui a été mis en évidence par le grand sociologue allemand, Max Weber. Les Réformateurs entendaient remplacer une religion trop rituelle par une religion plus intime en proscrivant la vie monastique. Calvin voyait dans l’activité économique un remède au doute angoissant de la prédestination. La prospérité matérielle devient un signe de bénédiction céleste alors qu’au cours du Moyen Age, les discussions tournaient autour de la pauvreté ou non du Christ ( voir le Nom de la Rose de Umberto Eco).
C’est vrai que Luther a aggravé la prohibition de l’intérêt, mais c’est vrai aussi que Calvin a levé cette interdiction et a permis le développement économique.
Ce qui est important dans la Réforme c’est qu’elle a permis la sécularisation des biens d’Eglise et la suppression de quantité de monastères. La mentalité d’assisté des pauvres et des miséreux va faire place à la mentalité de travail et d’intérêt. En France où la Réforme ne l’avait pas emporté, ce sera la Révolution de 1789 qui viendra supprimer des couvents et laïciser la vie économique et sociale. Et ce n’est pas par hasard que les premiers pays capitalistes, de commerce et de finance ont été les pays protestants : Hollande, Angleterre, Ecosse, Genève, Bâle, et plus tard les Etats-Unis.
Sur le plan socio-économique, c’est le libéralisme économique qui a été à l’origine du prodigieux développement économique enregistré par les pays du Nord à partir du dix-huitième siècle et ce libéralisme ne pouvait pas se mettre en place sans une véritable révolution philosophique et culturelle. Les traits saillants de cette révolution ne sont autres que la révolte de la raison ou le rationalisme français et la recherche d’une physique économique, l’empirisme britannique et la recherche d’une arithmétique économique. Tout cela bien entendu participe de la même démarche que celle de l’optimisme naturaliste principalement représenté par Jean-Jacques Rousseau contre le pessimisme de Hobbes, mais aussi et surtout le pessimisme de Mandeville, l’auteur de la Fable des Abeilles qui montre que la concurrence des égoïsmes fait la richesse de la ruche, idée transposée par le fondateur de l’économie politique, Adam Smith, dans le domaine économique et social.
Pour parler comme André Piettre, disons que – après la raison critique de Voltaire et " le saint de la nature " de Rousseau -- , le troisième terme de la pensée du dix-huitième siècle est l’individualisme. et c’est Diderot avec son anarchisme qui le représente : " la vérité n’est qu’opinion : elle est dans l’homme, dans la liberté de son jugement ; elle ne relève que de son libre choix ". C’est le " laissez-dire, laissez-penser " de l’individualisme philosophique, moins connu que le " laissez-faire, laissez-passer " de l’individualisme économique des physiocrates et d’Adam Smith et que l’individualisme politique dont l’idée est que la norme politique dérive de la libre opinion de chacun.
Facteurs de succès des Nouveaux Pays Industriels (NPI)
Je ne vais pas parler des politiques économiques poursuivies par les NPI pour expliquer leur succès et donc l’échec des autres pays du tiers monde dans leur lutte contre le sous-développement et la pauvreté. Je vais simplement faire un constat que tout honnête personne ne peut qu’appuyer. C’est le suivant : depuis la seconde guerre mondiale et, surtout, depuis les indépendances, aucun pays du tiers monde ne s’est développé contre ou à l’écart des échanges économiques internationaux. Bien plus, les pays du tiers monde qui ont remporté les plus grands succès dans la lutte pour le développement, autrement dit, les NPI, sont les pays qui ont choisi de s’intégrer complètement dans le système économique mondial. Ce sont les pays qui ont choisi d’importer massivement la technologie des pays du Nord, de développer l’éducation scientifique de leurs populations, d’acquérir des connaissances d’un haut niveau scientifique à partir des pays du Nord et d’exporter vers ces pays et à chaque moment les produits technologiques pour lesquels ils ont un avantage comparatif, étant donné que leur position ou que cet avantage comparatif ne pouvait qu’évoluer favorablement avec l’élévation du niveau scientifique et technologique de leurs populations.
L’intégration audacieuse et ne traînant pas les pieds à l’économie mondiale est d’autant plus nécessaire au développement économique que le savoir scientifique et technique est devenu de nos jours bien indispensable à toute production industrielle et à toute réussite économique. C’est que le centre critique de l’apprentissage n’est plus l’atelier. C’est désormais le laboratoire et la salle de conférence. La production industrielle fait de plus en plus appel à des connaissances scientifiques que l’on ne peut point acquérir sur le tas, dans l’atelier. Il faut envoyer de plus en plus d’étudiants se former à l’étranger car le niveau de nos universités ne peut pas procurer un savoir scientifique de pointe, lequel est évolutif et avec une rapidité vertigineuse.
Mais, il faut que ces étudiants reviennent. Seulement, il faudra les utiliser à bon escient et non pas dans des tâches administratives avilissantes et corruptrices.
L’intégration de nos pays au système mondial n’est pas seulement indispensable sur le plan économique. Elle est également nécessaire sur le plan politique, social et culturel. La démocratie et les droits humains, la liberté et la tolérance sont un produit des pays du Nord. Toute l’humanité, dont nous sommes, y aspire. Le salut de l’humanité passe par son intégration à ces valeurs.
I-Conditions négatives du développement
A l’heure actuelle, la seule idéologie qui affiche son hostilité à l’intégration dans la civilisation économique, politique, sociale et culturelle mondiale est l’arabo-islamisme.
Dans le passé, il y a eu l’idéologie de la dépendance et de la domination développée à partir des travaux de la CEPAL dont le chef de file n’était autre que l’argentin Raul Prebisch, mais aussi des travaux de André Gunder Frank, Samir Amin, François Perroux en France et ses disciples dont notamment G. Destanne de Bernis, A. Emmanuel. Cette idéologie qui considère que les pays du tiers monde sont dominés, exploités, pillés, qu’ils ne peuvent entretenir avec les pays développés que des échanges inégaux aggravant leur sous-développement, cette idéologie ou doctrine est de nos jours oubliée et dépassée.
Seuls les Arabo-islamistes ayant hérité et ayant surtout développé une haute opinion d’eux-mêmes et de leur culture continuent à croire à ce genre de doctrine. Ils entretiennent le mythe de leur supériorité et de leur créativité. Ils considèrent les " autres ", les non arabo-islamiques, comme des voleurs et des usurpateurs. Ils pensent que l’Histoire a été injuste et traître envers eux. Les " autres " leur ont volé le savoir scientifique qui se trouve dans le Coran. Ils leur ont volé leur culture et leur science. Tous les autres sont les ennemis de l’Islam et des Arabes. Ils les empêchent de pratiquer le vrai Islam pour redécouvrir le savoir scientifique, renouer avec le passé et ses vertus, c’est-à-dire dominer les infidèles, écraser les femmes... Autant dire toute la barbarie que tout un chacun sait.
En réalité, il y a deux hypothèses implicites erronées derrière cette doctrine arabo-islamiste avec laquelle il faut absolument rompre si l’on veut s’intégrer à la civilisation universelle et se développer et s’émanciper.
1.La première hypothèse implicite erronée est que le Coran est un recueil de vérités scientifiques qu’il suffit de comprendre pour dominer la nature, développer la bombe atomique et les fusées pour conquérir l’espace. Les vérités scientifiques sont des vérités évolutives, relatives et historiques. Elles sont humaines. On pensait que la masse était invariable. On sait maintenant qu’elle ne l’est pas quand on passe à de grandes vitesses. Plusieurs théories de la lumière existent. On peut la considérer comme ondulatoire, corpusculaire, comme quelque chose qui se projette en ligne droite… Les vérités scientifiques sont imparfaites et sont affaire de ce bas monde. Le Coran, comme c’est le cas des autres Livres Saints ne devrait s’occuper que de Vérités absolues, parfaites, immuables et éternelles.
2.La seconde hypothèse implicite et erronée consiste à croire ou à accroire que la grandeur de l’empire islamique du Moyen Age était l’œuvre des seuls Arabes Musulmans. Tout un chacun sait que cela est archifaux. La contribution des Persans, Turcs, Imazighen, Uzbeks, et d’autres peuples musulmans non arabes a été considérable et décisive. On sait aussi que l’apport des non musulmans à cette civilisation appelée injustement arabo-islamique, juifs, chrétiens et autres, a été considérable.
Pour un développement économique et social, notre pays doit donc s’intégrer à la civilisation universelle. Et, pour ce faire, il ne peut que rompre avec cette idéologie arabo-islamiste hostile à cette intégration et fondée sur des hypothèses erronées. Le Maroc doit s’intégrer à cette civilisation d’autant plus que cette dernière n’appartient en fait à personne pour ce qui est de son aspect matériel, technique et scientifique, dominant. Le savoir scientifique à la base de cette civilisation est en effet le produit d’une accumulation à laquelle tous les peuples de la terre ont plus ou moins participé à un moment ou un autre de l’histoire de l’humanité. La civilisation matérielle universelle appartient à l’humanité toute entière.
I-Conditions spécifiques du développement
La rupture avec l’arabo-islamisme s’impose pour au moins trois raisons :
1.La première est que cette idéologie vise à instaurer un système socio-économique et politique insoutenable, un système inégalitaire où seule une élite masculine décide et jouit du fruits du travail de la majorité exclue du pouvoir de décision, exclue linguistiquement de la parole et de l’expression…
2.La deuxième raison est que l’idéologie en question nous impose un état de guerre permanente contre le reste du monde. Ce qui implique des efforts considérables d’armement. Ce qui est coûteux pour le budget de l’Etat et pour la société entière.
3.La troisième raison est que l’implication logique de cette idéologie est de vivre en autarcie et d’essayer de réinventer la poudre. Ce qui est presque impossible car insupportable sur le plan économique.
En tout cas, l’humanité entière est témoin du coût occasionné par le choix de cette idéologie et d’une partie seulement des implications logiques de ce choix, dans le cas de l’Irak.
Nous devons rompre avec l’arabo-islamisme car nous ne sommes pas des Arabes et nous n’acceptons pas l’interprétation que donnent les Arabes de l’Islam. Ce dernier est pluriel et, lorsque Imazighen l’ont embrassé, ils l’ont intégré comme spiritualité et ont continué à organisé leur vie sociale selon leurs coutumes. Ceux qui croient pouvoir imposer à Imazighen, à travers l’Islam, les coutumes des Arabes, se trompent lourdement. Nos ancêtres se sont convertis à l’Islam et non pas à l’Arabisme qui, d’ailleurs, n’existe que depuis le vingtième siècle. Il n’est qu’une création des écoles britanniques et françaises en Orient dans leur lutte contre l’empire ottoman. En tout cas, la prétendue nation arabe n’a jamais englobé le pays des berbères, Tamazgha, ni même l’Egypte. Il suffit de se rappeler que lorsque les britanniques avaient promis au Grand Chérif de Mecca un royaume arabe, ce royaume ne comprenait que la péninsule arabique, la Syrie, la Palestine et l’Irak.
Pour nous intégrer dans la civilisation universelle en vue d’un développement économique, politique et social, nous devons être nous mêmes, c’est-à-dire musulmans Imazighen. Mais que nous apporte l’Amazighité ou Timmuzgha ?
Timmuzgha nous apporte une langue et des valeurs qui tout en étant les nôtres ne nous opposent pas au monde, au contraire.
L’Amazighité en tant que langue est d’une grande souplesse. Elle permet plus facilement que d’autres de passer à l’anglais, langue universelle des sciences et de la technologie. Elle permet des emprunts absolument nécessaires de nos jours. Elle n’a aucun caractère sacré pour nous. Elle est vivante.
L’Amazighité en tant que culture permet de satisfaire tous les préalables philosophico-culturels de la démocratisation nécessaire tant pour notre développement que pour nous entendre avec le reste du monde. En plus, la démocratie comme on dit est le moins mauvais des systèmes qui existent au monde. Ces préalables sont : 1) L’amazighité n’a jamais prétendu détenir quelque vérité absolue à imposer aux autres. La vérité, d’ailleurs toute relative et susceptible d’évoluer, est celle qui sortira des urnes. 2) Il suffit de considérer la culture amazighe orale exprimée dans les anecdotes pour se rendre compte à quel point les Imazighen ne se privent pas de tout critiquer et même de se tourner en dérision. L’esprit critique nécessaire à la démocratie et au progrès ne leur a jamais fait défaut. 3) Il suffit de considérer l’histoire des Imazighen pour s’apercevoir que la femme a été à la tête des combattants Imazighen de la liberté. Tous les individus sont égaux et seule la valeur intrinsèque de chacun lui permet de l’emporter dans la compétition. 4) Il suffit de reconsidérer les anecdotes de tout à l’heure pour se rendre compte que l’Amazigh accepte difficilement les explications métaphysiques qu’on lui sert pour rendre compte de ses misères. Loin de toute fatalité, la raison est donc sollicité par l’Amazigh pour rechercher les causes de ses défaites et revers. C’est là une attitude favorable au développement économique. 5) Les Imazighen sont universalistes un peu à leurs dépens d’ailleurs. C’est qu’ils ont beaucoup emprunté aux autres. Ils ont embrassé la culture et la langue des autres et ont produit des œuvres reconnues universellement : l’influence sur le théâtre exercée par Afulay ne s’est estompée qu’au dix-septième siècle, celle d’Augustin est toujours vivante, les analyses du grand historien et sociologue Ibn Khaldoun sont toujours d’une actualité étonnante, et j’en passe. " Nous sommes capables de prendre sans complexe aucun ce qu’il y a de meilleur chez les autres y compris chez ceux qui nous combattent ".
En résumé et pour conclure, le développement économique et social de notre pays passe par une redéfinition de notre identité nationale pour rompre avec l’idéologie panarabiste et islamiste et pour reconnaître officiellement l’amazighité du Maroc dans toutes ses dimensions, linguistique, culturelle mais aussi au niveau des valeurs nobles de l’amazighité qui permettront à notre pays de s’intégrer sans complexe aucun dans la civilisation universelle fondée sur la démocratie, la liberté, l’égalité de tous, la tolérance et les droits humains.
Tanemmirt