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agoram

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Saïd El Haji. Un solitaire tutoie Dieu-le-père

Que retient Saïd El Haji de ses quatre premières années passées à Isoufien, au cœur du Rif maudit par Hassan II ? “Je me revois, marchant pieds nus, déversant le sel sur la peau des grenouilles pour les torturer”. En 1980, Saïd émigre aux Pays-Bas avec sa famille. “Je me sentais seul et incompris, raconte-t-il. Je pensais différemment de mes frères et sœurs”. Très vite, il se réfugie dans l'écriture - en néerlandais. Nouvelles, pièces de théâtre pour la radio, poèmes hip hop, il touche à tout. “L'écriture a été mon unique arme pour reconstituer le monde chaotique qui m'entourait”, confie-t-il. Quand il
commence à écrire Les jours de Shaytan (traduit en français en 2004 chez Gaïa Editions, et enfin disponible aujourd’hui au Maroc), il a à peine 22 ans. Et déjà, il franchit une nouvelle étape. “J'ai eu recours au savoir et à la rationalité, pour prendre ma revanche sur des traditions dont je ne m'accommodais pas”.
C’est par une parabole que Saïd El Haji inaugure ce texte, déjà traduit en cinq langues. Il y compare son père à Dieu, et sa vie à celle d'Adam et Eve, après qu’ils ont été chassés du Paradis par la faute du diable. Ce “Shaytan”, être insaisissable et sans moralité, il en fait d'emblée son porte-parole. C'est lui qui ose dire ce que le narrateur Hamid (13 ans), intimidé par ses aînés, est incapable de dire. C'est lui qui blasphème (allègrement) à sa place. Tout au long du roman, ce trublion ne cesse de douter de la magnificence d'Allah, de montrer que l'Homme n’est grand que par son savoir, de rappeler que tous les prophètes servent moins des principes sacrés que des intérêts plus profanes et historiques. Hamid, lui, se permet à peine (et secrètement, encore) de railler son père, qui “aime plus la charia que sa femme et ses enfants”. Quant à l'imam de la localité de Berkerode, l'auteur le diminue tellement (petit appartement, petites idées) qu'il lui fait perdre son statut symbolique de chef de la communauté. A travers cette myriade de personnages, El Haji se présente comme un auteur à part, qui ne perçoit chez les autres qu'une somme de paradoxes.
La question religieuse, le jeune auteur n'en a pas encore fait le tour. Dans son deuxième roman Chuchotements du diable divin (à paraître), il découvre que “lorsque l'on décide d'aller plus loin sans Dieu, le père devient plus important”. Ce souci d'honnêteté est constant chez lui : “Peu importe si j'ai raison ou tort, l'essentiel est de transcrire ce que je ressens personnellement”. Evoluant dans le monde libre des Pays-Bas, dont il porte la culture, El Haji est également éditeur du magazine littéraire Passionate. Pour sortir de sa coquille ? “En société, admet-il, j'ai constamment l'impression de jouer un rôle”. Alors il joue le jeu en public, puis se retire pour se réfugier dans l'écriture. De son père, mort en 2000, il a hérité son “côté protestant” : travailler, ne pas trop se reposer, ne pas trop dormir. Ajoutons-y la rigueur nordique, et le tour est joué. Un écrivain marocain sceptique est né.


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