Entretien avec le chanteur kabyle Idir : «Plus il y a de culture, moins il y aura de guerres…»
Des jeunes, beaucoup de jeunes étaient présents à la soirée animée par le chanteur kabyle Idir, organisée par l'institut français de Casablanca. Une belle soirée au clair de lune, largement applaudie. Dans l'interview qu'il nous a accordée, Idir nous parle de la culture dans un monde tiraillé par les guerres et les luttes pour le pouvoir. Interview d'un artiste exceptionnel.
Vous vous appelez Hamid, pourquoi avez-vous choisi Idir pour pseudonyme ?
Dans ma vie rien de ce qui m'arrive n'a été choisi ou décidé à l'avance. Le hasard a voulu que le lycée où j'étais en Alger soit en face d'une radio. En Kabylie il n'y avait pas de lycées.
Un jour les gens de la radio qui étaient à deux pas du lycée m'ont proposé de venir jouer. Je n'étais alors qu'un lycéen qui préparait son baccalauréat et qui en plus faisait des études scientifiques. Je chantais pour les gens que je connaissais et ça me faisait plaisir Une fois, j'avais préparé une chanson intitulée " Nouara " pour une fille qui travaillait à la radio.
Le producteur de l'émission est venu m'attendre au lycée, il était affolé et m'a annoncé que Ingrid est tombé malade et qu'elle ne pouvait pas venir. Il m'a a alors demandé de la remplacer. J'aurais voulu lui dire que je n'étais pas chanteur mais il était trop tard, il l'avait déjà annoncé.
Et c'est ce jour que je me suis inventé ce pseudonyme Idir parce qu'il ne fallait pas que ma famille le sache.
Pourquoi ?
Pour ma mère, je suis née pour être médecin ou pharmacien. Alors une carrière de chanteur, vous n'y pensez même pas. Avec mon pseudonyme, j'ai commencé à chanter et ça m'a plu. Pendant un an, ma mère me parlait de Idir sans savoir que c'était moi. Elle savait que cet Idir était avec moi au lycée, elle aimait beaucoup ses chansons et m'avait même proposé de l'inviter un soir à la maison. Elle ne savait pas qu'Idir mangeait chez elle tous les jours.
Quelle a été sa réaction lorsqu'elle a su qu'Idir est son fils Hamid ?
Quand elle l'a su elle a commencé à pleurer parce qu'elle pouvait s'attendre à tout sauf à ça. C'est la réaction d'une mère qui veut à tout prix que son fils soit médecin et non pas chanteur ou guitariste pour " amuser les gens ".
Après elle a compris et elle m'a beaucoup encouragé, surtout lorsqu'elle a eu la certitude que je ne faisais pas ça pour chanter dans des cabarets.
Vos chansons sont le reflet d'une identité. N'est ce pas ?
Au début c'était ça, c'est vrai que lorsque tu es kabyle en Algérie, tu es fier d'appartenir à un pays qui est sorti de sa colonisation et qui a réussi sa révolution. Le colonialisme français.
Ce pouvoir qui prônait la liberté des peuples me brimait moi dans ma langue maternelle si bien que je me surprenais à expliquer à ma mère par exemple le journal télévisé en arabe par exemple parce qu'elle ne parle pas un seul mot d'arabe et moi si je n'étais pas sorti de mon village jamais je n'aurais parlé arabe.
Il y avait un sentiment de révolte et j'ai eu un besoin de l'exprimer. Donc au départ fatalement, je le faisais à travers la chanson mais si je ne l'avais pas fait de cette manière je l'aurais fait autrement, l'associatif ou autre.
Et j'ai pu tout sortir de mon corps. Cette révolte qui m'animait et qui disait que c'était injuste qu'une langue soit ignorée et que toute une partie d'un peuple soit mise comme ça au ban de la société. Ce n'était pas normal.
Les premières chansons c'était des chansons d'identification mais par la suite ça change parce que tu évolues, tu grandies, tu sors de chez toi et même si au début tu pensais que la culture du monde se limitait à ton village, tu rencontres des gens différents et tu t'enrichis à travers les différences.
Par la suite, c'est devenu une chanson plus globale qui aborde le racisme, l'exclusion, l'identité aussi.
Quand on dit de moi que je suis un chanteur engagé qui défend son identité, je dis simplement que je fais mon métier, comme n'importe qui qui travaille pour nourrir sa famille.
Je pense qu'être engagé c'est avoir une position politique. Malheureusement, je n'ai jamais été un bon général de brigade. Mon travail s'est toujours basé sur l'émotion qu'on est censé échanger. C'est comme que ça fonctionne. Pour moi c'est ça l'engagement.
Avec du recul, vous êtes satisfait de votre engagement et de votre parcours ?
Je suis content d'avoir accompli certaines choses. Mais je ne peux pas être satisfait face à certaines situations qui font vraiment mal. A travers les larmes d'un gamin que je vois à Casablanca ou à Tizi Ouzou, c'est mon cœur qui pleure.
Est-ce que vous sentez que vous avez atteints vos objectifs ?
Oui, mais ça serait prétentieux de vous dire que je suis arrivé à changer des choses. J'ai contribué à ma manière à ce que les choses aillent mieux. C'est vrai qu'il y a à peine vingt ans, il n'était même pas question d'aborder la chose sur le Tamazight alors qu'aujourd'hui, c'est banalisé. Tout le monde en parle et c'est ce qui m'intéresse le plus. Et si je me bats pour mon identité c'est qu'elle est opprimée. Je suis content qu'il y ait eu énormément de choses qui ont été accomplies.
Je parle de la beauté de notre culture en général que l'on soit à Rabat ou à Alger, je parle aussi que notre imaginaire, de notre conscience collective. Au fait, c'est le tempérament méditerranéen qui me plait. Ce tempérament berbère depuis la nuit des temps et qui a reçu autant de brassages. C'est une aventure fabuleuse qu'on vit dans notre région, ça m'intéresse énormément et j'essaye d'en parler.
Votre tube " a vava inouva " a fait le tour du monde et a été traduit en sept langues. Comment est née cette chanson ?
Franchement, je ne sais pas. Je crois que c'est en quelque sorte grâce au fait que j'ai eu la chance d'avoir une grand-mère qui a fait de la poésie et je me souviens de nos veillées d'hiver.
A l'époque, on n'avait pas d'électricité en Kabylie, il y avait une petite lampe en pétrole, on étaient tous autour d'elle et ma grand-mère nous racontait des légendes et je crois que c'est ce que j'ai essayé de décrire en disant que ces moments ont existé sans toutefois les imposer mais seulement dire que les gens étaient solidaires.
C'est toute l'histoire.
Est-ce que vous vous attendiez à un tel succès ?
Pas du tout. Vous savez, à chaque fois que je fais une nouvelle chanson et qu'elle réussit, je suis le premier étonné.
Dans tous les cas, moi je suis content parce qu'au moins, ça me prouve que je suis un petit peu utile quelque part.
Parlez-nous de l'association " l'Algérie la vie " ?
Malheureusement, elle n'existe plus. Nous l'avions crée en 1984, le but était de sensibiliser les artistes français à ce qui se passait en Algérie ce qui était le summum de l'horreur. On avait décidé de faire un spectacle au Zénith et donc, j'avais appelé Khaled, Mami… et on a pu lancer un appel qui a intéressé énormément de gens. Ca a été assez difficile de s'occuper de l'association par la suite. Vous vous rendez compte que c'est une réelle responsabilité. D'autant plus que d'une part, les choses se calmaient petit à petit en Algérie et que d'autre part, à chaque fois que je tentais de faire quelque chose pour mon pays, c'était souvent difficile, même pour envoyer des médicaments ou d'autres aides.
Comment voyez vous la culture, et comment pouvez vous la définir au sein d'un monde tiraillé par les guerres ?
Dans un monde quel qu'il soit de toutes les façons, plus il y a de la culture et moins il y a de guerres. On peut citer un constat sociologique qui est celui de la Grèce antique au temps de Pythagore et de Platon par exemple, il y avait le moins de guerres possibles. A partir du moment où la culture commence à disparaître elle laisse la place à l'anarchie. Ce n'est que par la culture qu'on peut combattre la haine et l'intolérance.
La culture joue un rôle prépondérant surtout dans les pays en voie de développement.
A qui s'adressent vos chansons ?
Je peux dire que je suis un homme chanceux parce que j'ai un public comme celui de Tintin, de 7 à 77 ans. Il y a de plus en plus de jeunes qui viennent me découvrir. Sinon dans mon public, il y a des vieux parce que ça leur rappelle les traditions, des jeunes parce que ça change un peu de la musique qu'ils entendent.
A travers mes chansons, je leur dis voila vous avez une identité et vous en faites ce que vous voulez et je sais que ça leur fait beaucoup de bien.
Vos projets ?
Je n'arrête pas de travailler mais pour sortir un travail au grand jour il faut vraiment que ça me plaise.
Je prends le temps de la réflexion et je doute beaucoup de ce que je fais à chaque fois que je sors une chanson, il faut vraiment que ça corresponde à ma manière de voir. Et si je pouvais faire en sorte que mes chansons ne se vendent pas je l'aurais fait. Malheureusement, c'est mon métier.
C'est pour vous dire qu'une chanson n'est pas faite à but commercial mais pour être écoutée. J'ai toujours ces notions dans ma tête et j'arrive pas à m'en séparer c'est ce qui fait que je mets beaucoup de temps à sortir mes albums et la solution la plus facile c'est de raconter sa propre histoire.
Le matin
Des jeunes, beaucoup de jeunes étaient présents à la soirée animée par le chanteur kabyle Idir, organisée par l'institut français de Casablanca. Une belle soirée au clair de lune, largement applaudie. Dans l'interview qu'il nous a accordée, Idir nous parle de la culture dans un monde tiraillé par les guerres et les luttes pour le pouvoir. Interview d'un artiste exceptionnel.
Vous vous appelez Hamid, pourquoi avez-vous choisi Idir pour pseudonyme ?
Dans ma vie rien de ce qui m'arrive n'a été choisi ou décidé à l'avance. Le hasard a voulu que le lycée où j'étais en Alger soit en face d'une radio. En Kabylie il n'y avait pas de lycées.
Un jour les gens de la radio qui étaient à deux pas du lycée m'ont proposé de venir jouer. Je n'étais alors qu'un lycéen qui préparait son baccalauréat et qui en plus faisait des études scientifiques. Je chantais pour les gens que je connaissais et ça me faisait plaisir Une fois, j'avais préparé une chanson intitulée " Nouara " pour une fille qui travaillait à la radio.
Le producteur de l'émission est venu m'attendre au lycée, il était affolé et m'a annoncé que Ingrid est tombé malade et qu'elle ne pouvait pas venir. Il m'a a alors demandé de la remplacer. J'aurais voulu lui dire que je n'étais pas chanteur mais il était trop tard, il l'avait déjà annoncé.
Et c'est ce jour que je me suis inventé ce pseudonyme Idir parce qu'il ne fallait pas que ma famille le sache.
Pourquoi ?
Pour ma mère, je suis née pour être médecin ou pharmacien. Alors une carrière de chanteur, vous n'y pensez même pas. Avec mon pseudonyme, j'ai commencé à chanter et ça m'a plu. Pendant un an, ma mère me parlait de Idir sans savoir que c'était moi. Elle savait que cet Idir était avec moi au lycée, elle aimait beaucoup ses chansons et m'avait même proposé de l'inviter un soir à la maison. Elle ne savait pas qu'Idir mangeait chez elle tous les jours.
Quelle a été sa réaction lorsqu'elle a su qu'Idir est son fils Hamid ?
Quand elle l'a su elle a commencé à pleurer parce qu'elle pouvait s'attendre à tout sauf à ça. C'est la réaction d'une mère qui veut à tout prix que son fils soit médecin et non pas chanteur ou guitariste pour " amuser les gens ".
Après elle a compris et elle m'a beaucoup encouragé, surtout lorsqu'elle a eu la certitude que je ne faisais pas ça pour chanter dans des cabarets.
Vos chansons sont le reflet d'une identité. N'est ce pas ?
Au début c'était ça, c'est vrai que lorsque tu es kabyle en Algérie, tu es fier d'appartenir à un pays qui est sorti de sa colonisation et qui a réussi sa révolution. Le colonialisme français.
Ce pouvoir qui prônait la liberté des peuples me brimait moi dans ma langue maternelle si bien que je me surprenais à expliquer à ma mère par exemple le journal télévisé en arabe par exemple parce qu'elle ne parle pas un seul mot d'arabe et moi si je n'étais pas sorti de mon village jamais je n'aurais parlé arabe.
Il y avait un sentiment de révolte et j'ai eu un besoin de l'exprimer. Donc au départ fatalement, je le faisais à travers la chanson mais si je ne l'avais pas fait de cette manière je l'aurais fait autrement, l'associatif ou autre.
Et j'ai pu tout sortir de mon corps. Cette révolte qui m'animait et qui disait que c'était injuste qu'une langue soit ignorée et que toute une partie d'un peuple soit mise comme ça au ban de la société. Ce n'était pas normal.
Les premières chansons c'était des chansons d'identification mais par la suite ça change parce que tu évolues, tu grandies, tu sors de chez toi et même si au début tu pensais que la culture du monde se limitait à ton village, tu rencontres des gens différents et tu t'enrichis à travers les différences.
Par la suite, c'est devenu une chanson plus globale qui aborde le racisme, l'exclusion, l'identité aussi.
Quand on dit de moi que je suis un chanteur engagé qui défend son identité, je dis simplement que je fais mon métier, comme n'importe qui qui travaille pour nourrir sa famille.
Je pense qu'être engagé c'est avoir une position politique. Malheureusement, je n'ai jamais été un bon général de brigade. Mon travail s'est toujours basé sur l'émotion qu'on est censé échanger. C'est comme que ça fonctionne. Pour moi c'est ça l'engagement.
Avec du recul, vous êtes satisfait de votre engagement et de votre parcours ?
Je suis content d'avoir accompli certaines choses. Mais je ne peux pas être satisfait face à certaines situations qui font vraiment mal. A travers les larmes d'un gamin que je vois à Casablanca ou à Tizi Ouzou, c'est mon cœur qui pleure.
Est-ce que vous sentez que vous avez atteints vos objectifs ?
Oui, mais ça serait prétentieux de vous dire que je suis arrivé à changer des choses. J'ai contribué à ma manière à ce que les choses aillent mieux. C'est vrai qu'il y a à peine vingt ans, il n'était même pas question d'aborder la chose sur le Tamazight alors qu'aujourd'hui, c'est banalisé. Tout le monde en parle et c'est ce qui m'intéresse le plus. Et si je me bats pour mon identité c'est qu'elle est opprimée. Je suis content qu'il y ait eu énormément de choses qui ont été accomplies.
Je parle de la beauté de notre culture en général que l'on soit à Rabat ou à Alger, je parle aussi que notre imaginaire, de notre conscience collective. Au fait, c'est le tempérament méditerranéen qui me plait. Ce tempérament berbère depuis la nuit des temps et qui a reçu autant de brassages. C'est une aventure fabuleuse qu'on vit dans notre région, ça m'intéresse énormément et j'essaye d'en parler.
Votre tube " a vava inouva " a fait le tour du monde et a été traduit en sept langues. Comment est née cette chanson ?
Franchement, je ne sais pas. Je crois que c'est en quelque sorte grâce au fait que j'ai eu la chance d'avoir une grand-mère qui a fait de la poésie et je me souviens de nos veillées d'hiver.
A l'époque, on n'avait pas d'électricité en Kabylie, il y avait une petite lampe en pétrole, on étaient tous autour d'elle et ma grand-mère nous racontait des légendes et je crois que c'est ce que j'ai essayé de décrire en disant que ces moments ont existé sans toutefois les imposer mais seulement dire que les gens étaient solidaires.
C'est toute l'histoire.
Est-ce que vous vous attendiez à un tel succès ?
Pas du tout. Vous savez, à chaque fois que je fais une nouvelle chanson et qu'elle réussit, je suis le premier étonné.
Dans tous les cas, moi je suis content parce qu'au moins, ça me prouve que je suis un petit peu utile quelque part.
Parlez-nous de l'association " l'Algérie la vie " ?
Malheureusement, elle n'existe plus. Nous l'avions crée en 1984, le but était de sensibiliser les artistes français à ce qui se passait en Algérie ce qui était le summum de l'horreur. On avait décidé de faire un spectacle au Zénith et donc, j'avais appelé Khaled, Mami… et on a pu lancer un appel qui a intéressé énormément de gens. Ca a été assez difficile de s'occuper de l'association par la suite. Vous vous rendez compte que c'est une réelle responsabilité. D'autant plus que d'une part, les choses se calmaient petit à petit en Algérie et que d'autre part, à chaque fois que je tentais de faire quelque chose pour mon pays, c'était souvent difficile, même pour envoyer des médicaments ou d'autres aides.
Comment voyez vous la culture, et comment pouvez vous la définir au sein d'un monde tiraillé par les guerres ?
Dans un monde quel qu'il soit de toutes les façons, plus il y a de la culture et moins il y a de guerres. On peut citer un constat sociologique qui est celui de la Grèce antique au temps de Pythagore et de Platon par exemple, il y avait le moins de guerres possibles. A partir du moment où la culture commence à disparaître elle laisse la place à l'anarchie. Ce n'est que par la culture qu'on peut combattre la haine et l'intolérance.
La culture joue un rôle prépondérant surtout dans les pays en voie de développement.
A qui s'adressent vos chansons ?
Je peux dire que je suis un homme chanceux parce que j'ai un public comme celui de Tintin, de 7 à 77 ans. Il y a de plus en plus de jeunes qui viennent me découvrir. Sinon dans mon public, il y a des vieux parce que ça leur rappelle les traditions, des jeunes parce que ça change un peu de la musique qu'ils entendent.
A travers mes chansons, je leur dis voila vous avez une identité et vous en faites ce que vous voulez et je sais que ça leur fait beaucoup de bien.
Vos projets ?
Je n'arrête pas de travailler mais pour sortir un travail au grand jour il faut vraiment que ça me plaise.
Je prends le temps de la réflexion et je doute beaucoup de ce que je fais à chaque fois que je sors une chanson, il faut vraiment que ça corresponde à ma manière de voir. Et si je pouvais faire en sorte que mes chansons ne se vendent pas je l'aurais fait. Malheureusement, c'est mon métier.
C'est pour vous dire qu'une chanson n'est pas faite à but commercial mais pour être écoutée. J'ai toujours ces notions dans ma tête et j'arrive pas à m'en séparer c'est ce qui fait que je mets beaucoup de temps à sortir mes albums et la solution la plus facile c'est de raconter sa propre histoire.
Le matin