ETHNIE ET DISSONANCE POLITIQUE (5/5/2000)
La menace
La démocratie a cette caractéristique de tolérer tout, et plus encore ce qui pourrait menacer son existence intrinsèque. N'est-il pas, en effet, admis que la diversité des repères identitaires et le droit à la différence soient les fondements même des systèmes politiques d'essence démocratique ? Il est, par conséquent, un fait anodin de voir la pratique politique de la démocratie constituer une levure à des mouvements dont l'objectif est de détruire l'ordre existant, en puisant de sa propre logique leurs matériaux déstructurants. Cela s'est vu en l'Allemagne (ex-RFA) durant les années trente du 20è siècle. Cette hypothèse a servi de fondement générique à la montée du fascisme. Le principe de la différence a surtout donné lieu à la réapparition de l'intolérance qui dérange aujourd'hui la quiétude des démocraties occidentales les plus aguerries. Le Maroc, pays hautement pluriel dans sa culture et diversifié de par son substrat ethnique, semble aujourd'hui se poser la question, lancinante à maints égards, de ce qui constitue la force de son unité nationale. Les prémices de cette interrogation quasi khaldounienne se transfigurent dans le débat, certes timide et balbutiant, de la place et du rôle de l'amazigh en tant que fondement culturel d'une ethnie qui, en elle-même, se confond en fait avec la nation, sachant qu'aucun citoyen de ce pays ne peut jurer de sa vraie souche (pur Berbère ou pur Arabe), tant l'interpénétration des composantes de l'une et l'autre identités a finalement entraîné un brassage qui, fort heureusement, assure la pérennité de l'instinct d'appartenance unissant le peuple marocain.
Ce questionnement, cela est de notoriété, est le fait d'une minorité d'illuminés qui, parce que se sentant mal à l'aise dans leur double statut de Berbère de naissance et d'Arabe de quintessence, se refusent à cette dernière accointance. Ces illuminés poussent l'antagonisme à l'extrême limite qui voit dans l'Arabe une incursion intruse. Il est bien évident que, tant que la revendication se faisait sur le terrain de la spécificité culturelle et de l'émancipation linguistique, la question de l'identité marocaine ne peut rien craindre pour sa pérennité. Or, à force de s'inventer des repères kafkaïens, cette minorité d'illuminés, tirant profit de l'entre deux vagues idéologiques par laquelle passe le Maroc actuellement, croit opportun de faire du terreau de la différence culturelle un foyer organique qui justifierait une action politique concertée et organisée, en antagonisme direct et matériel avec ce qui a toujours constitué le socle institutionnel national : la richesse linguistique et culturelle du Marocain. Cette prétention, injustifiée et indéfendable par ailleurs, est intellectuellement coupable quand on sait que l'étendard de la reconnaissance à la langue et à la culture berbères (dans leur diversité) du droit à l'existence et à l'enrichissement est venue, durant les années soixante/soixante-dix, de courants d'idées d'appartenance arabe déclarée.
Posons donc la question, éprouvante et irritante à la fois, qui anime actuellement quelques illuminés berbères : a-t-on le droit de prétendre créer un parti politique sur une base linguistique et culturelle ?
La manière crue dont est libellée cette interrogation est volontaire. Il s'agit-là d'une prétention qui, en plus du fait qu'elle est en conflit direct avec la loi marocaine, remet en cause un élément central de la cohésion sociale au Maroc : l'identité nationale.
Au plan de la loi d'abord, il est tout simplement fait abstraction d'un principe général inaliénable qui gère la constitution des associations dans ce pays. Le régime juridique applicable aux associations, de quelque nature qu'elles soient, interdit expressément toute vie associative fondée sur l'exclusion, la discrimination et, surtout, sur tout élément pouvant constituer une atteinte à l'unité nationale et à l'ordre public. De ce point de vue déjà, il est clair que l'initiative de vouloir créer un parti sur une base ethnique tombe de manière criante sous le coup de la loi et, de ce fait, ne peut être qu'une vaine et criminelle (au sens juridique du terme) tentative.
Au plan sociologique et du bon sens, la folle ambition de sceller l'action politique sur ce qui distingue les composantes du peuple les unes par rapport aux autres amène inéluctablement à la conclusion fatidique suivante : alimenter la lutte frontale recherchée entre des populations pourtant unies par la culture composite, la foi, la coutume, le mode de vie et, bien entendu, l'identité.
Certes, on peut accepter que la différence des repères culturels lointains puissent donner un air d'originalité furtive. Mais ce sentiment doit être constamment mis à l'épreuve de l'analyse consciente et conséquente de ces repères, de la lecture profonde et éveillée du socle familial transcendant la filiation immédiate et, en définitive, de l'appréhension généreuse de ce qui fonde le corps et l'unité de la nation. Etre marocain suppose une parenté directe au territoire, à la culture et à l'ordre juridique dominant. C'est dans ce cadre, et uniquement dans ce cadre, que l'action politique doit être menée, sachant, au préalable, que la compétition ne peut toucher qu'à la qualité de la vie et à la gestion communautaire, et en aucun cas être fondée sur la prééminence ou l'hégémonie d'une composante de la nation sur une autre. Il faut avoir constamment présentes à l'esprit les leçons de l'histoire tout autant immédiate et environnante que lointaine. Tout peuple qui s'est fourvoyé dans la désagrégation des fondements de la nation (la solidarité, la complémentarité et la communauté de destin) a connu la dislocation, avant la déchéance puis l'extinction.
Revendiquer la mise en valeur de la langue et de la culture berbères est un droit inaliénable et un devoir pour l'Etat. En cela, l'identité nationale ne peut qu'être confortée dans la diversité et la richesse de son patrimoine civilisationnel. Prétendre prendre comme repère militant la revendication de la division politique de la nation sur une base ethnique est un acte de dissidence que la loi, l'entendement et la cohésion sociale marocaine ne peuvent accepter, et encore moins encourager.
Najib Bensbia
albayane
La menace
La démocratie a cette caractéristique de tolérer tout, et plus encore ce qui pourrait menacer son existence intrinsèque. N'est-il pas, en effet, admis que la diversité des repères identitaires et le droit à la différence soient les fondements même des systèmes politiques d'essence démocratique ? Il est, par conséquent, un fait anodin de voir la pratique politique de la démocratie constituer une levure à des mouvements dont l'objectif est de détruire l'ordre existant, en puisant de sa propre logique leurs matériaux déstructurants. Cela s'est vu en l'Allemagne (ex-RFA) durant les années trente du 20è siècle. Cette hypothèse a servi de fondement générique à la montée du fascisme. Le principe de la différence a surtout donné lieu à la réapparition de l'intolérance qui dérange aujourd'hui la quiétude des démocraties occidentales les plus aguerries. Le Maroc, pays hautement pluriel dans sa culture et diversifié de par son substrat ethnique, semble aujourd'hui se poser la question, lancinante à maints égards, de ce qui constitue la force de son unité nationale. Les prémices de cette interrogation quasi khaldounienne se transfigurent dans le débat, certes timide et balbutiant, de la place et du rôle de l'amazigh en tant que fondement culturel d'une ethnie qui, en elle-même, se confond en fait avec la nation, sachant qu'aucun citoyen de ce pays ne peut jurer de sa vraie souche (pur Berbère ou pur Arabe), tant l'interpénétration des composantes de l'une et l'autre identités a finalement entraîné un brassage qui, fort heureusement, assure la pérennité de l'instinct d'appartenance unissant le peuple marocain.
Ce questionnement, cela est de notoriété, est le fait d'une minorité d'illuminés qui, parce que se sentant mal à l'aise dans leur double statut de Berbère de naissance et d'Arabe de quintessence, se refusent à cette dernière accointance. Ces illuminés poussent l'antagonisme à l'extrême limite qui voit dans l'Arabe une incursion intruse. Il est bien évident que, tant que la revendication se faisait sur le terrain de la spécificité culturelle et de l'émancipation linguistique, la question de l'identité marocaine ne peut rien craindre pour sa pérennité. Or, à force de s'inventer des repères kafkaïens, cette minorité d'illuminés, tirant profit de l'entre deux vagues idéologiques par laquelle passe le Maroc actuellement, croit opportun de faire du terreau de la différence culturelle un foyer organique qui justifierait une action politique concertée et organisée, en antagonisme direct et matériel avec ce qui a toujours constitué le socle institutionnel national : la richesse linguistique et culturelle du Marocain. Cette prétention, injustifiée et indéfendable par ailleurs, est intellectuellement coupable quand on sait que l'étendard de la reconnaissance à la langue et à la culture berbères (dans leur diversité) du droit à l'existence et à l'enrichissement est venue, durant les années soixante/soixante-dix, de courants d'idées d'appartenance arabe déclarée.
Posons donc la question, éprouvante et irritante à la fois, qui anime actuellement quelques illuminés berbères : a-t-on le droit de prétendre créer un parti politique sur une base linguistique et culturelle ?
La manière crue dont est libellée cette interrogation est volontaire. Il s'agit-là d'une prétention qui, en plus du fait qu'elle est en conflit direct avec la loi marocaine, remet en cause un élément central de la cohésion sociale au Maroc : l'identité nationale.
Au plan de la loi d'abord, il est tout simplement fait abstraction d'un principe général inaliénable qui gère la constitution des associations dans ce pays. Le régime juridique applicable aux associations, de quelque nature qu'elles soient, interdit expressément toute vie associative fondée sur l'exclusion, la discrimination et, surtout, sur tout élément pouvant constituer une atteinte à l'unité nationale et à l'ordre public. De ce point de vue déjà, il est clair que l'initiative de vouloir créer un parti sur une base ethnique tombe de manière criante sous le coup de la loi et, de ce fait, ne peut être qu'une vaine et criminelle (au sens juridique du terme) tentative.
Au plan sociologique et du bon sens, la folle ambition de sceller l'action politique sur ce qui distingue les composantes du peuple les unes par rapport aux autres amène inéluctablement à la conclusion fatidique suivante : alimenter la lutte frontale recherchée entre des populations pourtant unies par la culture composite, la foi, la coutume, le mode de vie et, bien entendu, l'identité.
Certes, on peut accepter que la différence des repères culturels lointains puissent donner un air d'originalité furtive. Mais ce sentiment doit être constamment mis à l'épreuve de l'analyse consciente et conséquente de ces repères, de la lecture profonde et éveillée du socle familial transcendant la filiation immédiate et, en définitive, de l'appréhension généreuse de ce qui fonde le corps et l'unité de la nation. Etre marocain suppose une parenté directe au territoire, à la culture et à l'ordre juridique dominant. C'est dans ce cadre, et uniquement dans ce cadre, que l'action politique doit être menée, sachant, au préalable, que la compétition ne peut toucher qu'à la qualité de la vie et à la gestion communautaire, et en aucun cas être fondée sur la prééminence ou l'hégémonie d'une composante de la nation sur une autre. Il faut avoir constamment présentes à l'esprit les leçons de l'histoire tout autant immédiate et environnante que lointaine. Tout peuple qui s'est fourvoyé dans la désagrégation des fondements de la nation (la solidarité, la complémentarité et la communauté de destin) a connu la dislocation, avant la déchéance puis l'extinction.
Revendiquer la mise en valeur de la langue et de la culture berbères est un droit inaliénable et un devoir pour l'Etat. En cela, l'identité nationale ne peut qu'être confortée dans la diversité et la richesse de son patrimoine civilisationnel. Prétendre prendre comme repère militant la revendication de la division politique de la nation sur une base ethnique est un acte de dissidence que la loi, l'entendement et la cohésion sociale marocaine ne peuvent accepter, et encore moins encourager.
Najib Bensbia
albayane