Familles et traditions: l’organisation sociale des Imazighen

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Familles et traditions: l’organisation sociale des Imazighen

La famille étendue est la cellule de base de la société Amazigh traditionnelle : elle réunit dans la même maison plusieurs générations et plusieurs ménages. Les fils mariés et parfois les petits-fils mariés continuent à vivre sous le même toit.

Quand l’espace manque, on ajoute de nouvelles pièces à la maison. Parfois, sur décision de l’aïeul, les enfants aînés reçoivent leur part de l’héritage et fondent à leur tour un foyer. Mais même séparés, les foyers sont proches : en effet, les maisons sont groupées autour d’une cour commune et souvent continuent à vivre sous l’autorité de l’ancêtre commun, ou de son successeur, l’aîné mâle du groupe.
La famille traditionnelle

Un ensemble de familles ayant un ancêtre éponyme commun forme une fraction (K. harfiqt adrum ou taxarubt, Cha. âachira , M. tawsit, T., etc). Chaque fraction porte le nom réel ou fictif de son ancêtre fondateur. Elle possède son quartier distinct, ses terres et même son cimetière ou une portion du cimetière si celui-ci est commun à plusieurs fractions. Un ensemble de fractions forme un village (taddart, asun, tigemmi, etc).

Un ensemble de villages ayant une lointaine origine commune forme une tribu, âarc. Un ensemble de tribus peut s’unir en confédération, mais ces regroupements, épisodiques, ne naissent qu’en période de guerre ; aussitôt la crise surmontée, ils se défont d’eux-mêmes. Tribus, villages, fractions et parfois familles très proches s’organisent en soffs ou lignes opposées qui divisent le monde en alliés et en adversaire, en amis et en ennemis.

Le système a provoqué dans le passé des hostilités et parfois des guerres civiles : ainsi, au Mzab, la lutte des soffs a abouti à l’exclusion d’une partie de la population qui a été contrainte de fonder deux nouvelles villes : Berriane et Guerrara. Mais la lutte entre les soffs atteint rarement ces extrémités. On se contente, généralement, de se battre pour la charge de chef.

L’organisation politique

Les Amazighophones, comme les arabophones, sont aujourd’hui soumis aux législations des Etats maghrébins. Mais, autrefois, ils avaient leur propre système politique et leurs lois. Leur droit -droit coutumier, par opposition au droit musulman ou européen- n’a pas disparu pour autant.

De nombreux villages continuent à régler les conflits en appliquant les peines prévues par la tradition, mais les qanouns -recueils de lois – se réduisent le plus souvent à des listes de peines sanctionnant des délits mineurs, les délits graves passibles d’emprisonnement étant le fait des tribunaux d’Etat. Deux systèmes politiques se partageaient le monde Amazigh : Un système démocratique qui prévalait principalement dans les régions du Nord, un système aristocratique en usage chez les Touaregs.

Le système démocratique

Il repose sur une assemblée élue appelée communément djemâa (B. tajmaât, de l’arabe djemâa «assemblée». Autres dénominations : inflas, ayt rabâin….
Chaque tribu possède son assemblée, mais le pouvoir réel appartient aux assemblées de fractions qui détiennent les pouvoirs législatif et juridique. L’assemblée élue comprend des membres et un chef appelé amghar «chef, sage», ou amuqran «grand». C’est lui qui convoque les assemblées, préside les réunions et arbitre les conflits. Pour permettre à chacun de participer à la gestion de la cité, on exige de tous les adultes mâles leur présence aux assemblées. En kabylie, par exemple, il était d’usage de frapper d’amende les absents.

Chez les Mozabites, le seul groupe amazigh urbanisé, l’assemblée de fraction est également l’unité politique de base. Elle possède son siège (hajba) et un représentant élu, le moqqadem, qui exécute les décisions prise démocratiquement. L’ensmble des fractions élit une assemblée élargie qui élit à son tour un chef (hakem ou qaïd) et une adjoint pour permettre à toutes les parties de s’exprimer. Le hakem et l’adjoint appartiennent à des soffs ou lignes politiques opposées. Autrefois, l’assemblée gérait toutes les affaires de la cité, elle entretenait une police et une garde, chargées de veiller aux portes et aux tours de défense.

Les assemblées jugeaient d’après les qanouns ou recueils de peines sanctionnant des délis commis à l’encontre des individus ou de la communauté. Les Amazighs ignorant l’emprisonnement, les peines consistaient en des amendes, en indemnisation ou en bannissement. Le droit Amazigh a certainement subi l’influence du droit musulman, mais il s’en écarte sur de nombreux points. Ainsi, la peine prévue pour le vol n’est pas la section de la main, mais une amende. Il faut signaler, cependant, que les qanouns sont parfois débordés par les individus qui préfèrent se faire eux-mêmes justice : en cas de meurtre et de déshonneur, le code, imprescriptible, de l’honneur ne connaît d’autre loi que celle du talion.

Le système aristocratisque

En usage chez les Touaregs, ce système repose sur une société fortement hiérarchisée, composée essentiellement de suzerains et de tributaires.
Les suzerains (ihaggaren) forment la classe des nobles et des guerriers alors que les tributaires (imghad) sont des serfs qui paient une redevance annuelle aux premiers. Contrairement aux nobles, éleveurs de chameaux, les tributaires élèvent des chèvres, ce qui leur vaut la dénomination de kel ulli «les gens des chèvres». A côté de ces deux classes principales coexistent d’autres groupes sociaux: les religieux (ineslimen), les artisans (inaden), les cultivateurs originaires du Touat et du Tidikelt (T. izaggaghen, arabe harratin), appelés à la fin du XIXe siècle par les Touaregs pour cultiver les terres du Hoggar. La classe la plus basse est celle des esclaves (aklan).

La société touarègue est divisée en ettebel : ce mot (d’origine arabe) désigne à la fois l’insigne du commandement, le tambour et la confédération politique. Chaque ettebel est divisé en fraction (tawsit, pl. tiwsâtin), goupe de parents ayant un ancêtre féminin commun. Le chef politique de la confédération est l’amenukal. Il règne sur les tribus suzeraines et vassales de la confédération, mais il est toujours choisi parmi les nobles ihaggaren et il est nommé par une assemblée de chefs, suzerains et vassaux. L’amenokal applique les lois et arbitre les conflits entre les tribus. Il ramasse aussi les impôts annueles (tiwsi) que les chefs prélèvent sur leurs tributaires. Mais ce n’est pas un dictateur, car il est contrôlé par une assemblée de notables qui peut le destituer.

Les structures parentales

La famille Amazighe traditionnelle est une famille élargie : elle regroupe autour des aïeuls les enfants et leurs épouses, et parfois même, comme c’est le cas chez les nomades, des proches parents comme les oncles, les cousins, etc. Deux systèmes de parenté se divisent le monde Amazigh : le système du Nord, à prédominance patrilinéaire, et le système du Sud, ou pluôt touareg, à prédominance matrilinéaire.

Le système du Nord

Les structures de parenté des régions du Nord sont patrilinéaires. Cela signifie que la filiation s’établit par les hommes. Les individus sont regroupés autour d’un patriarche ou doyen qui régit leur vie économique et sociale. Même si, dans la société moderne, le rôle du patriarche a considérablement diminué il reste encore important dans des nombreuses familles : aucun mariage ne se conclut sans son consentement, c’est lui qui gère le budget de la famille, enfin il partage l’héritage entre ses fils, n’hésitant pas à déshériter ceux qui refusent de reconnaître son autorité. Dans un tel système, les femmes ne jouissent pas de grande liberté, mais les attitudes diffèrent d’une région à une autre : alors que les femmes mozabites vivent en recluses dans leurs maison-forteresse, les femmes Chaouias ou kabyles sortent librement et participent aux travaux des champs. Mais, d’une façon générale, la femme doit obéissance à l’homme et, contre la loi coranique, est contrainte à renoncer à sa part d’héritage.

La terminologie

Une partie des termes de la parenté ont un sens dénotatif : ils renvoient à une catégorie de parents définis par le lien de parenté (consanguinité ou alliance), la génération, le sexe:
K. mmi-s n mmi «fils de mon fils» (petit-fils);
argaz «époux», tamettut «épouse»;
argaz n xalti «époux de la tante maternelle». Mais un grand nombre de termes a un sens classificatoire. Ils renvoient à plusieurs personnes à la fois, neutralisant soit la dimension de la génération, soit celle du lien généalogique.
Les termes sont utilisés pour exprimer les concepts fondamentaux de la parenté : la paternité, la maternité, la fratrie et l’alliance. K : baba «père» désigne aussi tous les parents agnatiques en ligne directe. Xali «oncle maternel» et, surtout, le pluriel lexical lexwal désignent l’ensemble des utérins, y compris les parents de génération inférieure à celle de ego.

Dans la plupart des parles du Nord, les noms du grand-père (jeddi, fem. jida) de l’oncle maternel (xali, fem. Xalti) et de l’oncle paternel (âmmi, fem. âmti) sont empruntés à l’arabe. Selon une thèse désormais classique, l’emprunt arabe comble les lacunes du système Amazigh qui ne dispose pas de termes propres pour désigner ces catégories patentales, importantes dans les sociétés patrilinéaires.

Dans une telle organisation, c’est la parenté agnatique (la sphère des âmum «oncles et cousins paternels») qui est privilégiée. Mais le frère de la mère (xali) joue un rôle important dans les régions du Nord. C’est selon l’expression consacrée, une sorte de «mère masculine» qui aime et protège sa sœur et ses enfants. En kabylie, l’usage veut qu’il leur rende visite aux fêtes et les comble de cadeaux; au Moyen-Atlas marocain, le huitième jour de la naissance du fils de sa sœur, il fait égorger un mouton et trempe dans le sang la main gauche et le pied droit de l’enfant. Mais ces attitudes ne donnent au neveu utérin aucune prétention sur les biens de son oncle. Il ne s’agit ni plus ni moins que de devoirs que l‘Amazigh remplit envers sa sœur et ses enfants.

Le système du Sud

Chez les Touaregs, l’organisation familiale est différente. Déjà, les écrivains arabes du Moyen-Âge avaient remarqué que l’héritage et la succession se faisaient selon la voie matrilinéaire. «Chez eux, écrit Ibn Saïd, au XIIIe siècle, c’est le fils de la sœur qui hérite suivant une coutume datant d’avant l’islam».
Les auteurs européens, voyageurs et chercheurs, qui ont été également frappés par cette caractéristique, ont écrit de nombreux ouvrages sur le système social des Touaregs qu’ils opposent irréductiblement à celui du Nord. Qu’en est-il exactement ?

L’organisation la plus vaste à laquelle les Touaregs ont le sentiment d’appartenir est ettebel, littéralement «tambour», symbole de pouvoir : chaque ettebel comprend plusieurs tiwsâtin (sing. tawsit), groupe de parents issus, chacun, d’un même ancêtre féminin. Chaque tawsit se ramifie en plusieurs segments matrilinéaires, mais tous se reconnaissent d’une même mère dont la généalogie peut-être reconstituée. Dans ce système, deux types de parentés sont distinguées :
Les parents du côté maternel, eddunet win tesa (littéralement «les gens du ventre») qui regroupent les frères, les cousins parallèles matrilatéraux (fils et filles issus des parents du côté de la mère), les neveux utérins, c’est-à-dire les enfants descendant des parentes appelées «sœur» (sœur, fille de la tante paternelle, fille de la tante maternelle, etc.). Les parents du côté paternel eddunet win arûri (littéralement, «les gens du dos») qui regroupent le père, ses fils, ses filles non mariées, les épouses des frères, en gros tous les cousins consanguins partageant le même campement (amezzagh).

La filiation s’établit par la mère, mais chez les suzerains, quand le mariage s’effectue avec des tributaires, l’enfant est intégré dans la tawsit de son père. Dans ce système, le frère de la mère (anat ma) joue un rôle très important : il lègue au fils de sa sœur ses biens et son droit de chefferie.

C’est là la caractéristique principale des groupes matrilinéaires. Il faut noter cependant que, depuis quelques décennies, la société touarègue évolue vers la patrilinéaire. On enregistre même, depuis la fin des années cinquante, des cas de polygamie. Ces transformations sont dues à l’écroulement des structures économiques et politiques traditionnelles, support du système matrilinéaire.

Par Mohand AKLI

Source: lematin.ma
 
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