Histoire d'une grande reine Amazighe

achelhey

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Histoire d'une grande reine Amazighe
La Reine Dihya, dite Kahina ( ?- 704)


La Kahina, de son vrai nom Dihya ou Dahya, symbolise l'âme de la résistance amazighe face aux musulmans. Reine des Aurès, et probablement de religion chrétienne, elle montre un courage remarquable contre l'invasion musulmane, d'autant qu'elle est déjà âgée lors de la lutte. Elle parvient à rassembler les tribus imazighen. Lorsque qu'Hassan Ibn en Nu'man attaque le pays en 697 son armée est écrasée, et les musulmans chassés. Après s'être débarrassé des Byzantins, qui occupent encore une partie de la région, Hassan Ibn en Nu'man livre une guerre systématique aux Imazighen, dévastant le Nord du pays.
En 701, ayant obtenu des renforts du Calife Ibn Marwan, Hassan Ibn en Nu'man reprend tous les territoires perdus. Il finit par vaincre les Imazighen, lors de la dure bataille de Tabarqa, et capture Dihya, qu'il fait décapiter. Cependant, Hassan Ibn en Nu'man n'est pas cruel. Non seulement, il ne fait pas de prisonniers, mais il donne le commandement de ses armées aux deux fils de Dihya, qui se convertissent à l'Islam. Il ne commet pas d'exactions, et fait preuve de bienveillance à l'égard du peuple.
Jamais sans doute un personnage historique n'a fait l'objet de tant d'interprétations. La reine Dihya est en effet plus qu'une reine au comportement exemplaire et héroïque. Elle est un symbole de résistance, et habite l'imaginaire des Imazighen.

Son nom n'est même pas bien établi : elle s'appelait peut-être Dahya, Damya ou Kahia.

Bien des interprétations la concernant ne sont pas sans arrière-pensées idéologiques. Pour les occidentaux, il s'agit d'une reine mythique, comme s'il fallait minimiser son combat. On la dit chrétienne dans le même but, comme si elle présageait de la domination coloniale, alors qu'elle fut au contraire l'exemple du refus de la soumission. Les historiens arabes la surnommèrent Kahina, ce qui veut dire la prophétesse mais aussi péjorativement la devineresse, la sorcière. Ils la déclarèrent de religion juive pour montrer qu'elle était une ennemie de la foi musulmane, ce qu'elle fut effectivement, mais certainement pas en termes religieux. Quant au juifs, ils l'admirèrent, faisant un parallèle avec Déborah, la princesse mythique qui réveille le peuple(1). Les Imazighen eux-mêmes ont sans doute exagéré le personnage, puisqu'on lui prête parfois l'âge, de toute évidence très exagéré, de 127 ans à sa mort !

Dans cette page nous avons voulu avant tout faire la part de la réalité historique si difficile soit-elle à connaître. Dihya est effectivement un exemple de courage hors du commun. Chef politique hors pair, c'était aussi une femme qui su protéger ses enfants.

On ne sait presque rien de son origine. Nous ignorons sa date de naissance. On ne sait pas précisément sa religion. Peut-être fut-elle chrétienne ou juive, mais elle a pu être également animiste(2). Ce qui est certain, c'est qu'elle originaire de la tribu Djawara ou Jeroua donc une tribu Zénata, dont le mode de vie était pastoral et semi-nomade. On ignore comme elle parvint à la royauté. Il semble que son pouvoir lui fut donné par un conseil de tribus, mais il très abusif d'évoquer un sénat amazigh, qui sans doute n'exista pas. Ce conseil reconnut sans doute son intelligence remarquable et la mit à la tête d'une confédération, regroupement de tribus qui était courant face à un péril grave. La légende dit aussi qu'elle était d'une beauté éblouissante. Il est fort probable qu'elle succéda à Kouceila dans la lutte contre les musulmans, et c'est à un âge avancé qu'elle est amenée à lutter contre ces derniers.

A cette époque, une guerre oppose les musulmans, dirigés par Hassan d'Ibn en Nu'man, les chrétiens byzantins, qui tentent de préserver leurs possessions dans cette région, et les Imazighen, habitants des lieux. Ces derniers sont d'abord divisés sur la conduite à tenir. La Reine Dihya parvient à les rassembler, par son pouvoir de conviction et sa grande intelligence pour lutter contre l'invasion musulmane. Le résultat ne se fait pas attendre, puisqu'en 697, sous son commandement, ils écrasent l'armée d'Ibn en Nu'man. Celui-ci doit livrer bataille près de l'Oued Nini, à 16 km d'Aïn al Bayda. Les troupes imazighen font tant de victimes que les Arabes appelèrent le lieu "Nahr Al Bala", ce qui se traduit par "la rivière des souffrances". On dit que la rivière était rouge du sang des combattants arabes. Après cette victoire les Imazighen poursuivent les musulmans, et leur imposent une seconde défaite. Le calife Malik rappelle ses troupes en Tripolitaine (l'actuel nord de la Libye).

Les musulmans décident alors de concentrer leur effort de guerre contre les chrétiens byzantins. En 695, les Byzantins reprennent Carthage aux musulmans. Ils y restent seulement trois ans, avant d'en être définitivement chassés en 698. La même année, Ibn en Nu'man fonde Tunis. En fait, les Byzantins sont obligés de lâcher prise, préoccupés par des tensions au nord de leur empire. La montée en puissance des royaumes chrétiens européens constituent en effet une menace pour eux encore plus grave que l'invasion musulmane.

Le royaume de Dihya reste alors le seul obstacle contre la progression des musulmans à l'ouest et Hassan Ibn en Nu'man reprend l'offensive contre les Imazighen. Conscient de la forte résistance qu'il va rencontrer, il entreprend une conquête systématique du pays. Possédant Carthage et la nouvelle ville de Tunis, il dispose enfin de solides bases arrières. Dihya se trouve alors forcée d'appliquer une politique de terres brûlées. Devant eux, les musulmans ne trouvent qu'un pays détruit. Une partie de la population n'apprécie semble-t-il pas cette politique, encore que ceci ne soit pas historiquement prouvé. Ibn Al Nu'man en tire partie : il obtient des renforts du calife Abd al-Malik en 702. Son armée compte alors probablement plus de 50 000 combattants. Face à une telle force, Dihya n'avait d'autre choix que cette politique désespérée.

Après deux ans de guerre, la bataille finale a lieu en 704, à Tabarqa. Dihya envoie auparavant ses deux fils rejoindre le camp musulman, afin de préserver les intérêts de sa famille. Ceci signifie que, loin de se renier, elle se place au contraire comme un chef de guerre, qui privilégie son combat et se libère ainsi de toute attache familiale. Il est probable qu'elle savait son combat perdu mais loin de plier, elle accepte la mort avec un courage qui force l'admiration.

La bataille de Tabarqa est finalement gagnée par les musulmans, mais ce n'est pas victoire facile pour eux. Les Imazighen, bien que très inférieurs en nombre, opposent une farouche résistance. Finalement, la Reine Dihya est capturée et décapitée au lieu-dit Bïr El Kähina (Le puits de la Kahina). Sa tête est envoyée au calife Malik selon certains, jetée dans le puits selon d'autres(3).

Hassan Ibn en N'uman fait preuve d'un grand respect pour le peuple amazigh après sa victoire. Il ne fait pas de prisonniers et ne commet aucun pillage. Sa grande tolérance en fait d'ailleurs l'un des artisans de l'islamisation des Imazighen.

Les deux fils de Dihya (Ifran et Yezdia) avaient rejoint le camp musulman avant la bataille. Certains auteurs ont vu là une trahison de leur part. C'est à notre avis une erreur, puisqu'il est clairement établi qu'ils rejoignirent le camp adverse sur ordre de Dihya, et qu'ils ne participèrent pas à la bataille de Tabarqa. Ils ne se convertirent à l'Islam et n'obtinrent un commandement militaire qu'ensuite, lorsque Hassan Ibn en N'uman se décida à conquérir le Maroc.

Selon certains auteurs, Dihya avait également un fils adoptif du nom de Khaled, un jeune arabe fait prisonnier lors de la bataille de l'Oued Nini, qu'elle aurait adopté. Même si on ne peut totalement exclure cette adoption, cette thèse nous semble douteuse. On a en effet affirmé qu'elle partagea le lait de son sein entre Khaled et ses deux enfants légitimes, ce qui semble impossible pour une femme âgée. On ne sait d'ailleurs rien sur l'homme qui lui donna ses deux fils (il devait sans doute être de haut rang) mais si on tient compte du fait qu'ils obtinrent un commandement dans l'armée musulmane rapidement, il n'étaient certainement pas de jeunes enfants à la mort de la reine.

Longtemps encore, Dihya et ses fils susciteront des légendes. Ceci est sans doute dû autant à sa détermination de femme, insoumise jusqu'au sacrifice d'elle-même qu'à la protection qu'elle donna jusqu'au bout à ses fils, en mère exemplaire. Symbole des femmes imazighen, elle est aussi le symbole de toute une culture, à l'égal de Massinissa et de Jugurtha.

(1) La Bible, Livre des Juges V, Cantique à Déborah, l'un des plus beaux et des plus anciens cantiques de l'Ancien Testament.
(2) Le grand historien Ibn Khaldoun émet l'hypothèse qu'elle était de religion juive, ou peut être chrétienne. Ceci est tout à fait possible, vu que l'on ne sait que très peu de chose sur la religion des imazighen à cette époque. Ibn Khaldoun a au moins évité toute interprétation partisane.
(3) Cette deuxième version nous semble la plus crédible, l'usage des musulmans dans la guerre étant d'en finir vite avec leurs ennemis. L'envoi de sa tête au calife, qui fait penser à une sorte de tête de Méduse, donc maléfique, est probablement une invention de commentateurs. En revanche, en son souvenir, de nombreux puits seront ensuite nommé "puits de la Kahina" un peu partout en Afrique du Nord.


Source : http://convergences.issmart.com
 
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