Inscriptions libyco-amazighs au Rif (Tétouan)

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L'art pré- et protohistorique au Maroc : Sur la piste des gravures rupestres


L'art pré- et protohistorique du Maroc ne fut pendant longtemps l'objet que de rares études, bien que les premières signalisations dans le sud du pays remonte à la seconde moitié du 19ème siècle (Duveyrier 1876). Ce fait est dû principalement à la conjoncture historique qui ne favorisa point l'établissement de programmes de recherches axés sur des prospections méthodiques et des relevés scientifiques qui auraient permis l'étude et l'analyse de cet art caractérisé par sa grande qualité à la fois esthétique et documentaire.

Les efforts d'investigations ne se sont intensifiés qu'après les années 1950. Ce retard pris par le Maroc par rapport aux autres régions nord-africaines l'a défavorisé dans la mesure où l'ambition principale de la recherche était devenue alors la découverte des images peintes ou gravées, qui se situeraient au même rang selon les critères esthétiques européens.

D'ailleurs, la méconnaissance dont faisait l'objet cet art ne s'explique pas seulement par la conjoncture historique défavorable, mais aussi par sa rareté et sa médiocrité supposées.

C'est en raison de la rareté, supposée, des peintures et de leur "faible valeur" du point de vue artistique et esthétique, que des auteurs marocains ( Souville 1991 ; Rodrigue 1989), les ont qualifiées d'insignifiantes. Ce jugement de valeur sur l'intérêt et la qualité esthétique des peintures rupestres au Maroc est dû aux comparaisons établies entre l'art préhistorique de l'Afrique du Nord et celui de l'Europe de l'Ouest. D'ailleurs, ces comparaisons sont infondées à cause du décalage chronologique évident entre l'art des civilisations du Paléolithique supérieur d'Europe et celui des périodes plus récentes d'Afrique du Nord.


De toute évidence, une conception implicite du progrès dans l'art était à l'origine d'une certaine déception qui se reflète dans une grande partie des publications. Apparemment, la "valeur artistique" imputée aux dessins dépendait de la maîtrise technique déployée dans la représentation naturaliste des objets figurés (Heckendorf et Salih 1999).

Par ailleurs, grâce aux nombreuses prospections et travaux d'inventaire réalisés par nos prédécesseurs, une riche documentation a été rassemblée. Les recherches que nous avons repris par la suite dans différentes aires rupestres du Maroc, nous ont permis de découvrir 38 nouveaux sites majeurs et stations mineures.

Quelques uns de ces sites ont fait l'objet de quelques notes à titre signalétique (Salih & Heckendorf 1998, 2000, 2001 ; Salih & Hammam 2004), et d'autres publiés sous forme de synthèses traitant différents aspects de l'art rupestre du Maroc (Heckendorf & Salih 1999 ; Salih & Heckendorf 2002). Mais la majorité de ces stations inédites font l'objet actuellement d'un travail de thèse en cours de finition.

En dépit du nombre de documents réunis, par nos prédécesseurs ou par nous même et notre équipe, il n'est pas encore été possible d'éclaircir les questions liées à la chronologie, au classification et à l'interprétation de l'art rupestre du Maroc. L'absence d'un modèle ou d'un cadre théorique adapté est resté un handicap majeur pour l'étude de cet art. Il y a quelques années, dans un article collectif (Salih & al. 1998), nous avons, déjà, essayé d'établir ce cadre et l'appliquer à l'aire rupestre de l'Okaimeden dans le Haut Atlas.

Ce modèle était fondé sur l'application des données puisées dans la tradition orale et dans les textes historiques médiévaux qui relatent les lieux de parcours et le type de pastoralisme adopté par les agro-pastoraux du Haut Atlas de Marrakech, en vue d'expliquer les déplacements des groupes humains à l'origine des gravures et des monuments funéraires de l'Okaimeden.

En attendant d'améliorer et d'affiner ce modèle ou de concevoir un autre à la lumière des nouvelles découvertes et par l'intégration d'éléments à caractère historique, anthropologique et écologique, nous voulons, par cette contribution, dresser un état de connaissances acquises à ce jour sur l'art préhistorique et protohistorique au Maroc.

Les manifestations d'art rupestre au Maroc sont caractérisées par une grande variété. Ce constat s'applique à ses deux principales composantes à savoir les peintures et les gravures.

La diversité existe aussi bien dans les thèmes et les techniques que dans la position topographique. Ceci est certainement dû à la répartition de ces manifestations sur six régions géographiques et climatiques principales, à savoir la chaîne du Rif, le Moyen Atlas, le Haut Atlas, l'Anti-Atlas, le Présahara et le Sahara.

La Chaîne du Rif
Le Rif est une masse homogène de hautes terres qui se présente sous forme d'un arc de cercle dont la convexité est tournée au sud (Despois & Raynal 1967). Il est limité au nord par la Méditerranée et le détroit de Gibraltar, à l'ouest par le littoral atlantique, au sud par le bassin de Sebou et la plaine du Gharb, et à l'est par la basse Moulouya. La chaîne est longue d'environ 250 km, sa largeur est de 150 Km. L'altitude de la chaine atteint 2452 m au Jbel Tidrine dans le Rif central (Hardy & Célérier 1933).

En revanche, les sommets à l'ouest et à l'est de la chaîne sont relativement moins élevés (Pique 1994). Les deux vallées importantes du Rif, à savoir la vallée de l'Oued Loukkos et celle de l'Oued Laou, constituent deux voies naturelles qui relient la Méditerranée à la côte atlantique. Ces voies de passage fûrent utilisées fréquement durant les temps préhistoriques et historiques par différentes migrations humaines.

Ce fait est corroboré par le nombre important de vestiges archéologiques découverts le long des deux vallées. D'ailleurs, le premier site de peintures rupestres signalé dans la région du Rif est situé dans la vallée de l'oued Loukkos, à environ 40 km à l'ouest de la ville de Chaouen. Il s'agit de la grotte de Magara Sanar. Elle fût découverte par le commandant E. Garcia Hernandez et étudiée sous la direction de J. Martinez Santa Ollala en 1941.

La grotte de Magara Sanar se présente sous forme d'une cavité ovale, creusée dans du grès blanc jaunâtre. Ses dimensions seraient de 3,70 m sur 3,20 m pour 2,30 m de hauteur. Les dessins rupestres occuperaient densément les parois de la cavité et seraient essentiellement de teinte rouge nuancée. Le colorant serait composé principalement d'oxyde de fer et de cuivre mélangé à la silice.

Les thèmes peints sont variés: des motifs de formes géométriques et des alignements de pointillés groupés en rangées parallèles ou en méandres. En outre, il y aurait des figurations abstraites, ainsi que des anthropomorphes et des zoomorphes représentés dans des styles variés (Souville 1973). Les espèces de faune identifiées sont des caprinés, des cervidés, des équidés, ainsi que des oiseaux aquatiques, et un serpent.

Les figurations anthropomorphes, de sexe masculin et féminin, seraient parfois assorties d'attributs particuliers, par exemple de masques ou d'armes. La comparaison de ces peintures avec celles connues alors en Espagne a amené Santa Olalla à proposer une date néolithique pour le site (Santa Ollala 1941).
Ainsi, et hormis les pétroglyphes d'Ain Seddina (Odinot 1928), les inscriptions en caractères dits libyco-berbères signalées aux environs de la ville de Tetouan ( Gaudio 1952) et le site Ifri n'Ammar (Eiwanger 2003), les sites d'art rupestre font défaut dans le Rif.

Pour ce qui est des grottes d'Ain Seddina, elles sont situées à une trentaine de kilomètres au nord de la ville de Fès. Elles furent découvertes par le Capitaine Odinot et publiées par M.G. Courty en 1929.
Les graffitis signalés dans ces grottes, et qui sont incisés sur des dalles effondrées probablement du plafond, présentent des sujets divers. Selon Courty, on reconnaît parmi ces figurations des tentes, des boucliers, des anthropomorphes, des traits en sabliers, etc. Ces pétroglyphes auraient été trouvées dans un contexte culturel néolithique.

En outre, dans le pays Jebala, à 20 km au nord-nord-ouest de la ville de Tetouan et au lieu-dit Angera, trois inscriptions de type libyco-berbère furent découvertes en 1952. Ces inscriptions sont gravées respectivement sur trois blocs de pierre de taille variable. Les caractères libyques sont associés, sur la même surface gravée, à des lettres en caractère latin. Ces rajouts, certainement postérieurs au libyque, sont écrits horizontalement.

En revanche, le texte en caractères libyco-berbères est gravé verticalement (Gaudio 1952). L'absence de données plus détaillées sur ces inscriptions signalées dans le Rif occidental, notamment en ce qui concerne le contexte culturel des découvertes et la patine du trait des lignes gravées, ne nous permet pas de les qualifier, par exemple, de stèles funéraires, ni de les attribuer à une période chronologique quelconque.

Par ailleurs, des peintures rupestres paléolithiques ont été trouvées dans l'abri d'Ifri n'Ammar (Rif oriental), découvert en 1996. Ce sont les plus anciennes peintures découvertes à ce jour en Afrique du Nord, y compris le Sahara. D'après J. Eiwanger (2003), ces peintures sont situées sur la paroi de l'abri et recouvertes par des couches archéologiques ibéromaurusiennes datées entre le 15ème et 12ème millénaire avant J.-C. Il s'agit d'une tâche de peinture de couleur rouge avec des ramifications. Des carapaces de tortues et des coquilles de moules qui ont servi de récipients à de la peinture ont été découvertes dans les sédiments ibéromaurusiens précités.

Cette importante découverte fut effectuée dans le cadre d'un projet de coopération scientifique maroco-allemand sur la Préhistoire et la Protohistoire du Rif oriental. Le site d'Ifri n'Ammar est situé au sud-ouest de la ville de Nador, à quelques kilomètres au nord-est du village de Hassi Ouenzga dans la montagne de Salloum. Il se présente sous forme d'un grand abri qui fait 13 m de largeur et 8 m de profondeur. Une fouille méthodique y a été conduite par l'équipe maroco-allemande depuis 1997 (Eiwanger 2003).

Le Moyen Atlas.
Le Moyen Atlas est constitué d'une masse de hautes terres qui dominent à la fois les plaines de Sais et de Tadla à l'ouest, et la plaine de la Moulouya à l'est. La chaîne s'étend sur 400 km et est orientée nord-est/sud-ouest. Elle regroupe deux unités naturelles : le Moyen Atlas plissé et le Causse moyen atlasique. La première zone est caractérisée par un relief plissé. Il est formé de deux systèmes d'anticlinaux, dont l'un s'allonge vers le nord-est et dépasse les 3.000 m d'altitude dans les massifs de Bou-Iblane et Bou-Nasser. La deuxième zone est tabulaire, calcaire, favorisant le développement de phénomènes karstiques (Célérier 1932 ; Martin 1977).

Dans le Moyen Atlas, et en dépit de la richesse en abris et en grottes, les sites d'art préhistorique sont très rares. Cette rareté est due certainement à l'absence de tout programme de recherches archéologiques systématiques sur la région. Deux stations rupestres seulement furent signalées dans le Moyen Atlas : Oued Zireg (Grébénart & Pierret 1966) et Tidrit (Choppy 1952).

La première fut signalée dans les environs de la ville de Taza. Il s'agit d'un groupe de cupules, creusées dans des dalles horizontales et dont le diamètre varie en moyenne entre 3 et 5 cm et la profondeur de 1 à 3 cm. Ces cupules patinées sont associées à des traits polis dits polissoirs ou "traits capsiens". La station fut publiée par D. Grébenart et B. Pierret en 1966 et fut attribuée par eux au Néolithique de tradition capsienne.

La deuxième fut signalée dans le massif de Tidrit, à environ 5 km de la ville d'Ifrane. Cette station fut découverte par la famille Verdier de Fès et étudiée par J. Choppy en 1952. D'après le constat de cet auteur, l'auvent exposé au nord-est fut aménagé en "parc à moutons". L'abri renfermerait à la fois des gravures, notamment des traits polis larges et minces, ainsi que des figures peintes à l'ocre rouge, surtout des lignes et des méandres. Par endroits, des gravures, qualifiées de "traits capsiens" et de "graffiti", auraient été superposées aux peintures. Or, les vestiges peints seraient susceptibles d'être antérieurs aux traces gravées.

Une troisième station de gravures rupestres vient d'être découverte en 2003 dans la région d'Agouray (Salih & Hammam 2004). Elle occupe un affleurement de grès, érodé, orienté nord-est/sud-ouest, culminant par endroit à 1200 mètres d'altitude. Le site se présente sous forme d'un alignement discontinu de gros blocs de grès dur, souvent erratiques, de teinte rose. Les figurations relevées sont pour la plupart des figures géométriques complexes.

Parmi celles-ci, la spirale à plusieurs tours constitue le sujet dominant. Ce dernier est suivi dans l'ordre par des cercles concentriques, des labyrinthiformes, des réticulés, des formes indéterminées et des pierres à cupules. La technique utilisée pour obtenir ces pétroglyphes est limitée à un piquetage-poinçonnage ordonné. Le résultat de ce procédé consiste, en général, en un trait patiné, couleur de la roche, peu profond et relativement large.

Les sujets représentés dans le site d'Agouray, comme par exemple les pierres à cupules et les formes géométriques, notamment les spirales et les cercles concentriques sont largement répandus dans les aires rupestres mondiales. Leur extension universelle et leur création par des individus ou collectivités humaines éloignées l'une de l'autre par des milliers de kilomètres, ont donné cours à de multiples interprétations et à des attributions chronologiques diverses.
( A suivre )




Par Abdellah Salih | LE MATIN
 
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