G
Guest
Guest
"Les ennemis des imazighen ce sont les imazighen"
Ouzzin Aherdan, ancien député marocain, membre fondateur du Congrès Mondial Amazigh et responsable du journal "Agraw Amazigh" voudrait fédérer les imazighen du monde entier à la manière des imazighen.
Kabyle.com : Pouvez vous vous présenter ?
Ouzzin Aherdan : Ouzzin Aherdan qui s’adresse à vous, est un enfant du Moyen Atlas, né quelques années avant l’indépendance, pendant le protectorat français dans une tribu berbère à une époque où il y avait encore réellement des tribus. J’ai donc eu le privilège et la chance de vivre un peu le mode de vie des anciens évoluant ainsi dans une vraie djemaâ amazigh. Il y a eu ensuite "l’indépendance" après "une guerre dite d’indépendance", puis, je suis descendu en ville, perdant ainsi et pour un certain temps le contact avec les miens mais gardant toujours au plus profond de moi-même, le souvenir de mes racines. En ces temps là, nos forêts étaient vivantes elles étaient encore habitées par des panthères et autres animaux de toute sorte. Aujourd’hui, il n’y a plus de félins, plus rien, même les chacals sont devenus rares.
Kabyle.com : C’est dû à quoi ?
Ouzzin Aherdan : Première réponse : C’est dû à tout ce qui nous est tombé sur la tête après notre indépendance. Autrefois, il y avait un écosystème, des traditions entre autre, communautaires. On respectait la forêt, la faune et la flore. Aussitôt, on s’est trouvé propulsés, dans ce qu’ils ont appelé la civilisation, la modernisation, mais très tôt aussi, nous nous sommes aperçus que ce qu’ils appelaient progrès, n’était en fait qu’une tentative d’assimilation sauvage. Et c’est ainsi que nous assistâmes à un spectacle de désolation progressive. Nos forêts furent détruites, nos tribus amazighs de plus en plus arabisés. Nous vîmes apparaître, des différences de classes et surtout beaucoup de misère. Tout cela, pour dire tout simplement, que ceux qui n’ont pas connu cette période du passé, ne peuvent pas comprendre ce qui se passe chez nous aujourd’hui.
Kabyle.com : Précisément, la responsabilité incomberait à qui... à quoi ?
Ouzzin Aherdan : Tout simplement à la France qui s’est installée au Maroc pour faire de nous "l’état nation" que nous sommes devenus aujourd’hui ; Tout en reconnaissant cependant que nos anciens colonisateurs avaient tout de même une politique différente de celle que mènent nos actuels dirigeants. Ils eurent l’intelligence d’apprendre le tamazight, et de laisser imazighen vivre dans leurs traditions. Bien entendu, il y avait un encadrement civil, et militaire, mais la djemaâ continuerait d’exister, Izref, la loi coutumière aussi. Aujourd’hui tout cela n’existe plus. Tamazight était enseigné chez nous jusqu’à ce que paradoxalement, nous obtenions notre indépendance... Une arabisation sauvage nous a été imposée avec tout ce que cela entraîne comme traumatismes, et politiques répressives.
Kabyle.com : Aujourd’hui, quel constat pouvez-vous faire concernant tamazight au Maroc ?
Ouzzin Aherdan : Cela a été une dégradation totale, car dès le départ le pouvoir a été remis par la France à une minorité d’andalous, venus chez-nous après la défaite "arabe" Espagne et qui était totalement étrangère à notre pays.
Kabyle.com : Pourquoi entre guillemets ?
Ouzzin Aherdan : Ceux qui sont venus d’Andalousie se réfugier chez nous n’étaient pas forcément des arabes, c’était un mélange et un concentré qui se transforma très vite en un clan à part et qui grâce à ses dons de commerçants sût séduire la France qui préféra traiter avec cette minorité éclairée plutôt qu’avec nos rudes guerriers des montagnes. C’est ainsi que le premier gouvernement du Maroc "indépendant" était composé de 19 ministres fassis sur 21. A l’indépendance, lorsque la France s’est retirée, elle a remis le pouvoir à ces gens-là. Et ils continuent de tenir tout l’économie, nous continuions de subir leur politique, dont l’arabisation à outrance. Un ancien Ministre istiqlalien a même déclaré un jour : "Nous avons réussi à arabiser plus en 25 ans que de l’époque du prophète à l’indépendance ". Nous en connaissons tous les conséquences, c’est le même phénomène qui s’est passé en Kabylie.
Kabyle.com : Concernant le pouvoir économique, j’avais entendu dire que c’était les Chleuhs qui l’avaient. Qu’est est-il ?
Ouzzin Aherdan : Vous voulez dire les imazighen du Souss, sans doute ? De tradition, ce sont des gens qui quittent Tafraout, Agadir, Tiznit ect... et qui au départ, qui n’ont rien si ce n’est la force de leur labeur quotidien, la souffrance quotidienne et c’est grâce à cela qu’ils ont réussi à faire de l’argent. Mais, même les Soussis qui sont une force économique au Maroc sont obligés de faire des alliances (mariages entre autre) avec ces gens-là pour maintenir leur fortune.
Kabyle.com : Et les différents rois dans tout ça ?
Ouzzin Aherdan : C’est une dynastie qui a 14 siècles. Ce n’est pas une monarchie au sens amazigh. L’aguellid c’était autre chose. Actuellement le roi chez-nous, c’est le commandeur des croyants ; l’islam. Sorti du djihad où les tribus pouvaient se regrouper, il n’ y avait pratiquement aucun pouvoir central. Les rois du Maroc jusqu’à l’indépendance n’ont jamais pu contrôler le pays entièrement. C’est la France qui a créé l’état-nation qui s’appelle Maroc aujourd’hui. Depuis l’indépendance, il y a eu l’histoire classique que tout le monde connaît. Il y a eu Mohammed V, Hassan II. Et aujourd’hui nous avons Mohammed VI.
Kabyle.com : Les différents rois devaient-ils vraiment se marier avec des femmes imazighen ?
Ouzzin Aherdan : Cela me semble Logique.
Kabyle.com : Pour quelle raison ?
Ouzzin Aherdan : Parce que le Maroc est un pays amazigh. Aujourd’hui on peut parler de berbérophone et d’arabophone, mais le socle est amazigh. Disons que le Maroc est une mer amazighe avec de tout petits îlots arabes, une toute petite minorité Pour régner, ils avaient besoin je suppose de l’appui de certaines tribus. Mais le paradoxe, c’est qu’auparavant tous les rois épousaient des femmes amazighes, tout en combattant tamazight. Le seul roi qui a fait un geste pour tamazight, qui a l’air convaincu de son amazighité, c’est Mohammed VI. Mais c’est aussi le seul qui épousé une non amazighe.
Kabyle.com : Comment se décline ton action pour la cause berbère ?
Ouzzin Aherdan : C’est un combat quotidien depuis 1979. J’ai traversé plusieurs périodes. Des hauts, des bas, des arrestations, des interdictions. En 1980, j’ai créé la revue "Amazigh", qui fût la première revue reconnue officiellement après 2 années d’interdiction. Il y a eu une décision royale pour que la revue sorte. Je ne me suis pas contenté de réaliser une revue. J’ai commencé à tourner au Maroc, tribu par tribu, à distribuer le tifinagh partout. A faire prendre conscience à notre jeunesse qu’ils avaient une langue, qu’ils étaient un peuple. C’est suite à cela que nous avons été arrêtés en 1982, que la revue fut interdite pour "atteinte à la sécurité intérieure et extérieure de l’Etat", "atteinte à l’unité de pays", " à l’islam" " à la constitution", ect... Tout ça, parce que tout simplement, dans un article, un professeur d’histoire, Ali Azakou, qui travaillait avec moi dans la revue, revendiquait Tamazight comme langue nationale et officielle. Il a prit un an de prison. Nous étions une vingtaine à être arrêtés. J’ai eu personnellement 11 jours de garde à vue dans le commissariat central de Rabat. Les choses ont évoluées de telle façon que c’était très difficile de condamner un amazigh au Maroc parce qu’il se prétendait amazigh.
Il n’y avait d’ailleurs aucun article dans le code pénal qui le permettait. Il y a eu mascarade, et il fallait donc un bouc émissaire, et c’est le pauvre Ali qui a pris un an de prison. C’est à partir de là que ma conscience s’est éveillée. Pour moi, je n’avais rien fait de mal. C’était naturel. J’ai donc démarré mon action politique et amplifié le combat. J’ai été député du Mouvement Populaire pendant 13 ans, qui était le seul parti depuis l’indépendance à revendiquer la question amazighe.
Aujourd’hui les choses ont changé. Même les partis baathistes, arabistes la revendiquent. Certains vont même jusqu’à dire qu’ils en étaient les initiateurs. Toujours est-il que jusqu’en 1995, nous étions les racistes, les régionalistes, les séparatistes. J’étais donc député MP, mais suite à l’affaire amazigh il y a eu des problèmes avec le roi du Maroc Hassan II qui a essayé d’éliminer notre leader de la scène politique. Nous fûmes interdits de 84 à 91. Nous avons travaillé dans la clandestinité, pour aboutir à notre congrès constitutif du M.N.P à Marrakech. Il y avait 95.000 militants. Parmi les invités officiels, il y avait le FFS, le RCD, le mouvement AZAWAD touareg. C’est à partir de là que je suis entré dans une autre dimension : la dimension Afrique du Nord. J’ai été invité en 91 au congrès du FFS. C’est là que j’ai connu tous les militants Kabyles que je continue de voir aujourd’hui. C’est ce qui a fait germer ensuite l’idée de créer un Congrès Mondial Amazigh. Je suis l’un des fondateurs du Congrès Mondial Amazigh. J’ai créé aussi la revue Tifinagh qui s’est arrêté par manque de moyens. Nous avons un journal qui continue d’être publié : Agraw Amazigh en 3 langues (tamazight, français, arabe).
Kabyle.com : Pourquoi arabe ?
Ouzzin Aherdan : Pour toucher tout le monde, y compris ceux qui ont été arabisés. Ce qui aurait pu être une force ; Le Congrès Mondial Amazigh à Tafira, a malheureusement mal tourné. C’est parti en miette. Pourtant nous avions fait beaucoup d’effort et ce que nous avons pu tout de même gagner. Ce sont les contacts que nous avons eus avec nos frères berbères partout dans le monde : dans la diaspora, en Kabylie, en Libye, au Mali, au Niger, au Burkina-Fasso, aux îles Canaries des diasporas, au Burkina Fasso...etc ... Aujourd’hui même à Paris, je suis en train de reprendre contact avec les meilleurs, avec les vrais, pour essayer de redémarrer cela Aujourd’hui, le C.M.A. ne représente plus rien, le CMA est parti en morceau. J’ai longuement réfléchi et nous avons compris pourquoi nous avons échoué, tout simplement parce que imazighen ne peuvent pas être rassemblés, structurés à l’occidentale avec un chef... un bureau de 10 personnes par ex. C’est ça qui a détruit le CMA, c’est le leadership. Je suis revenu à la tradition amazighe, tout simplement. Avant, les tribus à tous les niveaux (Afrique du Nord au niveau local) faisaient des alliances avec des objectifs précis. Je travaille donc à partir de cette logique... et ça marche, parce que tu es chef chez toi, je suis chef chez moi... on se met d’accord, et on agit ensemble avec un objectif commun et on peut se séparer s’il le faut, après avoir atteint cet objectif... puis on recommence vers d’autres horizons voilà une formule qui permettrait de regrouper cette force qui a été complètement dissoute.
Kabyle.com : Concernant la reconnaissance de la langue tamazight au Maroc, pouvez-vous nous en dire plus sur cette polémique et sur le caractère à utiliser ?
Ouzzin Aherdan : Ce qui est commun à tous les imazighen, c’est le tifinagh. Bien sûr, le caractère latin prend de l’ampleur, surtout en Kabylie, mais à un moment, suite à la création de l’IRCAM (Institut Royal pour l’Amazighité)) le conflit était là sur le terrain : caractère arabe ou caractère latin ? Et bien sûr les tenants du caractère latin voulaient se défaire de l’instrument de l’arabisation qu’est le caractère arabe... et les autres disant que le latin est la continuité du colonialisme. C’est un conflit qui aurait pu durer 10 ans. Le roi a tranché pour le tifinagh. Je pense que c’est une bonne chose. Le tifinagh est le caractère officiel au Maroc, mais cela n’empêche pas ceux qui le veulent de continuer à écrire en caractère latin. Pour moi, l’important est que les imazighen connaissent le tifinagh... mais on ne peut pas se couper de la Kabylie par exemple. Là-bas, tout le monde écrit en caractère latin, mais pratiquement tout le monde connaît aussi le tifinagh.
Kabyle.com : Que pensez-vous de la situation en Kabylie ?
Ouzzin Aherdan : Le combat qui a été mené en Kabylie est très, très important. Et surtout, chaque fois que les Kabyles s’unissent pour un objectif précis, ils réalisent de grandes choses. Je peux dire aussi, que, lorsqu’il pleut en Kabylie, la récolte se fait chez nous au Maroc. Les Kabyles crèvent, se battent, nous on en récolte les fruits sans beaucoup de problème. Le problème de la Kabylie, c’est le problème qu’on vie tous : les trahisons, la division, les scissions... pour moi, il faudrait que tôt ou tard, les Kabyles s’unissent avec les chaouis et qu’ils s’unissent aux Aurès, etc... C’est le même problème partout. Lorsqu’on parle de Kabylie, c’est comme si on parlait du Moyen Atlas au Maroc. Nous avons aussi des scissions entre nous, et on se bagarre. Il y a des dizaines de Kabylies. Voilà la tare des imazighen. Les ennemies des imazighen ce sont les imazighen eux-même.
Kabyle.com : Concernant les guerres de libération, pouvez-vous nous en dire 2 mots ?
Ouzzin Aherdan : En Algérie, comme au Maroc se sont les berbères qui se sont battus contre le colonialisme, et ce sont les arabophones minoritaires qui en ont récolté les fruits. Au Maroc, les imazighen ont perdu leur terre. Et un amazigh sans terre n’est plus un homme. L’essentiel chez un amazigh c’est sa terre. La liberté d’un amazigh dépendait de sa terre. Sans terre, il est obligé de partir. Mais l’histoire se venge, parce que, tous ces imazighen qui ont perdu leur terre se retrouvent entassés dans les bidonvilles de toutes les grandes villes du Maroc ; Ils sont maintenant majoritaires dans toutes ces grandes villes, et l’histoire continue. C’est une force politique, peut-être pas encore entièrement consciente, mais une force politique tout de même.
Kabyle.com : Quels sont vos projets ?
Ouzzin Aherdan : Je viens de créer une association, au Maroc, à caractère national avec comme structure l’équivalent d’un comité central, des cellules dans tous les villages, toutes les tribus, toutes les provinces, à caractère régional aussi, c’est à dire aussi : la Kabylie, Aurès, Algérie, Canaries... un peu la philosophie du Congrès Mondial Amazigh, mais vu sous un autre aspect, et j’espère y aboutir avec tous mes amis.
Kabyle.com : Un dernier mot ?
Ouzzin Aherdan : Je souhaite que tous nos frères prennent conscience que les seuls ennemis des imazighen c’est nous même, et qu’on fasse tous un effort pour essayer de dépasser nos clivages et nos divisions, pour enfin, être au rendez-vous de l’Histoire.
Ouzzin Aherdan, ancien député marocain, membre fondateur du Congrès Mondial Amazigh et responsable du journal "Agraw Amazigh" voudrait fédérer les imazighen du monde entier à la manière des imazighen.

Kabyle.com : Pouvez vous vous présenter ?
Ouzzin Aherdan : Ouzzin Aherdan qui s’adresse à vous, est un enfant du Moyen Atlas, né quelques années avant l’indépendance, pendant le protectorat français dans une tribu berbère à une époque où il y avait encore réellement des tribus. J’ai donc eu le privilège et la chance de vivre un peu le mode de vie des anciens évoluant ainsi dans une vraie djemaâ amazigh. Il y a eu ensuite "l’indépendance" après "une guerre dite d’indépendance", puis, je suis descendu en ville, perdant ainsi et pour un certain temps le contact avec les miens mais gardant toujours au plus profond de moi-même, le souvenir de mes racines. En ces temps là, nos forêts étaient vivantes elles étaient encore habitées par des panthères et autres animaux de toute sorte. Aujourd’hui, il n’y a plus de félins, plus rien, même les chacals sont devenus rares.
Kabyle.com : C’est dû à quoi ?
Ouzzin Aherdan : Première réponse : C’est dû à tout ce qui nous est tombé sur la tête après notre indépendance. Autrefois, il y avait un écosystème, des traditions entre autre, communautaires. On respectait la forêt, la faune et la flore. Aussitôt, on s’est trouvé propulsés, dans ce qu’ils ont appelé la civilisation, la modernisation, mais très tôt aussi, nous nous sommes aperçus que ce qu’ils appelaient progrès, n’était en fait qu’une tentative d’assimilation sauvage. Et c’est ainsi que nous assistâmes à un spectacle de désolation progressive. Nos forêts furent détruites, nos tribus amazighs de plus en plus arabisés. Nous vîmes apparaître, des différences de classes et surtout beaucoup de misère. Tout cela, pour dire tout simplement, que ceux qui n’ont pas connu cette période du passé, ne peuvent pas comprendre ce qui se passe chez nous aujourd’hui.
Kabyle.com : Précisément, la responsabilité incomberait à qui... à quoi ?
Ouzzin Aherdan : Tout simplement à la France qui s’est installée au Maroc pour faire de nous "l’état nation" que nous sommes devenus aujourd’hui ; Tout en reconnaissant cependant que nos anciens colonisateurs avaient tout de même une politique différente de celle que mènent nos actuels dirigeants. Ils eurent l’intelligence d’apprendre le tamazight, et de laisser imazighen vivre dans leurs traditions. Bien entendu, il y avait un encadrement civil, et militaire, mais la djemaâ continuerait d’exister, Izref, la loi coutumière aussi. Aujourd’hui tout cela n’existe plus. Tamazight était enseigné chez nous jusqu’à ce que paradoxalement, nous obtenions notre indépendance... Une arabisation sauvage nous a été imposée avec tout ce que cela entraîne comme traumatismes, et politiques répressives.
Kabyle.com : Aujourd’hui, quel constat pouvez-vous faire concernant tamazight au Maroc ?
Ouzzin Aherdan : Cela a été une dégradation totale, car dès le départ le pouvoir a été remis par la France à une minorité d’andalous, venus chez-nous après la défaite "arabe" Espagne et qui était totalement étrangère à notre pays.
Kabyle.com : Pourquoi entre guillemets ?
Ouzzin Aherdan : Ceux qui sont venus d’Andalousie se réfugier chez nous n’étaient pas forcément des arabes, c’était un mélange et un concentré qui se transforma très vite en un clan à part et qui grâce à ses dons de commerçants sût séduire la France qui préféra traiter avec cette minorité éclairée plutôt qu’avec nos rudes guerriers des montagnes. C’est ainsi que le premier gouvernement du Maroc "indépendant" était composé de 19 ministres fassis sur 21. A l’indépendance, lorsque la France s’est retirée, elle a remis le pouvoir à ces gens-là. Et ils continuent de tenir tout l’économie, nous continuions de subir leur politique, dont l’arabisation à outrance. Un ancien Ministre istiqlalien a même déclaré un jour : "Nous avons réussi à arabiser plus en 25 ans que de l’époque du prophète à l’indépendance ". Nous en connaissons tous les conséquences, c’est le même phénomène qui s’est passé en Kabylie.
Kabyle.com : Concernant le pouvoir économique, j’avais entendu dire que c’était les Chleuhs qui l’avaient. Qu’est est-il ?
Ouzzin Aherdan : Vous voulez dire les imazighen du Souss, sans doute ? De tradition, ce sont des gens qui quittent Tafraout, Agadir, Tiznit ect... et qui au départ, qui n’ont rien si ce n’est la force de leur labeur quotidien, la souffrance quotidienne et c’est grâce à cela qu’ils ont réussi à faire de l’argent. Mais, même les Soussis qui sont une force économique au Maroc sont obligés de faire des alliances (mariages entre autre) avec ces gens-là pour maintenir leur fortune.
Kabyle.com : Et les différents rois dans tout ça ?
Ouzzin Aherdan : C’est une dynastie qui a 14 siècles. Ce n’est pas une monarchie au sens amazigh. L’aguellid c’était autre chose. Actuellement le roi chez-nous, c’est le commandeur des croyants ; l’islam. Sorti du djihad où les tribus pouvaient se regrouper, il n’ y avait pratiquement aucun pouvoir central. Les rois du Maroc jusqu’à l’indépendance n’ont jamais pu contrôler le pays entièrement. C’est la France qui a créé l’état-nation qui s’appelle Maroc aujourd’hui. Depuis l’indépendance, il y a eu l’histoire classique que tout le monde connaît. Il y a eu Mohammed V, Hassan II. Et aujourd’hui nous avons Mohammed VI.
Kabyle.com : Les différents rois devaient-ils vraiment se marier avec des femmes imazighen ?
Ouzzin Aherdan : Cela me semble Logique.
Kabyle.com : Pour quelle raison ?
Ouzzin Aherdan : Parce que le Maroc est un pays amazigh. Aujourd’hui on peut parler de berbérophone et d’arabophone, mais le socle est amazigh. Disons que le Maroc est une mer amazighe avec de tout petits îlots arabes, une toute petite minorité Pour régner, ils avaient besoin je suppose de l’appui de certaines tribus. Mais le paradoxe, c’est qu’auparavant tous les rois épousaient des femmes amazighes, tout en combattant tamazight. Le seul roi qui a fait un geste pour tamazight, qui a l’air convaincu de son amazighité, c’est Mohammed VI. Mais c’est aussi le seul qui épousé une non amazighe.
Kabyle.com : Comment se décline ton action pour la cause berbère ?
Ouzzin Aherdan : C’est un combat quotidien depuis 1979. J’ai traversé plusieurs périodes. Des hauts, des bas, des arrestations, des interdictions. En 1980, j’ai créé la revue "Amazigh", qui fût la première revue reconnue officiellement après 2 années d’interdiction. Il y a eu une décision royale pour que la revue sorte. Je ne me suis pas contenté de réaliser une revue. J’ai commencé à tourner au Maroc, tribu par tribu, à distribuer le tifinagh partout. A faire prendre conscience à notre jeunesse qu’ils avaient une langue, qu’ils étaient un peuple. C’est suite à cela que nous avons été arrêtés en 1982, que la revue fut interdite pour "atteinte à la sécurité intérieure et extérieure de l’Etat", "atteinte à l’unité de pays", " à l’islam" " à la constitution", ect... Tout ça, parce que tout simplement, dans un article, un professeur d’histoire, Ali Azakou, qui travaillait avec moi dans la revue, revendiquait Tamazight comme langue nationale et officielle. Il a prit un an de prison. Nous étions une vingtaine à être arrêtés. J’ai eu personnellement 11 jours de garde à vue dans le commissariat central de Rabat. Les choses ont évoluées de telle façon que c’était très difficile de condamner un amazigh au Maroc parce qu’il se prétendait amazigh.
Il n’y avait d’ailleurs aucun article dans le code pénal qui le permettait. Il y a eu mascarade, et il fallait donc un bouc émissaire, et c’est le pauvre Ali qui a pris un an de prison. C’est à partir de là que ma conscience s’est éveillée. Pour moi, je n’avais rien fait de mal. C’était naturel. J’ai donc démarré mon action politique et amplifié le combat. J’ai été député du Mouvement Populaire pendant 13 ans, qui était le seul parti depuis l’indépendance à revendiquer la question amazighe.
Aujourd’hui les choses ont changé. Même les partis baathistes, arabistes la revendiquent. Certains vont même jusqu’à dire qu’ils en étaient les initiateurs. Toujours est-il que jusqu’en 1995, nous étions les racistes, les régionalistes, les séparatistes. J’étais donc député MP, mais suite à l’affaire amazigh il y a eu des problèmes avec le roi du Maroc Hassan II qui a essayé d’éliminer notre leader de la scène politique. Nous fûmes interdits de 84 à 91. Nous avons travaillé dans la clandestinité, pour aboutir à notre congrès constitutif du M.N.P à Marrakech. Il y avait 95.000 militants. Parmi les invités officiels, il y avait le FFS, le RCD, le mouvement AZAWAD touareg. C’est à partir de là que je suis entré dans une autre dimension : la dimension Afrique du Nord. J’ai été invité en 91 au congrès du FFS. C’est là que j’ai connu tous les militants Kabyles que je continue de voir aujourd’hui. C’est ce qui a fait germer ensuite l’idée de créer un Congrès Mondial Amazigh. Je suis l’un des fondateurs du Congrès Mondial Amazigh. J’ai créé aussi la revue Tifinagh qui s’est arrêté par manque de moyens. Nous avons un journal qui continue d’être publié : Agraw Amazigh en 3 langues (tamazight, français, arabe).
Kabyle.com : Pourquoi arabe ?
Ouzzin Aherdan : Pour toucher tout le monde, y compris ceux qui ont été arabisés. Ce qui aurait pu être une force ; Le Congrès Mondial Amazigh à Tafira, a malheureusement mal tourné. C’est parti en miette. Pourtant nous avions fait beaucoup d’effort et ce que nous avons pu tout de même gagner. Ce sont les contacts que nous avons eus avec nos frères berbères partout dans le monde : dans la diaspora, en Kabylie, en Libye, au Mali, au Niger, au Burkina-Fasso, aux îles Canaries des diasporas, au Burkina Fasso...etc ... Aujourd’hui même à Paris, je suis en train de reprendre contact avec les meilleurs, avec les vrais, pour essayer de redémarrer cela Aujourd’hui, le C.M.A. ne représente plus rien, le CMA est parti en morceau. J’ai longuement réfléchi et nous avons compris pourquoi nous avons échoué, tout simplement parce que imazighen ne peuvent pas être rassemblés, structurés à l’occidentale avec un chef... un bureau de 10 personnes par ex. C’est ça qui a détruit le CMA, c’est le leadership. Je suis revenu à la tradition amazighe, tout simplement. Avant, les tribus à tous les niveaux (Afrique du Nord au niveau local) faisaient des alliances avec des objectifs précis. Je travaille donc à partir de cette logique... et ça marche, parce que tu es chef chez toi, je suis chef chez moi... on se met d’accord, et on agit ensemble avec un objectif commun et on peut se séparer s’il le faut, après avoir atteint cet objectif... puis on recommence vers d’autres horizons voilà une formule qui permettrait de regrouper cette force qui a été complètement dissoute.
Kabyle.com : Concernant la reconnaissance de la langue tamazight au Maroc, pouvez-vous nous en dire plus sur cette polémique et sur le caractère à utiliser ?
Ouzzin Aherdan : Ce qui est commun à tous les imazighen, c’est le tifinagh. Bien sûr, le caractère latin prend de l’ampleur, surtout en Kabylie, mais à un moment, suite à la création de l’IRCAM (Institut Royal pour l’Amazighité)) le conflit était là sur le terrain : caractère arabe ou caractère latin ? Et bien sûr les tenants du caractère latin voulaient se défaire de l’instrument de l’arabisation qu’est le caractère arabe... et les autres disant que le latin est la continuité du colonialisme. C’est un conflit qui aurait pu durer 10 ans. Le roi a tranché pour le tifinagh. Je pense que c’est une bonne chose. Le tifinagh est le caractère officiel au Maroc, mais cela n’empêche pas ceux qui le veulent de continuer à écrire en caractère latin. Pour moi, l’important est que les imazighen connaissent le tifinagh... mais on ne peut pas se couper de la Kabylie par exemple. Là-bas, tout le monde écrit en caractère latin, mais pratiquement tout le monde connaît aussi le tifinagh.
Kabyle.com : Que pensez-vous de la situation en Kabylie ?
Ouzzin Aherdan : Le combat qui a été mené en Kabylie est très, très important. Et surtout, chaque fois que les Kabyles s’unissent pour un objectif précis, ils réalisent de grandes choses. Je peux dire aussi, que, lorsqu’il pleut en Kabylie, la récolte se fait chez nous au Maroc. Les Kabyles crèvent, se battent, nous on en récolte les fruits sans beaucoup de problème. Le problème de la Kabylie, c’est le problème qu’on vie tous : les trahisons, la division, les scissions... pour moi, il faudrait que tôt ou tard, les Kabyles s’unissent avec les chaouis et qu’ils s’unissent aux Aurès, etc... C’est le même problème partout. Lorsqu’on parle de Kabylie, c’est comme si on parlait du Moyen Atlas au Maroc. Nous avons aussi des scissions entre nous, et on se bagarre. Il y a des dizaines de Kabylies. Voilà la tare des imazighen. Les ennemies des imazighen ce sont les imazighen eux-même.
Kabyle.com : Concernant les guerres de libération, pouvez-vous nous en dire 2 mots ?
Ouzzin Aherdan : En Algérie, comme au Maroc se sont les berbères qui se sont battus contre le colonialisme, et ce sont les arabophones minoritaires qui en ont récolté les fruits. Au Maroc, les imazighen ont perdu leur terre. Et un amazigh sans terre n’est plus un homme. L’essentiel chez un amazigh c’est sa terre. La liberté d’un amazigh dépendait de sa terre. Sans terre, il est obligé de partir. Mais l’histoire se venge, parce que, tous ces imazighen qui ont perdu leur terre se retrouvent entassés dans les bidonvilles de toutes les grandes villes du Maroc ; Ils sont maintenant majoritaires dans toutes ces grandes villes, et l’histoire continue. C’est une force politique, peut-être pas encore entièrement consciente, mais une force politique tout de même.
Kabyle.com : Quels sont vos projets ?
Ouzzin Aherdan : Je viens de créer une association, au Maroc, à caractère national avec comme structure l’équivalent d’un comité central, des cellules dans tous les villages, toutes les tribus, toutes les provinces, à caractère régional aussi, c’est à dire aussi : la Kabylie, Aurès, Algérie, Canaries... un peu la philosophie du Congrès Mondial Amazigh, mais vu sous un autre aspect, et j’espère y aboutir avec tous mes amis.
Kabyle.com : Un dernier mot ?
Ouzzin Aherdan : Je souhaite que tous nos frères prennent conscience que les seuls ennemis des imazighen c’est nous même, et qu’on fasse tous un effort pour essayer de dépasser nos clivages et nos divisions, pour enfin, être au rendez-vous de l’Histoire.