L'émergence d'Homo sapiens : une perspective nord-africaine.

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L'émergence d'Homo sapiens : une perspective nord-africaine.

par Jean-Jacques Hublin (laboratoire d'anthropologie de Bordeaux 1)
Pour la 1ère conférence de la rentrée 2001, le Chaînon manquant à choisi d'inviter, Jean-Jacques Hublin, récemment nommé Professeur d'Anthropologie au laboratoire d'Anthropologie des populations du passé de l'Université de Bordeaux 1. Jean-Jacques Hublin nous a parlé avec brio d'un sujet qui lui tient à coeur : l'émergence d'Homo sapiens. En traitant ce sujet dans une perspective nord africaine, il nous a entraîné dans un voyage aussi dépaysant qu'intéressant...


L'origine des Homo sapiens en Afrique du Nord a été traitée dans une approche paléoanthropologique et paléogéographique. Le contexte géographique joue en effet un rôle fondamental dans les processus évolutifs. L'Europe et l'Afrique sont séparées par la mer Méditerranée. Cet espace de non communication a rendu possible une évolution divergente sur ces 2 continents, il y a 400.000 ans BP : en Europe, durant le Pléistocène, de grandes périodes de glaciations sévissent ; on voit alors l'apparition de l'Homme de Néandertal. En Afrique du Nord, malgré la proximité de l'Europe, aucun document fossile n'atteste la présence d'Homo neanderthalensis. L'Afrique n'est pas touchée par le froid mais par une forte augmentation de l'aridité, qui conduit à l'extension des déserts du Sahara et du Kalahari. C'est dans ce contexte qu'émergent les premiers hommes morphologiquement modernes.

La majorité des restes d'hominidés fossiles trouvés en Afrique du Nord se concentre sur le littoral atlantique marocain. Le littoral se différencie nettement de l'intérieur des terres, beaucoup plus arides, et offre un climat plus clément pour les hominidés de cette époque.

Les conditions géologiques de Casablanca sont particulières : ce sont des formations dunaires cimentées, formant ainsi des grès carbonatés qui permettent une bonne conservation de l'os. Ces formations dunaires sont enchâssées dans des couches de dépôts marins dues au mouvant de régressions et de transgressions marines.


La plus ancienne trace d'activité humaine correspond à un biface acheuléen daté d'environ 1 million d'années. Les restes humains les plus anciens ont été exhumés du site de Tighénif (anciennement Ternifine),en Algérie. Fouillé par Camille Arambourg dans les années 1950, il a livré 3 mandibules et un os pariétal. Ces fossiles, d'abord identifiés sous le terme d'Atlanthropus mauritanicus, ont ensuite été assimilés à l'espèce Homo erectus en raison de leurs ressemblances avec les fossiles de Zhoukoudian (Chine) et de Java (Indonésie). Ces restes fossiles sont datés vers 800.000 ans BP.

A Aïn Maarouf, au Maroc , une diaphyse de fémur a été retrouvée dans les collections. Elle présente des caractères primitifs (plésiomorphes) communs aux Homo erectus : une section plutôt arrondie, une cavité médullaire réduite, une ligne âpre atténuée.

Beaucoup d'autres restes du début du Pléistocène moyen ont été trouvés dans les carrières de Thomas 1 et Thomas 3 (Maroc), en particulier des fragment de crânes et un maxillaire portant encore des dents. Ces ossements sont très robustes par rapport aux fossiles néandertaliens de La Quina (Charentes, France) mais ils se différencient bien morphologiquement des fossiles européens. Dans la carrière de Sidi Abderrahman (Maroc), l'équipe de fouilles a retrouvé des molaires très larges et très robustes.

Le spécimen le plus spectaculaire est le crâne de Salé (Maroc) ; il a été daté de 400.000 ans BP grâce au contexte géologique et à la faune à laquelle il était associé. Il présente des caractères plésiomorphes : une capacité crânienne encore assez faible (940 ml), une largeur maximale de la boîte crânienne située à la base du crâne, la persistance d'une carène frontale, un petit torus occipital, des os épais, des caractères métriques de l'appareil masticateur primitifs... Mais ce fossile présente également des caractères modernes, comme un redressement et une convexité de l'os frontal, une flexion de la base du crâne importante, des parois latérales du crâne presque parallèles, un début de développement des bosses pariétales, des pariétaux plus arrondis et plus développés que ceux des crânes d'Homo erectus asiatiques. On est donc en présence d'une forme plus évoluée que celle trouvée à Tighénif (Algérie). Le crâne de Salé se rapproche en fait du crâne de Kabwe (anciennement Broken Hill, Zambie), qui est cependant plus robuste. Le crâne de Kabwe fait partie du groupe mal défini des Homo sapiens archaïques ; il est le fossile type de l'espèce Homo rhodesiensis, non unanimement reconnu. Le crâne de Salé serait le type femelle de cette espèce, Kabwe représenterait le type mâle.

A Djebel Irhoud (Maroc), une série de restes humains a été découverte et attribuée dans un premier temps à l'espèce Homo neanderthalensis. Ces fossiles étaient en effet associés à une industrie moustérienne, longtemps exclusivement associée aux Hommes de Néandertal. Cependant, la morphologie des os occipital et frontal, plus moderne, les différencie des Néandertaliens et les rapproche en revanche d'un Homo sapiens archaïque du Proche Orient : Skhul 5 (Israël). L'absence de prognathisme et la présence d'un menton bien individualisé renforcent cette hypothèse. Ces fossiles sont datés de 130.000 ans BP et la faune qui leur est associée de 150.000 ans BP.

Certains auteurs attribuent ces fossiles à l'espèce Homo heidelbergensis qui aurait donné naissance en Europe aux Néandertaliens. Les chercheurs espagnols ont défini une espèce à partir des restes fossiles de Gran Dolina (Atapuerca, Espagne) : Homo antecessor, qui serait l'équivalent d'Homo rhodesiensis ou d'Homo mauritanicus. D'après eux cette espèce serait l'espèce mère d'Homo heidelbergensis et d'Homo sapiens. En Afrique, on observerait donc des fossiles ayant vécu avant et après la divergence. Une des espèces filles (Homo heidelbergensis) se différencierait en Homo neanderthalensis après avoir atteint l'Europe, l'autre espèce fille (Homo sapiens) évoluant sans modification majeure jusqu'à nous.

source : http://www.chainonmanquant.u-bordeaux.fr
 
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