La mondialisation menace la planète Babel

agerzam

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BabeL brûle. La Terre abrite environ 6 000 langues, mais la grande majorité d'entre elles sont menacées de disparition. Environ 97 % de la population parlent 4 % des langues du monde. A l'inverse, presque 96 % des langues ne sont parlées que par 3 % des Terriens. Et 10 % ont moins de 100 locuteurs. Ces chiffres, rassemblés par des experts mandatés par l'Unesco, témoignent d'une diversité linguistique effarante.


Mais environ la moitié des langues perdent actuellement des locuteurs. Cette tendance lourde ­ dénoncée entre autres par le linguiste Claude Hagège ­ pourrait se traduire par le remplacement de la moitié, voire de 90 % des langues minoritaires, par les idiomes dominants d'ici à la fin du siècle...

Face à cette perspective, les linguistes de terrain, qui ont fait profession de décrire le fonctionnement, la richesse, l'histoire et l'évolution des langues, doivent, de plus en plus, se transformer en sauveteurs d'une ressource en voie de raréfaction. Petit tour des questions auxquelles ils sont confrontés.

Comment sait-on qu'il existe 6 000 langues aujourd'hui ?

"Il s'agit évidemment d'une approximation" , indique Jon Landaburu, recteur du centre d'études des langues indigènes d'Amérique (Celia, CNRS). D'autant que les démarcations construites par les locuteurs eux-mêmes peuvent être artificielles, "comme entre les Serbes et les Croates" , rappelle le chercheur.

Les linguistes ont cependant établi des critères scientifiques de distinction. "On procède comme les biologis tes : on fait des relevés sur le terrain" , indique Claire Moyse-Faurie, spécialiste de l'Océanie au laboratoire des langues et civilisations à tradition orale (Lacito, CNRS). Ces entomologistes de la langue traduisent 600termes de base. Lorsque 85 % d'entre eux sont partagés par deux idiomes, on considère qu'il s'agit de dialectes. Ces recensements peuvent être trompeurs, car les locuteurs, flattés de l'intérêt porté à leur langue, ont tendance à exagérer les différences.

Cette première enquête, auprès d'un interlocuteur "compétent", peut ne prendre qu'un ou deux jours. Mais la description plus approfondie d'une langue tient du sacerdoce. "Il faut cinq ans pour faire le tour d'une langue, voire dix pour en tirer un dictionnaire" , indique Bernard Caron, directeur du laboratoire langage, langues et cultures d'Afrique noire (Llacan, CNRS).

A quoi tient la diversité linguistique ?

Les langues, comme les espèces animales et végétales, sont filles de l'isolement. Qu'un peuple se divise et occupe deux régions séparées, et les deux groupes finiront par parler deux idiomes différents. "Les choses ne sont pas si simples" , tempère Alexandre François (Lacito, CNRS), spécialiste du Vanuatu, une nation de 200 000 habitants riche de 110 langues. "En Polynésie, il n'est pas rare qu'on se comprenne entre des îles pourtant éloignées les unes des autres, parce que historiquement des relations culturelles et économiques ont été maintenues" , dit-il. Mais, à l'inverse, en Mélanésie, un mode de vie plus terrien peut aboutir à une division linguistique marquée sur un même territoire, comme sur l'île de Malekula (2 000 km2), où l'on recense 30 langues.

Quelle est la viabilité des langues ?

Cette question suscite des batailles de chiffres parmi les linguistes, certains soutenant que, avec un seul locuteur, une langue peut être "sauvée" ­ entendre : être étudiée, sous ses aspects lexicaux et grammaticaux. Mais d'autres considèrent qu'il faut se concentrer sur des groupes humains plus importants, capables de perpétuer eux-mêmes leur tradition linguistique.

"Le critère numérique n'est en fait pas le seul" , rappelle Colette Grinevald, professeur de linguistique à Lyon-II. A la demande de l'Unesco, elle a participé en 2003, avec un groupe d'experts, à l'établissement d'outils d'évaluation de la vitalité des langues. Le premier facteur retenu est la transmission de la langue entre générations avant même le nombre absolu de locuteurs et leur proportion par rapport à la population totale. Viennent ensuite les critères d'usage de la langue, sa capacité à intégrer de nouveaux domaines lorsque les conditions de vie du groupe de locuteurs changent. Son usage dans les médias, l'existence de matériel pédagogique et d'une littérature propre sont aussi prépondérants, comme l'attitude des pouvoirs publics et des locuteurs eux-mêmes à l'égard de leur langue, parfois facteur de discrimination.

En Amérique latine, "la langue quechua est parlée par 8 millions de locuteurs. Mais, dans des zones entières, les enfants parlent espagnol. Dans trente ans, le quechua y aura disparu", prédit Colette Grinevald. A l'inverse, des petites tribus d'Amazonie peuvent perpétuer leur langue. "Celle-ci se porte bien. Ce sont les gens eux-mêmes qui sont en danger physique, en raison des maladies ou des déplacements forcés" , indique la chercheuse.

Certains critères sont déterminants, en particulier la transmission dans les familles. "C'est le cas du maori : depuis une trentaine d'années, il fait l'objet d'une promotion scolaire particulière, qui n'a pas connu le succès escompté" , rappelle Claire Moyse-Faurie.

Pourquoi les sauvegarder ?

"L'extinction de chaque langue provoque la perte irrémédiable de connaissances culturelles, historiques et écologiques uniques" , répond l'Unesco. Le sauvetage peut être demandé par les intéressés eux-mêmes. Colette Grinevald a ainsi été appelée au chevet de la langue rama, au Nicaragua, par les sandinistes. "Au départ, ils voulaient apprendre l'espagnol aux Indiens, mais ceux-ci menaçaient de prendre les armes" , se souvient-elle. La linguiste a donc été chargée d'étudier la langue rama. "Il n'y avait plus qu'une poignée de locuteurs pour un millier de Ramas, raconte-t-elle. Leur langue n'a pas été ressuscitée, mais les enfants connaissent plein de mots et savent qu'il s'agit d'une vraie langue. Ils sont rassurés : leurs ancêtres n'étaient pas des primitifs."

Comment les sauvegarder ?

Plusieurs programmes internationaux ont été lancés. L'Unesco soutient des programmes locaux. Des fondations privées s'y consacrent également, en collectant des données, comme la bibliothèque virtuelle du Rosetta Project. Certaines organisations protestantes, comme la puissante SIL américaine, sont très actives. Avec ses 5 000 membres présents dans 70 pays, elle accomplit un important travail de recensement dans le dessein de traduire la Bible. Mais ces "sectes" choisissent les langues les plus rentables en termes de nombre de fidèles accessibles.

Le sauvetage reste un travail de titan. Il peut réussir, comme le prouve la résurrection de l'hébreu, redevenu langue vivante grâce à Eliezer Ben Yehuda (1858-1922). En Amérique latine, certains mouvements indiens sont très volontaristes, avec la fabrication de dictionnaires illustrés. Au Guatemala, on trouve ainsi des livres illustrés traduisant en maya des scènes d'aéroport.

La survie des langues est aussi affaire de fierté. "En Amérique latine, dans les pays où la Constitution a reconnu les langues indigènes, les attitudes des intéressés changent , assure Jon Landaburu. "Au début, pour la réussite de leurs enfants, ils voulaient l'espagnol et l'arithmétique , se souvient-il. Ils s'aperçoivent aujourd'hui que les gamins alphabétisés dans leurlangue maternelle apprennent ensuite plus facilement l'espagnol."

Hervé Morin
LeMonde
 
J'ai voulu le poster ce matin mais ça n'a pas marché.
Sinon, il parait qu'on finira par tous parler anglais !!
C'est le progrès il parait !
 
Les processus sont vraiment identiques partout.

Les Indiens d'Ameriques veulent que leurs enfants apprenent l'espagnol en remplacement de leur culture d'origine, pensant ainis leur donner plus de chance dans la vie, puis il faut du temps (une génération) pour qu'ils s'appercoivent qu'ils doivent veiller sur leur héritage culturel et que la langue de leurs ancêtres peut être utile !

"Ils s'aperçoivent aujourd'hui que les gamins alphabétisés dans leur langue maternelle apprennent ensuite plus facilement l'espagnol."

Exactement !

On ne redira jamais assez combien il est important pour les enfants de commencer leur apprentissage dans leur langue maternelle, si ils acquièrent une bonne base à travers leur moyen d'expression naturel, ils pourront d'autant mieux assimiler de nouvelles connaissances, qu'elles soient linguistiques ou autres...

Et c'est pour cela qu'il est si important pour les enfants amazighes de pouvoir avoir accès à l'enseignement dans leur langue maternelle et cela dès le plus jeune âge, car bizarreemnt dans la farce d'introduction du Tamazight à l'école, les enfants de moins de 5 ans ont été oubliés !

Les Indiens d'Amériques et d'Afrique du Nord (les Amazighes) sont exactement dans le même cas, sauront-ils réagir avant qu'il ne soit trop tard ?...
 
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