l'avenir de l'amazight est prometteur

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Entretien avec Mohamed El Manouar, écrivain et chercheur : l'avenir de l'amazight est prometteur
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Mohamed El Manouar est né à Kelâa M'Gouna en 1951. Aprés ses études primaires, secondaires et supérieures , il obtient une licence de droit, une licence d'histoire géographie et un Doctorat de troisiéme cycle en Histoire et Civilisations (Reins, France 1984) . Il assure plusieurs fonctions et responsabilités au sein de plusieurs Ministères. Ses écrits et études focalisent sur l'histoire de la résistance au Maroc.
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Vos travaux sur le droit coutumier amazighe témoignent d'une capacité extraordinaire de ce dernier à évoluer et à s'adapter: quelle en serait l'originalité et l'apport pour notre société actuelle ?

L'analyse des structures sociales, économiques et politiques dites traditionnelles qui prévalaient jusqu'à la pénétration française notamment dans cette partie de notre pays sont édifiantes à plus d'égards. Pour résumer, je peux affirmer qu'elles présentent des alternatives extrêmement efficaces et capables d'enrichir encore davantage notre démocratie notamment sur le plan des institutions locales. Les systèmes de gestion et d'organisation propres à l'amazighité sont des modèles performants et efficaces dans la gestion des affaires locales.

Ljma't, cette instance de proximité et de décision jouissait de pouvoirs réels et adaptés aux particularismes locaux. Des conditions spécifiques sont requises pour assumer la charge d'être membre dans cette instance. Akhatar n'ighas ou de taqbilt n'a pas uniquement une connotation d'âge mais d'expérience, de maîtrise des subtilités coutumières, de courage et de maturité. Le terme «ijmma'n» cache aussi cette notion d'éloquence et de savoir-faire. Ils répondent de leurs lignages par leurs engagements. Ljma't légifère, produit des règles de droit (azerf, ti'qqidin), gère les affaires locales, désigne l'amghar, juge et arbitre et représente la communauté dans toutes ses relations extérieures.

La désignation de amghar obéit à des règles spécifiques, se fait par écrit et fixe les droits et les obligations. Les différentes conventions villageoises dont nous disposons sont de véritables codes. Les vols, les disputes et les troubles sont réprimés. La sanction extrême va jusqu'au bannissement du groupe. L'individu rejeté en dehors de son groupe subit ainsi la pire des sanctions. Ses décisions impliquent tous les habitants de la collectivité villageoise. Les répondants sont responsables devant eux et les affaires se discutent en séance publique et en toute transparence.

Tous ces éléments introduisent une démocratie participative qui ignore l'exclusion et la marginalisation. Quant à la production juridique dite coutumière, je peux dire en guise de quintessence que celle-ci est adaptée aux spécificités locales et intègre parfaitement les impératifs qu'exige la vie en commun et n'admet aucun débordement. Les pénalités et les sanctions tiennent compte de la gravité du délit et sont généralement prises collégialement et deviennent exécutoires sans délai.

Etes-vous serein par rapport aux mutations que connaît le Sud-Est ?

Les défis actuels et à moyen terme sont assurément plus complexes que ceux que nous avons affrontés par le passé. Les enjeux sont d'importance. Notre pays se doit de surmonter les handicaps pluriels que lui réserve cette décade. Il ne peut le faire que par la qualité de ses hommes, de ses femmes, de ses institutions et de ses entreprises. Les choix stratégiques et les modèles de développement plus pertinents et adaptés deviendront la première condition requise dans le processus de développement. Comme je l'avais déjà rappelé, les défis qui nous attendent sont plus coriaces.

A-t-on pris les mesures nécessaires au niveau du Sud-est qui permettent de les affronter ? A-t-on élaboré des stratégies pour pouvoir prendre en charge le surplus considérable de bouches à nourrir, à former, à employer et à soigner, sachant que l'évolution démographique dépasse, de très loin, celle des ressources disponibles et sachant aussi que les possibilités d'émigration s'amenuisent. Et quid pour l'environnement, le patrimoine architectural, les arts populaires. Bien sûr je reste confiant dans notre génie et dans nos capacités à affronter les défis. S'y préparer dès à présent serait encore mieux d'autant plus que les mutations qui interviennent dans le Sud-est sont profondes et interviennent avec une grande allure. Les périodes de mutations sont souvent pénibles, car elles déstabilisent. Elles se doivent d'être maîtrisées et gérées avec vigilance et promptitude.

En quoi les valeurs identitaires amazighes peuvent-elles constituer un rempart contre toutes les formes de dérives : intégrisme, dogmatisme, terrorisme... ?

C'est une question essentielle à laquelle j'ai donné quelques éléments de réponse dans ce que vous avez appelé l'ouverture sur l'universalité qui, je me dois de le souligner, est une conséquence d'une diversité de facteurs.

Les intégrismes sont la manifestation de plusieurs facteurs dont notamment la peur, la pauvreté, l'exclusion, les inégalités, l'incertitude et l'ignorance. Les valeurs identitaires amazighes ignorent ces postulats qui n'ont jamais trouvé de droit de cité dans l'amazighité.

Toutes les cohabitations et les échanges avec les civilisations et les peuples étrangers en sont, si besoin est, la caractéristique la plus péremptoire. La capacité d'ouverture, le caractère pacifique et convivial et le goût de la liberté qui sont invétérés à la personnalité amazighe interdisent toutes les formes et dérives de la violence, de l'exclusion et de l'extrémisme.

Je rappelle simplement l'accueil fait à Moulay Driss et à tant d'autres. Par contre, elle se mobilise avec vélocité naturelle, contre l'envahisseur. l'étymologie du nom, le parcours historique expliquent dans une grande mesure le rejet de toutes les formes de violence, dès lors que la dignité, la liberté et la terre ne sont pas en équation. D'ailleurs, il est plusieurs «terrorismes» dont elle était victime...

Etes-vous optimiste pour l'avenir de l'amazighité au Maroc ?
Comment puis-je ne pas l'être dès lors qu'elle jouit de la plus haute sollicitude Royale qui en est la garantie. Comment puis-je ne pas l'être quand on connaît tous les cataclysmes auxquels elle a survécu. Gramsci ne disait-il pas qu'il faut «garder le pessimisme de la raison et l'optimisme de la volonté» ?.

Bien sûr, l'avenir de l'amazighité est déjà amorcé par un phénomène de renaissance et de renouveau déclenché depuis quelque temps. Il est tributaire de toute l'instrumentation aussi bien constitutionnelle que structurelle que les différents protagonistes qui en ont la charge doivent mettre en place afin de l'ériger en langue officielle et en terme de culture et de civilisation, en structures et en espaces de recherches, d'enseignement et d'information.

Les mesures qui sont déjà prises augurent d'un avenir que je souhaite prometteur afin qu'elle puisse partir «à la recherche du temps perdu», reprendre sa place légitime dans notre société et participer activement à l'édification du puzzle qui se construit. Et de clore en répétant ce que professait un poète amazighe : «Adour tggat aghrib, awa tamazirt nk aya» (Ne te comportes pas comme un étranger, la terre est tienne).
 
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