ENTRETIEN AVEC MUSTAPHA BERHOUCHI
Né en 1962 à Aghbalou n Kerdous à Tizi-n-Imnayen (ou Goulmima), Mustapha Berhouchi est, aujourd’hui, membre de l’association "Tilelli" basée à Tzi-n-Imnayen (Tamazgha occidentale). Il est l’un des infatigables militants de cette région qui continue à résister à la politique du Makhzen mais aussi à l’idéologie arabo musulmane qui tente de soumettre l’ensemble des Imazighen.
A l’occasion des festivités de commémoration du 24e anniversaire de Tafsut n Imazighen, il a eu à animer des conférences-débats dans certaines universités (Imteghren, Agadir,...). Parmi les idées qu’il développe lors de ses conférences la nécessité pour le Mouvement amazigh, donc pour les militants, de se libérer des griffes des systèmes et échapper à leur contrôle ce qui donnera certainement un véritable élan au combat amazigh.
Dans cet entretien, nous avons tenté, avec lui, de faire le point sur la question amazighe dans cette région soumise à la monarchie marocaine. Nous avons également voulu savoir comment voit-il l’avenir de Tamazight.
________________________________________
Kra Isallen : Lors des activités ayant marqué la commémoration du 24ème anniversaire du Printemps Berbère (Tafsut Imazighen), tu avais animé une conférence à l’Université d’Agadir à l’invitation du comité des étudiants. Quelles étaient les thématiques traitées lors de cette conférence ?
Mustapha BERHOUCHI : Lors de cette conférence, j’ai traité de "L’état des lieux du Mouvement amazigh au Maroc". J’ai insisté essentiellement sur la nécessité de l’autonomie du Mouvement amazigh vis-à-vis du Makhzen, autonomie sans laquelle le mouvement ne pourra jouer son rôle historique. En effet beaucoup ignorent que le Mouvement amazigh au Maroc est, depuis des décennies, dirigé et (dés)orienté par des mains occultes du Makhzen...
Quelle est l’ambiance qui règne au sein de la jeunesse amazighe au sein des universités ?
Actuellement, dans la plupart des universités marocaines, la mouvance amazighe devient de plus en plus majoritaire. Je dis cela parce qu’auparavant, le mouvement amazigh était, certes, déjà présent dans les universités, mais d’une façon plutôt timide. C’était les tendances arabistes et, par la suite, islamistes qui dominaient. Mais à présent, c’est la tendance amazighiste qui commence à dominer la vie politico-culturelle au sein de la majorité des universités marocaines. Avec cette évolution, on peut dire que l’Université marocaine est finalement en train de devenir vraiment marocaine !
Le lendemain de ton intervention à Agadir des étudiants sont sortis pour manifester pacifiquement dans les rues de la ville et la police marocaine a procédé à la répression de la manifestation. Quelles sont les raisons de cette répression ?
Cette manifestation a été réprimée parce que c’est une manifestation amazighe organisée en soutien à des Imazighen. En effet, par cette manifestation, les étudiants d’Agadir ont exprimé leur soutien au Mouvement amazighe de Kabylie. Or le Makhzen est allergique à toute idée de solidarité entre Imazighen déjà de différentes régions du Maroc et encore plus entre Imazighen de différents pays de Tamazgha...
Et pourtant plusieurs manifestations publiques ont eu lieu à Agadir et ailleurs et n’ont jamais été réprimées par la police marocaine. Pourquoi ce traitement particulier des initiatives en faveur de Tamazight ?
Comme je viens de le dire, le Makhzen est allergique à la solidarité et aux contacts entre Imazighen. Cette manifestation a été réprimée parce que c’est une manifestation de solidarité des Imazighen du Maroc avec leurs frères de Kabylie. Des manifestations de solidarité avec les Palestiniens ou avec les Irakiens ou encore avec les Tchétchènes n’ont jamais été réprimées. Au contraire, elles sont toujours encouragées et même organisées par l’Etat marocain qui en profite pour rappeler aux "sujets" qu’ils font partie de la "grande oumma arabo-musulmane". Ce même Etat, ses partis politiques, ses syndicats, ses associations,... restent toujours muets quand les "arabo-musulmans" d’Alger assassinent les Imazighen en Kabylie ! Il ne leur reste qu’à leur envoyer des messages de félicitations !
Quelle analyse fais-tu de la politique amazighe de l’Etat marocain ?
Depuis toujours, les décideurs politiques au Maroc ne cessent d’instrumentaliser l’amazighité et Imazighen pour se maintenir au pouvoir. Ce qui est nouveau ces derniers temps, c’est que l’on est passé d’une étape où la politique amazighe de l’Etat marocain était tue, latente, à une étape où une partie minime de cette politique commence à être dite, à être étalée. Cet étalage se voit, entre autres, dans la création de l’Institut Royal de la Culture Amazighe (IRCAM), le "choix" des Tifinagh comme caractères de transcription de tamazight, les festivals folkloriques (ahouach, ahidous, la fantasia...),...
Cette "nouvelle" politique de l’Etat marocain n’a-t-elle pas conduit à une recomposition au sein du Mouvement amazighe ?
Le seul avantage de cette "nouvelle" politique c’est qu’elle a clarifié une situation demeurée jusque là confuse : à présent l’opinion publique sait qui est qui et qui fait quoi ! Elle sait qui lutte vraiment pour le recouvrement des droits du peuple amazigh et qui ne fait que servir la politique amazighe du Makhzen.
Un peu plus d’un an après sa mise en place, l’IRCAM a réalisé un certain nombre de projets (un manuel d’initiation à Tamazight,...) Qu’en penses-tu ?
D’abord, l’IRCAM n’est pas fait pour réaliser des projets qui servent Tamazight, mais plutôt des projets qui la desservent tout en faisant semblant de la servir. La fonction politique de ce pseudo institut est de dompter Imazighen en leur faisant croire que leur langue, leur culture et leur identité sont reconnues et prises en charge par l’Etat marocain.
Quant à l’élaboration de manuels et à la soi-disant introduction de Tamazight à l’école..., tout cela n’est qu’un leurre. Il suffit de jeter un coup d’œil sur les cahiers des élèves qui ont subi cet "enseignement" pour s’en apercevoir. On ne peut pas enseigner une langue avec des enseignants formés pour en enseigner d’autres.
Sur le terrain, la politique makhzénienne de destruction acharnée de la langue et de la culture amazighes continue : on continue à interdire aux Imazighen de donner des noms amazighs à leurs enfants, on continue à imposer l’arabe comme seule langue de l’administration, de la justice, des médias et de la vie publique en général.
Sur proposition de l’IRCAM, le palais a décidé que les Tifinagh seraient les caractères de transcription de Tamazight. Quelle est ta position ?
Il covient d’abord de rappeler un fait : aucun des membres de l’IRCAM n’a jamais rien écrit, ni rien publié en caractères Tifinagh. Les conseillers comme les chercheurs publiaient (et publient toujours !) leurs travaux, leurs périodiques, leurs recueils ... essentiellement en caractères latins. Mais en tant que membres de l’Institut Royal, ils ont "proposé" d’écrire Tamazight en caractères Tifinagh ! C’est évident : ils n’ont pas proposé Tifinagh, mais on leur a imposé de les proposer ! Donc, appelons les choses par leur nom : le Makhzen veut imposer Tifinagh pour l’écriture de Tamazight ! L’IRCAM n’est qu’un fusible, et il peut sauter à tout moment !
Pourquoi donc, à ton avis, le Makhzen veut-il imposer Tifinagh pour l’écriture de Tamazight ?
L’alphabet Tifinagh est, certes, l’écriture authentique amazighe. Mais cela fait plusieurs siècles, voire des millénaires, qu’il n’est plus utilisé, excepté dans le pays touareg. Beaucoup, d’ailleurs, ont oublié jusqu’à son existence ! Or la langue amazighe, comme toutes les langues, n’a jamais cessé d’évoluer. Si le Makhzen a opté pour le Tifinagh c’est parce que cet alphabet présente au moins trois inconvénients (trois avantages aux yeux du Makhzen !) :
Premièrement, l’alphabet tifinagh, tel qu’il est, et sans volonté politique de l’aménager et de l’adapter scientifiquement à l’état moderne de la langue amazighe, est moins efficace que les caractères latins pour la notation de Tamazight. Si le Makhzen a choisi cet alphabet, ce n’est pas par souci d’authenticité. Loin de là ! C’est plutôt parce que cela l’arrange dans sa politique d’étouffement de Tamazight. S’il a évité d’imposer l’écriture arabe, c’est parce qu’il sait que cette pilule, trop grosse qu’elle est, ne pourra jamais passer !
Deuxièmement, écrire Tamazight en Tifinagh permettrait de couper Imazighen du Maroc de l’essentiel de la bibliothèque amazighe, lequel est écrit en caractères latins. En effet, il ne faut pas oublier qu’il existe un très grand nombre de livres amazighs de qualité produits au cours des deux derniers siècles en caractères latins : dictionnaires, recueils de poésies, recueils de contes, romans, pièces de théâtre,... Il y a aussi des œuvres écrites en caractères arabes, mais elles sont moins nombreuses et surtout moins importantes. Mais en caractères Tifinagh, il n’y a pratiquement rien ! A l’exception des inscriptions libyco-berbères, inscriptions antiques gravées sur des roches dans les montagnes ou dans des grottes et dont la plupart ne sont pas encore déchiffrées ! D’ailleurs dans l’alphabet tifinagh version IRCAM, beaucoup de lettres ont été curieusement modifiées, dénaturées, sans doute pour créer une deuxième coupure : la coupure des Imazighen contemporains avec ces inscriptions amazighes antiques !
Troisièmement, dans les autres régions de Tamazgha, où Tamazight est reconnue officiellement comme langue nationale (Algérie, Mali, Niger), comme dans la Diaspora (notamment en France), c’est en caractères latins qu’elle s’écrit. Même les Touaregs, au Mali et au Niger, écrivent à présent en caractères latins ! L’écrire en caractères tifinagh au Maroc permettrait au Makhzen de couper (toujours couper !) "ses Berbères" du reste de la Berbérie, et, par conséquent, d’affaiblir davantage Imazighen dans leur ensemble ! Saddam n’a-t-il pas imposé à "ses Kurdes" d’écrire leur langue en caractères arabes pour les couper du reste du Kurdistan, notamment du Kurdistan turc ? ! Mais, (...) on connaît la suite et la fin de cette histoire !
Dans tous les cas, cette tentative du Makhzen d’imposer Tifinagh est vouée à l’échec car les acteurs du Mouvement amazigh indépendants (associations, écrivains, créateurs...) s’opposent à ce choix. Ils continuent d’écrire et de publier des livres, des périodiques,... en caractères latins. Même des membres de l’Institut Royal, qui ont pourtant voté pour Tifinagh-Ircam, écrivent toujours en caractères latins ! C’est très marocain !
Si Imazighen (et ils ne sont pas les premiers ni les derniers à le faire !) écrivent leur langue en caractères latins, c’est parce que cet alphabet s’impose par son efficacité et sa simplicité. N’oublions pas que toute la civilisation moderne est d’essence et de... caractère latins !
Penses-tu que l’Etat marocain, tout comme les autres Etats qui occupent Tamazgha, puisse sincèrement donner des choses pour Tamazight ?
Non ! Ces Etats sont fondés sur des mythes négateurs de l’amazighité. L’arabo-islamisme et le jacobinisme sont par définition hégémoniques et incompatibles avec la diversité. L’amazighité ne peut s’émanciper que dans un autre ordre social, qui reconnaisse les citoyens tels qu’ils sont et non tels qu’on veut qu’ils soient...
En 1994 l’arrestation des militants de Tilelli (Goulmima) avait suscité une mobilisation sans précédant, ce qui a poussé la monarchie à les libérer et Hassan II à prononcer un discours où il promettait l’enseignement des "dialectes berbères" ; en 1995 a eu lieu la création du Congrès Mondial amazigh qui a rassemblé deux ans après, lors de sa première assemblée générale plus de 350 congressistes à Tafira venus des différentes régions de Tamazgha ainsi que de diaspora. Trois ans après, le Mouvement amazigh s’est vu fragilisé et se retrouve dans l’impasse. Comment expliquer cette incapacité à aller plus loin ?
Il me semble que l’idée d’un Congrès mondial amazigh était prématurée. Les derniers développements de la question amazighe au Maroc le prouvent : la plupart des "délégués" marocains au Congrès de Tafira siègent actuellement à l’IRCAM ! Quand on peut siéger à l’IRCAM ou au HCA (le Haut commissariat à l’Amazighité), on n’a rien à faire au CMA !
Il est évident que le Mouvement Amazighe ne peut continuer dans la situation qu’il subit aujourd’hui. Comment vois-tu l’avenir et quelle stratégie faudrait-il adopter pour sortir de l’impasse ?
Jusqu’à présent, au Maroc, le Makhzen contrôle et (dés)oriente toujours la lutte amazighe. De ce fait, le Mouvement amazigh marocain, tel qu’il est, est dans l’impossibilité d’intervenir dans le cours de l’Histoire. Il ne dispose pas encore de lui-même. Il n’est donc pas maître de sa destinée. Tant qu’il ne sortira pas de cette situation, il restera dans l’incapacité d’assumer sa responsabilité historique, à savoir la libération de Tamazgha et des Imazighen du joug de l’arabo-islamisme. L’avenir de l’amazighité dépend avant tout de l’action (ou de l’inaction !) des Imazighen eux-mêmes. Le Professeur Salem CHAKER a dit dans une lettre adressée au Mouvement de l’Autonomie de la Kabylie (MAK) : "Aucun groupe humain ne peut survivre s’il n’a pas d’abord la volonté d’exister pour lui-même, par lui-même."
La quasi-totalité des associations et organisations amazighes s’inscrivent dans un cadre strictement culturel. Pourtant la question est éminemment politique. Qu’en penses-tu ?
Effectivement la question amazighe est d’ordre politique, et le Mouvement amazigh est de nature politique. Si les acteurs du Mouvement amazighe optent, jusqu’à présent, pour une action essentiellement culturelle, c’est tout simplement parce que c’est la voie qui expose le moins à la répression. D’autre part, les Etats nord-africains, leurs partis politiques, Imazighen de service,... font tout pour dépolitiser la cause amazighe et la réduire à de simples manifestations folkloriques. Mais, ils se trompent ! Plus on essaie de dépolitiser la "question amazighe", plus elle se politise ; plus on nie l’amazigh, plus il s’affirme ! Ils ne reconnaîtront l’amazighité que quand il sera trop tard... pour eux !
Un dernier mot pour les lecteurs de Kra Isallen.
Le combat amazigh ne peut qu’aboutir !
Propos recueillis par
Masin Ferkal. Tamazgha.fr
Né en 1962 à Aghbalou n Kerdous à Tizi-n-Imnayen (ou Goulmima), Mustapha Berhouchi est, aujourd’hui, membre de l’association "Tilelli" basée à Tzi-n-Imnayen (Tamazgha occidentale). Il est l’un des infatigables militants de cette région qui continue à résister à la politique du Makhzen mais aussi à l’idéologie arabo musulmane qui tente de soumettre l’ensemble des Imazighen.
A l’occasion des festivités de commémoration du 24e anniversaire de Tafsut n Imazighen, il a eu à animer des conférences-débats dans certaines universités (Imteghren, Agadir,...). Parmi les idées qu’il développe lors de ses conférences la nécessité pour le Mouvement amazigh, donc pour les militants, de se libérer des griffes des systèmes et échapper à leur contrôle ce qui donnera certainement un véritable élan au combat amazigh.
Dans cet entretien, nous avons tenté, avec lui, de faire le point sur la question amazighe dans cette région soumise à la monarchie marocaine. Nous avons également voulu savoir comment voit-il l’avenir de Tamazight.
________________________________________
Kra Isallen : Lors des activités ayant marqué la commémoration du 24ème anniversaire du Printemps Berbère (Tafsut Imazighen), tu avais animé une conférence à l’Université d’Agadir à l’invitation du comité des étudiants. Quelles étaient les thématiques traitées lors de cette conférence ?
Mustapha BERHOUCHI : Lors de cette conférence, j’ai traité de "L’état des lieux du Mouvement amazigh au Maroc". J’ai insisté essentiellement sur la nécessité de l’autonomie du Mouvement amazigh vis-à-vis du Makhzen, autonomie sans laquelle le mouvement ne pourra jouer son rôle historique. En effet beaucoup ignorent que le Mouvement amazigh au Maroc est, depuis des décennies, dirigé et (dés)orienté par des mains occultes du Makhzen...
Quelle est l’ambiance qui règne au sein de la jeunesse amazighe au sein des universités ?
Actuellement, dans la plupart des universités marocaines, la mouvance amazighe devient de plus en plus majoritaire. Je dis cela parce qu’auparavant, le mouvement amazigh était, certes, déjà présent dans les universités, mais d’une façon plutôt timide. C’était les tendances arabistes et, par la suite, islamistes qui dominaient. Mais à présent, c’est la tendance amazighiste qui commence à dominer la vie politico-culturelle au sein de la majorité des universités marocaines. Avec cette évolution, on peut dire que l’Université marocaine est finalement en train de devenir vraiment marocaine !
Le lendemain de ton intervention à Agadir des étudiants sont sortis pour manifester pacifiquement dans les rues de la ville et la police marocaine a procédé à la répression de la manifestation. Quelles sont les raisons de cette répression ?
Cette manifestation a été réprimée parce que c’est une manifestation amazighe organisée en soutien à des Imazighen. En effet, par cette manifestation, les étudiants d’Agadir ont exprimé leur soutien au Mouvement amazighe de Kabylie. Or le Makhzen est allergique à toute idée de solidarité entre Imazighen déjà de différentes régions du Maroc et encore plus entre Imazighen de différents pays de Tamazgha...
Et pourtant plusieurs manifestations publiques ont eu lieu à Agadir et ailleurs et n’ont jamais été réprimées par la police marocaine. Pourquoi ce traitement particulier des initiatives en faveur de Tamazight ?
Comme je viens de le dire, le Makhzen est allergique à la solidarité et aux contacts entre Imazighen. Cette manifestation a été réprimée parce que c’est une manifestation de solidarité des Imazighen du Maroc avec leurs frères de Kabylie. Des manifestations de solidarité avec les Palestiniens ou avec les Irakiens ou encore avec les Tchétchènes n’ont jamais été réprimées. Au contraire, elles sont toujours encouragées et même organisées par l’Etat marocain qui en profite pour rappeler aux "sujets" qu’ils font partie de la "grande oumma arabo-musulmane". Ce même Etat, ses partis politiques, ses syndicats, ses associations,... restent toujours muets quand les "arabo-musulmans" d’Alger assassinent les Imazighen en Kabylie ! Il ne leur reste qu’à leur envoyer des messages de félicitations !
Quelle analyse fais-tu de la politique amazighe de l’Etat marocain ?
Depuis toujours, les décideurs politiques au Maroc ne cessent d’instrumentaliser l’amazighité et Imazighen pour se maintenir au pouvoir. Ce qui est nouveau ces derniers temps, c’est que l’on est passé d’une étape où la politique amazighe de l’Etat marocain était tue, latente, à une étape où une partie minime de cette politique commence à être dite, à être étalée. Cet étalage se voit, entre autres, dans la création de l’Institut Royal de la Culture Amazighe (IRCAM), le "choix" des Tifinagh comme caractères de transcription de tamazight, les festivals folkloriques (ahouach, ahidous, la fantasia...),...
Cette "nouvelle" politique de l’Etat marocain n’a-t-elle pas conduit à une recomposition au sein du Mouvement amazighe ?
Le seul avantage de cette "nouvelle" politique c’est qu’elle a clarifié une situation demeurée jusque là confuse : à présent l’opinion publique sait qui est qui et qui fait quoi ! Elle sait qui lutte vraiment pour le recouvrement des droits du peuple amazigh et qui ne fait que servir la politique amazighe du Makhzen.
Un peu plus d’un an après sa mise en place, l’IRCAM a réalisé un certain nombre de projets (un manuel d’initiation à Tamazight,...) Qu’en penses-tu ?
D’abord, l’IRCAM n’est pas fait pour réaliser des projets qui servent Tamazight, mais plutôt des projets qui la desservent tout en faisant semblant de la servir. La fonction politique de ce pseudo institut est de dompter Imazighen en leur faisant croire que leur langue, leur culture et leur identité sont reconnues et prises en charge par l’Etat marocain.
Quant à l’élaboration de manuels et à la soi-disant introduction de Tamazight à l’école..., tout cela n’est qu’un leurre. Il suffit de jeter un coup d’œil sur les cahiers des élèves qui ont subi cet "enseignement" pour s’en apercevoir. On ne peut pas enseigner une langue avec des enseignants formés pour en enseigner d’autres.
Sur le terrain, la politique makhzénienne de destruction acharnée de la langue et de la culture amazighes continue : on continue à interdire aux Imazighen de donner des noms amazighs à leurs enfants, on continue à imposer l’arabe comme seule langue de l’administration, de la justice, des médias et de la vie publique en général.
Sur proposition de l’IRCAM, le palais a décidé que les Tifinagh seraient les caractères de transcription de Tamazight. Quelle est ta position ?
Il covient d’abord de rappeler un fait : aucun des membres de l’IRCAM n’a jamais rien écrit, ni rien publié en caractères Tifinagh. Les conseillers comme les chercheurs publiaient (et publient toujours !) leurs travaux, leurs périodiques, leurs recueils ... essentiellement en caractères latins. Mais en tant que membres de l’Institut Royal, ils ont "proposé" d’écrire Tamazight en caractères Tifinagh ! C’est évident : ils n’ont pas proposé Tifinagh, mais on leur a imposé de les proposer ! Donc, appelons les choses par leur nom : le Makhzen veut imposer Tifinagh pour l’écriture de Tamazight ! L’IRCAM n’est qu’un fusible, et il peut sauter à tout moment !
Pourquoi donc, à ton avis, le Makhzen veut-il imposer Tifinagh pour l’écriture de Tamazight ?
L’alphabet Tifinagh est, certes, l’écriture authentique amazighe. Mais cela fait plusieurs siècles, voire des millénaires, qu’il n’est plus utilisé, excepté dans le pays touareg. Beaucoup, d’ailleurs, ont oublié jusqu’à son existence ! Or la langue amazighe, comme toutes les langues, n’a jamais cessé d’évoluer. Si le Makhzen a opté pour le Tifinagh c’est parce que cet alphabet présente au moins trois inconvénients (trois avantages aux yeux du Makhzen !) :
Premièrement, l’alphabet tifinagh, tel qu’il est, et sans volonté politique de l’aménager et de l’adapter scientifiquement à l’état moderne de la langue amazighe, est moins efficace que les caractères latins pour la notation de Tamazight. Si le Makhzen a choisi cet alphabet, ce n’est pas par souci d’authenticité. Loin de là ! C’est plutôt parce que cela l’arrange dans sa politique d’étouffement de Tamazight. S’il a évité d’imposer l’écriture arabe, c’est parce qu’il sait que cette pilule, trop grosse qu’elle est, ne pourra jamais passer !
Deuxièmement, écrire Tamazight en Tifinagh permettrait de couper Imazighen du Maroc de l’essentiel de la bibliothèque amazighe, lequel est écrit en caractères latins. En effet, il ne faut pas oublier qu’il existe un très grand nombre de livres amazighs de qualité produits au cours des deux derniers siècles en caractères latins : dictionnaires, recueils de poésies, recueils de contes, romans, pièces de théâtre,... Il y a aussi des œuvres écrites en caractères arabes, mais elles sont moins nombreuses et surtout moins importantes. Mais en caractères Tifinagh, il n’y a pratiquement rien ! A l’exception des inscriptions libyco-berbères, inscriptions antiques gravées sur des roches dans les montagnes ou dans des grottes et dont la plupart ne sont pas encore déchiffrées ! D’ailleurs dans l’alphabet tifinagh version IRCAM, beaucoup de lettres ont été curieusement modifiées, dénaturées, sans doute pour créer une deuxième coupure : la coupure des Imazighen contemporains avec ces inscriptions amazighes antiques !
Troisièmement, dans les autres régions de Tamazgha, où Tamazight est reconnue officiellement comme langue nationale (Algérie, Mali, Niger), comme dans la Diaspora (notamment en France), c’est en caractères latins qu’elle s’écrit. Même les Touaregs, au Mali et au Niger, écrivent à présent en caractères latins ! L’écrire en caractères tifinagh au Maroc permettrait au Makhzen de couper (toujours couper !) "ses Berbères" du reste de la Berbérie, et, par conséquent, d’affaiblir davantage Imazighen dans leur ensemble ! Saddam n’a-t-il pas imposé à "ses Kurdes" d’écrire leur langue en caractères arabes pour les couper du reste du Kurdistan, notamment du Kurdistan turc ? ! Mais, (...) on connaît la suite et la fin de cette histoire !
Dans tous les cas, cette tentative du Makhzen d’imposer Tifinagh est vouée à l’échec car les acteurs du Mouvement amazigh indépendants (associations, écrivains, créateurs...) s’opposent à ce choix. Ils continuent d’écrire et de publier des livres, des périodiques,... en caractères latins. Même des membres de l’Institut Royal, qui ont pourtant voté pour Tifinagh-Ircam, écrivent toujours en caractères latins ! C’est très marocain !
Si Imazighen (et ils ne sont pas les premiers ni les derniers à le faire !) écrivent leur langue en caractères latins, c’est parce que cet alphabet s’impose par son efficacité et sa simplicité. N’oublions pas que toute la civilisation moderne est d’essence et de... caractère latins !
Penses-tu que l’Etat marocain, tout comme les autres Etats qui occupent Tamazgha, puisse sincèrement donner des choses pour Tamazight ?
Non ! Ces Etats sont fondés sur des mythes négateurs de l’amazighité. L’arabo-islamisme et le jacobinisme sont par définition hégémoniques et incompatibles avec la diversité. L’amazighité ne peut s’émanciper que dans un autre ordre social, qui reconnaisse les citoyens tels qu’ils sont et non tels qu’on veut qu’ils soient...
En 1994 l’arrestation des militants de Tilelli (Goulmima) avait suscité une mobilisation sans précédant, ce qui a poussé la monarchie à les libérer et Hassan II à prononcer un discours où il promettait l’enseignement des "dialectes berbères" ; en 1995 a eu lieu la création du Congrès Mondial amazigh qui a rassemblé deux ans après, lors de sa première assemblée générale plus de 350 congressistes à Tafira venus des différentes régions de Tamazgha ainsi que de diaspora. Trois ans après, le Mouvement amazigh s’est vu fragilisé et se retrouve dans l’impasse. Comment expliquer cette incapacité à aller plus loin ?
Il me semble que l’idée d’un Congrès mondial amazigh était prématurée. Les derniers développements de la question amazighe au Maroc le prouvent : la plupart des "délégués" marocains au Congrès de Tafira siègent actuellement à l’IRCAM ! Quand on peut siéger à l’IRCAM ou au HCA (le Haut commissariat à l’Amazighité), on n’a rien à faire au CMA !
Il est évident que le Mouvement Amazighe ne peut continuer dans la situation qu’il subit aujourd’hui. Comment vois-tu l’avenir et quelle stratégie faudrait-il adopter pour sortir de l’impasse ?
Jusqu’à présent, au Maroc, le Makhzen contrôle et (dés)oriente toujours la lutte amazighe. De ce fait, le Mouvement amazigh marocain, tel qu’il est, est dans l’impossibilité d’intervenir dans le cours de l’Histoire. Il ne dispose pas encore de lui-même. Il n’est donc pas maître de sa destinée. Tant qu’il ne sortira pas de cette situation, il restera dans l’incapacité d’assumer sa responsabilité historique, à savoir la libération de Tamazgha et des Imazighen du joug de l’arabo-islamisme. L’avenir de l’amazighité dépend avant tout de l’action (ou de l’inaction !) des Imazighen eux-mêmes. Le Professeur Salem CHAKER a dit dans une lettre adressée au Mouvement de l’Autonomie de la Kabylie (MAK) : "Aucun groupe humain ne peut survivre s’il n’a pas d’abord la volonté d’exister pour lui-même, par lui-même."
La quasi-totalité des associations et organisations amazighes s’inscrivent dans un cadre strictement culturel. Pourtant la question est éminemment politique. Qu’en penses-tu ?
Effectivement la question amazighe est d’ordre politique, et le Mouvement amazigh est de nature politique. Si les acteurs du Mouvement amazighe optent, jusqu’à présent, pour une action essentiellement culturelle, c’est tout simplement parce que c’est la voie qui expose le moins à la répression. D’autre part, les Etats nord-africains, leurs partis politiques, Imazighen de service,... font tout pour dépolitiser la cause amazighe et la réduire à de simples manifestations folkloriques. Mais, ils se trompent ! Plus on essaie de dépolitiser la "question amazighe", plus elle se politise ; plus on nie l’amazigh, plus il s’affirme ! Ils ne reconnaîtront l’amazighité que quand il sera trop tard... pour eux !
Un dernier mot pour les lecteurs de Kra Isallen.
Le combat amazigh ne peut qu’aboutir !
Propos recueillis par
Masin Ferkal. Tamazgha.fr