(extrait de maroc-hebdo international)
Hensala, village du Moyen-Atlas
Tout espoir enterré
Hensala abrite surtout des enfants, des femmes et des vieillards. Les plus valides d’entre les hommes ont préféré émigrer à la recherche de lendemains meilleurs. Quatorze d’entre eux figurent parmi les victimes du naufrage de Cadix. Les familles attendent toujours leurs dépouilles.
Loubna Bernichi
• La vie dure des villageois.
On est jeudi, jour de marché hebdomadaire à Douar Taghzirte. En cette matinée ensoleillée du mois de janvier, la circulation se fait de plus en plus dense. Entre les véhicules, les bétails et les piétons, il est difficile de se frayer un passage. À l’approche de la fête du mouton, des centaines d’habitants des villages avoisinants sont venus s’approvisionner.
Des étalages de différentes marchandises sont présentées. Des légumes aux vêtements, en passant par les appareils électroménagers d’occasion. Au village de Taghzirte, situé à dix-sept kilomètres de Kasbah Tadla, dans la province de Béni Mellal, tout le monde se connaît. À la vue des étrangers, quelques curieux se sont attroupés. Ils ont échangé des mots en berbère et se sont dirigés vers nous. Ils ont compris que nous étions perdus. Nous cherchions le chemin pour atteindre le village de Hensala.
Piste
Un jeune homme d’une trentaine d’année s’est proposé pour nous aider. Il nous a informé que des hommes du village en question se trouvent à Taghzirte pour s’approvisionner. À ce moment-là, un homme d’une cinquantaine d’année, une barbe noire bien taillée, habillé d’une djellaba couleur foncée et affichant un large sourire, vient nous accueillir. Il nous invite à le suivre.
C’est l’Imam du village. Nous empruntons une piste serpentée et caillouteuse. À mi-chemin, nous découvrons un spectacle alpestre époustouflant. Juchées à flanc de montagne, une vingtaine d’habitations rudimentaires bâties en pisé sont éparpillées au milieu des arbres fruitiers. Elles donnent l’impression d’être suspendues en l’air. Rien ne semble les retenir.
Avec fierté, l’homme qui nous accompagnait lève sa main vers le ciel et nous montre son bled. C’est Hensala.
Après une dizaine de kilomètre, le convoi arrive à destination. À quelques minutes, un pick-up transportant des hommes nous rattrape, laissant derrière lui un nuage de poussière. C’est le seul moyen de locomotion pour accéder au village, à part le mulet et l’âne. Les passagers débarquent.
Avant de rebrousser chemin, le conducteur demande à ses clients de pousser l’engin pour que celui-ci redémarre.
Après les salutations et les formules de politesse d’usage, l’imam convie le groupe à s’installer dans une cour donnant sur sa modeste demeure, composée de deux pièces et à la construction inachevée.
Rigueur
Les plus jeunes du groupe se lèvent. L’un d’eux portait un sac en plastique translucide où l’on pouvait apercevoir de la viande.
À Hensala, les jeunes entre dix-huit et trente-ans se font de plus en rares.
C’est un village de vieux, de femmes et d’enfants. La tranche active a immigré soit à l’étranger soit aux grandes villes pour trouver du travail afin de subvenir aux besoins de leurs familles qui vivent dans le dénuement total. L’agriculture est la seule source de survie. Et encore, il faut posséder des terres fertiles. La région est connue par ses pommes et ses olives.
Mais même si la récolte est bonne, sa vente ne permet pas d’assurer la totalité des besoins quotidiens. Souvent, les paysans sont obligés d’écouler leurs marchandises au souk de Taghzirte à des prix dérisoires, puisqu’ils n’ont pas les moyens de se déplacer.
En moyenne, une famille possède une cinquantaine de pommiers, ce qui équivaut à un revenu annuel de 4.000 dirhams. Cette somme ne permet même pas d’acheter du bois pour se réchauffer pendant les hivers glaciaux.
Chose qui a poussé quelques habitants du village de Hensala à couper du bois clandestinement de la forêt proche. Ce qui leur a valu de lourdes amendes.
À cet égard, un habitant du village se plaint d’avoir écopé de 180.000 dirhams d’amende, et s’il ne peut pas honorer sa dette, il fera l’équivalent en jours de prison, à raison de cinquante dirhams par jour. Au total, cet homme aura à faire 3.600 jours de prison, dix ans, presque, pour avoir cherché à se prémunir contre la rigueur du froid.
Fantôme
S’il est vrai que cette région est menacée par la déforestation, ce n’est pas une raison pour accabler les villageois qui se rendent coupables de “vol par nécessité". La culture des céréales est aussi très répandue mais elle arrive à peine à couvrir leur consommation personnelle.
Par ailleurs, la majorité des enfants du village sont scolarisés. Ce n’est pas pour autant qu’ils rêvent à un avenir meilleur. L’école primaire de Hensala ne permet aucun espoir dans ce sens.
Une bâtisse de fortune qui ne comporte qu’une seule classe où les élèves de tous les niveaux s’entassent pour étudier. Il n’y a ni eau courante ni électricité, comme dans tout le village. Durant l’hiver, les cours finissent avant d’avoir commencé. Comme dans la montagne le soleil se couche rapidement, les élèves sont vite plongés dans la pénombre et l’instituteur s’empresse de les libérer.
À ce titre, le parent d’un élève déplore la qualité de l’enseignement. “Vous imaginez, un enfant en quatrième année de l’école primaire qui est censé apprendre la langue arabe, qu’il ne parle pas. L’école de Hensala est une école fantôme. Les maîtres la fuient et les élèves la désertent." a-t-il déclaré. Les instituteurs affectés dans cette région donnent deux heures de cours par semaine, au maximum. “Ils ne cherchent qu’à être mutés", affirme l’imam.
Deuil
Le plus frappant à Hensala, c’est la beauté des femmes. De haut de sa monture, une Berbère d’un certain âge nous toise du regard. Avec des yeux bleu-océan, un visage bruni par le soleil et marqué par le temps, la tête haute et fière, elle dégage une prestance déconcertante. Elle passe son chemin sans s’intéresser aux visiteurs. Il émanait d’elle un sentiment de liberté et de sérénité qu’on ne retrouve pas chez les femmes de la ville.
Après de longues discussions, les jeunes du village ont servi du thé, accompagné de brochettes de viande de bœuf, du pain et de l’huile d’olive. L’accueil aurait été plus festif si le village n’était pas en deuil. Quatorze hommes de Hensal ont été victimes de l’émigration clandestine.
Ils ont péri dans le tristement célèbre naufrage de Cadix, survenu le 25 octobre 2003. Les familles des victimes attendent toujours le rapatriement des corps pour enterrer leurs morts.
Dans ce village du Moyen-Atlas, de 400 habitants, l’espoir de voir des jours meilleurs est perdu à tout jamais.
Hensala, village du Moyen-Atlas
Tout espoir enterré
Hensala abrite surtout des enfants, des femmes et des vieillards. Les plus valides d’entre les hommes ont préféré émigrer à la recherche de lendemains meilleurs. Quatorze d’entre eux figurent parmi les victimes du naufrage de Cadix. Les familles attendent toujours leurs dépouilles.
Loubna Bernichi
• La vie dure des villageois.
On est jeudi, jour de marché hebdomadaire à Douar Taghzirte. En cette matinée ensoleillée du mois de janvier, la circulation se fait de plus en plus dense. Entre les véhicules, les bétails et les piétons, il est difficile de se frayer un passage. À l’approche de la fête du mouton, des centaines d’habitants des villages avoisinants sont venus s’approvisionner.
Des étalages de différentes marchandises sont présentées. Des légumes aux vêtements, en passant par les appareils électroménagers d’occasion. Au village de Taghzirte, situé à dix-sept kilomètres de Kasbah Tadla, dans la province de Béni Mellal, tout le monde se connaît. À la vue des étrangers, quelques curieux se sont attroupés. Ils ont échangé des mots en berbère et se sont dirigés vers nous. Ils ont compris que nous étions perdus. Nous cherchions le chemin pour atteindre le village de Hensala.
Piste
Un jeune homme d’une trentaine d’année s’est proposé pour nous aider. Il nous a informé que des hommes du village en question se trouvent à Taghzirte pour s’approvisionner. À ce moment-là, un homme d’une cinquantaine d’année, une barbe noire bien taillée, habillé d’une djellaba couleur foncée et affichant un large sourire, vient nous accueillir. Il nous invite à le suivre.
C’est l’Imam du village. Nous empruntons une piste serpentée et caillouteuse. À mi-chemin, nous découvrons un spectacle alpestre époustouflant. Juchées à flanc de montagne, une vingtaine d’habitations rudimentaires bâties en pisé sont éparpillées au milieu des arbres fruitiers. Elles donnent l’impression d’être suspendues en l’air. Rien ne semble les retenir.
Avec fierté, l’homme qui nous accompagnait lève sa main vers le ciel et nous montre son bled. C’est Hensala.
Après une dizaine de kilomètre, le convoi arrive à destination. À quelques minutes, un pick-up transportant des hommes nous rattrape, laissant derrière lui un nuage de poussière. C’est le seul moyen de locomotion pour accéder au village, à part le mulet et l’âne. Les passagers débarquent.
Avant de rebrousser chemin, le conducteur demande à ses clients de pousser l’engin pour que celui-ci redémarre.
Après les salutations et les formules de politesse d’usage, l’imam convie le groupe à s’installer dans une cour donnant sur sa modeste demeure, composée de deux pièces et à la construction inachevée.
Rigueur
Les plus jeunes du groupe se lèvent. L’un d’eux portait un sac en plastique translucide où l’on pouvait apercevoir de la viande.
À Hensala, les jeunes entre dix-huit et trente-ans se font de plus en rares.
C’est un village de vieux, de femmes et d’enfants. La tranche active a immigré soit à l’étranger soit aux grandes villes pour trouver du travail afin de subvenir aux besoins de leurs familles qui vivent dans le dénuement total. L’agriculture est la seule source de survie. Et encore, il faut posséder des terres fertiles. La région est connue par ses pommes et ses olives.
Mais même si la récolte est bonne, sa vente ne permet pas d’assurer la totalité des besoins quotidiens. Souvent, les paysans sont obligés d’écouler leurs marchandises au souk de Taghzirte à des prix dérisoires, puisqu’ils n’ont pas les moyens de se déplacer.
En moyenne, une famille possède une cinquantaine de pommiers, ce qui équivaut à un revenu annuel de 4.000 dirhams. Cette somme ne permet même pas d’acheter du bois pour se réchauffer pendant les hivers glaciaux.
Chose qui a poussé quelques habitants du village de Hensala à couper du bois clandestinement de la forêt proche. Ce qui leur a valu de lourdes amendes.
À cet égard, un habitant du village se plaint d’avoir écopé de 180.000 dirhams d’amende, et s’il ne peut pas honorer sa dette, il fera l’équivalent en jours de prison, à raison de cinquante dirhams par jour. Au total, cet homme aura à faire 3.600 jours de prison, dix ans, presque, pour avoir cherché à se prémunir contre la rigueur du froid.
Fantôme
S’il est vrai que cette région est menacée par la déforestation, ce n’est pas une raison pour accabler les villageois qui se rendent coupables de “vol par nécessité". La culture des céréales est aussi très répandue mais elle arrive à peine à couvrir leur consommation personnelle.
Par ailleurs, la majorité des enfants du village sont scolarisés. Ce n’est pas pour autant qu’ils rêvent à un avenir meilleur. L’école primaire de Hensala ne permet aucun espoir dans ce sens.
Une bâtisse de fortune qui ne comporte qu’une seule classe où les élèves de tous les niveaux s’entassent pour étudier. Il n’y a ni eau courante ni électricité, comme dans tout le village. Durant l’hiver, les cours finissent avant d’avoir commencé. Comme dans la montagne le soleil se couche rapidement, les élèves sont vite plongés dans la pénombre et l’instituteur s’empresse de les libérer.
À ce titre, le parent d’un élève déplore la qualité de l’enseignement. “Vous imaginez, un enfant en quatrième année de l’école primaire qui est censé apprendre la langue arabe, qu’il ne parle pas. L’école de Hensala est une école fantôme. Les maîtres la fuient et les élèves la désertent." a-t-il déclaré. Les instituteurs affectés dans cette région donnent deux heures de cours par semaine, au maximum. “Ils ne cherchent qu’à être mutés", affirme l’imam.
Deuil
Le plus frappant à Hensala, c’est la beauté des femmes. De haut de sa monture, une Berbère d’un certain âge nous toise du regard. Avec des yeux bleu-océan, un visage bruni par le soleil et marqué par le temps, la tête haute et fière, elle dégage une prestance déconcertante. Elle passe son chemin sans s’intéresser aux visiteurs. Il émanait d’elle un sentiment de liberté et de sérénité qu’on ne retrouve pas chez les femmes de la ville.
Après de longues discussions, les jeunes du village ont servi du thé, accompagné de brochettes de viande de bœuf, du pain et de l’huile d’olive. L’accueil aurait été plus festif si le village n’était pas en deuil. Quatorze hommes de Hensal ont été victimes de l’émigration clandestine.
Ils ont péri dans le tristement célèbre naufrage de Cadix, survenu le 25 octobre 2003. Les familles des victimes attendent toujours le rapatriement des corps pour enterrer leurs morts.
Dans ce village du Moyen-Atlas, de 400 habitants, l’espoir de voir des jours meilleurs est perdu à tout jamais.