Le Maroc attend vainement le changement!

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Le mois prochain, le Maroc commémorera le second anniversaire du décès du roi Hassan II et celui de la montée sur le trône alaouite de l’actuel souverain Mohammed VI. Ce jeune monarque avait impressionné l’opinion publique en adoptant très vite des mesures longtemps attendues, en particulier en faveur des libertés, des exilés politiques et des victimes de la répression. Son habileté à gérer le dossier islamiste et le limogeage de l’ancien ministre de l’intérieur furent également salués comme preuves de sa volonté de faire avancer les choses. Mais depuis, l’élan semble avoir perdu de son intensité. Dans plusieurs domaines, une régression est même perceptible. Alors que les dossiers brûlants s’accumulent et que la société attend avec impatience les grands changements




Par IGNACE DALLE
Journaliste, auteur du Règne de Hassan II, 1961-1999, une espérance brisée, Maisonneuve et Larose, Paris, 2001.



A quelques semaines du deuxième anniversaire de sa montée sur le trône alaouite, Mohammed VI demeure à bien des égards un mystère. La popularité ou la bienveillance dont il a bénéficié, et qui tient autant à ses qualités propres qu’au soulagement des Marocains de voir s’achever l’ère précédente, s’estompe doucement. Il n’y a pas eu de miracle économique et social, mais les Marocains n’en attendaient pas vraiment. Le taux de chômage demeure toujours aussi élevé et les docteurs et licenciés chômeurs continuent à réclamer de l’Etat qu’il leur donne du travail, avant de se faire régulièrement tabasser par les compagnies mobiles d’intervention.

En l’an 2000, 2 039 émigrés clandestins, dont plus de 70 % de Marocains, ont été interceptés au large des côtes, selon l’état-major de la marine royale. Bien d’autres, y compris des gamins qui finiront souvent par tomber dans les mailles des réseaux de pédophilie ou de drogue, sont parvenus à franchir le détroit de Gibraltar ou à se glisser dans un conteneur en partance pour l’Europe par voie maritime ou terrestre. Le 26 avril, le quotidien saoudien basé à Londres, Ach Charq al-Awsat, dénonçait les conditions de travail des milliers d’éboueurs marocains qui, privés d’équipements de protection, sont exposés à toutes sortes de maladies. L’un d’entre eux, interrogé par le journal, affirmait que leurs salaires - entre 760 et 920 dirhams par mois (entre 450 F et 550 F), nettement inférieurs au salaire minimum - ne suffiraient pas à nourrir le chien d’une riche demeure...

Dans le fonctionnement de la dynastie, la continuité est présente partout. Lors de ses nombreux voyages dans le pays - beaucoup de Marocains l’appellent « Al Jawal » (« le Mobile » du nom des cartes prépayées pour téléphone portable) -, le souverain déplace les foules autant par curiosité ou sympathie que parce que les autorités locales continuent à remplir, comme au temps de son père, camions et autocars. La circulation est également bloquée pendant des heures pour permettre le passage du cortège royal, suscitant la grogne de nombreux automobilistes. Le tapis rouge a même été déroulé en rase campagne alors que Sa Majesté se déplaçait en train vers Marrakech. Dans cette dernière ville, le souverain se fait construire, à Sidi Mimoun, un palais de plus ! Ce n’est pas, dit-on, qu’il raffole du luxe mais il entend que son territoire ne se confonde pas avec celui de son père. Ainsi, de même qu’il n’a pas voulu s’installer au Mechouar - le palais de Rabat -, préférant demeurer dans sa belle villa à la sortie de Salé, de même entend-il éviter le palais de Marrakech fréquenté par Hassan II.

Les rapports complexes que ce dernier entretenait avec son fils aîné expliquent en grande partie le comportement actuel du jeune souverain. « Il a envie de respirer, de souffler, de s’amuser », relève un bon connaisseur de la famille royale, selon lequel Hassan II avait « l’art de stresser son entourage, y compris le prince héritier ». Le jet-ski, les longs essais de voitures Ferrari lors d’une visite officielle en Italie au printemps 2000, des soirées passées avec des artistes admirés ne s’expliquent pas autrement. Il devrait cependant faire attention à « ne pas heurter la sensibilité des petites gens facilement manipulables », souligne un proche du palais en évoquant le déplacement du roi à Yaoundé (Cameroun), les 18 et 19 janvier 2001, pour le 21e sommet France-Afrique. Plus de trois cents personnes l’avaient alors accompagné avec un matériel considérable. La monarchie coûte d’ailleurs cher à l’Etat. Dans le budget général pour 2001, qui s’élève à près de 139 milliards de dirhams, près de 2 milliards sont affectés dans la partie fonctionnement aux « listes civiles, dotations de souveraineté et cour royale ». A cela, il faut ajouter 222 millions de dirhams dans la partie investissement (1 % très précisément des investissements de l’Etat) pour cette même famille royale !

L’étiquette en usage à la cour n’a, elle non plus, guère bougé. La cérémonie annuelle d’allégeance - la bai’a - lors de la fête du trône, le 3 mars, se déroule selon un rituel immuable. De leur côté, les journaux d’information de la télévision d’Etat, la première chaîne, toujours aussi indigents et insipides, se bornent quotidiennement, comme au temps de Hassan II, à filmer interminablement les activités royales.

Cependant, si les formes n’ont guère évolué, il serait inexact de dire que l’atmosphère générale n’a pas changé. Comme le souligne M. Fouad Abdelmoumni, vice-président de l’Association marocaine des droits humains (AMDH), « les chancelleries occidentales ainsi que divers milieux politiques et médiatiques ont donné du nouveau monarque une image très positive que Mohammed VI peut difficilement ignorer ». « Le pouvoir, ajoute-t-il, ne souhaite pas dilapider ce capital symbolique, d’autant plus que ses actifs sont trop rares pour qu’il se permette d’en dédaigner un quelconque élément. »

Ce climat légèrement euphorique, qui a prévalu dans les mois qui ont suivi la montée sur le trône de Mohammed VI, a aussi conduit la plupart de ceux qui font l’opinion à croire que les espaces de liberté s’étaient accrus et à s’exprimer en conséquence d’une manière plus directe, plus ouverte, plus osée. Dirigé par Aboubakr Jamaï, un intellectuel brillant et anticonformiste - outrageusement selon nombre de Marocains -, Le Journal a poussé fort loin ce nouvel état d’esprit. Le pouvoir lui a brutalement rappelé, à la fin de l’année 2000, les limites de l’exercice en l’interdisant pendant quelques semaines, ainsi que son pendant arabe (1). L’hebdomadaire est dans une position délicate, ses difficultés financières - les annonceurs ont pris la fuite - venant s’ajouter à ses démêlés judiciaires.

Impression de fragilité
ANCIEN journaliste à Kalima, aujourd’hui informaticien installé à Paris, Younès Benkirane se félicite de voir « s’estomper la chape de flou et de brume qui pesait sur le fonctionnement du pouvoir », mais il se demande avec inquiétude si « cette ouverture ne profite pas également aux islamistes, aux mafias de la drogue et de la contrebande ou à certains lobbies dans l’armée ou ailleurs ». « Avec Mohammed VI, ajoute-t-il, on a une impression de fragilité qui le rend plus sympathique et humain mais aussi mal préparé à affronter les coups durs. »

Tous les Marocains ou presque conviennent que l’ombre du père plane toujours sur la scène nationale et qu’on ne se débarrasse pas en deux années de quarante ans de pratiques autoritaires, voire tyranniques. Dans un entretien fort intéressant publié par Le Quotidien du Maroc (2), le politologue et universitaire Abdellatif Aguenouch montrait bien la filiation entre l’ancien ministre de l’intérieur Driss Basri et son successeur Ahmed El Midaoui : « Midaoui n’est qu’un des hommes de Basri parmi la multitude de visiteurs qui fréquentaient ses conférences du samedi matin à la faculté de droit et qui voulaient se rapprocher de lui en quête d’un poste quelconque. C’est Basri qui l’a façonné à sa guise après qu’il eut été un simple inspecteur des finances. Par la suite, il lui a offert le poste de gouverneur de Mohammedia, puis celui de Tanger, et enfin celui de directeur général de la sûreté nationale. »

Pour M. Aguenouch, qui « doute fort » qu’un conflit, comme le bruit en avait couru, ait opposé dans le temps M. Basri à M. Mida oui, « l’essentiel peut se résumer ainsi : le changement, si changement il y a, consiste uniquement à partager les rôles entre Ahmed El Midaoui et Fouad Ali El Himma (secrétaire d’Etat à l’intérieur). Dans ce scénario, el Midaoui ressemble beaucoup plus à un porte-manteau sur lequel on suspend tout le linge sale, alors que les dossiers les plus importants et qui sont susceptibles de redorer le blason du pouvoir à l’étranger sont du ressort de Fouad El Himma, qui est un homme d’une autre trempe ».

La persistance de regrettables dérapages - comme la brutalité avec laquelle ont été traités, le 9 décembre 2000, des dizaines de militants de l’AMDH, dont son futur président Abdelhamid Amine, qui manifestaient à l’occasion du 52e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l’homme - ne s’explique pas autrement. Il est vrai que, quelques semaines auparavant, l’AMDH avait publié un texte contre l’impunité accompagné d’une liste d’une douzaine de hauts responsables contre lesquels elle demandait que soient engagées des poursuites judiciaires en raison de leur rôle dans l’histoire de la répression. Ce texte a fait grand bruit et ouvert un débat qui n’est toujours pas clos sur la nécessité ou non de tourner la page et à quelles conditions.

A cette occasion, on avait pu voir que les structures mises en place par M. Basri et les pratiques policières n’avaient pas bougé. En revanche, si l’indemnisation des survivants du bagne de Tazmamart ou de certaines familles de disparus a pu avoir lieu, si M. Ahmed Marzouki a enfin pu avoir son passeport et publier son livre Tazmamart, cellule 10, si Le Journal et As-Sahifa ont fini par reparaître, c’est parce qu’il existe dans l’entourage du jeune roi des conseillers qui ont enfin compris où se situaient les intérêts véritables du pays.

D’une manière générale, on peut porter au crédit du souverain la nomination d’un certain nombre de grands commis de l’Etat, qui ont un pied dans le Makhzen et un autre dans le XXIe siècle. Honnêtes et compétents, on les retrouve aussi bien à la tête des gouvernorats que des offices publics ou des grandes administrations. Si le sentiment d’impunité qui prévalait du temps de Hassan II commence à disparaître, c’est en grande partie à l’arrivée de cette nouvelle génération de hauts responsables de l’Etat qu’on le doit. Mais les défis qu’il leur faut relever sont considérables, parfois presque insurmontables, car la hiérarchie et la base ne suivent que très difficilement.

Observateur avisé du royaume et l’un des premiers et rares journalistes à avoir mené un véritable travail d’investigation sur divers sujets, Ahmed Reda Benchemsi estime que « l’urgence des urgences, c’est la réforme de l’administration publique, du fonctionnariat ». Quel que soit le plan de développement ou le projet de société que le roi ou un gouvernement digne de ce nom pourrait avoir, il serait de toute façon voué à l’échec s’il n’existe pas d’outil suffisamment efficace pour l’appliquer.

M. Fouad Abdelmoumni, qui dirige également l’association Al Amana, qui en est à plus de cent mille micro-crédits en cinq années d’existence, ne voit pas de solutions « hors de certaines ruptures fondamentales ». Il est urgent, selon lui, d’« alléger dramatiquement le poids de l’Etat » et notamment de réduire « le poids financier, humain et politique exorbitant de l’armée » en accélérant la conclusion d’un accord sur le Sahara occidental. Selon lui, les hauts fonctionnaires et les représentants du peuple devraient également être les premiers à donner l’exemple en contribuant à réduire le train de vie de l’Etat. Comme beaucoup de ses compatriotes, il juge superflue l’existence d’une deuxième Chambre. Des sanctions exemplaires, estime-t-il, devraient être prises contre tous ceux qui sont impliqués dans des affaires de corruption.

Mais ce qui gêne le plus les Marocains, c’est sans aucun doute l’absence de projet chez les dirigeants. Sans le produit - 23,345 milliards de dirhams ou 2,4 milliards d’euros - de l’acquisition récente par Vivendi de 35 % du capital de Maroc-Télécom (Ittissalat al Maghreb/IAM), les autres ressources du budget général de l’Etat auraient à peine suffi au fonctionnement de la machine administrative et au service de la dette. Le patrimoine n’est pas indéfiniment extensible et le gouvernement donne le sentiment de naviguer à vue sans songer à cette bombe à retardement que constitue l’entretien de fonctionnaires en nombre pléthorique et dont l’efficacité est bien faible.

On peut évidemment s’interroger sur le comportement des élites politiques. Comme dans beaucoup d’autres secteurs, Mohammed VI doit tenir compte des conséquences de près de trois décennies de répression et de corruption, du début des années 1960 à la fin des années 1980. Presque tout le monde a oublié que le 26 août 1974 Abderrahim Bouabid, chef de la gauche, a pris l’avion pour Moscou en tant qu’émissaire de Hassan II chargé de défendre auprès des Soviétiques la marocanité du Sahara. Au même moment, Omar Benjelloun, autre figure de proue de la gauche, était libéré, mais six autres militants de l’Union nationale des forces populaires (UNFP) étaient passés par les armes.

En 1981, avec notamment la répression impitoyable de la grève générale du 20 juin et l’arrestation du bureau politique de l’Union socialiste des forces populaires (USFP) opposé au référendum d’autodétermination sur le Sahara, Hassan II mit une fois pour toutes au pas l’opposition traditionnelle, qui fut littéralement assujettie. L’effondrement des régimes communistes et la récupération des élites par des moyens douteux - que d’énergie M. Driss Basri aura dépensée à tenter de compromettre ou de corrompre la classe politique ! - apporteront de l’eau au moulin du monarque défunt.

Poids croissant de l’armée
C’EST à ces hommes souvent âgés et qui ne veulent généralement rien abandonner de leurs prérogatives, comme ils l’ont encore montré lors du récent congrès de l’USFP, qui a soigneusement tenu à l’écart le courant moderniste, que Mohammed VI a affaire. Pis, ils ne lui sont presque d’aucune utilité. Lors du plan d’action en faveur de la femme défendu pourtant par un des leurs, membre du PPS (communiste), les partis historiques au pouvoir, avec la complicité du pusillanime ministre des Habous, M. Alaoui M’Daghri, ont enterré le projet dès que les islamistes ont commencé à élever la voix ! Dans le domaine de l’action sociale, l’USFP et l’Istiqlal sont d’une étonnante discrétion et se bornent le plus souvent à se féliciter des initiatives du Palais.

Néanmoins, partagé entre le respect que la conduite longtemps courageuse de M. Abderrahmane Youssoufi à l’égard de son père lui inspire et son désir de voir rajeuni l’encadrement des grands partis historiques, MohammedVI n’a pas tranché ouvertement, même si le bruit court que le Palais verrait d’un bon oeil et même favoriserait l’émergence des jeunes générations.

Conscient du manque de crédibilité des formations historiques et, sans doute, d’une certaine incompétence à diriger les affaires publiques, le roi et son entourage sont souvent amenés à prendre les décisions les plus importantes avec, évidemment, le risque de s’exposer et de s’user rapidement. Signe de continuité, Mohammed VI gouverne par décret (dahirs) et court-circuite fréquemment un gouvernement peu dynamique.

Pour l’heure, hormis des déclarations trop optimistes en matière pétrolière (mais il avait sans doute été mal conseillé), le roi a commis peu d’erreurs et su faire quelques choix heureux, le limogeage de M. Driss Basri ayant certainement été le geste le plus fort de son règne. Mais s’il a donné quelques orientations générales dans ses premiers discours, il n’a toujours pas de projet susceptible de changer profondément la vie des Marocains : ni réforme de l’administration, ni réforme fiscale, ni lutte sans merci contre la corruption et les mafias.

Le poids croissant de l’armée depuis la mise à l’écart de M. Driss Basri constitue un autre souci pour le monarque et les sanctions sévères qui ont frappé le capitaine Mustafa Adib, qui avait dénoncé la corruption de certains officiers, sont quelque peu en contradiction avec la compréhension manifestée en d’autres temps par le prince héritier pour le jeune officier. Contrairement à son père, qui connaissait parfaitement le monde militaire - surveillé de près par M. Driss Basri - et qui le gérait à sa manière très particulière, Mohammed VI manque encore d’expérience.

Une fois de plus, le jeune souverain et son entourage, aussi décidés soient-ils à nettoyer les écuries d’Augias, se retrouvent confrontés à un héritage très lourd où une administration pléthorique et les mafias de la drogue et de la contrebande ne constituent que la partie visible de l’iceberg. A moyen terme, pourtant, le roi devra prendre de nouvelles initiatives sous peine d’être taxé d’immobilisme. Dans une bonne analyse de la situation politique actuelle intitulée avec humour Du Makhzen pur au Makhzen à visage décaféiné, Samady Abd El Malek estime que « le nouveau Makhzen éprouve le besoin aujourd’hui, pour pérenniser sa domination, d’éliminer certains abus parmi les plus choquants. Il souhaite redorer son blason mais sans pour autant sacrifier l’essentiel de son pouvoir économique et politique (3) ».

Si l’ambition de Mohammed VI et de ses conseillers se borne à un certain toilettage, il y a fort à craindre que les lendemains seront difficiles, car les attentes des Marocains vont bien au-delà de ce service minimal. Mais devant l’immensité de ce qu’il faut bâtir ou reconstruire, on peut comprendre que le jeune roi se demande par où commencer.

IGNACE DALLE.

www.lemondediplomatique.com
 
Salam o aleykoum
Tu auraî pu prendre un article plus récent, car celui ci date d'il ya 3 ans.

C'est vrai qu' en 3 ans peu de choses ont changé au Maroc.

a si sauf que l 'équipe nationale est forte cet année

:)
 
salam

A part la moudawana que le roi a reformé en faveur de la femme marocaine, je vois pas de grand changement.
Le changement économique est tres attendu depuis des années, à tel point qu'on y croit plus!
Ihna lhal ihna zman! :-(
 
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