INTRODUCTION
1) Mandat et déroulement de la mission
A l’occasion de l’examen du rapport du Maroc (CERD/C/430/Add.1. du 10 juin
2002), devant le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, la
Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) souhaite
examiner la question de la conformité de la législation marocaine et de sa mise en
oeuvre avec la Convention internationale pour l’élimination de toutes formes de
discrimination raciale, en particulier pour ce qui a trait à la population amazighe.
A cet effet, la FIDH a envoyé une mission d’enquête internationale au Maroc entre le 18 et
le 23 décembre 2002. La mission était composée de Samia Slimane, consultante auprès des
organisations internationales de défense des droits de l’homme, et de Elin Wrzoncki,
bureau Maghreb/ Moyen Orient au secrétariat international de la FIDH.
Cette mission avait pour objectifs :
- de recueillir des informations sur la législation marocaine et la pratique des droits
culturels au Maroc et de relever les discriminations éventuelles subies par les
populations amazighophones au Maroc.
La mission a rencontré à cet effet (liste en annexe) :
- des membres d’ONG appartenant au mouvement associatif amazigh au Maroc ;
- des membres d’associations nationales de défense des droits de l’Homme ;
- le recteur de l’Institut royal de la culture amazighe (IRCAM).
2) La question amazighe au Maroc
La population « amazighe » représente environ 30 millions de personnes, réparties sur
plusieurs pays du Grand Maghreb-Sahara-Sahel (Maroc, Algérie, Tunisie, Egypte, Libye,
Iles Canaries, Niger, Mali, Mauritanie, Burkina Faso).
Le critère d’identification des populations amazighes repose sur la langue, le tamazight
dont le système d'écriture original, tifinagh, est utilisé et préservé à ce jour par les
Touaregs. L’utilisation de la graphie latine pour transcrire l’alphabet tifinagh a été adoptée
en Algérie. Les Imazighen au Maroc utilisent aussi bien la graphie latine que la graphie
arabe pour écrire le tamazight. Le 5 février 2003, l’Institut royal de la culture amazighe
(IRCAM), crée en octobre 2001, a tranché en faveur de l’usage de l’alphabet amazigh, le
tifinagh.
S’il est difficile d’avancer des chiffres précis quant à l’importance numérique des
populations amazighophones au Maroc, aucun recensement ne tenant compte de la langue
usitée, il est néanmoins possible de brosser une géographie démographique approximative.
A chaque région du Maroc correspond un parler issu du tamazight : le tarifit, dans le
Nord-Est; le tamazight, dans le Moyen Atlas, dans la partie septentrionale du Haut Atlas
et dans la région du Sud-Est, et le tachelhit, dans la partie méridionale du Haut Atlas et la
région du Sud-Ouest. Selon le mouvement associatif amazigh, autour de 60 % des
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Marocains seraient amazighophones. Près de 40% se trouveraient dans les centres urbains.
Dans certaines zones rurales, cette proportion se situerait entre 80 % et 100 %. Parmi les
amazighophones, plus d’un tiers ne maîtriserait pas l’arabe classique.
La Constitution marocaine reconnaît uniquement la réalité arabe comme constitutive de
l’Etat marocain. Ainsi, le préambule de la Constitution énonce « le Royaume du Maroc, Etat
musulman souverain, dont la langue officielle est l'arabe, constitue une partie du Grand Maghreb Arabe ».
L’ensemble du système administratif et politique marocain est dominé par la langue arabe.
Le système judiciaire est entièrement arabisé, notamment depuis un dahir de 1965, et il en
va de même des administrations publiques depuis une circulaire de 1998. Le système
éducatif est lui aussi dominé par l’arabe. Il faut noter également le fort taux
d’analphabétisme au Maroc qui atteint 75% dans les régions rurales, et plus de 35% dans les
villes1.
Aux fins d’analyse de la conformité de la législation et la pratique marocaine avec la
Convention internationale pour l’élimination de toutes formes de discrimination raciale, ce
rapport présentera dans un premier temps les dispositions générales constitutionnelles et
législatives entourant la liberté religiseuse et la mise en oeuvre de la non-discrimination.
Dans un second temps, ce rapport abordera dans le détail les discriminations envers les
populations amazighes au Maroc.
1 Core document forming the initial part of State party reports, Morocco, HRI/CORE/1/Add.23/Rev.1, 15
April 2002, § 8.
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II- LES DISPOSITIONS GENERALES VISANT A PROMOUVOIR LA
NON-DISCRIMINATION RACIALE AU MAROC
1) La constitution marocaine et les limites à la liberté religieuse
La Constitution marocaine, révisée en 1996, garantit la non-discrimination raciale au
Maroc. Ainsi l’article 5 dispose que « Tous les Marocains sont égaux devant la loi » et le titre
premier garantit la jouissance des libertés publiques à « tous les citoyens ».
La Constitution garantit également la liberté religieuse : l’article 6 stipule « L’Islam est la
religion de l’Etat qui garantit à tous le libre exercice des cultes ». Le Maroc, dans son rapport au
CERD ne fait état que de la situation de la communauté juive, dont les membres sont
considérés comme des citoyens marocains à part entière. Mais si les juifs marocains ne font
pas l’objet d’un traitement inégal de la part de l’Etat, on note récemment une montée de
l’expression de l’antisémitisme en provenance de certains responsables de la mouvance
islamiste. Par exemple, le 4 mai 2002, l’hebdomadaire marocain Le Journal faisait état des
propos anti-juifs de Abdelbari Zamzami, immam d'une mosquée de Casablanca depuis
1976 :
« Entre nous et les juifs, les choses sont beaucoup plus compliquées et je ne pense pas qu'un jour nous
pourrions vivre en paix avec eux. Ils restent l'ennemi à abattre ».
Si les communautés juives et chrétiennes exercent librement leur religion au Maroc, des
restrictions existent cependant quant au prosélytisme chrétien. Ainsi l’apostasie est
considérée au Maroc comme un délit. L’article 221 al. 2 du code pénal marocaine punit
celui qui amène un musulman à apostasier :
« Est puni [d'un emprisonnement de six mois à trois ans et d'une amende de 100 à 500 dirhams],
quiconque emploie des moyens de séduction dans le but d'ébranler la foi d'un musulman ou de le
convertir à une autre religion, soit en exploitant sa faiblesse ou ses besoins, soit en utilisant à ces fins
des établissements d'enseignement, de santé, des asiles ou des orphelinats. En cas de condamnation,
la fermeture de l'établissement qui a servi à commettre le délit peut être ordonnée, soit définitivement,
soit pour une durée qui ne peut excéder trois ans ».
Le code pénal ne mentionne pas de peine pour l’apostat lui-même. Cependant, jusqu’en
1998, des convertis au christianisme ont été emprisonnés2. Si l’on ne relève pas de telles
atteintes depuis 1998, au cours de l’année 2000 et en septembre 2001, plusieurs
missionnaires chrétiens ont été interrogés par la police3. Cependant, les poursuites
judiciaires entamées n’ont pas eu de suites. D’après les informations recueillies par la
mission, il semble que les convertis au christianisme et les athées font toujours l’objet d’un
ostracisme social au Maroc et risquent d’être poursuivis en justice pour « incitation à quitter
l’islam ».
2 Par exemple, en 1994, Mustafa Zemanda, un converti au protestantisme a été condamné à 3 ans de
prison pour avoir reçu de la littérature chrétienne par la poste en vertu de l’article 220 et 221 du code
pénal marocain. Le Rapporteur spécial des Nation unies sur l’intolérance religieuse faisait état dans son
rapport du 30 décembre 1996 d’allégations d’atteintes à la liberté religieuse de la communauté chrétienne
au Maroc
3 International religious freedom report 2002 released by the bureau of democracy, human rights and
labor, US department of State.
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2) La répression de la discrimination raciale dans la législation
marocaine: des mesures récentes
- Loi sur les associations
L’article 3 du dahir du 15 novembre 1958 sur le droit d’association introduit dans sa
version modifiée en 2002 une interdiction des associations qui incitent à la discrimination
raciale. « Toute association fondée sur une cause ou en vue d’un objet illicite, contraire aux lois, aux
bonnes moeurs (…) ou qui incite à la discrimination raciale sous toutes ses formes, est nulle et de nul effet ».
- Code de la presse
Le nouveau code de la presse adopté le 6 mai 2002 contient un article visant à réprimer les
propos racistes dans la presse : « ceux qui, par l’un des moyens énoncés dans l’article 38 auront
directement provoqué soit la discrimination raciale, soit la haine ou la violence à l’encontre d’une ou
plusieurs personnes, compte tenu de leur origine, leur couleur ou leur appartenance ethnique ou
confessionnelle, sont punis d’un emprisonnement d’un mois à une année et d’une amende de 3000 à 30000
dirhams, ou de l’une de ces deux peines seulement ».
Cependant, en mai 2002, les propos antisémites de l’imam Abdelbari Zamzami, proche du
parti de la justice et développement, formation islamiste, n’ont pas été sanctionnés. Le
journal « Attajdid » avait pris à parti un responsable marocain, en l'occurrence André
Azoulay, non pour ses actes en tant que haut commis de l'Etat, mais pour le simple fait
qu'il soit juif, laissant entendre qu'il serait l'instigateur d'un soit disant complot mené à
moyen terme contre l'Islam, à travers l'organisation du festival musical d'Essaouira. A la
suite de ces propos, une pétition contre le racisme anti-juif a été lancée en juillet 2002 au
Maroc, demandant notamment « une loi qui réprime et punit tous ceux qui nous
déshonorent par leurs méprisables attitudes ».
Par ailleurs, la possibilité de présenter un projet de loi contre le racisme a été discutée par
un certain nombre de parlementaires marocains en avril 2002. Aucun projet n’a été déposé
pour l’instant.
Ces dispositions remplissent un vide législatif, constaté lors du dernier examen du
Maroc par le CERD. La FIDH s’en félicite. Le Maroc répond ainsi à son obligation
de « déclarer punissables par la loi toute diffusion d’idées fondées sur la supériorité
ou la haine raciale, toute incitation à la discrimination raciale (…) », prévue à
l’article 4.a de la Convention. Toutefois, ces mesures étant très récentes, il existe
encore peu d’indications quant aux modalités de leur mise en oeuvre et quant à
l’interprétation qui sera donnée à l’incitation à la discrimination raciale.
3) Des mesures législatives de protection contre la discrimination
raciale non-respectées
D’après le rapport du Maroc au CERD, les règles procédurales aménagées par les codes de
procédure civile et pénale sont les mêmes pour tous. Et le code de procédure pénale
prévoit une mesure spécifique en vue d’éviter toute discrimination.
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Ainsi l’article 313 du code de procédure pénale prévoit la nomination d’office d’un
interprète dans le cas ou le prévenu ou accusé parle « une langue ou un dialecte difficilement
intelligible ».
Or, dans les faits le Président du tribunal ne ferait pas recours à des traducteurs
assermentés mais à toutes personnes disponibles de manière informelle. Des avocats
rencontrés lors de la mission ont confirmé l’absence d’un interprète lorsque le prévenu ne
parle que le tamazight. Ceci est vérifié par le fait qu’il n’existe pas au Maroc d’école de
traduction et d’interprétariat incluant l’étude du tamazight.
Il y a donc rupture du principe d’égalité devant les tribunaux, garanti par l’article 5
de la Constitution marocaine et par l’article 5.a du ICERD.
En outre, la nouvelle loi n°23/98 relative à l’organisation et au fonctionnement des
établissements pénitentiaires dans son article 59, dans le cadre de la procédure disciplinaire,
prévoit “la nomination d’un interprète afin d’assister le détenu qui ne comprend pas ou se trouve dans
l’incapacité de s’exprimer en langue arabe pour assurer sa défense”. D’après les informations
recueillies par la mission, ces mesures ne sont pas appliquées.
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III- LES DISCRIMINATIONS CONTRE LES POPULATIONS
AMAZIGHOPHONES AU MAROC
1) Des discriminations dans l’exercice des droits culturels
- L’absence du tamazight dans le système éducatif
Le tamazight n’est pas aujourd’hui utilisé officiellement dans le système éducatif marocain.
Le défunt roi Hassan II avait annoncé en 1994 qu’il était indispensable d’enseigner les
« dialectes » au moins au niveau primaire. La réforme de l’enseignement n’a cependant pas
suivi le discours royal. Il y a moins d’un mois, le nouveau ministre de l’éducation a réitéré
cette annonce sans en préciser toutefois les modalités.
La Commission spéciale de l’éducation et de la formation (COSEF) a été chargée de
proposer une plan de réformes du système éducatif marocain. Ses travaux on été publiés en
octobre 1999, sous la forme d’une Charte nationale de l’éducation et de la formation. Cette
charte prévoit une « ouverture » à la langue tamazight (levier 9) mais dans le simple but de
« faciliter l’apprentissage de la langue officielle » (arabe) (art.115). L’objectif de cette charte est en
effet le « renforcement et perfectionnement de la langue arabe ». Ainsi cette charte ne prévoit ni
l’enseignement du tamazight, ni la formation des enseignants au tamazight, ni l’ouverture
sur la culture amazighe. De plus, les dispositions de cette charte prévoyant une ouverture
sur langue tamazight sont restées pour l’instant lettre morte.
- L’interdiction des prénoms amazigh
Les prénoms amazighs sont aujourd’hui encore au Maroc parfois frappés d’interdiction.
Le Haut comité de l’état civil marocain refuse en effet souvent l’inscription au registre de
l’état civil de prénoms amazighs. Ainsi, depuis 1998, le prénom de Idir a été interdit à
maintes reprises à Casablanca, et tout récemment en mars 2001, celui de Siman à
Tagadirete dans la région d’Agadir, celui de Noumidia à Khmiss dans la région de
Ouarzazète, celui de Sinimane en 1999 à Rabat, celui de Dihija à Goulmima. Récemment,
en novembre 2002, le prénom Fazaz a été interdit à Khénifra.
Le Haut comité de l’état civil aurait dressé une liste, qui n’a fait l’objet d’aucune publication,
de prénoms refusés au motif qu’ils ne seraient pas des « noms traditionnels marocains ».
Les décisions d’inscrire un prénom restent apparement à la discrétion des officiers de l’état
civil, qui d’une région à une autre, acceptent ou refusent l’inscription au registre d’un même
prénom amazigh.
Ces refus sont entourés d’un flou juridique. Les différents jugement rendus à Casablanca et
Rabat suite aux recours en annulation formés par les parents, confirment la légalité des
décisions des officiers de l’état civil au motif que les prénoms envisagés ne sont pas des
noms traditionnels marocains sans motiver plus avant leurs jugements.
Les populations amazighophones au Maroc font donc l’objet de violations de leurs
droits culturels et linguistiques garantis par l’article 5 e de la Convention
internationale contre toutes les formes de discrimination raciale.
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2) Des atteintes aux droits civils et politiques
Du fait du monopole de la langue arabe dans la sphère publique, les amazighophones sont
victimes d’atteintes à leurs droits civils et politiques au Maroc. Parce que l’administration
est totalement arabisée et les mesures législatives prévoyant des interprètes au sein du
système judiciaire ne sont pas respectées, le principe d’égalité pour les non-arabophones
devant l’administration et la justice n’est pas respecté.
En outre, la mission a relevé des atteintes au droit à l’information. Par ailleurs, le droit
d’association des militants amazigh n'est pas toujours respecté au Maroc.
- Les discriminations dans l’accès à l’information
- La presse écrite
Le rapport du Maroc évoque 11 journaux édités en langue berbère. Cependant, d’après les
informations recueillies par la mission, seulement deux ou trois journaux paraissent de
façon plus ou moins régulière, il s’agit du Monde amazigh (2 fois par mois), de Agraw
Amazigh (mensuel) et de Twiza (mensuel), les autres titres – dont des revues d’étude, à faible
tirage - paraissant de façon très irrégulière du fait du manque de moyens financiers ou
d’éventuelles aides publiques.
- Radio
Quant à la diffusion de musique amazighe dans les médias, elle est quasiment limitée à la
diffusion de musique folklorique sur la chaîne de radio comunément appellée « fréquence
amazighe » ou « radio amazighe ».
Il existe trois stations de radio nationales au Maroc, dont l’une émet en tamazight pendant
12 heures (4 heures pour chaque dialecte). Toutefois le contenu des informations diffusées
est strictement encadré. La musique et les chants amazighs sont réduits au folklore des
années 1950, toute allusion à des revendications culturelles amazighes et la diffusion des
chanteurs kabyles sont interdites. L’Institut supérieur d’information qui forme les
journalistes marocains ne dispose pas de département spécialisé en tamazight, en dépit de
l’existence de cette radio amazighe.
De plus, la radio en tamazight, parce qu’elle est diffusée sur les ondes courtes n’est pas
accessible sur tout le territoire marocain. Ainsi, par exemple, les habitants de la région de
Azilal dans le Haut Atlas, de Rachidia, de Tata ou encore la ville de Casablanca ne reçoivent
pas la radio amazighe. D’après l’un d’entre eux, les employés de la radio amazighe sont
cependant moins payés que leurs collègues travaillant pour les services en arabe et la chaîne
« inter » (français, anglais et espagnol).
Les autres radios diffusent quant à elles très peu de musique amazighe.
- La télévision marocaine
Depuis le milieu des années 1980, la Radio télévision marocaine (RTM) consacre 10
minutes de diffusion en Tamazight par jour soit 3-4 minutes pour chacun des trois dialectes
tamazight du Maroc, sur la première chaîne publique, autour de 14h30. Il s’agit de résumés
en tamazight des programmes nationaux respectant le cadre identitaire d’un Maroc arabe et
musulman. Aucune place n’y est faite à la composante amazighe et aux activités culturelles
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amazighes. En dehors de ce programme, élaboré par la RTM service des dialectes, la
première chaîne de télévision ne consacre pas de temps à la culture amazighe, qui est
également totalement absente de la chaîne 2M, la seconde chaîne nationale du Maroc.
Le tamazight est quasiment absent de la sphère publique et notamment de la sphère des
médias au Maroc. Ainsi le Maroc ne permet pas aux amazighophones de prendre part à la
vie culturelle dans des conditions d’égalité conformément à l’article 5e de la Convention
internationale pour l’élimination de la discrimination raciale.
L’absence de moyens d’information suffisants en tamazight porte atteinte aux
droits civils et politiques et notamment à la liberté d’opinion et d’expression (article
5d de la Convention) d’une grande partie de la population marocaine, qui n’a pas
de moyens pour s’exprimer dans la sphère publique.
- Des atteintes à la liberté d’association et de réunion des militants amazighs
Le droit d’association au Maroc est régi par le dahir du 15 novembre 1958 modifié par le 10
avril 1973 et révisé en 2002 (non encore paru au Journal officiel). Toute association doit
pour être créée faire une déclaration auprès du siège de l’autorité administrative locale (Caïd
ou Pacha) et du procureur du Roi auprès du tribunal de la circonscription judiciaire.
L’association reçoit alors un récépissé provisoire, qui ne fait pas office d’attestation de la
légalité de l’activité. Sous 60 jours, un récepissé définitif, attestant de l’existence légale de
l’association, doit être délivré par les autorités. La non-délivrance de ce récepissé ne signifie
pas pour autant que l’association n’a pas d’existence légale. Cependant, celle-ci ne peut pas
attester de la légalité de son activité et cela peut être une source de difficultés pour la tenue
de réunions, pour l’ouverture du compte bancaire notamment.
Le tissu associatif du mouvement amazigh au Maroc est très important et recouvre toutes
les régions du Maroc. Depuis la Charte d’Agadir de 1991, première véritable plate-forme
associative des revendications culturelles et linguistiques amazigh, au Manifeste berbère du
1er mars 2000, le mouvement amazigh s’organise aujourd’hui autour d’une soixantaine
d’associations. C'est en 1967 que naît la première association résolument amazighe,
l'Association marocaine de recherches et d'échanges culturels (AMREC). La seconde
organisation de défense des droits des Imazighen, Tamaynut, est fondée en 1978 et a réussi
a structurer le mouvement amazigh grâce à son réseau associatif qui regroupe 24
délégations présentes sur tout le territoire marocain. Par ailleurs, la première confédération
nationale des associations amazighes est créé en 1994 sous la présidence de l’AMREC.
Depuis, deux coordinations régionales ont vu le jour, l’une regroupant les associations
amazighes du Rif et Moyen Atlas, et la seconde comprenant les associations du Sud et Sud-
Est.
La mission a néanmoins relevé des atteintes au droit d’association et de réunion des
militants du mouvement amazigh. Ainsi, certaines associations du mouvement amazigh ne
reçoivent pas le récepissé définitif des autorités ce qui peut porter atteinte à certaines de
leurs activités.
Par exemple, TADA des associations amazighes du Maroc (Confédération des associations
culturelles amazighes du Maroc) qui regroupe une vingtaine d'associations amazighes a été
fondée le 15 février 2000 à Meknès, conformément aux lois marocaines en vigueur, par les
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associations membres du Conseil national de coordination, regroupant nombre
d’associations amazighes. Depuis lors, les autorités n'ont pas donné suite au dépôt des
statuts auprès de la Préfecture. Aussi, les associations membres qui ont tenu leur
Assemblée générale le 19 avril 2002 à Mrirt ont-elles décidé d’abandonner la coordination
« légale » pour revenir à la coordination « coutumière ».
De même, le Réseau amazigh pour la citoyenneté qui a déposé ses statuts le 15 juillet 2002
avec accusé de réception du tribunal, n’a toujours pas reçu le récepissé des autorités.
D’après les membres du Réseau amazigh pour la citoyenneté, le refus des autorités de
délivrer ce récépissé serait directement lié aux objectifs de l’organisation qui demande la
reconnaissance officielle du tamazight et de l’amazighité dans la constitution marocaine.
Quant à l’association Tamaynut, depuis l’élection de son nouveau bureau lors du Congrès
d’avril 2002, elle n’a pas non plus reçu le récepissé des autorités locales.
Certaines associations se sont par ailleurs vu interdire des activités par les autorités.
En 1994, le mouvement culturel amazigh avait été fortement réprimé lors de manifestations
du 1er mai : Ali Harcherras et six de ses collègues enseignants, tous de Goulmima, avaient
été arrêtés suite à la manifestation du 1er mai 1994 à laquelle ils ont participé avec des
banderoles revendiquant la reconnaissance de Tamazigh.
Plus récemment, une marche pour les droits culturels et sociaux et contre la marginalisation
de la population du Sud Est du Maroc prévue à Goulmima le 2 septembre 2001 , organisée
par une dizaine d’associations du mouvement amazigh du Sud Est, dont l’association Tilleli,
et l’association des diplomés chômeurs a du être annulée suite à des intimidations. Avant
même que la demande d’autorisation soit déposée, Ali Harcherras, vice-président du
Congrès mondial amazigh (CMA), président de l'association Tilelli à Goulmima ainsi que
Hamid Lihi, président d’honneur de TADA ont été convoqués le 29 août 2001 par le
gouverneur de la province qui les aurait menacés de répression en cas de tenue de la
marche.
Cette même association Tilleli, qui bénéficie pourtant d'un agrément depuis 1990, s’est
également vu interdire une activité le 13 septembre 2002. Il s’agissait d’un réunion-débat
autour du thème "Les élections et la culture amazighe". Le Ministère de la jeunesse et des
sports qui possède la salle leur a signifié qu'il leur fallait l'aval des autorités locales pour la
tenue de cette réunion. Le Pacha (autorité locale) leur a dit que ce n'était pas à lui de donner
l'autorisation. Le local où se trouvent des bureaux de l'administration ont été fermés toute
la journée où était prévue l'activité.
Le seconde assemblée nationale des des signataires du Manifeste amazigh, prévue les 22-24
juin 2001 à Bouznika au complexe Moulay Rachid a également été interdite. Des barrages
de la gendarmerie ont été installés dans la ville de Bouznika pour empêcher les participants
de se réunir. Le comité du Manifeste Amazigh avait pourtant accompli toutes les
démarches administratives nécessaires obtenant ainsi l’accord du Ministère de la jeunesse et
des sports en ce qui concerne le complexe et un avis de réception des autorités locales
informées à cet effet. Le jeudi 21 juin 2001, le comité a été informé oralement de
l’interdiction de la réunion.
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Certaines activités des sections de l’organisation Tamaynut ont également été interdites, à
Massa et à Agadir notamment où l’association avait prévu une réunion. L’activité a été
interdite par le caïd (autorité locale) car ce local se situe dans une autre commune que celle
où ils ont déposé leurs statuts (découpage administratif postérieur au dépôt des statuts.
Le 20 avril 2002, une manifestation de soutien avec la Kabylie prévue à Rabat à l’initiative
d’associations amazighes a également été interdite.
Le 10 janvier 2003, l’association socioculturelle et sportive AZEMS s’est vu interdire une
activité prévue pour la célébration du nouvel an amazigh à Boulmame de Dadès par le
délégué provincial de la Jeunesse et des sports de Ouarzazate. Les autorités ont notamment
invoqué la nécessité pour l’association de renouveller son bureau et le début de travaux à la
maison des jeunes où devait se dérouler l’événement.
Par ailleurs, certains militants du mouvement social amazigh, et en particulier de
l’association Tilleli, témoignent de discriminations à leur égard. En novembre 2000, le
Ministère de l’éducation nationale ayant fait appel à des instituteurs pour enseigner dans le
secondaire, un militant de Tilleli, exerçant le métier d’instituteur a été affecté dans un lycée
pour y enseigner la philosophie. Cependant, quelques jours plus tard, il a reçu une lette
l’invitant à rejoindre son ancien poste. De la même façon, en septembre 2002, un étudiant
portant le nom d’un militant actif de Tilleli, admis au concours d’entrée à l’Institut royal
militaire en aurait été renvoyé en octobre de la même année pour cette seule raison.
Bien que la Constitution marocaine garantisse à tous les citoyens sans
discrimination, la liberté de réunion (art. 9), la FIDH note des atteintes au droit
d’association et de réunion des militants amazighs, en violation notamment de
l’article 5d) de la Convention internationale pour l’élimination de toutes formes de
discrimination raciale qui garantit l’égalité de tous dans la jouissance du droit à la
liberté de réunion et d’association pacifiques.
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IV- LA FAIBLE PORTEE DES POLITIQUES DE PROMOTION DE LA
LANGUE ET CULTURE AMAZIGHE AU MAROC
D’après le rapport du gouvernement marocain, le promotion de la culture amazighe reste
une préoccupation majeure du gouvernement. Le gouvernement insiste par ailleurs sur la
place occupée par la culture berbère au Maroc (§ 38). Or, la mission de la FIDH a pu noter
que les activités culturelles amazighes au Maroc ne bénéficiaient pas réellement du soutien
de l’Etat. La grande majorité des associations du mouvement culturel amazigh ne sont pas
subventionnées par l’Etat pour leurs activités. Les subventions du Ministère de la culture
allouées à la production musicale amazighe restent très faibles.
De plus, les 10 conseils régionaux de la culture créés auprès du Conseil supérieur de la
culture en 1995 n’attribuent pas de place spécifique à la culture amazighe. En effet, d’après
les informations recueillies par la misson, ces conseils régionaux n’ont pas organisé
d’événements spécifiques amazighs, même si quelques chanteurs amazighs ont participé à
des événements culturels. En 2001, un festival de folklore amazigh a néanmoins été
organisé par la municipalité de Khénitra.
L’Institut royal pour la culture amazighe (IRCAM)
En 1979, un texte portant création d’un centre d’étude et de recherches amazighes avait été
adopté à l’unanimité par le parlement marocain. Mais le projet de loi était resté lettre morte,
le gouvernement n’ayant pris aucune mesure d’application par la suite. Aujourd’hui, c’est un
dahir royal du 17 octobre 2001 qui à décidé de la création de l’Institut royal de la culture
amazighe chargé de « sauvegarder, de promouvoir et de renforcer la place de la culture amazighe dans
l’espace éducatif, socioculturel et médiatique national ainsi que dans la gestion des affaires locales et
régionales ».
Placé auprès du Roi Mohammed VI, le Conseil d’administration est pour l’instant composé
de 32 membres, le dahir prévoyant un maximum de 40, représentant notamment les
ministères de l’intérieur et de l’enseignement supérieur, mais également des personnalités
connues pour leur militantisme au sein du mouvement amazigh, qui siègent à titre
personnel. La premier conseil d’administration s’est tenu début janvier 2003. La première
décision d’importance de l’Institut a été l’adoption du tifinagh pour l’écriture de la langue
tamazight.
Il est difficile de se prononcer aujourd’hui sur cette très récente initiative royale dont on ne
peut que saluer l’existence et qui constitue un pas dans la reconnaissance de l’amazighité au
Maroc.
FIDH – Le Maroc et la question Amazighe / CERD – mars 2003
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CONCLUSION
La FIDH se félicite des efforts entrepris par le Maroc pour légiférer contre la
discrimination raciale depuis son dernier examen par le CERD en février 1999 et invite le
Maroc à mettre en oeuvre les récentes dispositions réprimant la discrimination raciale.
La FIDH note également le début d’une reconnaissance de la composante amazighe dans le
discours officiel marocain, avec la création de l’IRCAM et les références à l’amazighté dans
les discours royaux.
La FIDH s’inquiète néanmoins de la persistance de discriminations culturelles, sociales et
politiques au Maroc, notamment à l’égard des populations amazighophones au Maroc. La
culture amazighe, malgré un début de reconnaissance continue d’être marginalisée dans les
médias et l’enseignement et totalement exclue de l’administration. Ainsi le tamazight est-il
cantonné à la sphère privée, la sphère publique étant très largement dominé par l’arabe.
Aussi certaines associations parlent-elles de « ségrégation culturelle ».
La population amazighe continue en outre d’être victime de discriminations dans l’exercice
des ses droits civils et politiques, notamment du droit à un traitement égal devant les
organes de justice et par l’administration et des droit d’association et de réunion.
Ainsi, la FIDH considère que le Maroc ne répond pas complètement à ses obligations de
traitement égal de tous les citoyens, et ce, en violation de la Convention internationale pour
l’élimination de la discrimination raciale.
A la lumière de la situation des populations amaziphones au Maroc, la FIDH
demande au Comité pour l’élimination de la discrimination raciale de :
- Demander au gouvernement marocain de tout mettre en oeuvre pour garantir la
non-discrimination et en particulier la non-discrimination des populations
amazighophones ;
- Demander au gouvernement marocain de reconnaître la composante amazighe
et la langue amazighe dans la constitution marocaine, et de reconnaître ainsi le
tamazight comme une des langues officielles et nationales ;
- De prier instamment le gouvernement marocain d’introduire l’enseignement
généralisé du tamazight à tous les niveaux de l’enseignement.
1) Mandat et déroulement de la mission
A l’occasion de l’examen du rapport du Maroc (CERD/C/430/Add.1. du 10 juin
2002), devant le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale, la
Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) souhaite
examiner la question de la conformité de la législation marocaine et de sa mise en
oeuvre avec la Convention internationale pour l’élimination de toutes formes de
discrimination raciale, en particulier pour ce qui a trait à la population amazighe.
A cet effet, la FIDH a envoyé une mission d’enquête internationale au Maroc entre le 18 et
le 23 décembre 2002. La mission était composée de Samia Slimane, consultante auprès des
organisations internationales de défense des droits de l’homme, et de Elin Wrzoncki,
bureau Maghreb/ Moyen Orient au secrétariat international de la FIDH.
Cette mission avait pour objectifs :
- de recueillir des informations sur la législation marocaine et la pratique des droits
culturels au Maroc et de relever les discriminations éventuelles subies par les
populations amazighophones au Maroc.
La mission a rencontré à cet effet (liste en annexe) :
- des membres d’ONG appartenant au mouvement associatif amazigh au Maroc ;
- des membres d’associations nationales de défense des droits de l’Homme ;
- le recteur de l’Institut royal de la culture amazighe (IRCAM).
2) La question amazighe au Maroc
La population « amazighe » représente environ 30 millions de personnes, réparties sur
plusieurs pays du Grand Maghreb-Sahara-Sahel (Maroc, Algérie, Tunisie, Egypte, Libye,
Iles Canaries, Niger, Mali, Mauritanie, Burkina Faso).
Le critère d’identification des populations amazighes repose sur la langue, le tamazight
dont le système d'écriture original, tifinagh, est utilisé et préservé à ce jour par les
Touaregs. L’utilisation de la graphie latine pour transcrire l’alphabet tifinagh a été adoptée
en Algérie. Les Imazighen au Maroc utilisent aussi bien la graphie latine que la graphie
arabe pour écrire le tamazight. Le 5 février 2003, l’Institut royal de la culture amazighe
(IRCAM), crée en octobre 2001, a tranché en faveur de l’usage de l’alphabet amazigh, le
tifinagh.
S’il est difficile d’avancer des chiffres précis quant à l’importance numérique des
populations amazighophones au Maroc, aucun recensement ne tenant compte de la langue
usitée, il est néanmoins possible de brosser une géographie démographique approximative.
A chaque région du Maroc correspond un parler issu du tamazight : le tarifit, dans le
Nord-Est; le tamazight, dans le Moyen Atlas, dans la partie septentrionale du Haut Atlas
et dans la région du Sud-Est, et le tachelhit, dans la partie méridionale du Haut Atlas et la
région du Sud-Ouest. Selon le mouvement associatif amazigh, autour de 60 % des
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Marocains seraient amazighophones. Près de 40% se trouveraient dans les centres urbains.
Dans certaines zones rurales, cette proportion se situerait entre 80 % et 100 %. Parmi les
amazighophones, plus d’un tiers ne maîtriserait pas l’arabe classique.
La Constitution marocaine reconnaît uniquement la réalité arabe comme constitutive de
l’Etat marocain. Ainsi, le préambule de la Constitution énonce « le Royaume du Maroc, Etat
musulman souverain, dont la langue officielle est l'arabe, constitue une partie du Grand Maghreb Arabe ».
L’ensemble du système administratif et politique marocain est dominé par la langue arabe.
Le système judiciaire est entièrement arabisé, notamment depuis un dahir de 1965, et il en
va de même des administrations publiques depuis une circulaire de 1998. Le système
éducatif est lui aussi dominé par l’arabe. Il faut noter également le fort taux
d’analphabétisme au Maroc qui atteint 75% dans les régions rurales, et plus de 35% dans les
villes1.
Aux fins d’analyse de la conformité de la législation et la pratique marocaine avec la
Convention internationale pour l’élimination de toutes formes de discrimination raciale, ce
rapport présentera dans un premier temps les dispositions générales constitutionnelles et
législatives entourant la liberté religiseuse et la mise en oeuvre de la non-discrimination.
Dans un second temps, ce rapport abordera dans le détail les discriminations envers les
populations amazighes au Maroc.
1 Core document forming the initial part of State party reports, Morocco, HRI/CORE/1/Add.23/Rev.1, 15
April 2002, § 8.
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II- LES DISPOSITIONS GENERALES VISANT A PROMOUVOIR LA
NON-DISCRIMINATION RACIALE AU MAROC
1) La constitution marocaine et les limites à la liberté religieuse
La Constitution marocaine, révisée en 1996, garantit la non-discrimination raciale au
Maroc. Ainsi l’article 5 dispose que « Tous les Marocains sont égaux devant la loi » et le titre
premier garantit la jouissance des libertés publiques à « tous les citoyens ».
La Constitution garantit également la liberté religieuse : l’article 6 stipule « L’Islam est la
religion de l’Etat qui garantit à tous le libre exercice des cultes ». Le Maroc, dans son rapport au
CERD ne fait état que de la situation de la communauté juive, dont les membres sont
considérés comme des citoyens marocains à part entière. Mais si les juifs marocains ne font
pas l’objet d’un traitement inégal de la part de l’Etat, on note récemment une montée de
l’expression de l’antisémitisme en provenance de certains responsables de la mouvance
islamiste. Par exemple, le 4 mai 2002, l’hebdomadaire marocain Le Journal faisait état des
propos anti-juifs de Abdelbari Zamzami, immam d'une mosquée de Casablanca depuis
1976 :
« Entre nous et les juifs, les choses sont beaucoup plus compliquées et je ne pense pas qu'un jour nous
pourrions vivre en paix avec eux. Ils restent l'ennemi à abattre ».
Si les communautés juives et chrétiennes exercent librement leur religion au Maroc, des
restrictions existent cependant quant au prosélytisme chrétien. Ainsi l’apostasie est
considérée au Maroc comme un délit. L’article 221 al. 2 du code pénal marocaine punit
celui qui amène un musulman à apostasier :
« Est puni [d'un emprisonnement de six mois à trois ans et d'une amende de 100 à 500 dirhams],
quiconque emploie des moyens de séduction dans le but d'ébranler la foi d'un musulman ou de le
convertir à une autre religion, soit en exploitant sa faiblesse ou ses besoins, soit en utilisant à ces fins
des établissements d'enseignement, de santé, des asiles ou des orphelinats. En cas de condamnation,
la fermeture de l'établissement qui a servi à commettre le délit peut être ordonnée, soit définitivement,
soit pour une durée qui ne peut excéder trois ans ».
Le code pénal ne mentionne pas de peine pour l’apostat lui-même. Cependant, jusqu’en
1998, des convertis au christianisme ont été emprisonnés2. Si l’on ne relève pas de telles
atteintes depuis 1998, au cours de l’année 2000 et en septembre 2001, plusieurs
missionnaires chrétiens ont été interrogés par la police3. Cependant, les poursuites
judiciaires entamées n’ont pas eu de suites. D’après les informations recueillies par la
mission, il semble que les convertis au christianisme et les athées font toujours l’objet d’un
ostracisme social au Maroc et risquent d’être poursuivis en justice pour « incitation à quitter
l’islam ».
2 Par exemple, en 1994, Mustafa Zemanda, un converti au protestantisme a été condamné à 3 ans de
prison pour avoir reçu de la littérature chrétienne par la poste en vertu de l’article 220 et 221 du code
pénal marocain. Le Rapporteur spécial des Nation unies sur l’intolérance religieuse faisait état dans son
rapport du 30 décembre 1996 d’allégations d’atteintes à la liberté religieuse de la communauté chrétienne
au Maroc
3 International religious freedom report 2002 released by the bureau of democracy, human rights and
labor, US department of State.
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2) La répression de la discrimination raciale dans la législation
marocaine: des mesures récentes
- Loi sur les associations
L’article 3 du dahir du 15 novembre 1958 sur le droit d’association introduit dans sa
version modifiée en 2002 une interdiction des associations qui incitent à la discrimination
raciale. « Toute association fondée sur une cause ou en vue d’un objet illicite, contraire aux lois, aux
bonnes moeurs (…) ou qui incite à la discrimination raciale sous toutes ses formes, est nulle et de nul effet ».
- Code de la presse
Le nouveau code de la presse adopté le 6 mai 2002 contient un article visant à réprimer les
propos racistes dans la presse : « ceux qui, par l’un des moyens énoncés dans l’article 38 auront
directement provoqué soit la discrimination raciale, soit la haine ou la violence à l’encontre d’une ou
plusieurs personnes, compte tenu de leur origine, leur couleur ou leur appartenance ethnique ou
confessionnelle, sont punis d’un emprisonnement d’un mois à une année et d’une amende de 3000 à 30000
dirhams, ou de l’une de ces deux peines seulement ».
Cependant, en mai 2002, les propos antisémites de l’imam Abdelbari Zamzami, proche du
parti de la justice et développement, formation islamiste, n’ont pas été sanctionnés. Le
journal « Attajdid » avait pris à parti un responsable marocain, en l'occurrence André
Azoulay, non pour ses actes en tant que haut commis de l'Etat, mais pour le simple fait
qu'il soit juif, laissant entendre qu'il serait l'instigateur d'un soit disant complot mené à
moyen terme contre l'Islam, à travers l'organisation du festival musical d'Essaouira. A la
suite de ces propos, une pétition contre le racisme anti-juif a été lancée en juillet 2002 au
Maroc, demandant notamment « une loi qui réprime et punit tous ceux qui nous
déshonorent par leurs méprisables attitudes ».
Par ailleurs, la possibilité de présenter un projet de loi contre le racisme a été discutée par
un certain nombre de parlementaires marocains en avril 2002. Aucun projet n’a été déposé
pour l’instant.
Ces dispositions remplissent un vide législatif, constaté lors du dernier examen du
Maroc par le CERD. La FIDH s’en félicite. Le Maroc répond ainsi à son obligation
de « déclarer punissables par la loi toute diffusion d’idées fondées sur la supériorité
ou la haine raciale, toute incitation à la discrimination raciale (…) », prévue à
l’article 4.a de la Convention. Toutefois, ces mesures étant très récentes, il existe
encore peu d’indications quant aux modalités de leur mise en oeuvre et quant à
l’interprétation qui sera donnée à l’incitation à la discrimination raciale.
3) Des mesures législatives de protection contre la discrimination
raciale non-respectées
D’après le rapport du Maroc au CERD, les règles procédurales aménagées par les codes de
procédure civile et pénale sont les mêmes pour tous. Et le code de procédure pénale
prévoit une mesure spécifique en vue d’éviter toute discrimination.
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Ainsi l’article 313 du code de procédure pénale prévoit la nomination d’office d’un
interprète dans le cas ou le prévenu ou accusé parle « une langue ou un dialecte difficilement
intelligible ».
Or, dans les faits le Président du tribunal ne ferait pas recours à des traducteurs
assermentés mais à toutes personnes disponibles de manière informelle. Des avocats
rencontrés lors de la mission ont confirmé l’absence d’un interprète lorsque le prévenu ne
parle que le tamazight. Ceci est vérifié par le fait qu’il n’existe pas au Maroc d’école de
traduction et d’interprétariat incluant l’étude du tamazight.
Il y a donc rupture du principe d’égalité devant les tribunaux, garanti par l’article 5
de la Constitution marocaine et par l’article 5.a du ICERD.
En outre, la nouvelle loi n°23/98 relative à l’organisation et au fonctionnement des
établissements pénitentiaires dans son article 59, dans le cadre de la procédure disciplinaire,
prévoit “la nomination d’un interprète afin d’assister le détenu qui ne comprend pas ou se trouve dans
l’incapacité de s’exprimer en langue arabe pour assurer sa défense”. D’après les informations
recueillies par la mission, ces mesures ne sont pas appliquées.
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III- LES DISCRIMINATIONS CONTRE LES POPULATIONS
AMAZIGHOPHONES AU MAROC
1) Des discriminations dans l’exercice des droits culturels
- L’absence du tamazight dans le système éducatif
Le tamazight n’est pas aujourd’hui utilisé officiellement dans le système éducatif marocain.
Le défunt roi Hassan II avait annoncé en 1994 qu’il était indispensable d’enseigner les
« dialectes » au moins au niveau primaire. La réforme de l’enseignement n’a cependant pas
suivi le discours royal. Il y a moins d’un mois, le nouveau ministre de l’éducation a réitéré
cette annonce sans en préciser toutefois les modalités.
La Commission spéciale de l’éducation et de la formation (COSEF) a été chargée de
proposer une plan de réformes du système éducatif marocain. Ses travaux on été publiés en
octobre 1999, sous la forme d’une Charte nationale de l’éducation et de la formation. Cette
charte prévoit une « ouverture » à la langue tamazight (levier 9) mais dans le simple but de
« faciliter l’apprentissage de la langue officielle » (arabe) (art.115). L’objectif de cette charte est en
effet le « renforcement et perfectionnement de la langue arabe ». Ainsi cette charte ne prévoit ni
l’enseignement du tamazight, ni la formation des enseignants au tamazight, ni l’ouverture
sur la culture amazighe. De plus, les dispositions de cette charte prévoyant une ouverture
sur langue tamazight sont restées pour l’instant lettre morte.
- L’interdiction des prénoms amazigh
Les prénoms amazighs sont aujourd’hui encore au Maroc parfois frappés d’interdiction.
Le Haut comité de l’état civil marocain refuse en effet souvent l’inscription au registre de
l’état civil de prénoms amazighs. Ainsi, depuis 1998, le prénom de Idir a été interdit à
maintes reprises à Casablanca, et tout récemment en mars 2001, celui de Siman à
Tagadirete dans la région d’Agadir, celui de Noumidia à Khmiss dans la région de
Ouarzazète, celui de Sinimane en 1999 à Rabat, celui de Dihija à Goulmima. Récemment,
en novembre 2002, le prénom Fazaz a été interdit à Khénifra.
Le Haut comité de l’état civil aurait dressé une liste, qui n’a fait l’objet d’aucune publication,
de prénoms refusés au motif qu’ils ne seraient pas des « noms traditionnels marocains ».
Les décisions d’inscrire un prénom restent apparement à la discrétion des officiers de l’état
civil, qui d’une région à une autre, acceptent ou refusent l’inscription au registre d’un même
prénom amazigh.
Ces refus sont entourés d’un flou juridique. Les différents jugement rendus à Casablanca et
Rabat suite aux recours en annulation formés par les parents, confirment la légalité des
décisions des officiers de l’état civil au motif que les prénoms envisagés ne sont pas des
noms traditionnels marocains sans motiver plus avant leurs jugements.
Les populations amazighophones au Maroc font donc l’objet de violations de leurs
droits culturels et linguistiques garantis par l’article 5 e de la Convention
internationale contre toutes les formes de discrimination raciale.
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2) Des atteintes aux droits civils et politiques
Du fait du monopole de la langue arabe dans la sphère publique, les amazighophones sont
victimes d’atteintes à leurs droits civils et politiques au Maroc. Parce que l’administration
est totalement arabisée et les mesures législatives prévoyant des interprètes au sein du
système judiciaire ne sont pas respectées, le principe d’égalité pour les non-arabophones
devant l’administration et la justice n’est pas respecté.
En outre, la mission a relevé des atteintes au droit à l’information. Par ailleurs, le droit
d’association des militants amazigh n'est pas toujours respecté au Maroc.
- Les discriminations dans l’accès à l’information
- La presse écrite
Le rapport du Maroc évoque 11 journaux édités en langue berbère. Cependant, d’après les
informations recueillies par la mission, seulement deux ou trois journaux paraissent de
façon plus ou moins régulière, il s’agit du Monde amazigh (2 fois par mois), de Agraw
Amazigh (mensuel) et de Twiza (mensuel), les autres titres – dont des revues d’étude, à faible
tirage - paraissant de façon très irrégulière du fait du manque de moyens financiers ou
d’éventuelles aides publiques.
- Radio
Quant à la diffusion de musique amazighe dans les médias, elle est quasiment limitée à la
diffusion de musique folklorique sur la chaîne de radio comunément appellée « fréquence
amazighe » ou « radio amazighe ».
Il existe trois stations de radio nationales au Maroc, dont l’une émet en tamazight pendant
12 heures (4 heures pour chaque dialecte). Toutefois le contenu des informations diffusées
est strictement encadré. La musique et les chants amazighs sont réduits au folklore des
années 1950, toute allusion à des revendications culturelles amazighes et la diffusion des
chanteurs kabyles sont interdites. L’Institut supérieur d’information qui forme les
journalistes marocains ne dispose pas de département spécialisé en tamazight, en dépit de
l’existence de cette radio amazighe.
De plus, la radio en tamazight, parce qu’elle est diffusée sur les ondes courtes n’est pas
accessible sur tout le territoire marocain. Ainsi, par exemple, les habitants de la région de
Azilal dans le Haut Atlas, de Rachidia, de Tata ou encore la ville de Casablanca ne reçoivent
pas la radio amazighe. D’après l’un d’entre eux, les employés de la radio amazighe sont
cependant moins payés que leurs collègues travaillant pour les services en arabe et la chaîne
« inter » (français, anglais et espagnol).
Les autres radios diffusent quant à elles très peu de musique amazighe.
- La télévision marocaine
Depuis le milieu des années 1980, la Radio télévision marocaine (RTM) consacre 10
minutes de diffusion en Tamazight par jour soit 3-4 minutes pour chacun des trois dialectes
tamazight du Maroc, sur la première chaîne publique, autour de 14h30. Il s’agit de résumés
en tamazight des programmes nationaux respectant le cadre identitaire d’un Maroc arabe et
musulman. Aucune place n’y est faite à la composante amazighe et aux activités culturelles
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amazighes. En dehors de ce programme, élaboré par la RTM service des dialectes, la
première chaîne de télévision ne consacre pas de temps à la culture amazighe, qui est
également totalement absente de la chaîne 2M, la seconde chaîne nationale du Maroc.
Le tamazight est quasiment absent de la sphère publique et notamment de la sphère des
médias au Maroc. Ainsi le Maroc ne permet pas aux amazighophones de prendre part à la
vie culturelle dans des conditions d’égalité conformément à l’article 5e de la Convention
internationale pour l’élimination de la discrimination raciale.
L’absence de moyens d’information suffisants en tamazight porte atteinte aux
droits civils et politiques et notamment à la liberté d’opinion et d’expression (article
5d de la Convention) d’une grande partie de la population marocaine, qui n’a pas
de moyens pour s’exprimer dans la sphère publique.
- Des atteintes à la liberté d’association et de réunion des militants amazighs
Le droit d’association au Maroc est régi par le dahir du 15 novembre 1958 modifié par le 10
avril 1973 et révisé en 2002 (non encore paru au Journal officiel). Toute association doit
pour être créée faire une déclaration auprès du siège de l’autorité administrative locale (Caïd
ou Pacha) et du procureur du Roi auprès du tribunal de la circonscription judiciaire.
L’association reçoit alors un récépissé provisoire, qui ne fait pas office d’attestation de la
légalité de l’activité. Sous 60 jours, un récepissé définitif, attestant de l’existence légale de
l’association, doit être délivré par les autorités. La non-délivrance de ce récepissé ne signifie
pas pour autant que l’association n’a pas d’existence légale. Cependant, celle-ci ne peut pas
attester de la légalité de son activité et cela peut être une source de difficultés pour la tenue
de réunions, pour l’ouverture du compte bancaire notamment.
Le tissu associatif du mouvement amazigh au Maroc est très important et recouvre toutes
les régions du Maroc. Depuis la Charte d’Agadir de 1991, première véritable plate-forme
associative des revendications culturelles et linguistiques amazigh, au Manifeste berbère du
1er mars 2000, le mouvement amazigh s’organise aujourd’hui autour d’une soixantaine
d’associations. C'est en 1967 que naît la première association résolument amazighe,
l'Association marocaine de recherches et d'échanges culturels (AMREC). La seconde
organisation de défense des droits des Imazighen, Tamaynut, est fondée en 1978 et a réussi
a structurer le mouvement amazigh grâce à son réseau associatif qui regroupe 24
délégations présentes sur tout le territoire marocain. Par ailleurs, la première confédération
nationale des associations amazighes est créé en 1994 sous la présidence de l’AMREC.
Depuis, deux coordinations régionales ont vu le jour, l’une regroupant les associations
amazighes du Rif et Moyen Atlas, et la seconde comprenant les associations du Sud et Sud-
Est.
La mission a néanmoins relevé des atteintes au droit d’association et de réunion des
militants du mouvement amazigh. Ainsi, certaines associations du mouvement amazigh ne
reçoivent pas le récepissé définitif des autorités ce qui peut porter atteinte à certaines de
leurs activités.
Par exemple, TADA des associations amazighes du Maroc (Confédération des associations
culturelles amazighes du Maroc) qui regroupe une vingtaine d'associations amazighes a été
fondée le 15 février 2000 à Meknès, conformément aux lois marocaines en vigueur, par les
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associations membres du Conseil national de coordination, regroupant nombre
d’associations amazighes. Depuis lors, les autorités n'ont pas donné suite au dépôt des
statuts auprès de la Préfecture. Aussi, les associations membres qui ont tenu leur
Assemblée générale le 19 avril 2002 à Mrirt ont-elles décidé d’abandonner la coordination
« légale » pour revenir à la coordination « coutumière ».
De même, le Réseau amazigh pour la citoyenneté qui a déposé ses statuts le 15 juillet 2002
avec accusé de réception du tribunal, n’a toujours pas reçu le récepissé des autorités.
D’après les membres du Réseau amazigh pour la citoyenneté, le refus des autorités de
délivrer ce récépissé serait directement lié aux objectifs de l’organisation qui demande la
reconnaissance officielle du tamazight et de l’amazighité dans la constitution marocaine.
Quant à l’association Tamaynut, depuis l’élection de son nouveau bureau lors du Congrès
d’avril 2002, elle n’a pas non plus reçu le récepissé des autorités locales.
Certaines associations se sont par ailleurs vu interdire des activités par les autorités.
En 1994, le mouvement culturel amazigh avait été fortement réprimé lors de manifestations
du 1er mai : Ali Harcherras et six de ses collègues enseignants, tous de Goulmima, avaient
été arrêtés suite à la manifestation du 1er mai 1994 à laquelle ils ont participé avec des
banderoles revendiquant la reconnaissance de Tamazigh.
Plus récemment, une marche pour les droits culturels et sociaux et contre la marginalisation
de la population du Sud Est du Maroc prévue à Goulmima le 2 septembre 2001 , organisée
par une dizaine d’associations du mouvement amazigh du Sud Est, dont l’association Tilleli,
et l’association des diplomés chômeurs a du être annulée suite à des intimidations. Avant
même que la demande d’autorisation soit déposée, Ali Harcherras, vice-président du
Congrès mondial amazigh (CMA), président de l'association Tilelli à Goulmima ainsi que
Hamid Lihi, président d’honneur de TADA ont été convoqués le 29 août 2001 par le
gouverneur de la province qui les aurait menacés de répression en cas de tenue de la
marche.
Cette même association Tilleli, qui bénéficie pourtant d'un agrément depuis 1990, s’est
également vu interdire une activité le 13 septembre 2002. Il s’agissait d’un réunion-débat
autour du thème "Les élections et la culture amazighe". Le Ministère de la jeunesse et des
sports qui possède la salle leur a signifié qu'il leur fallait l'aval des autorités locales pour la
tenue de cette réunion. Le Pacha (autorité locale) leur a dit que ce n'était pas à lui de donner
l'autorisation. Le local où se trouvent des bureaux de l'administration ont été fermés toute
la journée où était prévue l'activité.
Le seconde assemblée nationale des des signataires du Manifeste amazigh, prévue les 22-24
juin 2001 à Bouznika au complexe Moulay Rachid a également été interdite. Des barrages
de la gendarmerie ont été installés dans la ville de Bouznika pour empêcher les participants
de se réunir. Le comité du Manifeste Amazigh avait pourtant accompli toutes les
démarches administratives nécessaires obtenant ainsi l’accord du Ministère de la jeunesse et
des sports en ce qui concerne le complexe et un avis de réception des autorités locales
informées à cet effet. Le jeudi 21 juin 2001, le comité a été informé oralement de
l’interdiction de la réunion.
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Certaines activités des sections de l’organisation Tamaynut ont également été interdites, à
Massa et à Agadir notamment où l’association avait prévu une réunion. L’activité a été
interdite par le caïd (autorité locale) car ce local se situe dans une autre commune que celle
où ils ont déposé leurs statuts (découpage administratif postérieur au dépôt des statuts.
Le 20 avril 2002, une manifestation de soutien avec la Kabylie prévue à Rabat à l’initiative
d’associations amazighes a également été interdite.
Le 10 janvier 2003, l’association socioculturelle et sportive AZEMS s’est vu interdire une
activité prévue pour la célébration du nouvel an amazigh à Boulmame de Dadès par le
délégué provincial de la Jeunesse et des sports de Ouarzazate. Les autorités ont notamment
invoqué la nécessité pour l’association de renouveller son bureau et le début de travaux à la
maison des jeunes où devait se dérouler l’événement.
Par ailleurs, certains militants du mouvement social amazigh, et en particulier de
l’association Tilleli, témoignent de discriminations à leur égard. En novembre 2000, le
Ministère de l’éducation nationale ayant fait appel à des instituteurs pour enseigner dans le
secondaire, un militant de Tilleli, exerçant le métier d’instituteur a été affecté dans un lycée
pour y enseigner la philosophie. Cependant, quelques jours plus tard, il a reçu une lette
l’invitant à rejoindre son ancien poste. De la même façon, en septembre 2002, un étudiant
portant le nom d’un militant actif de Tilleli, admis au concours d’entrée à l’Institut royal
militaire en aurait été renvoyé en octobre de la même année pour cette seule raison.
Bien que la Constitution marocaine garantisse à tous les citoyens sans
discrimination, la liberté de réunion (art. 9), la FIDH note des atteintes au droit
d’association et de réunion des militants amazighs, en violation notamment de
l’article 5d) de la Convention internationale pour l’élimination de toutes formes de
discrimination raciale qui garantit l’égalité de tous dans la jouissance du droit à la
liberté de réunion et d’association pacifiques.
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IV- LA FAIBLE PORTEE DES POLITIQUES DE PROMOTION DE LA
LANGUE ET CULTURE AMAZIGHE AU MAROC
D’après le rapport du gouvernement marocain, le promotion de la culture amazighe reste
une préoccupation majeure du gouvernement. Le gouvernement insiste par ailleurs sur la
place occupée par la culture berbère au Maroc (§ 38). Or, la mission de la FIDH a pu noter
que les activités culturelles amazighes au Maroc ne bénéficiaient pas réellement du soutien
de l’Etat. La grande majorité des associations du mouvement culturel amazigh ne sont pas
subventionnées par l’Etat pour leurs activités. Les subventions du Ministère de la culture
allouées à la production musicale amazighe restent très faibles.
De plus, les 10 conseils régionaux de la culture créés auprès du Conseil supérieur de la
culture en 1995 n’attribuent pas de place spécifique à la culture amazighe. En effet, d’après
les informations recueillies par la misson, ces conseils régionaux n’ont pas organisé
d’événements spécifiques amazighs, même si quelques chanteurs amazighs ont participé à
des événements culturels. En 2001, un festival de folklore amazigh a néanmoins été
organisé par la municipalité de Khénitra.
L’Institut royal pour la culture amazighe (IRCAM)
En 1979, un texte portant création d’un centre d’étude et de recherches amazighes avait été
adopté à l’unanimité par le parlement marocain. Mais le projet de loi était resté lettre morte,
le gouvernement n’ayant pris aucune mesure d’application par la suite. Aujourd’hui, c’est un
dahir royal du 17 octobre 2001 qui à décidé de la création de l’Institut royal de la culture
amazighe chargé de « sauvegarder, de promouvoir et de renforcer la place de la culture amazighe dans
l’espace éducatif, socioculturel et médiatique national ainsi que dans la gestion des affaires locales et
régionales ».
Placé auprès du Roi Mohammed VI, le Conseil d’administration est pour l’instant composé
de 32 membres, le dahir prévoyant un maximum de 40, représentant notamment les
ministères de l’intérieur et de l’enseignement supérieur, mais également des personnalités
connues pour leur militantisme au sein du mouvement amazigh, qui siègent à titre
personnel. La premier conseil d’administration s’est tenu début janvier 2003. La première
décision d’importance de l’Institut a été l’adoption du tifinagh pour l’écriture de la langue
tamazight.
Il est difficile de se prononcer aujourd’hui sur cette très récente initiative royale dont on ne
peut que saluer l’existence et qui constitue un pas dans la reconnaissance de l’amazighité au
Maroc.
FIDH – Le Maroc et la question Amazighe / CERD – mars 2003
FIDH / p. 14
CONCLUSION
La FIDH se félicite des efforts entrepris par le Maroc pour légiférer contre la
discrimination raciale depuis son dernier examen par le CERD en février 1999 et invite le
Maroc à mettre en oeuvre les récentes dispositions réprimant la discrimination raciale.
La FIDH note également le début d’une reconnaissance de la composante amazighe dans le
discours officiel marocain, avec la création de l’IRCAM et les références à l’amazighté dans
les discours royaux.
La FIDH s’inquiète néanmoins de la persistance de discriminations culturelles, sociales et
politiques au Maroc, notamment à l’égard des populations amazighophones au Maroc. La
culture amazighe, malgré un début de reconnaissance continue d’être marginalisée dans les
médias et l’enseignement et totalement exclue de l’administration. Ainsi le tamazight est-il
cantonné à la sphère privée, la sphère publique étant très largement dominé par l’arabe.
Aussi certaines associations parlent-elles de « ségrégation culturelle ».
La population amazighe continue en outre d’être victime de discriminations dans l’exercice
des ses droits civils et politiques, notamment du droit à un traitement égal devant les
organes de justice et par l’administration et des droit d’association et de réunion.
Ainsi, la FIDH considère que le Maroc ne répond pas complètement à ses obligations de
traitement égal de tous les citoyens, et ce, en violation de la Convention internationale pour
l’élimination de la discrimination raciale.
A la lumière de la situation des populations amaziphones au Maroc, la FIDH
demande au Comité pour l’élimination de la discrimination raciale de :
- Demander au gouvernement marocain de tout mettre en oeuvre pour garantir la
non-discrimination et en particulier la non-discrimination des populations
amazighophones ;
- Demander au gouvernement marocain de reconnaître la composante amazighe
et la langue amazighe dans la constitution marocaine, et de reconnaître ainsi le
tamazight comme une des langues officielles et nationales ;
- De prier instamment le gouvernement marocain d’introduire l’enseignement
généralisé du tamazight à tous les niveaux de l’enseignement.