[Encyclopédie berbère IV, 1987, p 562-568.]
AMAZIGH, "(le/un) Berbère" par Salem CHAKER
Orthographe française : Amazigh plur. : Imazighen, "les Berbères" fem. : tamazight, "(la/une) Berbère" et "(la) langue berbère" Le second /a/ est, dans tous les dialectes, phonétiquement long : [ama:zigh]
LES DONNEES ACTUELLES
Ce terme est employé par un certain nombre de groupes berbérophones pour se désigner eux-mêmes. L'aire d'extension de cette dénomination couvre actuellement :
1° L'ensemble du Maroc
Elle est exclusive chez les berbérophones du Maroc Central qui se dénomment eux-mêmes Imazighen (Braber en arabe) et appellent leur dialecte tamazight (ou tamazixt, avec assourdissement de la vélaire /à/ au contact de la dentale sourde /t/). Elle est connue chez les Chleuhs où elle est un archaïsme littéraire. Elle y désigne aussi spécifiquement le "Berbère blanc", le "vrai Berbère", par opposition aux "négroïdes", bien représentés dans le Sud Marocain et réputés allogènes. Les Rifains l'emploient également à côté des dénominations courantes arifi/tarifit. Dans ces deux groupes, elle s'applique surtout à la langue berbère : chez les Rifains, tamazight est même plus courant que tarifit (qui semble être un néologisme d'origine arabe). Les Chleuhs eux-mêmes dénomment leur langue poétique awal amazigh, "la langue berbère" (Galand-Pernet 1969, 1972). L'expression est déjà donnée avec cette signification par Jean-Léon l'Africain au XVIesiècle (1956 : 15). Au Maroc, Amazigh/tamazight renvoient donc assez nettement à une identification linguistique, connotée de manière très valorisante et impliquant la conscience d'une communauté dépassant le cadre régional-dialectal.
2° Le monde touareg
Elle y prend, en accord avec l'évolution phonétique générale du touareg, les formes suivantes : - Amahegh/Imuhagh et tamahaq, en Ahaggar et en Ajjer, parlers dans lesquels /z/ du berbère nord est normalement traité en /h/, - Ama−zegh/Ima−zeghen et tama−zeq, dans les parlers méridionaux [Niger-Mali : Aïr, Iwllemmeden, Kel-Geres...] où /z/ du berbère nord est traité en /−z/, - Amašegh/Imušagh et tamašeq en Adrar des Ifoghas (Mali) où /š/ correspond régulièrement à /z/ du berbère nord. Chez les Touareg du nord (Ahaggar/Ajjer), Amahegh s'applique à tout membre de la société (quelle qu'en soit la classe sociale), alors que chez les Touaregs méridionaux (Niger-Mali), Ama−zegh désigne spécifiquement l'aristocrate nomade. L'ensemble des Touaregs y étant dénommé : Kel-tema−zeq, "les gens [de langue] tamajeq". Chez les Touaregs, comme chez les Imazighen du Maroc Central, c'est la seule auto-désignation qui soit utilisée.
-
3° Autres attestations actuelles
Enfin, comme chez les Chleuhs et les Rifains, Amazigh/tamazight est connu et employé, concurremment à d'autres termes locaux, chez les berbérophones : - de Tunisie : Sened [Provotelle 1911], - de Libye : Djebel Nefoussa [Beguinot 1931] et Ghadames [Lanfry 1972 : 224, n° 1060] - du Sud Oranais : oasis berbérophones algériennes et marocaines entre Aïn Sefra et Bechar [Figuig, Bousemghoun...]. Le terme est également connu dans les oasis du Touat-Tidikelt-Gourara [le Tawat des Touaregs et des auteurs arabes anciens], à Ghat et Djanet [Foucauld, II : 673] avec le sens de "maître", "suzerain", "seigneur" et même "Dieu" en zénète du Gourara (Mammeri 1984 : 214, par ex.). Signifi-cations qui renvoient aux anciennes conditions socio-politiques de ces populations d'agriculteurs sédentaires, plus ou moins asservies par une aristocratie locale ou extérieure, détentrice des droits de propriété sur la terre (ou l’eau) et elle-même berbérophone. En définitive, Amazià est donc attesté, avec des acceptions synchroniques variables, dans une très vaste zone en forme d'écharpe qui part de la Tunisie méridionale, englobe les parlers berbères de l'Ouest libyen, l'ensemble du domaine touareg, le Touat-Tidikelt-Gourara, le Sud Oranais et la totalité du Maroc. En-dehors de ces régions, i.e. dans toute l'Algérie du nord et le nord du Sahara, le terme Amazià est inconnu dans la culture traditonnelle des berbérophones. C'est en particulier le cas en Kabylie, au Mzab et dans les Aurès. C'est apparemment à tort que R. Basset évoquait les Chaouïas dans sa notice "Amazià" de l'Encyclopédie de l'Islam (1908). Cette affirmation, que l'on retrouve aussi chez Bates (1914 : 42) semble provenir de l'étude de Masqueray sur le Djebel Chechar (1878 ; notam-ment p. 27, note 1 : 259-261 et 281.), travail des plus sujets à caution sur les plans linguistiques et socio-linguistique. La répartition actuelle n'est pas sans analogie avec les données anciennes, médiévales et antiques. L'ANTIQUITE
Amazigh est en effet un ethnonyme bien attesté depuis l'Antiquité. Les auteurs grecs et latins en donnent des formes multiples, en tant que nom de tribus indigènes de l'Afrique du Nord. La forme va-rie quelque peu selon les sources et les époques mais elle est presque toujours suffisamment proche de l'étymon berbère [(a)mazigh] pour que l'identification ne fasse guère de doute. On rencontre ainsi : Maxyes chez Hérodote Mazyes chez Hécatée Mazaces, Mazices, Mazikes, Mazax, Mazazaces... chez les auteurs de langue latine. Le thème de base que l'on doit poser pour l'Antiquité (Mazik-) est parfaitement compatible avec la forme (A)mazigh actuelle. L'initiale /a/ est une marque nominale, autrefois facultative (Cf. chap. 4) et l'occlusive finale palato-velaire /k/ peut correspondre, soit à la restitution latine de la vélaire vibrante berbère [gh] (Cf. latin causa > berbère ta-ghawsa), soit à une ancienne variante occlusive [q] : dans le système phonologique fondamental du berbère, [gh] et [q] sont en effet les allophones d'un même phonème. La localisation précise de ces populations antiques est en général plutôt problématique et incertaine. Le catalogue de Desanges (1962) et l'inventaire de G. Camps (1961 : 26-27) montrent clairement que ces Mazik-es se rencontrent un peu partout au Maghreb : - en Maurétanie tingitane [Maroc] (Desanges : 34), - en Maurétanie césarienne [Algérie centrale, au sud du Zaccar] (Desanges : 63), - en plusieurs points d'Africa [Tunisie] (Desanges : 111-112]. Un premier constat s'impose donc : cet ethnique est, dès l'Antiquité, répandu dans tout le Maghreb. Et il semble que son extension se soit accrue au cours de l'Antiquité - du moins dans les usages des auteurs latins - et qu'il ait eu tendance à avoir une acception de plus en plus large avec le temps : « Déjà au III° siècle, Saint Hyppolite met les Mazices sur le même plan que les Mauri, Gaetuli, Afri. » (Desanges : 113).
Des auteurs aussi différents que Lucain [Marcus Annaeus Lucanus, 39-65 ap. J.C.] et Corippus [Flavius Cresconius Corippus; il écrit vers 550 ap. J.C.] emploient même la forme Mazax pour désigner tous les habitants indigènes du Maghreb [Cf. Camps 1961 : 27-28] ! Il est évidemment difficile de déterminer si cette extension progressive correspond aux pratiques des Berbères eux-mêmes [qui se seraient, dès cette époque, eux-mêmes dénommés Mazik-/Mazigh] ou s'il ne s'agit que d'un usage littéraire latin. En tout état de cause, cela établit que l'ethnonyme Mazik-/Mazigh était suffisamment répandu, connu et socialement important pour que certains auteurs de langue latine aient eu tendance à en faire la désignation du peuplement autochtone dans sa globalité. Un autre constat, assez troublant, est que le Mazik- antique est attesté dans des régions qui ne connaissent pas (ou plus ?) Amazigh à l'heure actuelle [Algérie centrale et occidentale]. Il est vrai que cette zone a été profondément arabisée et qu'il ne s'y maintient plus que des îlot très réduits et menacés de berbérophonie. La forte érosion et la fragmentation extrême qu'y a subies la langue berbère expliquent peut-être la disparition du terme (A)mazigh. On notera enfin que (A)mazigh a été dans l'Antiquité, comme bien d'autres ethniques, un surnom courant [Desanges 1962 : 63, note 1 et 112, note 8]. On le rencontre encore aujourd'hui dans l'onomastique maghrébine comme nom de famille (en Tunisie notamment).
LE MOYEN AGE
Chez les auteurs de langue arabe du Moyen Age, (A)mazigh n'apparaît jamais en tant qu'ethnique. Mais Ibn Khaldoun, dans son Histoire des Berbères, [t. I : 167-185] propose une synthèse critique très précise des théories de l'origine des Berbères, formulées selon le modèle généalogique de l'époque. Et il admet, au terme d'une revue très serrée, que : « leur aïeul [des Berbères] se nommait Mazîgh.» (p. 184) Un doute pourtant demeure chez lui quant à la filiation des groupes berbères Sanhadja et Ketama qui pourraient avoir une autre généalogie... Ainsi, selon les auteurs médiévaux de langue arabe (en l'occurrence des généalogistes pour la plupart eux-même Berbères), de très nombreuses tribus berbères se réclamaient d'un ancêtre mythique Mazigh. Traduit en termes modernes, cela signifie qu'un grand nombre d'entre elles s'identifiaient (et se dénommaient) comme (A)mazigh. Là encore, on doit relever une contradiction factuelle par rapport aux données contemporaines. Parmi ceux dont le lien avec l'ancêtre Mazigh est mis en doute, figurent des précurseurs des Touaregs actuels, les Lemtouna [ilemteyen en berbère] qui appartiennent au groupe Sanhadja. Or, les Touaregs se dénomment eux-mêmes Ama−zegh (< amazigh)... Mais il est probable que les (re)constructions généalogiques médiévales ne représentent qu'un effort de rationalisation de données géo-politiques, nécessairement fluctuantes, de l'époque. Ce que l'on peut en retenir est que (A)mazigh est un terme lar-gement répandu au Moyen Age et qu'il couvre une grande partie des populations berbères. Cette extension, on le voit très ancienne, en faisait un excellent candidat pour dénommer, en berbère, l'ensemble des Berbères et leur langue. C'est ainsi que dans les usages actuels, Amazigh/Imazighen et tamazight désignent désormais les Berbères et la langue berbère, dans toutes les régions berbérophones, y compris celles où ces appellations n'étaient pas connues dans la culture traditionnelle locale (Kabylie, Aurès...). L'impulsion initiale à cet emploi néologique vient d'ailleurs de Kabylie et peut être précisément datée des années 1945-50. Les néologismes Amazigh/Imazighen et tamazight y sont diffusés et implantés à cette époque par le biais de la chanson "berbéro-nationaliste" qui s'est développée dans le cadre du Mouvement national algérien (Cf. Chaker 1989/90). Le terme est désormais tout à fait acclimaté et admis partout comme désignation globalisante des Berbères et de leur langue. En quelques décennies Amazigh s'est donc imposé comme ethnique général.
AMAZIGH, "(le/un) Berbère" par Salem CHAKER
Orthographe française : Amazigh plur. : Imazighen, "les Berbères" fem. : tamazight, "(la/une) Berbère" et "(la) langue berbère" Le second /a/ est, dans tous les dialectes, phonétiquement long : [ama:zigh]
LES DONNEES ACTUELLES
Ce terme est employé par un certain nombre de groupes berbérophones pour se désigner eux-mêmes. L'aire d'extension de cette dénomination couvre actuellement :
1° L'ensemble du Maroc
Elle est exclusive chez les berbérophones du Maroc Central qui se dénomment eux-mêmes Imazighen (Braber en arabe) et appellent leur dialecte tamazight (ou tamazixt, avec assourdissement de la vélaire /à/ au contact de la dentale sourde /t/). Elle est connue chez les Chleuhs où elle est un archaïsme littéraire. Elle y désigne aussi spécifiquement le "Berbère blanc", le "vrai Berbère", par opposition aux "négroïdes", bien représentés dans le Sud Marocain et réputés allogènes. Les Rifains l'emploient également à côté des dénominations courantes arifi/tarifit. Dans ces deux groupes, elle s'applique surtout à la langue berbère : chez les Rifains, tamazight est même plus courant que tarifit (qui semble être un néologisme d'origine arabe). Les Chleuhs eux-mêmes dénomment leur langue poétique awal amazigh, "la langue berbère" (Galand-Pernet 1969, 1972). L'expression est déjà donnée avec cette signification par Jean-Léon l'Africain au XVIesiècle (1956 : 15). Au Maroc, Amazigh/tamazight renvoient donc assez nettement à une identification linguistique, connotée de manière très valorisante et impliquant la conscience d'une communauté dépassant le cadre régional-dialectal.
2° Le monde touareg
Elle y prend, en accord avec l'évolution phonétique générale du touareg, les formes suivantes : - Amahegh/Imuhagh et tamahaq, en Ahaggar et en Ajjer, parlers dans lesquels /z/ du berbère nord est normalement traité en /h/, - Ama−zegh/Ima−zeghen et tama−zeq, dans les parlers méridionaux [Niger-Mali : Aïr, Iwllemmeden, Kel-Geres...] où /z/ du berbère nord est traité en /−z/, - Amašegh/Imušagh et tamašeq en Adrar des Ifoghas (Mali) où /š/ correspond régulièrement à /z/ du berbère nord. Chez les Touareg du nord (Ahaggar/Ajjer), Amahegh s'applique à tout membre de la société (quelle qu'en soit la classe sociale), alors que chez les Touaregs méridionaux (Niger-Mali), Ama−zegh désigne spécifiquement l'aristocrate nomade. L'ensemble des Touaregs y étant dénommé : Kel-tema−zeq, "les gens [de langue] tamajeq". Chez les Touaregs, comme chez les Imazighen du Maroc Central, c'est la seule auto-désignation qui soit utilisée.
-
3° Autres attestations actuelles
Enfin, comme chez les Chleuhs et les Rifains, Amazigh/tamazight est connu et employé, concurremment à d'autres termes locaux, chez les berbérophones : - de Tunisie : Sened [Provotelle 1911], - de Libye : Djebel Nefoussa [Beguinot 1931] et Ghadames [Lanfry 1972 : 224, n° 1060] - du Sud Oranais : oasis berbérophones algériennes et marocaines entre Aïn Sefra et Bechar [Figuig, Bousemghoun...]. Le terme est également connu dans les oasis du Touat-Tidikelt-Gourara [le Tawat des Touaregs et des auteurs arabes anciens], à Ghat et Djanet [Foucauld, II : 673] avec le sens de "maître", "suzerain", "seigneur" et même "Dieu" en zénète du Gourara (Mammeri 1984 : 214, par ex.). Signifi-cations qui renvoient aux anciennes conditions socio-politiques de ces populations d'agriculteurs sédentaires, plus ou moins asservies par une aristocratie locale ou extérieure, détentrice des droits de propriété sur la terre (ou l’eau) et elle-même berbérophone. En définitive, Amazià est donc attesté, avec des acceptions synchroniques variables, dans une très vaste zone en forme d'écharpe qui part de la Tunisie méridionale, englobe les parlers berbères de l'Ouest libyen, l'ensemble du domaine touareg, le Touat-Tidikelt-Gourara, le Sud Oranais et la totalité du Maroc. En-dehors de ces régions, i.e. dans toute l'Algérie du nord et le nord du Sahara, le terme Amazià est inconnu dans la culture traditonnelle des berbérophones. C'est en particulier le cas en Kabylie, au Mzab et dans les Aurès. C'est apparemment à tort que R. Basset évoquait les Chaouïas dans sa notice "Amazià" de l'Encyclopédie de l'Islam (1908). Cette affirmation, que l'on retrouve aussi chez Bates (1914 : 42) semble provenir de l'étude de Masqueray sur le Djebel Chechar (1878 ; notam-ment p. 27, note 1 : 259-261 et 281.), travail des plus sujets à caution sur les plans linguistiques et socio-linguistique. La répartition actuelle n'est pas sans analogie avec les données anciennes, médiévales et antiques. L'ANTIQUITE
Amazigh est en effet un ethnonyme bien attesté depuis l'Antiquité. Les auteurs grecs et latins en donnent des formes multiples, en tant que nom de tribus indigènes de l'Afrique du Nord. La forme va-rie quelque peu selon les sources et les époques mais elle est presque toujours suffisamment proche de l'étymon berbère [(a)mazigh] pour que l'identification ne fasse guère de doute. On rencontre ainsi : Maxyes chez Hérodote Mazyes chez Hécatée Mazaces, Mazices, Mazikes, Mazax, Mazazaces... chez les auteurs de langue latine. Le thème de base que l'on doit poser pour l'Antiquité (Mazik-) est parfaitement compatible avec la forme (A)mazigh actuelle. L'initiale /a/ est une marque nominale, autrefois facultative (Cf. chap. 4) et l'occlusive finale palato-velaire /k/ peut correspondre, soit à la restitution latine de la vélaire vibrante berbère [gh] (Cf. latin causa > berbère ta-ghawsa), soit à une ancienne variante occlusive [q] : dans le système phonologique fondamental du berbère, [gh] et [q] sont en effet les allophones d'un même phonème. La localisation précise de ces populations antiques est en général plutôt problématique et incertaine. Le catalogue de Desanges (1962) et l'inventaire de G. Camps (1961 : 26-27) montrent clairement que ces Mazik-es se rencontrent un peu partout au Maghreb : - en Maurétanie tingitane [Maroc] (Desanges : 34), - en Maurétanie césarienne [Algérie centrale, au sud du Zaccar] (Desanges : 63), - en plusieurs points d'Africa [Tunisie] (Desanges : 111-112]. Un premier constat s'impose donc : cet ethnique est, dès l'Antiquité, répandu dans tout le Maghreb. Et il semble que son extension se soit accrue au cours de l'Antiquité - du moins dans les usages des auteurs latins - et qu'il ait eu tendance à avoir une acception de plus en plus large avec le temps : « Déjà au III° siècle, Saint Hyppolite met les Mazices sur le même plan que les Mauri, Gaetuli, Afri. » (Desanges : 113).
Des auteurs aussi différents que Lucain [Marcus Annaeus Lucanus, 39-65 ap. J.C.] et Corippus [Flavius Cresconius Corippus; il écrit vers 550 ap. J.C.] emploient même la forme Mazax pour désigner tous les habitants indigènes du Maghreb [Cf. Camps 1961 : 27-28] ! Il est évidemment difficile de déterminer si cette extension progressive correspond aux pratiques des Berbères eux-mêmes [qui se seraient, dès cette époque, eux-mêmes dénommés Mazik-/Mazigh] ou s'il ne s'agit que d'un usage littéraire latin. En tout état de cause, cela établit que l'ethnonyme Mazik-/Mazigh était suffisamment répandu, connu et socialement important pour que certains auteurs de langue latine aient eu tendance à en faire la désignation du peuplement autochtone dans sa globalité. Un autre constat, assez troublant, est que le Mazik- antique est attesté dans des régions qui ne connaissent pas (ou plus ?) Amazigh à l'heure actuelle [Algérie centrale et occidentale]. Il est vrai que cette zone a été profondément arabisée et qu'il ne s'y maintient plus que des îlot très réduits et menacés de berbérophonie. La forte érosion et la fragmentation extrême qu'y a subies la langue berbère expliquent peut-être la disparition du terme (A)mazigh. On notera enfin que (A)mazigh a été dans l'Antiquité, comme bien d'autres ethniques, un surnom courant [Desanges 1962 : 63, note 1 et 112, note 8]. On le rencontre encore aujourd'hui dans l'onomastique maghrébine comme nom de famille (en Tunisie notamment).
LE MOYEN AGE
Chez les auteurs de langue arabe du Moyen Age, (A)mazigh n'apparaît jamais en tant qu'ethnique. Mais Ibn Khaldoun, dans son Histoire des Berbères, [t. I : 167-185] propose une synthèse critique très précise des théories de l'origine des Berbères, formulées selon le modèle généalogique de l'époque. Et il admet, au terme d'une revue très serrée, que : « leur aïeul [des Berbères] se nommait Mazîgh.» (p. 184) Un doute pourtant demeure chez lui quant à la filiation des groupes berbères Sanhadja et Ketama qui pourraient avoir une autre généalogie... Ainsi, selon les auteurs médiévaux de langue arabe (en l'occurrence des généalogistes pour la plupart eux-même Berbères), de très nombreuses tribus berbères se réclamaient d'un ancêtre mythique Mazigh. Traduit en termes modernes, cela signifie qu'un grand nombre d'entre elles s'identifiaient (et se dénommaient) comme (A)mazigh. Là encore, on doit relever une contradiction factuelle par rapport aux données contemporaines. Parmi ceux dont le lien avec l'ancêtre Mazigh est mis en doute, figurent des précurseurs des Touaregs actuels, les Lemtouna [ilemteyen en berbère] qui appartiennent au groupe Sanhadja. Or, les Touaregs se dénomment eux-mêmes Ama−zegh (< amazigh)... Mais il est probable que les (re)constructions généalogiques médiévales ne représentent qu'un effort de rationalisation de données géo-politiques, nécessairement fluctuantes, de l'époque. Ce que l'on peut en retenir est que (A)mazigh est un terme lar-gement répandu au Moyen Age et qu'il couvre une grande partie des populations berbères. Cette extension, on le voit très ancienne, en faisait un excellent candidat pour dénommer, en berbère, l'ensemble des Berbères et leur langue. C'est ainsi que dans les usages actuels, Amazigh/Imazighen et tamazight désignent désormais les Berbères et la langue berbère, dans toutes les régions berbérophones, y compris celles où ces appellations n'étaient pas connues dans la culture traditionnelle locale (Kabylie, Aurès...). L'impulsion initiale à cet emploi néologique vient d'ailleurs de Kabylie et peut être précisément datée des années 1945-50. Les néologismes Amazigh/Imazighen et tamazight y sont diffusés et implantés à cette époque par le biais de la chanson "berbéro-nationaliste" qui s'est développée dans le cadre du Mouvement national algérien (Cf. Chaker 1989/90). Le terme est désormais tout à fait acclimaté et admis partout comme désignation globalisante des Berbères et de leur langue. En quelques décennies Amazigh s'est donc imposé comme ethnique général.