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Reportage: comment les villages de la région d’Al Hoceima tentent de surmonter le traumatisme
Les habitants réclament la distribution de l’aide
Les événements tragiques d’El Hoceima non seulement sont consécutifs au tremblement qui a secoué la région mais sont aussi le fait de la négligence, voire de la précarité y régnant. Il serait ainsi préjudiciable de ne voir dans cette catastrophe que “l’inclémence” de la Nature, la responsabilité humaine y est pour beaucoup. Lenteurs dans l’acheminement des secours et des aides (Les premiers secours n’étaient arrivés que 10 heures après la forte secousse), absence lamentable d’infrastructures hospitalières (le seul Hôpital que compte la ville d’Al Hoceima a été tellement surchargé que de nouvelles victimes ont dû être évacuées dans des édifices de fortune), archaïsme d’un système d’alerte anti-sismique, tout cela ajouté à la difficulté que pose une nature inhospitalière, auront sans doute rajouté à la souffrance d’une population livrée à elle-même.
Las, les habitants sinistrés étaient sortis manifester leur colère et leur indignation contre le laxisme qui est l’une des principales causes de la tragédie.
Le drame qui a eu pour théâtre Al Hoceima, si on devait en tirer une leçon, c’est celle-ci: Les discours sont une chose, la réalité en est une autre. Les slogans sur la légendaire politique de proximité ne devront engager que ceux qui veulent bien y croire. Sur le terrain, nous avons été très nombreux à constater, avec les sinistrés, l’ampleur des dégâts. Des familles, endeuillées par la perte d’un ou de plusieurs proches, devaient encore supporter la pénible épreuve de l’absence pathétique de refuges et des moyens élémentaires de survie.
Par crainte de nouvelles répliques de tremblement, qui n’ont pas d’ailleurs cessé, les commerces ont fermé boutique, présentant une pénurie en denrées alimentaires; affolés à l’idée de voir la terre trembler à nouveau, les habitants, après l’effondrement de leurs maisons, n’ont trouvé refuge nulle part, si ce n’est en plein air par ces temps de rude hiver (!). Certains, leurs appartements n’ayant pas été encore écroulés, par peur, là encore, de nouvelles secousses, ont squatté la place publique, à proximité de l’aéroport de la ville, la place Mohammed V; d’autres ont trouvé “refuge” dans des champs submergés de pluies, confrontés à un froid de canard et à la faim. Ailleurs, des habitants de régions éloignées, des plus braves, ceux-là, s’accrochent dans l’espoir de retrouver vivants sous les décombres un des leurs, s’employant eux-mêmes avec courage à exhumer des dépouilles ou ce qui en reste sous l’amas de pierres ou de pisé, après avoir compris que les secouristes et autres éléments du Croissant Rouge ou encore les représentants des différents corps de l’armée n’arriveront jamais.
Un jeune habitant du douar “Ifassyine”, enfermé dans un silence glacial, les joues creusées après trois nuits blanches à ciel ouvert, arborait un visage d’enterrement. Il y avait de quoi. On comprendra plus tard qu’il a perdu son père, sa mère et ses trois frères. Sa survie, celle de sa femme et de ses deux fils, il ne les devait qu’au miracle (!). La survie de ses proches était pourtant loin d’être une consolation. Une pointe de regret luit dans ses yeux. Deux jours avant la tragédie, il avait envoyé sa femme et ses deux fils à une région qui avait été épargnée par le tremblement. “Si je savais que l’irréparable allait se produire, j’aurais pu sauver aussi mes parents et frères”, regrette-t-il.
Il y a pourtant plus grave que le cas de ce jeune rifain. Une femme, co-villageoise, âgée de quarante ans, après avoir enterré toute sa famille (6 membres, y compris le mari), n’avait que les yeux pour pleurer. A la voir se perdre en allers-retours près du cimetière (Zaouiat Sidi Youssef ou Ali), les cheveux en l’air, les joues creusées par les larmes, on eût dit qu’elle avait perdu le nord.
Ce cas est loin d’être isolé. Profondément affecté par le tremblement qui a mis à terre tous les hameaux, ce douar offrait un spectacle plus que désolant. Le pacha de la localité aurait signifié à son moqaddam (agent d’autorité) que les survivants devaient eux-mêmes se charger, après identification des victimes, de l’enterrement des proches. Pourtant, cet agent d’autorité n’était pas sans savoir que les habitants, de ce douar ou d’autres localités avoisinantes, ont tout perdu. Perdu des proches-parents, perdu biens immobiliers et effets personnels. “Comment un soi-disant responsable peut-il ignorer ce fait pourtant flagrant”?, se révolte un riverain, avant de nous faire signe de voir des fosses communes aménagées par les soins des seuls habitants, avec le soutien d’un bienfaiteur. Victimes du tremblement mais aussi de la négligence humaine, les morts même n’ont pas eu droit à une sépulture convenable.
Pour les survivants, point de consolation. Coupés du reste de la région, ils n’ont même pas eu droit à une simple expression de condoléances. Pour le reste, ils ont dû faire preuve d’imagination pour subvenir- et comment ?! -à des besoins pressants de survie. Dans l’indifférence totale des “responsables” présumés. L’exemple que nous offre le vice-président de la commune “Lota” est plus qu’affligeant. Au lieu de porter secours à la population, il a préféré sauver ses propres meubles en mettant une tente caïdale à la disposition de sa famille, n’en ayant cure du reste des sinistrés.
Mais il y a pis que pire. Grièvement blessés, des survivants en quête de secours, ont simplement été boutés hors des urgences de l’Hôpital Mohammed V. Ayant survécu à une mort certaine, ils devaient aussi survivre avec des blessures handicapantes, sous les yeux indifférents des secouristes dont une bonne partie d’entre eux étaient restés rivés à leurs “fauteuils de spectateurs” à Imzouren.
Indifférence plus que troublante, ajoutée au déficit inquiétant de médicaments et d’assistance sociale, malgré l’arrivée des aides nationales et internationales. L’acheminement de ces aides non seulement a pris du retard mais leur distribution, après leur arrivée, tardait encore, au grand malheur d’une population qui en avait grand besoin. D’où la sortie massive et spontanée de la population dans les rues pour exprimer sa stupéfaction. Cette manifestation légitime a pourtant été dispersée de force, ce qui suscite un festival de questions si la responsabilité a encore un sens chez nous.
Si nombre de maisons se sont effondrées, les autorités, paraît-il, n’y sont pour rien. Mais voilà, avec le tremblement du 23 février, les dégâts auraient été limités si les maisons avaient été construites en bonne et due forme. Un promoteur immobilier nous explique que la plupart des maisons avaient été élevées sans fondement solide, ni piliers suffisants et moins encore été conçues de façon à pouvoir faire face au risque sismique. Cela laisse planer plus d’un point d’interrogation ou d’exclamation qu’Al Hoceima avait été victime à plusieurs reprises de tremblements de terre.
Celui qui a fait trembler Al Hoceima en ce triste 23 février a été d’une telle force (une magnitude de 6,3 degrés sur l’échelle Richter) qu’il a risqué d’achever une ville, si ce n’est déjà fait, sachant que, depuis 1994, la ville a connu une alarmante baisse d’activité, avant la reprise de ces dernières années. Ce tremblement vient mettre en éclats les atouts de ces dernières années, mettant en péril la perspective d’une relance qui tardera sans doute à venir. Le tableau actuel est plus que sombre que l’espoir n’est pas permis. A moins de mettre en place un plan de sauvetage pour cette zone sinistrée, ce qui, plus qu’une nécessité, exige une intervention d’urgence de la part du gouvernement. Il s’agit de réparer ce que l’”inclémence” de la Nature et le laxisme des hommes ont faits.
Il y va du relogement de la population sinistrée, de la rescolarisation des élèves (après effondrement de deux lycées), la réouverture des banques et des administrations publiques.
De nos envoés spéciaux *: Mohamed KADIMI et Ahmed
Les habitants réclament la distribution de l’aide
Les événements tragiques d’El Hoceima non seulement sont consécutifs au tremblement qui a secoué la région mais sont aussi le fait de la négligence, voire de la précarité y régnant. Il serait ainsi préjudiciable de ne voir dans cette catastrophe que “l’inclémence” de la Nature, la responsabilité humaine y est pour beaucoup. Lenteurs dans l’acheminement des secours et des aides (Les premiers secours n’étaient arrivés que 10 heures après la forte secousse), absence lamentable d’infrastructures hospitalières (le seul Hôpital que compte la ville d’Al Hoceima a été tellement surchargé que de nouvelles victimes ont dû être évacuées dans des édifices de fortune), archaïsme d’un système d’alerte anti-sismique, tout cela ajouté à la difficulté que pose une nature inhospitalière, auront sans doute rajouté à la souffrance d’une population livrée à elle-même.
Las, les habitants sinistrés étaient sortis manifester leur colère et leur indignation contre le laxisme qui est l’une des principales causes de la tragédie.
Le drame qui a eu pour théâtre Al Hoceima, si on devait en tirer une leçon, c’est celle-ci: Les discours sont une chose, la réalité en est une autre. Les slogans sur la légendaire politique de proximité ne devront engager que ceux qui veulent bien y croire. Sur le terrain, nous avons été très nombreux à constater, avec les sinistrés, l’ampleur des dégâts. Des familles, endeuillées par la perte d’un ou de plusieurs proches, devaient encore supporter la pénible épreuve de l’absence pathétique de refuges et des moyens élémentaires de survie.
Par crainte de nouvelles répliques de tremblement, qui n’ont pas d’ailleurs cessé, les commerces ont fermé boutique, présentant une pénurie en denrées alimentaires; affolés à l’idée de voir la terre trembler à nouveau, les habitants, après l’effondrement de leurs maisons, n’ont trouvé refuge nulle part, si ce n’est en plein air par ces temps de rude hiver (!). Certains, leurs appartements n’ayant pas été encore écroulés, par peur, là encore, de nouvelles secousses, ont squatté la place publique, à proximité de l’aéroport de la ville, la place Mohammed V; d’autres ont trouvé “refuge” dans des champs submergés de pluies, confrontés à un froid de canard et à la faim. Ailleurs, des habitants de régions éloignées, des plus braves, ceux-là, s’accrochent dans l’espoir de retrouver vivants sous les décombres un des leurs, s’employant eux-mêmes avec courage à exhumer des dépouilles ou ce qui en reste sous l’amas de pierres ou de pisé, après avoir compris que les secouristes et autres éléments du Croissant Rouge ou encore les représentants des différents corps de l’armée n’arriveront jamais.
Un jeune habitant du douar “Ifassyine”, enfermé dans un silence glacial, les joues creusées après trois nuits blanches à ciel ouvert, arborait un visage d’enterrement. Il y avait de quoi. On comprendra plus tard qu’il a perdu son père, sa mère et ses trois frères. Sa survie, celle de sa femme et de ses deux fils, il ne les devait qu’au miracle (!). La survie de ses proches était pourtant loin d’être une consolation. Une pointe de regret luit dans ses yeux. Deux jours avant la tragédie, il avait envoyé sa femme et ses deux fils à une région qui avait été épargnée par le tremblement. “Si je savais que l’irréparable allait se produire, j’aurais pu sauver aussi mes parents et frères”, regrette-t-il.
Il y a pourtant plus grave que le cas de ce jeune rifain. Une femme, co-villageoise, âgée de quarante ans, après avoir enterré toute sa famille (6 membres, y compris le mari), n’avait que les yeux pour pleurer. A la voir se perdre en allers-retours près du cimetière (Zaouiat Sidi Youssef ou Ali), les cheveux en l’air, les joues creusées par les larmes, on eût dit qu’elle avait perdu le nord.
Ce cas est loin d’être isolé. Profondément affecté par le tremblement qui a mis à terre tous les hameaux, ce douar offrait un spectacle plus que désolant. Le pacha de la localité aurait signifié à son moqaddam (agent d’autorité) que les survivants devaient eux-mêmes se charger, après identification des victimes, de l’enterrement des proches. Pourtant, cet agent d’autorité n’était pas sans savoir que les habitants, de ce douar ou d’autres localités avoisinantes, ont tout perdu. Perdu des proches-parents, perdu biens immobiliers et effets personnels. “Comment un soi-disant responsable peut-il ignorer ce fait pourtant flagrant”?, se révolte un riverain, avant de nous faire signe de voir des fosses communes aménagées par les soins des seuls habitants, avec le soutien d’un bienfaiteur. Victimes du tremblement mais aussi de la négligence humaine, les morts même n’ont pas eu droit à une sépulture convenable.
Pour les survivants, point de consolation. Coupés du reste de la région, ils n’ont même pas eu droit à une simple expression de condoléances. Pour le reste, ils ont dû faire preuve d’imagination pour subvenir- et comment ?! -à des besoins pressants de survie. Dans l’indifférence totale des “responsables” présumés. L’exemple que nous offre le vice-président de la commune “Lota” est plus qu’affligeant. Au lieu de porter secours à la population, il a préféré sauver ses propres meubles en mettant une tente caïdale à la disposition de sa famille, n’en ayant cure du reste des sinistrés.
Mais il y a pis que pire. Grièvement blessés, des survivants en quête de secours, ont simplement été boutés hors des urgences de l’Hôpital Mohammed V. Ayant survécu à une mort certaine, ils devaient aussi survivre avec des blessures handicapantes, sous les yeux indifférents des secouristes dont une bonne partie d’entre eux étaient restés rivés à leurs “fauteuils de spectateurs” à Imzouren.
Indifférence plus que troublante, ajoutée au déficit inquiétant de médicaments et d’assistance sociale, malgré l’arrivée des aides nationales et internationales. L’acheminement de ces aides non seulement a pris du retard mais leur distribution, après leur arrivée, tardait encore, au grand malheur d’une population qui en avait grand besoin. D’où la sortie massive et spontanée de la population dans les rues pour exprimer sa stupéfaction. Cette manifestation légitime a pourtant été dispersée de force, ce qui suscite un festival de questions si la responsabilité a encore un sens chez nous.
Si nombre de maisons se sont effondrées, les autorités, paraît-il, n’y sont pour rien. Mais voilà, avec le tremblement du 23 février, les dégâts auraient été limités si les maisons avaient été construites en bonne et due forme. Un promoteur immobilier nous explique que la plupart des maisons avaient été élevées sans fondement solide, ni piliers suffisants et moins encore été conçues de façon à pouvoir faire face au risque sismique. Cela laisse planer plus d’un point d’interrogation ou d’exclamation qu’Al Hoceima avait été victime à plusieurs reprises de tremblements de terre.
Celui qui a fait trembler Al Hoceima en ce triste 23 février a été d’une telle force (une magnitude de 6,3 degrés sur l’échelle Richter) qu’il a risqué d’achever une ville, si ce n’est déjà fait, sachant que, depuis 1994, la ville a connu une alarmante baisse d’activité, avant la reprise de ces dernières années. Ce tremblement vient mettre en éclats les atouts de ces dernières années, mettant en péril la perspective d’une relance qui tardera sans doute à venir. Le tableau actuel est plus que sombre que l’espoir n’est pas permis. A moins de mettre en place un plan de sauvetage pour cette zone sinistrée, ce qui, plus qu’une nécessité, exige une intervention d’urgence de la part du gouvernement. Il s’agit de réparer ce que l’”inclémence” de la Nature et le laxisme des hommes ont faits.
Il y va du relogement de la population sinistrée, de la rescolarisation des élèves (après effondrement de deux lycées), la réouverture des banques et des administrations publiques.
De nos envoés spéciaux *: Mohamed KADIMI et Ahmed