Le Souss au moyen âge

uzop

New Member
On compte 4 journées de Dar'a au Sous occidental (al‑Akça), pays dont la ville principale est Târoudant. Le pays du Sous contient un grand nombre de villages et est couvert de champs cultivés qui se succèdent sans interruption. Il produit d'excellents fruits de toute espèce, savoir : des noix, des figues, du raisin de l'espèce dite adzârâ, des coings, des grenades de l'espèce dite amlîsî, des citrons d'une grosseur extraordinaire et fort abondants, des pêches, des pommes rondes et gonflées (comme les mamelles d'une femme), et la canne à sucre d'une qualité tellement supérieure, soit sous le rapport de la hauteur et de l'épaisseur de la tige, soit sous celui de la douceur et l'abondance du suc. On fabrique dans le pays du Sous du sucre qui est connu dans presque tout l'univers et qui porte le nom de son pays ; il égale en qualité les sucres appelés solaimânî et tabarzad, et il surpasse toutes les autres espèces en saveur et en pureté. On fabrique dans le même pays des étoffes fines et des vêtements d'une valeur et d'une beauté incomparables. Les habitants sont de couleur brune ; les femmes sont, en général, d'une beauté parfaite et très habiles dans les ouvrages manuels. Du reste, le Sous produit du blé, de l'orge et du riz qui se vendent à très bon marché. Le seul reproche qu'on puisse faire à ce pays, c'est le défaut d'urbanité, la grossièreté et l'insolence de ses habitants. Ils appartiennent à des races mélangées de Berbers Maçmoudis ; leur habillement consiste en un manteau (kisâ) de laine dans lequel ils s'enveloppent entièrement ; ils laissent croître leurs cheveux, dont ils ont un très grand soin ; ils les teignent chaque semaine avec du henna et les lavent deux fois par semaine avec du blanc d'oeuf et de la terre d'Espagne ; ils s'entourent le milieu du corps de mizar's de laine qu'ils appellent âsfâkis. Les hommes sortent constamment armés de javelots dont le bois est court, la pointe longue et faite du meilleur acier. Ils mangent beaucoup de sauterelles frites et salées. Sous le rapport des opinions religieuses, les habitants du Sous se divisent en deux classes : ceux de Târoudant sont Mâlekî avec quelques modifications ; ceux de Tîouyouîn professent les dogmes de Mousa ibn Dja'far ; de là vient qu'ils vivent dans un état continuel de troubles, de combats, de meurtres et de représailles. Du reste ils sont très riches et jouissent d'un bien-être considérable. Ils font usage d'une boisson appelée ânzîz, agréable au goût et plus enivrante encore que le vin, parce qu'elle est plus forte et plus spiritueuse ; pour la préparer, ils prennent du moût de raisin doux et le font bouillir jusqu'à ce qu'il n'en reste que les deux tiers dans le vase ; ils le retirent alors du feu, le mettent en cave et le boivent. Cette boisson est tellement forte qu'on ne saurait en faire usage impunément sans y ajouter la même quantité d'eau. Les habitants du Sous en considèrent l'usage comme permis tant qu'elle ne cause pas une complète ivresse.

Entre les deux villes du Sous, c'est-à-dire Târoudant et Tîouyouîn, on compte une journée de voyage à travers des jardins, des vignes, des vergers plantés d'arbres à fruits de toute espèce. Les viandes y sont abondantes et à très bon marché ; les habitants (comme je l'ai dit) sont méchants et pétulants. De la capitale du Sous (c'est-à-dire de Taroudant)º à la ville d'Aghmât on compte 6 journées ; on passe par les campements des tribus berbères Maçmoudiennes dites : Antî Nitât, Banou Wâsanou, Ancatoutâwan, Ansatît, Ar'an, Aguenfîs et Antouzgît, qui appartiennent toutes à la tribu de Maçmouda par laquelle cette contrée a été occupée. A la même tribu appartiennent aussi les Berbers qui habitent Nafîs de la montagne et les alentours de cette ville, dont ils portent le nom. Nafîs est une petite ville entourée de champs cultivés ; on y trouve du blé, des fruits et de la viande en abondance. Il y a une mosquée djâmi' et un marché bien achalandé qui est fourni particulièrement en diverses espèces de raisins secs d'une saveur exquise et d'une beauté et d'une grosseur incomparables, qui sont très estimés dans le Maghrib occidental.

Pour se rendre de Târoudant du Sous à la ville d'Aghmât-Warîca, on passe au pied de la grande montagne de Daran, remarquable par sa hauteur, par la fertilité du terrain, par le grand nombre d'habitations dont elle est couverte et par son étendue ; elle se prolonge en ligne droite vers l'orient, depuis le Sous occidental, sur les bords de l'océan, jusqu'aux montagnes de Nafousa, où elle se nomme Djabal Nafousa ; elle se confond ensuite avec la chaîne des montagnes de Tripoli, au bout de laquelle le terrain devient tout à fait plat. Plusieurs personnes assurent cependant que cette montagne s'étend jusqu'à la Méditerranée et qu'elle se termine par le cap Autsân. Quoi qu'il en soit, elle produit toute sorte de fruits et est couverte toute espèce d'arbres rares. Des sources d'eau y jaillissent de toutes parts et ses flancs sont embellis par des plantes toujours vertes. Sur les points culminants, on trouve plus de soixante-dix citadelles ou châteaux, parmi lesquelles il en est une placée d'une manière tellement avantageuse et construite si solidement, qu'elle est, pour ainsi dire, inexpugnable. Située, en effet, sur le sommet de la montagne, quatre hommes suffisent pour en défendre l'entrée, chose facile à concevoir, car le seul sentier qui y conduit est étroit, escarpé et semblable à une échelle ; une bête de somme ne saurait y monter qu'avec beaucoup de peine. Cette citadelle se nomme Tânmallalt. C'était le quartier général du Maçmoudî Mohammed ibn Toumart, à l'époque où il parut dans le Maghrib ; il la fortifia et la choisit pour en faire le dépôt de ses trésors et même le lieu de sa sépulture. Lorsqu'il mourut à Djabalo 'l‑Cawâkib (mont des étoiles), les Maçmouda y transportèrent son corps et l'y enterrèrent. De nos jours, son tombeau est considéré par les Maçmouda comme un lieu saint, et il est pour eux l'objet d'un pèlerinage. Ce tombeau est surmonté d'un édifice élevé en forme de dôme, mais sans dorures ni ornements, conformément aux préceptes du nâmous (loi). Parmi les fruits que produit la montagne de Daran, on compte quantité de figues d'une douceur et d'une grosseur extraordinaires ; des raisins de forme oblongue, d'un goût sucré (mielleux) et presque toujours sans pépins ; séchés, ces raisins prennent place parmi les meilleures confitures sur la table des rois du Maghrib, parce que la peau en est tendre et que leur usage est aussi salutaire qu'agréable. Il s'y trouve égalment des noix et des amandes. Quant aux coings et aux grenades, l'abondance en est telle que, pour un kirât, on peut s'en produrer une charge (d'homme). Les prunes, les poires, les pêches, les citrons et la canne à sucre sont tellement abondants, que les habitants n'en font entre eux aucun commerce ; ils possèdent en outre l'olivier, leº caroubier, le mochtahâ, et diverses autres espèces d'arbres, parmi lesquelles on remarque celle qui s'appelle ârcân ; la tige, les branches et les feuilles de cet arbre ressemblent à celles du prunier ; le fruit, par sa forme, ressemble au fruit nommé 'oyoun (sorte de prune noire) ; lors de son premier développement, la peau en est mince et verte, mais elle devient jaune quand le fruit est mûr ; il est d'un goût âpre et acide et n'est point mangeable ; le noyau ressemble à celui des olives, car il est dur et pointu. On recueille ce fruit vers la fin de septembre et on le donne aux chèvres, qui l'avalent après avoir brouté l'enveloppe extérieure ; elles le rejettent quelque temps après ; on le ramasse, le lave, et après l'avoir cassé et broyé, on le presse et on en extrait beaucoup d'huile d'un très beau noir, mais désagréable au goût. Cette huile est d'un usage fréquent dans le Maghrib occidental, où elle sert même pour l'éclairage. Les marchands qui vendent des beignets (osfondj) dans les carrefours l'emploient pour la friture, et elle n'est pas désagréable dans cette patisserie, quoique, lorsqu'elle vient en contact avec le feu, elle exhale une odeur âpre et fétide. Les femmes Maçmoudiennes s'en servent à la toilette pour faire croître, tresser et teindre leurs cheveux ; par ce moyen, ils deviennent lustrés et d'un très beau noir.

La ville d'Aghmât-Warîca est bâtie, du côté du nord, au pied de cette montagne, dans une vaste plaine, sur un sol excellent, couvert de végétation, et sillonné par des eaux qui coulent dans toutes les directions. Autour de la ville, sont des jardins entourés de murs, et des vergers remplis d'arbres touffus. Le site de cette ville est admirable : ses environs sont gais, le sol est excellent, les eaux douces, le climat très sain. Une rivière peu considérable, qui traverse la ville, y apporte ses eaux du côté du midi et en sort au nord. Il existe des moulins à farine sur cette rivière dont on introduit les eaux dans la ville, le jeudi, le vendredi, le samedi et le dimanche ; les autres jours de la semaine, on les détourne pour l'arrosement des champs et des jardins.

La ville d'Aghmât est située, ainsi que nous venons de le dire, au pied (sous l'aile) de la montagne de Daran. Lorsqu'au temps de l'hiver, les neiges accumulées sur le Daran se fondent, et que les eaux glacées en découlent vers la ville d'Aghmât, il arrive souvent que la rivière se couvre, dans l'intérieur de la ville, d'une glace tellement épaisse qu'elle ne se rompt pas, quoique les enfants s'amusent à glisser sur elle. C'est un fait dont nousº avons été plusieurs fois témoin. Les habitants d'Aghmât sont des Houwâra, tribu berbère d'origine arabe, naturalisée par suite de leur voisinage et de leurs rapports avec les indigènes. Ils sont riches et commerçants ; ils se rendent dans le pays des nègres avec un grand nombre de chameaux chargés de cuivre rouge et colorié, de kisâ's, de vêtements (tob) de laine, de turbans, de mizar's, de toute sorte de colliers et de chapelets en verre, en coquilles et en pierres, de différentes drogues et parfums, et d'ustensiles en fer. Celui qui confie de telles commissions à ses serviteurs ou à ses esclaves possède, dans la caravane, cent, quatre-vingts ou au moins soixante-dix chameaux chargés. Durant la domination des Almoravides (al‑Molattsim), il n'était pas de gens plus riches que les habitants d'Aghmât. Ils avaient coutume de placer, aux portes de leurs maisons, des signaux destinés à indiquer l'importanceº de leurs richesses. Ainsi, par exemple, si quelqu'un d'entre eux possédait 8000 dénares, 4000 en caisse et 4000 employés dans son commerce, il érigeait à droite et à gauche de la porte de sa maison deux soliveaux, qui s'élevaient jusqu'au toit. En passant devant la maison on comptait les soliveaux ainsi plantés, et, par leur nombre, on savait quelle était la somme d'argent que possédait le propriétaire. Il y avait des maisons ornées de quatre ou de six de ces soliveaux, deux ou trois à chacune des deux postes de la porte. Leurs maisons sont pour la plupart en terre et en briques crues (toub), mais on en a construit aussi en briques cuites (adjorr). A l'époque actuelle, la conquête du pays par les Maçmouda a fait éprouver aux habitants d'Aghmât des pertes considérables ; cependant, on peut encore les appeler riches, opulents même, et ils ont conservé leur ancienne fierté et leur mine altière. On est fort incommodé, dans cette ville, par les scorpions, et la piqûre de cet insecte est souvent mortelle. Aghmât produit des fruits et toute sorte de bonnes choses ; tous les vivres y sont à très bas prix.

Au nord d'Aghmât, à la distance de 12 milles, est Maroc (Marrâkich), fondée, au commencement de l'an 470 (1077 de J. C.), par Yousof ibn Tâchifin, sur un emplacement qu'il avait acheté fort cher des habitants d'Aghmât, et qu'il choisit pour sa résidence et celle de sa famille. Cette ville est située dans un bas-fond, où l'on ne voit qu'un petit monticule appelé Idjlîz, dont le prince des Musulmans, Alî ibn Yousof ibn Tâchifin, fit extraire les pierres nécessaires pour bâtir son palais dit Dâro 'l‑hadjar. Comme le terrain sur lequel est construite la ville ne renferme pas d'autres pierres, les maisons sont bâties en terre, en briques crues, et en tapia. L'eau dont les habitants ont besoin pour arroser leurs jardins est amenée au moyen d'un procédé mécanique ingénieux dont l'invention est due à Obaidolla ibn Younos. Il faut savoir qu'il n'est pas nécessaire, pour trouver de l'eau, d'y creuser le sol à une grande profondeur. Or, lorsqu'Obaidolla vint à Maroc, peu de temps après la fondation de cette ville, il n'y existait qu'un seul jardin appartenant à Abou 'l‑Fadhl, client (maulâ) du prince des Musulmans, dont il vient d'être fait mention. Le mécanicien se dirigea vers la partie supérieure du terrain attenant à ce jardin ; il y creusa un puits carré de larges dimensions, d'où il fit partir une tranchée dirigée immédiatement vers la surface du sol ; il continua son creusement par degrés, du haut en bas, en ménageant la pente, de telle sorte, que, parvenue au jardin, l'eau coulât sur une surface plane et se répandîtº sur le sol, ce qui n'a pas discontinué depuis. Au premier abord, on n'observe pas une différence de hauteur suffisante pour motiver l'émanation de l'eau du fonds à la superficie, et on n'en comprend pas la cause ; il n'y a que celui qui sait que ce phénomène tient au juste nivellement de la terre, qui puisse s'en rendre compte.

Le prince des Musulmans approuva beaucoup cette invention, et il combla son auteur de présents et de marques de considération durant son séjour auprès de lui. Les habitants de la ville, voyant le procédé réussir, s'empressèrent de creuser la terre et d'amener les eaux dans les jardins ; dès lors, les habitations et les jardins commencèrent à se multiplier, et la ville de Maroc prit un aspect brillant. A l'époque où nous écrivons, cette ville est une des plus grandes du Maghrib occidental, car elle a été la capitale des Lamtouna, le centre de leur domination et le fil qui les tenait unis ; on y compte un grand nombre de palais construits pour les émirs, les généraux et les ministres de cette dynastie ; les rues sont larges, les places publiques vastes, les édifices hauts, les marchés bien fournis de diverses marchandises et bien achalandés. Il y existait une grande mosquée djâmi' construite par le prince Yousof ibn Tâchifîn ; mais, lorsque de nos jours les Maçmouda se rendirent maîtres de la ville, ils firent fermer la porte de cette mosquée et ne permirent plus d'en faire usage pour la prière ; en même temps ils en firent construire une autre pour leur propre culte. Ces changements furent accompagnés de scènes de pillage, de meurtre et de trafic de choses illicites, car, d'après la doctrine qu'ils professent, tout cela leur est permis. Les habitants de Maroc boivent de l'eau des puits, qu'ils n'ont pas besoin de creuser à une grande profondeur. Il n'y a que de l'eau douce. Alî ibn Yousof ibn Tâchifîn avait entrepris de faire amener à Maroc les eaux d'une source distante de quelques milles de la ville, mais il ne termina pas cet ouvrage. Ce furent les Maçmouda qui, après la conquête du pays, achevèrent les travaux commencés, amenèrent les eaux dans la ville et établirent des réservoirs pour du Dâro 'l‑hadjar, enceinte isolée au milieu de la ville, où se trouve le palais royal.

source : Al‑Idrissi - Description de l'Afrique et de l'Espagne
Géographie d'el?Idrisi
 
Re : Le Souss au moyen âge

Merci Uzop pour ce texte; on parle beaucoup de Ibn Khaldoun alors que Al_Idrissi né en 1100 est rarement mentionné.
Voila un passage qui parle de la tribu des Doukkala comme étant berbère!

Au midi de Maroc habite la tribu Maçmoudienne d'Ailân, et autour d'elle les Nafîs, les Banou Idfar, les Doggâla, les Radjrâdja, les Zauda, les Hascoura, les Hazradja, toutes tribus berbères ; la tribu Maçmoudienne de Warîca habite à l'orient et à l'occident d'Aghmât.

Est ce que personne ici n'a relevé ce fait?
 
Back
Top