Chaîne chimerique
Fatim-Zohra Benaddi rêvait grand. à l'origine simple productrice d’émissions télévisées, elle voulait créer sa propre chaîne. Elle développe le concept d’une antenne dédiée aux Marocains résidant à l’étranger, mais elle a besoin de financement et de soutien logistique. Dallah Al Baraka lui promet de mettre à sa disposition un studio, un contenu adapté à sa cible et une contribution de 1 million d’euros. Une fois en France, elle découvre que le studio en question n’existe pas. Elle doit payer de sa poche pour aménager un studio dans les locaux d’ART France, pourtant contrôlés par Dallah Al Baraka. Cela ne lui met pas la puce à l’oreille. Elle fonce tête baissée. Deuxième signal : le groupe retarde le versement de l’argent de plus de six mois. Elle s’accroche davantage à son bébé et ouvre l’antenne. Troisième signal : les produits livrés par ART sont vieux et inadaptés. Elle croit à une mauvaise coordination et multiplie les correspondances avec Saleh Kamel, président du groupe. Ses réponses sont toujours les mêmes : "Je n’étais pas au courant. Je donnerai mes instructions pour que notre engagement soit respecté". Ses répliques donnent l’illusion que c’est l’entourage du patron de groupe qui lui veut du mal. "Je n’ai jamais cru à la mauvaise foi de Saleh Kamel". Quand le groupe lui verse son premier chèque de 100.000 DH, il trouve l’astuce pour les récupérer. Benaddi l’explique : "Le manque de matériel m’obligeait à louer auprès de prestataires de services alors que c’est ART qui devait fournir la logistique. Au lieu de traiter directement avec la société de location, j’étais obligée de passer par ART France qui, elle, me facturait. Après un moment, j'ai découvert que le matériel appartenait au groupe et au lieu d’en disposer comme le stipulait le contrat, il me le louait de manière déguisée". Au lieu de verser de l'argent aux filiales, le groupe les pressure pour assurer son équilibre fragile, quitte à les ruiner dès la naissance. Benaddi ne l’a pas compris à temps. Elle a continué à produire des émissions au Maroc et à ses frais jusqu’à ce que Saleh Kamel décide de couper le signal. Fatim-Zohra croyait à l’erreur jusqu’au 30 novembre 2004. La patronne de MA3 a eu vent de la tenue d’une conférence de presse de Saleh Kamel à Marrakech. Elle se pointe sans invitation et prend la gifle de sa vie : le patron de Dallah Al Baraka venait juste de déclarer que son groupe avait soutenu la chaîne mais que l’incapacité de la directrice à drainer des annonces publicitaires (donc des liquidités) l’avait contraint à arrêter les frais. Depuis ce fameux soir, elle est fixée sur son sort. Et elle n’était pas la seule.