Restaurer avec le peuple à Assa

youslam

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Maroc: Entretien avec Salima Naji, "Assa, cette merveille architecturale"


Libération (Casablanca)
INTERVIEW
28 Mars 2007
Publié sur le web le 28 Mars 2007
Réalisé par Farida Moha

Architecte et anthropologue, Salima Naji a mené plusieurs actions de restauration de greniers collectifs, en même temps que des recherches universitaires. Architecte privée, elle privilégie les savoir-faire et les matériaux traditionnels pour des constructions ontemporaines à Marrakech, Fès et Meknès.

Vous êtes l'auteure d'un livre magnifique sur les greniers au Maroc. Pourquoi avoir travaillé sur ce sujet ?

Ce sujet me tenait à coeur depuis plusieurs années, mais il m'a fallu de nombreux mois de voyage pour parcourir l'Atlas et les vallées présahariennes à la recherche de centaines de sites (un peu moins de 300 étudiés). Ces cinq années m'ont permis de voir que les greniers collectifs, institutions multiséculaires, considérés comme des archaïsmes moribonds à la période coloniale, sont toujours bel et bien actifs pour bon nombre d'entre eux. Ils incarnent la force du collectif à faire face dans des pays de la guerre et de la faim, par la mise en place d'un système de solidarités à de multiples échelles (le village, la tribu, la région). En même temps, ces architectures sont d'une grande diversité et montrent toute la richesse patrimoniale du Maroc où chaque région, voire chaque village a ses spécificités qu'aujourd'hui au nom d'une modernité ravageuse on voudrait effacer.

Le projet de requalification du Ksar d'Assa a été présenté par M. Ahmed Hajji directeur de l'agence du Sud comme étant un " projet pilote exceptionnel qui doit servir de levier pour la ville d'Assa." Pouvez-vous nous présenter ce projet ?

Le projet de requalification du Ksar d'Assa a débuté en décembre 2005 par des études préliminaires et un premier contact avec la société civile. Dès février 2006, nous avons décidé d'entamer des travaux de restauration des parties collectives du Ksar pour traduire l'action de sensibilisation par une action concrète. Cette approche nouvelle a eu un effet d'accélération dans l'appropriation du projet par la population locale. Car si le Ksar est en partie ruiné, il n'est pas pour autant abandonné. Les habitants aiment à s'y promener et surtout le considèrent comme l'incarnation de leur histoire et de leur identité. Ils sont donc très sensibles à tout projet le concernant et animés d'une envie de participer très forte. Par la restauration du bâti, l'Agence du Sud accompagne des porteurs de projets locaux qui désirent implanter une activité économique, sociale et/ou culturelle dans le Ksar pour en faire, de nouveau, un espace attractif.
L'Agence du Sud a généré un peu plus de 9000 jours sur le chantier de restauration. Ceci a permis de reconstruire près de 200 mètres linéaires de murailles, deux tours, et de restaurer deux petites mosquées. En même temps, de nombreuses rues du Ksar ont été dégagées. Désormais, l'Agence va réaménager les routes d'accès et construire un parking à proximité du Ksar, à l'intérieur duquel, un théâtre en plein air a été délimité.

La restauration de cette "merveille architecturale" tient compte d'un environnement certes dégradé mais particulier, et de l'histoire de la cité. Comment avez-vous décliné cette culture des lieux ?

Le Ksar d'Assa est exceptionnel du fait de sa superficie qui est proche de 7 ha, de sa diversité architecturale, les techniques constructives se succédant de la palmeraie au sommet du rocher comme une leçon d'architecture, et de sa dimension religieuse avec sa zaouïa, ses nombreux lieux saints et mosquées. En même temps, c'est un espace qui accueille des populations aux origines très différentes et qui ont longtemps maintenu des modes de vie très variés, entre nomades et sédentaires. Par conséquent, notre intervention est très réfléchie et doit tenir compte de tous ces aspects en étant la plus respectueuse des lieux et des hommes. Le choix des techniques constructives se fait en accord avec les doyens tout comme les lieux d'interventions qui se doivent de respecter la volonté des groupes dans un souci d'équité.

Vous avez évoqué l'idée d'un conservatoire des pratiques constructives, qu'est-ce à dire ?

La ville nouvelle d'Assa se déploie le long de la route goudronnée avec ses constructions de béton qui représentent la modernité et la réussite sociale, même si elles sont inadaptées aux conditions climatiques. Les maâlmines ont abandonné les techniques et les matériaux traditionnels que sont la pierre et la terre au profit du ciment. Les savoir-faire se sont perdus et la jeune génération ne connaît plus ces techniques. Par conséquent, le projet a pour objectif de réintroduire ces pratiques et de former de nouveaux maâlmines. J'ai donc fait venir des maalmines d'Amtoudi avec lesquels j'avais entrepris la restauration d'un grenier collectif. Peu à peu, ils ont su transmettre et surtout faire réémerger tous ces savoir-faire. Aujourd'hui, nous avons quatre jeunes qui sont en passe de devenir à leur tour des maalmines. L'objectif n'est pas seulement de reconstruire des murs mais de créer une école informelle de maâlmines que constitue le chantier ouvert du Ksar.
Vous avez le projet, le 4 avril prochain, de faire rencontrer des maalems français et marocains. Quel est le but de cette rencontre?
Les techniques constructives traditionnelles sont considérées par les populations locales comme des archaïsmes qui symbolisent une période de misère. Les jeunes maâlmines de la pierre et de la terre sont souvent déconsidérés. Par cette rencontre, nous voulons créer des liens et montrer que ces savoir-faire sont au contraire très valorisés et considérés comme prestigieux. Ensuite, je ne veux pas figer une technique mais montrer comment une technique est appropriée à un contexte donné et qu'elle peut être sans cesse améliorée. Cette rencontre va permettre aux maâlmines d'échanger entre professionnels.



La réhabilitation du Ksar a permis une cristallisation d'intérêt et une mobilisation de la population. Sur quels projets et comment ?


La population a vu la réhabilitation du Ksar comme une double opportunité. D'une part, de nombreux habitants considèrent la réhabilitation du Ksar comme la sauvegarde de leur mémoire, de leur culture et de leur histoire. Par conséquent, de nombreuses associations ont développé des projets sociaux-culturels qui associent éducation et manifestations culturelles autour du Ksar. En même temps, le Ksar est vu comme un site touristique potentiel, et plusieurs gîtes, restaurants, cafés sont envisagés pour accueillir des visiteurs dans le Ksar. Ces deux approches ne sont pas opposées et sont même liées car, d'une part, la population d'Assa a généré une immense diaspora qui est demandeuse de ce type de projets et, d'autre part, le grand Sud accueille de plus en plus de touristes dits responsables et solidaires qui viennent à la rencontre des populations locales.
Un mot sur la sauvegarde de l'oasis d'Assa ?
Assa est construite autour d'une source d'eau pérenne qui a été mise en valeur pour aménager une belle oasis. Cette oasis permettait la survie de la population locale grâce aux nombreux palmiers. Seulement, aujourd'hui, les palmiers sont massivement attaqués par le Bayoud et les parcelles sont peu exploitées du fait de leur faible rentabilité. Dans le cadre du vaste programme de protection des oasis marocaines, une action spécifique est envisagée à Assa. L'oasis va être à la fois ouverte au tourisme et exploitéede manière plus réfléchie pour permettre une meilleure valorisation de ses produits.


Quelle articulation peut-il y avoir entre les projets individuels et les projets collectifs ?

Un ksar est une addition de propriétés privées entourées par une muraille. L'Agence du Sud peut s'occuper, seule, des parties collectives que sont les murailles, les rues et les lieux religieux, mais elle ne peut pas intervenir directement sur les maisons. De ce fait, elle sollicite et appuie les particuliers qui veulent développer des projets dans le Ksar. Cette implication de la population est indispensable à la réussite du projet car sinon le Ksar serait une coquille vide, muséifiée, sans intérêt et surtout dont l'entretien demanderait un investissement colossal de l'Etat. L'Agence du Sud conserve un rôle de soutien et de conseil auprès des porteurs de projets locaux pour favoriser un développement économique harmonieux du Ksar.


M. Casterlé a déclaré au cours de cette rencontre que "les oasis ont une valeur culturelle mondiale et c'est le dernier espoir de civilisation complexe qui reste au Sahara" Ne craignez-vous pas que le tourisme tel qu'il est déployé par les grands groupes ne porte un coup mortel à cette zone très sensible ?

Pour l'instant, la menace n'est pas celle du tourisme mais de l'abandon définitif de ces espaces oasiens par des populations qui n'arrivent plus à y vivre faute de moyens. Le tourisme de masse est encore loin. Il faut savoir que le tourisme oasien est un produit demandé par des touristes qui s'inscrivent dans une logique différente de celle des grands groupes. Ils privilégient les petites structures familiales plus propices à la rencontre, ils sont soucieux de l'impact de leur venue. Ce tourisme est en plein développement et apparaît comme un moyen complémentaire de développer l'économie des oasis en permettant aux populations locales de vivre de leur territoire.
 
Re : Restaurer avec le peuple à Assa

azul,
Très intéressant cet article. Je pense que les ksars et oasis ont aussi d'autres atouts sauf le tourisme. Il y a le secteur de la santé: tourisme thérapeutique/médecinal, il y a aussi comme le font déjà nobreux familles les services pour les personnes agées/jeunes. Pour ce dernier atout on aura evidemment besoin de soin medicaux/écoles plus facilement accessible.
Et c'est surtout ça qui m' agasse de temps en temps. Je trouve excellent qu'on ne laisse pas
les ksours en ruïne. il faut cependant pas seulement investir dans des "bâtiments" mais aussi dans la vie de tous les jours des gens, hommes, femmes, enfants, personnes agées.
Tanmmirt
 
Re : Restaurer avec le peuple à Assa

Mme Naji est une grande dame de l'architecture amazigh, qu'elle m'excuse si je la cantonne à ça, parceque c'est d'abord une grande architecte.

Je n'ai pas l'habitude d'utiliser des superlatifs, mais vous auriez du la voir sur F2 (des racines et des ailes), c'est de cette trempe que sont faites les femmes du sud amazigh, chacune dans ses compétences.

Ne ratez pas son blog http://www.salimanaji.org/
 
Re : Restaurer avec le peuple à Assa

Complétement d'accord avec toi ameqsu, dépensé l'argent publique ou privé dans la pierre au détriment de l'élément humain aussi magnifique qu'il soit est un gageur.
A quand le chemin de fer entre Agadir voir au-delà et Marrakesh?

Je ne suis pas aussi enthousiaste que toi Ahmed R au sujet de madame Naji, comme la plupart des imazighen qui acquierent une certaine notoreté à l'étranger, ils oublient vite d'où ils viennent, un peu de promotion de la culture amazigh serait le bienvenu je pense.
 
Re : Restaurer avec le peuple à Assa

Exactement sandokan... Surtout utiliser le mot "ksar" dans son interview c'est se foutre du monde!
Dans son interview, pas une fois le mot amazigh! Alors que les greniers sont typiquements AMAZIGH... Mais bon pour utiliser l'arabe il n'y pas de souci et quand on parle d'architecture amazigh on utilise l'adjectif MAROCAIN.
 
Re : Restaurer avec le peuple à Assa

N'essayons pas de réinventer la poudre.

En matière de restauration de la Pierre Ancienne, le salut vient du bénévolat et de l'oeuvre associative, eux-mêmes (variablement) soutenus par l'Etat.

La question de l'action bénévole dans la restauration des monuments est en premier lieu tributaire de l'attachement d'une collectivité humaine à son héritage historique et à la particularité de son esthétisme architectural.

Le Maroc Central est la région où l'on retrouve la plus grande partie des greniers, que la toponymie indique clairement (Igherm/Agadir). A ce titre, si les marocains résidents ne sont pas eux-mêmes prêts à restaurer la pierre, je crois qu'il y a une très bonne carte à jouer du côté de l'action associative en Europe couplée à une forme de tourisme solidaire. En clair, et sans rentrer dans les détails, il faut une (au moins une) association Amazigh basée ici, qui entre en contact avec des volontaires éventuellement tamazightophones mais pas forcément pour leurs proposer une expérience enrichissante: participer à des milliers de kilomètres de chez eux à la restauration de monuments anciens dans un matériau tout à fait spécifique, en échange du gîte, du couvert, et d'un accompagnement occasionnel d'un guide dans la découverte (géologique, musical etc etc) de la région.

Il faut donner à ce type d'initiative non pas l'impression que l'on crie à l'aide, mais véritablement l'idée qu'il s'agit d'un donnant-donnant ou celui qui est à l'oeuvre comme celui qui en bénéficiera en sortiront ravis. C'est pourquoi il ne faudrait pas recruter des bénévoles parmi les premiers quidam venus, mais plutôt sur motivation (clairement énoncés).
 
Re : Restaurer avec le peuple à Assa

Tu posa là un problème Amzwaru et je partage ton opinion je n'ai rien à ajouté la dessus.

Pour en revenir à notre architecte, il est intéressant de noté que lorsqu'un soit disant amazigh s'exprime dans les médias étrangers il ne se presse pas de déclaré son identité.
Je ris toujours quand j'entend à la TV sur namadij ou autre des commentaires sur les régions amazigh du genre : spécificité marocaine, héritage marocain, tout est marocain comme chez les Turcs du temps de mustapha kemal, à croire les kemalistes les turces auraient presque créer le monde!
Toujours le même topo, je serais heureux quand je verrais un jour quelqu'un interviewé dans les médias ou autre et d'origine Chleuh qui n'aura pas honte de se dire chleuh.
Cela me rappel ce que me dit mon père au sujet des chleuh, comment reconnaitre un chleuh dans la rue? Réponse : il a toujours le regard au raz du sol!
Levé la tête de temps en temps ne fait pas de mal non?
 
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