Séisme à Al Hoceima : Sursaut des ONG et cafouillage des medias
Les aides envoyées par l'État étaient
acheminées, mais elles n'étaient
pas distribuées à une population
exaspérée, affamée, transie
En faisant défiler le film de la catastrophe, on réalise que le séisme d’Al Hoceima a eu deux enseignements. Un élan de la société civile et une frilosité des médias. Lecture en duplex par Amale Samie
Nous sommes le mercredi 3 mars au soir. Pour la première fois, le bulletin d’information de 2M donne l'impression que la situation à Al Hoceima est réellement maîtrisée. Pourtant, les médias publics n'ont pas fait un aussi bon travail que les secouristes qui étaient sur les lieux aux premières heures qui
ont suivi la catastrophe. Le séisme d'Al Hoceima a permis d'éprouver les capacités du pays à répondre à une catastrophe naturelle, à gérer une situation d'urgence, mais aussi à informer sur cette situation.
Ce fatidique mardi 24 février, à 2 heures 27 minutes, la mort s'est abattue sur le Rif. Mais la plupart des gens ne le sauront que vers 7 ou 8 heures du matin, grâce à la radio. Les télés marocaines et particulièrement 2M, qui émet en continu, n'ont pas jugé utile de diffuser un flash exceptionnel pour informer les citoyens de ce qui se passait dans leur pays. C'est seulement dans son journal de 12h45 que 2M annonçait le séisme. Étrangement, les deux premières dépêches sur la catastrophe sont signées Associated Press et datées de Washington, vers 3h du matin. Elles disaient que ce tremblement de terre serait peut-être ressenti au Maroc et en Espagne. Il y eut ensuite deux dépêches, une de la MAP vers 5 heures, puis une autre de l'AFP à 6h17 du matin, qui citait la dépêche marocaine. Les sismologues marocains avaient émis un bulletin en temps utile.
À Al Hoceima, la presse étrangère était présente en force, tandis que les journalistes marocains esseulés, largués, faisaient stoïquement ce qu'ils pouvaient.
Au début, les bulletins d'information sur les deux chaînes nationales étaient confus, hachés, fragmentaires et débités sur un ton inapproprié. On nous expliquait doctement la tectonique des plaques, graphiques à l'appui, on passa même un ou deux documentaires sur d'autres séismes, mais les images diffusées étaient borgnes, cela faisait douter de la réalité de la catastrophe même, car les images, prises d'un hélicoptère, montraient en boucle une ville intacte avec une seule maison effondrée.
C'est là que beaucoup de gens ont ressenti un malaise : et si "on" nous cachait un effroyable bilan ?
Mais d'autres questions encore se télescopaient dans les esprits. À aucun moment, on ne nous a dit dans quel rayon approximatif le séisme avait frappé. Taza et Fès étaient-elles vraiment tout à fait indemnes ? On n'en sera sûr qu'après de multiples coups de téléphone aux familles.
Échaudés par la couverture des inondations de la vallée de l'Ourika, il y a quelques années, nous nous attendions au pire. Surtout qu'à aucun moment quelqu'un n'a pensé à informer sur le comportement de l'ouvrage du barrage Abdelkrim El Khattabi, près de Targuist, à quelques kilomètres de là. En tout cas, pas les premiers jours.
Les choses commencèrent enfin à se décanter dès la soirée du mercredi. Les bilans devinrent plus précis, les bulletins plus posés, mais sans empathie avec l'événement. La solidarité était là, sans plus.
Nous attendions encore une amélioration de la situation, mercredi 25 février, quand 2M parla de manière elliptique de manifestations de mécontentements des citoyens. Ce jour-là, des médias français et espagnols annonçaient que la population du Rif était quasiment en révolte, on glosait naturellement sur les spécificités du Rif et le traitement qu'il avait subi pendant 40 ans.
Il a donc fallu s'informer soi-même. Pour les troubles et les dix blessés annoncés par la presse européenne : il y avait bien eu des heurts mais sans plus, des coups de matraques, deux ou trois étourdissements et des bosses.
En effet, les aides envoyées sous la responsabilité de l'État étaient acheminées, mais elles n'étaient pas distribuées. Elles étaient stockées dans des camions face à une population exaspérée, affamée, transie. Les sinistrés entendaient que des cargos entiers d'aide étrangère accostaient au port, que des avions par dizaines avaient apporté des denrées alimentaires, des tentes, des couvertures. Mais ils n'avaient encore rien vu venir.
Excédés, ils ont pris les camions d'assaut et se sont servis : parce qu'ils ne pouvaient plus se contenter de promesses. Dans les manifestations, des marcheurs avaient exhibé les Unes de journaux parlant des tonnes d'aides arrivées.
La presse française rectifiait en mettant dès mercredi 25, l'accent sur la liberté avec laquelle elle pouvait travailler. On parla ensuite de mésentente entre les unités de secours étrangères et marocaines. En réalité, les premiers secours espagnols inappropriés furent changés, la Croix Rouge espagnole est aujourd’hui encore très active sur le terrain. Mais ces unités espagnoles montrèrent "des velléités d'autonomie".
Là, les Marocains ont tapé sur la table : tous les secours étaient bienvenus, mais la responsabilité et la gestion générale du sinistre ne pouvait être que marocaine. Ana Palacio, ministre espagnole des Affaires étrangères eut l'élégance de se fendre d'un communiqué au sujet de la coopération exemplaire entre les secouristes marocains et espagnols.
Par contre, comme il est d'usage, l'ONU, l'UNICEF, le PAM et l'OMS, après une réunion d'évaluation commune dès le jour du tremblement de terre, se sont spontanément mis à la disposition des sauveteurs marocains, qui définissaient les priorités et les actions à venir lors du briefing général de 20 heures avec tous les intervenants du collectif de Espoir, créé par toutes les ONG et près de 40 associations, dès le mercredi 25 au soir à Al Hoceima même.
Ici, il faut absolument rendre justice au formidable travail effectué par les sauveteurs : dès jeudi soir, un bilan précis - 571 morts d'abord -, le nouveau bilan du 3 mars, parlant de 628 morts, 632 selon les ONG, un millier de blessés et 10 à 15.000 sans abri (selon les sources).
La situation était redressée dès jeudi matin, et le vendredi 27 février, la Défense civile française disait sur son site Internet : "Selon les reconnaissances, la situation semble être maîtrisée, tant sur le plan des opérations de sauvetage, du déblaiement que sur le plan médical".
C'est alors qu'on vit, grâce à 2M, qu'une vingtaine de médecins et de pharmaciens étaient venus d'Oujda parler de villages menacés par les épidémies, de diarrhées, de bronchites et d'eau souillée. Des morts gisaient encore sous les décombres et surtout, les carcasses d'animaux domestiques n'avaient été ni extraites ni incinérées. Dès le bulletin d'information suivant, on nous montra les équipes du service d'hygiène qui vaporisaient des produits antiseptiques sur les ruines, puis le ministre de la Santé, M. Biadillah, apporta un démenti formel sur l'antenne.
Vendredi 27, il y eut comme un malaise : on avait la fâcheuse impression que les speakers, mais aussi Nabil Benabdellah, ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, ne pouvaient se résoudre à nous expliquer ce qu'étaient "de nouvelles procédures de travail", concept ressassé toute la journée. Le ministère finira par lâcher que : "De nouvelles procédures de distribution des secours ont été établies". On saura alors que dès le début, les associations et les ONG avaient refusé de jouer les utilités. L'État, handicapé par le long oubli, n'apparaissait pas comme l'interlocuteur unique.
Le collectif Espoir s'était imposé comme acteur à part entière de la solidarité du Maroc tout entier. C'était là les nouvelles procédures dont le porte-parole du gouvernement ne parlait qu'en termes abscons. À croire que la société civile lui avait fait un affront personnel. En fait, c'est le plus souvent la société civile qui a permis à l'aide d'être distribuée d'une manière rationnelle, dans les régions reculées et surtout en impliquant directement les bénéficiaires.
Selon un militant de la région, la société civile a servi d'interface entre la population et les autorités. Un autre Maroc naîtrait-il au Nord, dans ces douloureuses circonstances ?
Après les reports de la visite royale, le roi Mohammed VI arrivera finalement dans l'après-midi du samedi. Changement sensible dans l'ambiance qui plane sur la ville, les populations sont soulagées. En même temps on sent que la télé redécouvre l'embrayage. Enfin, on se réveillait. La première chaîne sur le ton épique habituel.
Caméras à l'appui, pour les habitants éprouvés, le roi seul pouvait tout régler, compatir, protéger des voleurs et soulager la population. La présence royale donnera par la même occasion un sérieux coup de fouet aux secours. Le plus dur est passé, la solidarité continue. Mais la télé a raté le coche, malgré un rattrapage in extremis. Si la bataille du sauvetage a été gagnée, celle de l'information ne l'a pas été.
Quant au Rif, il a un besoin urgent d'un plan de développement urgent pour son intégration au reste du pays. C'est la leçon que tous les intervenants ont tirée de cette catastrophe. Pourvu que tout cela ne retombe pas dans l'oubli.
Les aides envoyées par l'État étaient
acheminées, mais elles n'étaient
pas distribuées à une population
exaspérée, affamée, transie
En faisant défiler le film de la catastrophe, on réalise que le séisme d’Al Hoceima a eu deux enseignements. Un élan de la société civile et une frilosité des médias. Lecture en duplex par Amale Samie
Nous sommes le mercredi 3 mars au soir. Pour la première fois, le bulletin d’information de 2M donne l'impression que la situation à Al Hoceima est réellement maîtrisée. Pourtant, les médias publics n'ont pas fait un aussi bon travail que les secouristes qui étaient sur les lieux aux premières heures qui
ont suivi la catastrophe. Le séisme d'Al Hoceima a permis d'éprouver les capacités du pays à répondre à une catastrophe naturelle, à gérer une situation d'urgence, mais aussi à informer sur cette situation.
Ce fatidique mardi 24 février, à 2 heures 27 minutes, la mort s'est abattue sur le Rif. Mais la plupart des gens ne le sauront que vers 7 ou 8 heures du matin, grâce à la radio. Les télés marocaines et particulièrement 2M, qui émet en continu, n'ont pas jugé utile de diffuser un flash exceptionnel pour informer les citoyens de ce qui se passait dans leur pays. C'est seulement dans son journal de 12h45 que 2M annonçait le séisme. Étrangement, les deux premières dépêches sur la catastrophe sont signées Associated Press et datées de Washington, vers 3h du matin. Elles disaient que ce tremblement de terre serait peut-être ressenti au Maroc et en Espagne. Il y eut ensuite deux dépêches, une de la MAP vers 5 heures, puis une autre de l'AFP à 6h17 du matin, qui citait la dépêche marocaine. Les sismologues marocains avaient émis un bulletin en temps utile.
À Al Hoceima, la presse étrangère était présente en force, tandis que les journalistes marocains esseulés, largués, faisaient stoïquement ce qu'ils pouvaient.
Au début, les bulletins d'information sur les deux chaînes nationales étaient confus, hachés, fragmentaires et débités sur un ton inapproprié. On nous expliquait doctement la tectonique des plaques, graphiques à l'appui, on passa même un ou deux documentaires sur d'autres séismes, mais les images diffusées étaient borgnes, cela faisait douter de la réalité de la catastrophe même, car les images, prises d'un hélicoptère, montraient en boucle une ville intacte avec une seule maison effondrée.
C'est là que beaucoup de gens ont ressenti un malaise : et si "on" nous cachait un effroyable bilan ?
Mais d'autres questions encore se télescopaient dans les esprits. À aucun moment, on ne nous a dit dans quel rayon approximatif le séisme avait frappé. Taza et Fès étaient-elles vraiment tout à fait indemnes ? On n'en sera sûr qu'après de multiples coups de téléphone aux familles.
Échaudés par la couverture des inondations de la vallée de l'Ourika, il y a quelques années, nous nous attendions au pire. Surtout qu'à aucun moment quelqu'un n'a pensé à informer sur le comportement de l'ouvrage du barrage Abdelkrim El Khattabi, près de Targuist, à quelques kilomètres de là. En tout cas, pas les premiers jours.
Les choses commencèrent enfin à se décanter dès la soirée du mercredi. Les bilans devinrent plus précis, les bulletins plus posés, mais sans empathie avec l'événement. La solidarité était là, sans plus.
Nous attendions encore une amélioration de la situation, mercredi 25 février, quand 2M parla de manière elliptique de manifestations de mécontentements des citoyens. Ce jour-là, des médias français et espagnols annonçaient que la population du Rif était quasiment en révolte, on glosait naturellement sur les spécificités du Rif et le traitement qu'il avait subi pendant 40 ans.
Il a donc fallu s'informer soi-même. Pour les troubles et les dix blessés annoncés par la presse européenne : il y avait bien eu des heurts mais sans plus, des coups de matraques, deux ou trois étourdissements et des bosses.
En effet, les aides envoyées sous la responsabilité de l'État étaient acheminées, mais elles n'étaient pas distribuées. Elles étaient stockées dans des camions face à une population exaspérée, affamée, transie. Les sinistrés entendaient que des cargos entiers d'aide étrangère accostaient au port, que des avions par dizaines avaient apporté des denrées alimentaires, des tentes, des couvertures. Mais ils n'avaient encore rien vu venir.
Excédés, ils ont pris les camions d'assaut et se sont servis : parce qu'ils ne pouvaient plus se contenter de promesses. Dans les manifestations, des marcheurs avaient exhibé les Unes de journaux parlant des tonnes d'aides arrivées.
La presse française rectifiait en mettant dès mercredi 25, l'accent sur la liberté avec laquelle elle pouvait travailler. On parla ensuite de mésentente entre les unités de secours étrangères et marocaines. En réalité, les premiers secours espagnols inappropriés furent changés, la Croix Rouge espagnole est aujourd’hui encore très active sur le terrain. Mais ces unités espagnoles montrèrent "des velléités d'autonomie".
Là, les Marocains ont tapé sur la table : tous les secours étaient bienvenus, mais la responsabilité et la gestion générale du sinistre ne pouvait être que marocaine. Ana Palacio, ministre espagnole des Affaires étrangères eut l'élégance de se fendre d'un communiqué au sujet de la coopération exemplaire entre les secouristes marocains et espagnols.
Par contre, comme il est d'usage, l'ONU, l'UNICEF, le PAM et l'OMS, après une réunion d'évaluation commune dès le jour du tremblement de terre, se sont spontanément mis à la disposition des sauveteurs marocains, qui définissaient les priorités et les actions à venir lors du briefing général de 20 heures avec tous les intervenants du collectif de Espoir, créé par toutes les ONG et près de 40 associations, dès le mercredi 25 au soir à Al Hoceima même.
Ici, il faut absolument rendre justice au formidable travail effectué par les sauveteurs : dès jeudi soir, un bilan précis - 571 morts d'abord -, le nouveau bilan du 3 mars, parlant de 628 morts, 632 selon les ONG, un millier de blessés et 10 à 15.000 sans abri (selon les sources).
La situation était redressée dès jeudi matin, et le vendredi 27 février, la Défense civile française disait sur son site Internet : "Selon les reconnaissances, la situation semble être maîtrisée, tant sur le plan des opérations de sauvetage, du déblaiement que sur le plan médical".
C'est alors qu'on vit, grâce à 2M, qu'une vingtaine de médecins et de pharmaciens étaient venus d'Oujda parler de villages menacés par les épidémies, de diarrhées, de bronchites et d'eau souillée. Des morts gisaient encore sous les décombres et surtout, les carcasses d'animaux domestiques n'avaient été ni extraites ni incinérées. Dès le bulletin d'information suivant, on nous montra les équipes du service d'hygiène qui vaporisaient des produits antiseptiques sur les ruines, puis le ministre de la Santé, M. Biadillah, apporta un démenti formel sur l'antenne.
Vendredi 27, il y eut comme un malaise : on avait la fâcheuse impression que les speakers, mais aussi Nabil Benabdellah, ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, ne pouvaient se résoudre à nous expliquer ce qu'étaient "de nouvelles procédures de travail", concept ressassé toute la journée. Le ministère finira par lâcher que : "De nouvelles procédures de distribution des secours ont été établies". On saura alors que dès le début, les associations et les ONG avaient refusé de jouer les utilités. L'État, handicapé par le long oubli, n'apparaissait pas comme l'interlocuteur unique.
Le collectif Espoir s'était imposé comme acteur à part entière de la solidarité du Maroc tout entier. C'était là les nouvelles procédures dont le porte-parole du gouvernement ne parlait qu'en termes abscons. À croire que la société civile lui avait fait un affront personnel. En fait, c'est le plus souvent la société civile qui a permis à l'aide d'être distribuée d'une manière rationnelle, dans les régions reculées et surtout en impliquant directement les bénéficiaires.
Selon un militant de la région, la société civile a servi d'interface entre la population et les autorités. Un autre Maroc naîtrait-il au Nord, dans ces douloureuses circonstances ?
Après les reports de la visite royale, le roi Mohammed VI arrivera finalement dans l'après-midi du samedi. Changement sensible dans l'ambiance qui plane sur la ville, les populations sont soulagées. En même temps on sent que la télé redécouvre l'embrayage. Enfin, on se réveillait. La première chaîne sur le ton épique habituel.
Caméras à l'appui, pour les habitants éprouvés, le roi seul pouvait tout régler, compatir, protéger des voleurs et soulager la population. La présence royale donnera par la même occasion un sérieux coup de fouet aux secours. Le plus dur est passé, la solidarité continue. Mais la télé a raté le coche, malgré un rattrapage in extremis. Si la bataille du sauvetage a été gagnée, celle de l'information ne l'a pas été.
Quant au Rif, il a un besoin urgent d'un plan de développement urgent pour son intégration au reste du pays. C'est la leçon que tous les intervenants ont tirée de cette catastrophe. Pourvu que tout cela ne retombe pas dans l'oubli.