Spécial action citoyenne, Rural : Aït Iktel, douar modèle

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Aït Iktel, douar niché au creux des montagnes du Haut-Atlas, est un modèle à suivre : ses habitants, las d’attendre la bienveillance de l’État, ont pris leur destin en main et se sont constitués en association de développement. Écoles, électrification, eau potable, micro-crédits, Aït Iktel est aujourd’hui la preuve que ruralité peut rimer avec modernité. Par Maria Daïf


À première vue, Aït Iktel ressemble à ces milliers de douars enclavés du Maroc, comme il y en a tant, dans le Rif, le Souss
ou l’Atlas. Des douars où le temps s’est arrêté, loin de tout, de la civilisation et du confort des villes. Quelques deux kilomètres de piste séparent Aït Iktel de la route goudronnée. C’est cette piste que traversent les villageois, à pieds, tous les mercredis, pour aller au souk hebdomadaire. Et c’est cette même piste que parcouraient les enfants du village pour aller à l’école, avant la construction de la leur.
En arrivant à Aït Iktel, on se rend vite compte que finalement non, ce douar n’est pas comme tous les autres. Des fils électriques longent les maisons en pierre, et en haut, surplombant le tout, apparaît un château d’eau. De loin, on entend les cris des enfants, provenant de l’école du village.
Il y a dix ans, tout cela n’existait pas. Pas d’eau potable, pas d’électricité, pas d’école. Juste un puits, des bougies et une majorité d’enfants, filles et garçons, non scolarisés. À l’époque, la sécheresse sévissait là comme ailleurs. La corvée d’eau revenait aux femmes qui, à pied ou à dos d’âne, parcouraient parfois plusieurs kilomètres à la recherche de ce qui était une denrée rare. Il fallait trouver une solution. La jemaâ de Aït Iktel, ce conseil des sages traditionnel, en concertation avec les villageois, décide alors d’agir et de faire appel à ceux qui étaient partis travailler dans les villes ou à l’étranger : "Ils ont été contactés un par un et le problème leur a été présenté : pour faciliter la tâche aux femmes, il fallait acheter une pompe manuelle", se souvient Khalid Aznag, membre de l'association et jeune moniteur dynamique de 23 ans. Les enfants exilés de Aït Iktel réagissent alors tout de suite. L’un d’eux, installé en France, l’achètera là-bas et c’est tous ensemble qu’ils payent la pompe à eau. Quant à l’installation, elle revient aux gens du village eux-mêmes. L’inattendu se produit alors quand les femmes, d’elles-mêmes, s’organisent pour éviter le gaspillage et les disputes, devenues monnaie courante quand l’eau se fait rare : "Elles ont fixé des heures de pompe, se retrouvaient toutes autour de la source et chargeaient l’eau à tour de rôle". Mais cela ne suffisait pas. Et puis, l’élan de solidarité ayant pris, il fallait le maintenir. Sous la houlette de Ali Amahane, anthropologue natif du village, l’association qui allait changer la vie de Aït Iktel est créée en 1995.
À partir de cette date, plus rien ne sera comme avant. Comme les fondateurs l’ont pensé, tous les habitants de Aït Iktel doivent être partie prenante de l’association. Leurs besoins sont énormes et multiples. Et l’État est dépassé. Des villages enclavés, il y en a par centaines. À partir de 1995 et de la création de l’Association Aït Iktel pour le développement, les habitants du village prennent leur destin et leur avenir en main. Il n’est plus question qu’ils attendent quoi que ce soit de qui que ce soit.
Le premier projet : une seule fontaine pour tout le village ne suffit pas. Un réservoir d’eau est construit, permettant d’alimenter, grâce à un système de conduite, trois fontaines à trois endroits différents. L’eau est dorénavant filtrée, donc propre. Pour les femmes du village, c’est de l’effort en moins et du temps de gagné. L’eau est dorénavant à leur proximité, comme elle l’est pour les agriculteurs. En effet, en plus des fontaines, l’association trouve les fonds nécessaires pour construire un canal de plus de deux kilomètres, facilitant ainsi une meilleure irrigation des cultures. Voilà pour l’alimentation en eau. Au départ, car l’association ne s’est pas arrêtée là. Si les fontaines sont encore là et font partie de l’histoire récente du village, elles ne sont presque plus utilisées : "Aujourd’hui, toutes les maisons sont alimentées en eau potable et chaque foyer a son robinet", explique non sans fierté Khalid Aznag. Le tout, grâce à un système de distribution et de gestion très performant : "Des compteurs ont été placés dans chaque maison et chaque foyer paye sa consommation d’eau". Comme à la ville ? Mieux encore : "Les consommateurs sont tenus de payer leur facture sinon, l’eau est coupée. Mais pas pour tous. Quand le père de famille travaille en dehors du village, on attend qu’il rentre. On ne se permet pas de demander de l’argent à sa femme et à ses enfants".
Après l’eau, l’électricité suivra en 1996. Le projet d’électrification est financé en partie par l’association Migration et développement. Le reste, les "Aït Iktéliens" s’en chargent : "L’association a opté pour le groupe électrogène, parce que c’est moins coûteux et moins polluant que l’énergie solaire, qui nécessite l'achat de batteries, celles-ci étant nocives pour l’environnement au bout de deux ans", explique Khalid. Comme pour l’eau, chaque foyer paye mensuellement sa redevance d’électricité. Et tout, dès le début, se passe très bien. Pas de réclamations et pas de plaintes. Un nouveau monde s’ouvre alors à "ceux de Iktel" : télévision, poste radio… Et là aussi, l’organisation et la distribution épousent le mode de vie du village : "Chaque foyer a eu deux lampes de basse consommation données par l’association et chaque foyer a droit à 4h d’alimentation électrique par jour. Sauf en cas de deuil ou de mariage. Dans le premier cas, les heures supplémentaires sont gratuites. Dans le deuxième, elles sont payantes". Aït Iktel est bel et bien un village moderne.
Qu’en est-il de l’école ? Medersat.com est un partenariat réussi entre l’association et la BMCE. La bâtisse en pierre, l’architecture respectueuse de son environnement, une cour, un jardin, plusieurs salles, des ordinateurs : les élèves des villes peuvent dorénavant envier ceux des champs : "L’école a été construite il y a quatre ans. 100 % des enfants du village sont scolarisés, filles et garçons confondus". Autant dire que c’est un exploit. Les instituteurs, quant à eux, sont tous originaires du douar et enseignent à la fois arabe, français et tifinagh. Et s’il n’y a toujours pas de collège à Aït Iktel (ce sera le cas bientôt), l’association a trouvé la solution : un internat pour les filles (ce sont elles qui souffrent le plus de l’interruption de scolarité), en partenariat avec la Fondation Mohamed V, dans un village voisin disposant d’un collège.
Mais ce n’est pas tout. Les réalisations de l’association touchant à l’éducation sont multiples : création d’écoles non formelles où des enfants et des jeunes de 9 à 16 ans bénéficient de cours d’arabe, de français et d’anglais, bibliothèque, cours de soutien scolaire, alphabétisation… D’ailleurs, le douar n’est-il pas devenu un modèle et un catalyseur de développement pour ses voisins ? Voisins qui, aujourd’hui, bénéficient du soutien de l’association : "30 pompes manuelles ont été distribuées à des associations villageoises, une école a été construite à Ibaraghen, des cartables et des fournitures sont distribués tous les ans dans la région, en partenariat avec l’Heure Joyeuse", témoigne le trésorier de l’AID.
Difficile d’énumérer exhaustivement toutes les réalisations de l’association et les preuves du dynamisme des gens du village : centre de formation et d’information doté d’ordinateurs et de magnétoscopes, micro-crédits accordés aux femmes pour la confection de tapis, promotion de la troupe locale d’Ahouach (troupe qui s’est produite entre autres à l’Institut du monde arabe à Paris)… Les projets à venir sont aussi nombreux : tourisme écologique et culturel, extension du canal d’irrigation, octroi de micro-crédits pour un projet d’élevage de bovins… Bref, tout est fait pour une même cause : sortir définitivement le village de la pauvreté. Ce qui est en voie de réalisation. Décidément, ceux d’Iktel ont des leçons à nous donner.



TELQUEL.


Fiche : Le village des schtroumpfs

Aït Iktel, c’est un peu le village des schtroumpfs. En tous cas, c’est l’impression qu’on en garde. Tellement petit et tellement autonome. Si on n’y voit pas des petits hommes bleus, on y trouve pourtant des hommes travailleurs et surtout solidaires. Aït Iktel, signalons-le, est un village berbère, situé à quelques cent kilomètres de Marrakech, au creux des montagnes du Haut-Atlas, à 1200 mètres d’altitude. Un village typique dont les habitants ont tout fait pour maintenir son cachet originel. En effet, à Aït Iktel, point de briques, mais uniquement de la pierre. C’est d’ailleurs cette caractéristique qui a valu au douar le prix Aga Khan d’architecture (prix instauré en 1977 pour récompenser l'excellence en architecture dans les sociétés musulmanes). Aït Iktel, c’est aussi quelques 1000 habitants, 141 foyers et 7 grandes familles, dont la famille de Ali Amahane, fondateur de l’AID. Cet anthropologue (sa thèse de doctorat à la Sorbonne portait sur les structures sociales dans le Haut-Atlas), passé spécialiste ès recherche de fonds a pu associer aux réalisations de l’association plusieurs partenaires nationaux (ministères, Fondation BMCE, Fondation Dar Bellarj, association Migration et développement, l’Heure Joyeuse…) et internationaux (ambassade du Japon, de France, d’Allemagne, Banque mondiale…). Autant dire un travail de titan…
 
Cetarticle est absé sur le livre "ONG rurales du Haut-Atlas, Les Aït Débrouille" de Fatéma Mernissi.


Je l'avais acheté il y aquelques mois i est très intéressant.

Elle vient d'en sortir un 2ème sur la société civile qui bouge au Maroc, surtout dans les régions amazighes.
 
c'est grâce à l'intelectuel ali amahale, fils du village, que des ong ont financé queleques projets, à nous d'ouvrer dans ce sens.
 
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