Des avatars du mot " barbare ...
Il est convenu que l'appelation ( ethnonyme, diront les érudits...) " berbère" dont notre peuple se trouve affublé depuis des lustres , par on ne sait quels hasards de l'Histoire, trouve son origine première chez les Grecs de l'Antiquité, qui désignaient par ce qualificatif tout ce qui n'appartenait pas à leur civilisation: " Barbaroï" était en effet une manifestation de l'ostracisme héllène à l'égard de tous les autres peuples, considérés ainsi comme " peu évolués, rustres", ne bénéficiant pas d'une forme de pensée élevée, gage de civilisation, art et culture...
Les Romains par la suite, grands admirateurs de la civilisation grecque, s'estimèrent leurs dignes successeurs et réutilisèrent le mot " barbarus" pour étendre leur hégémonie militaire et intellectuelle sur tous les pays du bassin méditerranéen, et bien au delà: ainsi, tous les peuples conquis furent considérés " barbares", qu'ils soient Imazighens ( Maxices, Numides, Maures), Gaulois, Ibères, Lusitaniens, Angles, Goths ou Egyptiens, Juifs, Scythes ou Illyriens...
Mais les vrais " Barbares" eurent définitivement raison de l'Empire romain, quand les Vandales ruinèrent Rome la sublime en 476, et l'on aurait pu alors penser à la disparition de cette appelation " barbare", une nouvelle égalité retrouvée entre les peuples, même chances pour accéder à la liberté et au progrès pour tous. Mais c'était sans compter sur une nouvelle forme d'idéologie conquérante, la religion musulmane, qui s'imposa dès les 7 et 8 ème siècles par le tranchant de l'épée ( Bessif), quoi qu'on en dise, sur les décombres de l'empire romain d'Orient ( Byzance) et d'Occident.
Pour désigner les Nords africains, les Arabes, nouveaux venus sur la scène de l'Histoire, reprirent le qualificatif péjoratif latin " Barbare", qu'ils trouvèrent adéquat pour stigmatiser pour des siècles les Imazighens, en considérant leur langue comme une sorte de parler primitif, tout juste un " borborygme" ( tiens! même étymologie!) sauvage et sans intérêt; ce mépris à l'égard de la langue amazighe s'est maintenu dès lors pour très longtemps, véhiculé par des proverbes racistes, disons- le, jusqu'à nos jours ( par ex: " Chehma machi lham, chelha machi klam" : la graisse n'est pas de la viande et le tachelhite n'est pas une langue ).
L'onomatopée " bar- bar " resta donc accolée à notre peuple pendant des siècles, condamant ainsi nos origines et notre langue au mépris et à la disparition. On nous inculqua la honte de notre nom, de notre parler et de nos moeurs et ainsi on accéléra le processus d'acculturation de tribus amazighes entières, qui s'arabisèrent en adoptant la langue, les us et les coûtumes des " nobles orientaux", et au lieu des noms de tribus commençant par " Aït" ( ceux de ) on devint des " Beni" ( fils de).
Ce terme infâmant de " barbares" nous resta depuis, pour nous désigner en particulier entre les peuples pour le reste des temps; son usage fut repris dans tout le pourtour méditérranéen européen, à cause de la hargne que mirent les guerriers musulmans à les harceler et à désirer les conquérir, par l'Est ( Balkans, pays slaves...) et par l'Ouest ( Portugal, Espagne, sud de la France ); les îles méditerranéennes ne furent pas épargnées par ces razzias incessantes ( Malte, Sicile, Sardaigne, Baléares) et d'autres noms vinrent nous désigner ( Infidèles, Sarrasins, Maures ), évoquant toute une période du Moyen Âge caractérisée par les conquêtes et les reconquêtes, les Croisades, des guerres au nom de la religion ( Allahou Akbar! Dieu le veut!), des batailles auxquelles nous fûmes à notre tour mêlés, enrôlés de force, fanatisés ou attirés par l'appât du gain et des butins promis. mais déjà guerres de deux formes de civilisation ( expression à la mode ), deux formes de pensée radicalement opposées.
Il est certain que la civilisation arabe vint sortir les pays européens de leur torpeur moyen- âgeuse, et leur rappeler les sources de la culture gréco- romaine: mathématiques, astronomie, médecine, philosophie, tout fut traduit et étudié par l'entremise des savants et lettrés arabes, Perses, Juifs... Malgré les guerres et la répulsion Orient/ Occident il y eut fascination et des échanges fructueux entre les deux bords de la Méditerranée.
Les Turcs se mêlèrent à l'Histoire dès le 14 ème siècle et pour 5 siècles ils bâtirent leur empire ottoman sur les décombres des dynasties ommeyade et abasside, prirent toute l'Afrique du nord, sauf le Maroc qui leur résista, et depuis les ports de l'Algérie, de la Tunisie ils harcelèrent, en pirates téméraires et accomplis ( Aârouj, Barberousse...) les bateaux de l'Occident chrétien qui retrouva dès lors l'usage du mot " barbare", devenu " barbaresque", puis "barbarie" pour désigner les pays de l'Afrique du nord, et finalement " Berbérie"qui resta définitivement inscrit sur les cartes géographiques, désignant l'Afrique du nord occidentale.
Et de " Berbérie", connotant l'idée de " barbares sauvages et cruels", on en vint à l'appelation " moderne" " Berbères", que les Français réemployèrent pour désigner spécifiquement les Imazighens, sans leur demander leur avis sur la question. Le terme fut tellement commode que son usage se généralisa, adopté même par les Imazighens eux mêmes qui n'y voyaient pas de mal, pour désigner tout ce qui concernait leur peuple, langue, culture...
Depuis les indépendances des pays de l'Afrique du nord, le terme " berbère" est tombé en désuétude, comme au Maroc par exemple, où l'appelation " amazighe" est utilisée à nouveau, par presque tout le monde, arabophones et amazighophones, si ce n'est encore par une frange de la population, bizarrement les francophones, et surtout dans le milieu du tourisme où le mot " berbère" continue encore à être employé courrament, comme si la langue française était inapte à dire : " amazighe, Imazighen", et on continue encore à dire et à écrire , à l'intention des touristes étrangers: pays berbère, cuisine berbère, tapis berbère... Comme si les Français, et à leur suite les Européens, continuent à préferer le mot " berbère", qui évoque sans doute pour eux le temps des colonies... ( voir à ce sujet l'article de Galand, paru dans le site Asays ).
Toujours est - il, pour conclure, que l'ethnonyme " berbère" est étranger à notre langue et à notre pays, de plus péjoratif et infâmant, et continue encore de véhiculer tout un passé que nous désirons " dépasser". Viendra - t- il à l'esprit des français par exemple d'accepter, sans sourciller, d'être appelés " barbares Gaulois", ou aux Allemands d'être désignés par " barbares Goths"? Pourquoi serions- nous les seuls à garder ce qualificatif antique " Barbare", même déformé en " Berbère", qui est chargé de tant de connotations négatives? Cuel, sauvage, rustre, non civilisé, tout juste bon à être colonisé, dominé, mis hors d'état de nuire....
Pourtant nous ne fumes jamais un peuple belliqueux ni conquérant, bien que vaillants guerriers pour défendre notre sécurité et notre liberté, nous sommes un peuple foncièrement pacifique et hospitalier, nous n'avons jamais agressé nos voisins pour les dominer ou leur imposer notre façon de penser et de croire, nos mains sont pures du sang de toutes les victimes innocentes de la tumultueuse Histoire de la Méditerranée; et ce sont nous, les Imazighens, qui fumes injustement agressés durant notre Histoire par les armées romaines, vandales , byzantines, arabes, turques, françaises, espagnoles, et désignés par les doux qualificatifs " barbarus", " bar bar", " " barbaresques", " berbères", qui justifiaient dès lors toutes les conquêtes sauvages, les exactions et les oppressions sans nom l'égard de notre peuple, ou plutôt au nom de la " civilisation", de la " religion", de la " pacification"... Travestissement commodes pour nous envahir en toute bonne conscience, au nom de la " pax romana" ou au nom d'Allah, dans le but hautement fraternel de nous déposséder de nos terres et de notre liberté.
Non, les vrais " Barbares", ceux qui devraient justement porter le nom dérivé " berbère" ce sont nos agresseurs, et non pas nos tribus. Et je ne sais par quels avatars de l'Histoire, un peuple pacifique et sans histoires, se voit encore attribuer le nom de " berbère", dérivé de " barbare"!
Berbère, moi? Non, je suis Amazighe, noble et libre, qui n'a pas à rougir ni de son nom ni de ses ancêtres.