Suis-je un écrivain arabe ? Cette question, ce n’est pas moi qui me la pose. Ceux qui me demandent si je suis un écrivain arabe ne sont pas toujours malintentionnés. Ils ont raison de vouloir savoir où me classer, où me ranger. En général, ceux qui vous posent des questions à propos de votre identité sont de la police ou de la gendarmerie. L’identité n’est pas simple à établir. Etablir une identité c’est établir une adéquation entre le nom, le prénom et celui qui les porte. Mais en littérature, l’identité peut être trompeuse surtout quand on définit un écrivain par la langue qu’il parle et dans laquelle il écrit, la langue de la mère et du pays natal. La littérature arabe n’est faite que par des Arabes. La littérature allemande n’est faite que par des Allemands. Alors Kafka, ce tchèque qui travaillait à Prague, était allemand, puisqu’il n’a écrit qu’en allemand ! Et que dire de Samuel Beckett qui écrivait aussi bien en anglais qu’en français, de Nabokov qui écrivait en russe, en anglais et s’exprimait dans plusieurs langues dont le français ? Et que dire du grand poète Georges Chéhadé, né au Liban, qui a écrit les plus beaux poèmes de la langue française ? Et de Kateb Yacine, immense écrivain qui, dès le massacre de Sétif en 1945 dont il a été témoin, avait décidé d’entrer dans la gueule du loup pour exprimer sa haine de la colonisation et ses injustices cruelles ? Et Mohamed Khaïr Eddine qui a laissé une œuvre importante et qui a marqué au moins deux générations de Marocains. Lui trouvait avec humour et provocation une parade : je ne suis pas Arabe, je suis berbère, Marocain mais berbère.
La liste des écrivains qui sont nés dans une langue et qui ont choisi d’écrire dans une autre est longue. On connaît surtout les francophones. Mais il faut parler aussi des écrivains indiens, pakistanais et même japonais qui écrivent directement en anglais et qui sont considérés comme des écrivains à part entière. La différence entre les francophones et les anglophones c’est que les Anglais ou Américains ne passent pas leur temps à se demander si Arhundaty Roy, Salman Rushdie, Hanif Kureichi, Naipaul, Anita Nair sont des écrivains anglais ou indiens. Pour eux la question ne se pose pas. Ce sont des écrivains britanniques. Personne n’en fait un drame. On sait d’où ils viennent, l’univers dans lequel ils créent, sur ce quoi ils écrivent. Ils ne parlent presque que sur leur pays d’origine, mais le fait qu’ils écrivent en anglais, ils sont assimilés aux auteurs anglais de souche. Et que dire de l’historien d’origine japonaise Francis Fukuyama, l’auteur de « la fin de l’Histoire » ? Son lieu de naissance n’a jamais été évoqué pour déterminer l’identité de son essai.
Dans notre cas, celui des écrivains maghrébins d’expression française, le politique s’immisce dans la question et crée la polémique. Je me souviens que dans les années 60, au moment où Abdelatif Laabi publiait la revue Souffles, les attaques fusaient de partout. Les poètes autour de Laabi étaient assimilés à des « traîtres », à des rejetons du colonialisme. On cherchait à les culpabiliser, à les empêcher d’écrire. Pour certains, plutôt une page blanche, plutôt le silence que d’écrire en français dans un pays qui venait d’accéder à l’indépendance.
Nous avons souffert de ces réactions souvent acerbes, injustes et qui traduisaient un malaise certain dans la culture marocaine, culture vouée au multilinguisme. Il a fallu résister, continuer et surtout il a fallu lutter contre le doute, contre la fragilité qui minait notre être.
Certains comme Khaïr Eddine ont émigré en France. D’autres comme Nissaboury ou Laabi ont refusé l’exil. Malheureusement Laabi passera 8 ans de sa vie en prison, pas parce qu’il écrivait en français, mais pour ce qu’il pensait et écrivait. 8 ans de prison pour délit d’opinion, c’est une barbarie qui ne se reproduira plus dans ce pays en voie de démocratisation.
Je profite de cette occasion pour m’expliquer sur mon départ en France en septembre 1971 :
Après avoir passé 18 mois dans le camp disciplinaire d’El hajeb et d’Ahermemou entre juillet 1966 et janvier 1968, j’ai été nommé professeur de philosophie dans un lycée à Tétouan. En 1970 j’étais muté à Casablanca. L’année scolaire 70-71 a été une année pleine de trous. Des grèves d’élèves, des manifestations quasi quotidiennes ont perturbé de manière grave les cours. Un jour j’apprends par le journal de 13 h de la RTM que le général Oufkir a décidé d’arabiser l’enseignement de la philosophie à partir de la rentrée de septembre 1971. Un général qui se mêle de culture et d’enseignement, c’est pas bon signe.
Ce qu’il voulait c’est rendre les textes jugés subversifs hors de portée des élèves marocains, lesquels devaient se contenter d’apprendre la pensée islamique...
Suite...
La liste des écrivains qui sont nés dans une langue et qui ont choisi d’écrire dans une autre est longue. On connaît surtout les francophones. Mais il faut parler aussi des écrivains indiens, pakistanais et même japonais qui écrivent directement en anglais et qui sont considérés comme des écrivains à part entière. La différence entre les francophones et les anglophones c’est que les Anglais ou Américains ne passent pas leur temps à se demander si Arhundaty Roy, Salman Rushdie, Hanif Kureichi, Naipaul, Anita Nair sont des écrivains anglais ou indiens. Pour eux la question ne se pose pas. Ce sont des écrivains britanniques. Personne n’en fait un drame. On sait d’où ils viennent, l’univers dans lequel ils créent, sur ce quoi ils écrivent. Ils ne parlent presque que sur leur pays d’origine, mais le fait qu’ils écrivent en anglais, ils sont assimilés aux auteurs anglais de souche. Et que dire de l’historien d’origine japonaise Francis Fukuyama, l’auteur de « la fin de l’Histoire » ? Son lieu de naissance n’a jamais été évoqué pour déterminer l’identité de son essai.
Dans notre cas, celui des écrivains maghrébins d’expression française, le politique s’immisce dans la question et crée la polémique. Je me souviens que dans les années 60, au moment où Abdelatif Laabi publiait la revue Souffles, les attaques fusaient de partout. Les poètes autour de Laabi étaient assimilés à des « traîtres », à des rejetons du colonialisme. On cherchait à les culpabiliser, à les empêcher d’écrire. Pour certains, plutôt une page blanche, plutôt le silence que d’écrire en français dans un pays qui venait d’accéder à l’indépendance.
Nous avons souffert de ces réactions souvent acerbes, injustes et qui traduisaient un malaise certain dans la culture marocaine, culture vouée au multilinguisme. Il a fallu résister, continuer et surtout il a fallu lutter contre le doute, contre la fragilité qui minait notre être.
Certains comme Khaïr Eddine ont émigré en France. D’autres comme Nissaboury ou Laabi ont refusé l’exil. Malheureusement Laabi passera 8 ans de sa vie en prison, pas parce qu’il écrivait en français, mais pour ce qu’il pensait et écrivait. 8 ans de prison pour délit d’opinion, c’est une barbarie qui ne se reproduira plus dans ce pays en voie de démocratisation.
Je profite de cette occasion pour m’expliquer sur mon départ en France en septembre 1971 :
Après avoir passé 18 mois dans le camp disciplinaire d’El hajeb et d’Ahermemou entre juillet 1966 et janvier 1968, j’ai été nommé professeur de philosophie dans un lycée à Tétouan. En 1970 j’étais muté à Casablanca. L’année scolaire 70-71 a été une année pleine de trous. Des grèves d’élèves, des manifestations quasi quotidiennes ont perturbé de manière grave les cours. Un jour j’apprends par le journal de 13 h de la RTM que le général Oufkir a décidé d’arabiser l’enseignement de la philosophie à partir de la rentrée de septembre 1971. Un général qui se mêle de culture et d’enseignement, c’est pas bon signe.
Ce qu’il voulait c’est rendre les textes jugés subversifs hors de portée des élèves marocains, lesquels devaient se contenter d’apprendre la pensée islamique...
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