La loi du gendarme de Masst
Le jeudi 29 décembre 2005 l’association AFRAK à Masst reçoit NISA, une troupe théâtrale française, dans le cadre de coopération internationale prévue par les statuts de cette première. Il a été prévu que NISA présente une pièce théâtrale qui sensibilise les jeunes aux dangers de la consommation des drogues.
Durant cet après midi là une armada des chioukhs(*) et mouqadmin(*) exerce une valse de vas et viens autour de la « maison de l’étudiant » qui allait abriter l’activité culturelle. Quelque minutes après le démarrage de la soirée, prévue pour 18,30 à 21,30h (GMT), toute une brigade de gendarmerie (au moins quatre gendarmes) envahit l’enceinte de la maison de bienfaisance. Ils ont été précédés par le khalifa (vice caïd) et l’un de ses chioukhs(*). Les dépositaires de la sûreté publique à Masst entament alors un exercice d’intimidation et de provocation qui à l’égard des membres de l’association AFRAK organisatrice de l’activité, qui à l’égard des invités et qui à l’égard des responsables de l’association qui gère la maison.
On a eu droit à toutes les extravagances : d’abord, les membres de la troupe qui se sont produit, avant Masst, à Agadir et à Warzazat, ont du décliner identité et montrer passeport. Le khalifa a même tenté de remonter l’arbre généalogique de chacun d’eux (père, mère, grand-mère, …). On ne sait jamais, ces étrangers peuvent avoir des origines "berbères" et se faire passer pour des romains. Judicieux, … non ? AFRAK complote sûrement quelque chose et il faut le découvrir. La lutte contre la consommation de la drogue n’est peut être qu’un prétexte. D’ailleurs, si les associations viennent à bout de la consommation, il n’ y aura plus de trafic de drogue et les gendarmes se trouveraient au chômage. Ensuite, le responsable de la maison de bienfaisance a du passer une sale soirée. Une pluie de reproche : « Personne ne nous a avisés », « nous ne sommes au courant qu’à 18h », « vous deviez nous informer », « il y a la loi sur le terrorisme », « on s’occupera de toi … » « ce sont des étrangers» … Curieusement, aucun de nos hommes de loi n’a souhaité savoir comment ces étrangers ont-ils pu entrer au Maroc ni par quel tunnel secret il sont passé. Allez donc expliquer à ces gens « chargés de faire respecter la loi, nous dit-on » qu’il n’y qu’une seule loi pour justifier ce qu’il vient de perpétrer : la loi du gendarme de Masst. Enfin, rien a gratter, et ce n’est pas une extravagance, les responsables d’AFRAK tiennent bon et gardent leur son froid et l’activité ira à son terme sous les regards du makhzen local.
Tous les moyens sont bons pour cerner et étouffer AFRAK qui s’approprie de plus en plus son environnement. Il faut dire que, avant cette tentative de capoter la manifestation culturelle d’AFRAK, tout a été fait pour que la rencontre de la jeunesse de Masst avec la troupe NISA n’ait pas lieu. Tous les commis du makhzen local et régional s’y sont mis. De concert ? Allez savoir.
Masst ne dispose d’aucun édifice susceptible d’abriter ce genre de manifestation et d’activité culturelle. Une seule issue : se livrer à une gymnastique pour avoir droit à un immeuble public. Et on n’a que trois possibilités, pas plus : le collège, le lycée ou la maison de l’étudiant. Les deux premiers dépendant du ministère de l’éducation nationale, AFRAK a adressé sa demande, en premier, au directeur du lycée lequel à tout de suite allégué que l’utilisation du lycée dépend de la bonne volonté du délégué du ministère dont les bureaux se trouvent à la bourgade de Biougra (80 km de route). Qu’a cela ne tienne, le déplacement a été fait jusqu’au siège de la délégation ; une demande en bonne et dû forme à la main (papier entête, cacheté, signée et enregistrée au registre courrier départ). Butoir au bureau d’ordre : pour avoir le récépissé de dépôt de la demande ; il faut produire tout le dossier juridique de l’association (statuts, liste des membres du bureau, récépissé de dépôt, …). Il n’y avait qu’à rebrousser chemin et amener la paperasse. Toutes ces acrobaties en vain, « l’autorisation d’utiliser le lycée relève de la compétence du directeur » répond le délégué.
Les membres de la troupe NISA ont eu l’occasion de vivre une expérience fâcheuse qui est, malheureusement, le pain quotidien des marocains. Ils ne peuvent, à présent, qu’apprécier à sa juste valeur et admirer l’ampleur et l’incommensurabilité des libertés que procure l’espace Europe à ses ressortissants. Ils ne peuvent pas s’empêcher de réaliser que le choix d’une personne marocaine à vivre au Maroc relève d’un grand courage. Le risque est énorme puisque à chaque instant de sa vie le citoyen peut se voir reprocher d’être hors la loi. Une loi lisible nulle part et que seul le fonctionnaire connaît.
Hassan BELLA
(*) Au singulier cheikh et mouqadam. A la base de l'édifice hiérarchique du ministère de l'intérieur, le cheikh est une arabisation d'Amghar qui faisait partie des institutions politiques et administratives démocratiquement élue avant l'ingérence originelle de la France coloniale dans l'espace géographique qui est devenu « Maroc», en vertu de l'accord de Fès au début du siècle dernier, conclu entre la France et la makhzen d’alors. Cette ingérence a rompu, en faveur de ce dernier, l'équilibre des forces et a brisé les institutions et les structures sociopolitiques administratives et économiques qui prévalaient sur les territoires respectifs des tribus et des confédérations de tribus amazighes. Lesquelles ont été évincées par celle du makhzen basé sur le système jacobin français. Aujourd’hui, les rapports entre gouvernants et gouvernées sont gérées par des lois non seulement imposées d'en haut, donc non démocratiques, mais aussi dont la majorité, toujours en vigueur, est hérité du colonisateur notamment toutes celle qui tendent a dépouiller les citoyens de leurs richesses constitués essentiellement des terres et des richesses qu’elles recèlent (eux, forêts, mines, cotes, poissons, gibiers..). Mais il y a pire, ces mêmes lois ne sont même pas respectées par les institutions et les services sensés les appliquer.
Le jeudi 29 décembre 2005 l’association AFRAK à Masst reçoit NISA, une troupe théâtrale française, dans le cadre de coopération internationale prévue par les statuts de cette première. Il a été prévu que NISA présente une pièce théâtrale qui sensibilise les jeunes aux dangers de la consommation des drogues.
Durant cet après midi là une armada des chioukhs(*) et mouqadmin(*) exerce une valse de vas et viens autour de la « maison de l’étudiant » qui allait abriter l’activité culturelle. Quelque minutes après le démarrage de la soirée, prévue pour 18,30 à 21,30h (GMT), toute une brigade de gendarmerie (au moins quatre gendarmes) envahit l’enceinte de la maison de bienfaisance. Ils ont été précédés par le khalifa (vice caïd) et l’un de ses chioukhs(*). Les dépositaires de la sûreté publique à Masst entament alors un exercice d’intimidation et de provocation qui à l’égard des membres de l’association AFRAK organisatrice de l’activité, qui à l’égard des invités et qui à l’égard des responsables de l’association qui gère la maison.
On a eu droit à toutes les extravagances : d’abord, les membres de la troupe qui se sont produit, avant Masst, à Agadir et à Warzazat, ont du décliner identité et montrer passeport. Le khalifa a même tenté de remonter l’arbre généalogique de chacun d’eux (père, mère, grand-mère, …). On ne sait jamais, ces étrangers peuvent avoir des origines "berbères" et se faire passer pour des romains. Judicieux, … non ? AFRAK complote sûrement quelque chose et il faut le découvrir. La lutte contre la consommation de la drogue n’est peut être qu’un prétexte. D’ailleurs, si les associations viennent à bout de la consommation, il n’ y aura plus de trafic de drogue et les gendarmes se trouveraient au chômage. Ensuite, le responsable de la maison de bienfaisance a du passer une sale soirée. Une pluie de reproche : « Personne ne nous a avisés », « nous ne sommes au courant qu’à 18h », « vous deviez nous informer », « il y a la loi sur le terrorisme », « on s’occupera de toi … » « ce sont des étrangers» … Curieusement, aucun de nos hommes de loi n’a souhaité savoir comment ces étrangers ont-ils pu entrer au Maroc ni par quel tunnel secret il sont passé. Allez donc expliquer à ces gens « chargés de faire respecter la loi, nous dit-on » qu’il n’y qu’une seule loi pour justifier ce qu’il vient de perpétrer : la loi du gendarme de Masst. Enfin, rien a gratter, et ce n’est pas une extravagance, les responsables d’AFRAK tiennent bon et gardent leur son froid et l’activité ira à son terme sous les regards du makhzen local.
Tous les moyens sont bons pour cerner et étouffer AFRAK qui s’approprie de plus en plus son environnement. Il faut dire que, avant cette tentative de capoter la manifestation culturelle d’AFRAK, tout a été fait pour que la rencontre de la jeunesse de Masst avec la troupe NISA n’ait pas lieu. Tous les commis du makhzen local et régional s’y sont mis. De concert ? Allez savoir.
Masst ne dispose d’aucun édifice susceptible d’abriter ce genre de manifestation et d’activité culturelle. Une seule issue : se livrer à une gymnastique pour avoir droit à un immeuble public. Et on n’a que trois possibilités, pas plus : le collège, le lycée ou la maison de l’étudiant. Les deux premiers dépendant du ministère de l’éducation nationale, AFRAK a adressé sa demande, en premier, au directeur du lycée lequel à tout de suite allégué que l’utilisation du lycée dépend de la bonne volonté du délégué du ministère dont les bureaux se trouvent à la bourgade de Biougra (80 km de route). Qu’a cela ne tienne, le déplacement a été fait jusqu’au siège de la délégation ; une demande en bonne et dû forme à la main (papier entête, cacheté, signée et enregistrée au registre courrier départ). Butoir au bureau d’ordre : pour avoir le récépissé de dépôt de la demande ; il faut produire tout le dossier juridique de l’association (statuts, liste des membres du bureau, récépissé de dépôt, …). Il n’y avait qu’à rebrousser chemin et amener la paperasse. Toutes ces acrobaties en vain, « l’autorisation d’utiliser le lycée relève de la compétence du directeur » répond le délégué.
Les membres de la troupe NISA ont eu l’occasion de vivre une expérience fâcheuse qui est, malheureusement, le pain quotidien des marocains. Ils ne peuvent, à présent, qu’apprécier à sa juste valeur et admirer l’ampleur et l’incommensurabilité des libertés que procure l’espace Europe à ses ressortissants. Ils ne peuvent pas s’empêcher de réaliser que le choix d’une personne marocaine à vivre au Maroc relève d’un grand courage. Le risque est énorme puisque à chaque instant de sa vie le citoyen peut se voir reprocher d’être hors la loi. Une loi lisible nulle part et que seul le fonctionnaire connaît.
Hassan BELLA
(*) Au singulier cheikh et mouqadam. A la base de l'édifice hiérarchique du ministère de l'intérieur, le cheikh est une arabisation d'Amghar qui faisait partie des institutions politiques et administratives démocratiquement élue avant l'ingérence originelle de la France coloniale dans l'espace géographique qui est devenu « Maroc», en vertu de l'accord de Fès au début du siècle dernier, conclu entre la France et la makhzen d’alors. Cette ingérence a rompu, en faveur de ce dernier, l'équilibre des forces et a brisé les institutions et les structures sociopolitiques administratives et économiques qui prévalaient sur les territoires respectifs des tribus et des confédérations de tribus amazighes. Lesquelles ont été évincées par celle du makhzen basé sur le système jacobin français. Aujourd’hui, les rapports entre gouvernants et gouvernées sont gérées par des lois non seulement imposées d'en haut, donc non démocratiques, mais aussi dont la majorité, toujours en vigueur, est hérité du colonisateur notamment toutes celle qui tendent a dépouiller les citoyens de leurs richesses constitués essentiellement des terres et des richesses qu’elles recèlent (eux, forêts, mines, cotes, poissons, gibiers..). Mais il y a pire, ces mêmes lois ne sont même pas respectées par les institutions et les services sensés les appliquer.