Tinmel n Azru = collège d'Azrou

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Collège d'Azrou de la grandeur à l'exc lusion
L'histoire du collège d'Azrou est celle d'une élite qui a vécu, puis endossé, le choc de trois cultures : berbère, française et arabe. Au lendemain de l'Indépendance, son intégration à l'Etat marocain a été difficile et controversée.
Au creux des montagnes enneigées du Moyen Atlas, un village est choisi par les autorités coloniales pour abriter, à partir de 1927, le premier établissement berbère de l'histoire du Maroc : le collège d'Azrou. A la fin des années 20, les autorités du Protectorat ont eu le temps de constater à quel point la politique des grands caïds était limitée, voire déficiente. La restructuration des moyens humains et matériels devenait une nécessité stratégique. Elle passait par un renouvellement de « l'élite indigène » qui devra, par la suite, seconder les Français dans une tâche cruciale : encadrer politiquement et administrativement le « Maroc utile ». Pour cela, il fallait d'abord concevoir une stratégie de formation de futurs cadres parfaitement francophones, mais issus des régions berbères. Celles-ci, faut-il le rappeler, n'ont été "pacifiées" qu'en 1931. Mais un autre objectif était visé par les Français : faire face à l'éventuel impact politique et intellectuel des deux collèges nationalistes (plutôt arabophones) de Moulay Driss à Fès et de Moulay Youssef à Rabat. Ces derniers monopolisaient, certes, l'enseignement au Maroc, mais les Berbères n'en profitaient guère. L'histoire montrera plus tard que ces deux établissements étaient des pépinières de "nationalistes" qui exerceraient une certaine influence sur les collégiens berbères. Initialement, le collège d'Azrou était destiné aux "enfants de notables", plutôt proches du Protectorat, mais il est « progressivement conquis par les enfants issus de milieu social défavorisé », souligne l'historien Daniel Rivet. Ces enfants intégreraient d'abord les écoles berbères les plus proches de leurs régions (Khémisset, Midelt, Aïn Leuh, Azrou, etc.) avant de rejoindre le collège d'Azrou en tant qu'internes. Cet établissement a fait l'objet d'une étude sérieuse de la part du sociologue marocain Mohamed Benhlal (de l'Institut de recherches et d'études sur le monde arabe et musulman, IREMAM à Aix-en-Provence), prenant la forme d'un ouvrage intitulé : « Le collège d'Azrou. La formation d'une élite berbère civile et militaire au Maroc », éditions Karthala-IREMAM, 2005. L'auteur y accomplit un travail à la fois sociologique et historique. Non seulement en décrivant la vie -presque quotidienne- au collège depuis sa mise en place en 1927, mais aussi en expliquant comment ces fils de notables et de paysans berbères, des montagnards pour la plupart, se sont par la suite intégrés aux structures de l'Etat marocain, fraîchement indépendant.
Place centrale pour le français
Comment ces jeunes Berbères se sont-ils comportés, puis adaptés, face aux nouvelles normes, aux nouvelles "valeurs" ? Comment ont-ils vécu la quasi-rupture avec le village natal, la tribu, la famille ? Enfin, comment ont-ils embrassé ce "projet républicain d'école coloniale" qui leur accorde, tout de même, une heure de "Coran" par mois ? Toutes ces questions, et bien d'autres, continuent de susciter la curiosité des historiens, car au lendemain de l'Indépendance, l'élite qui a été formée au sein du collège berbère va jouer un rôle prégnant dans l'évolution du système politique marocain. De Demnat à Taza, en passant par toute la région des Zemmours, les enfants admis au collège d'Azrou devaient acquérir un enseignement diversifié, mais le français y occupait une place centrale. Selon Benhlal, « une part importante est … faite aux exercices de conversation, aux comptes-rendus oraux de textes lus et ce, dans le but d'habituer les élèves à s'exprimer avec correction et aisance. On leur enseigne les règles élémentaires de la correspondance ordinaire ou administrative ». A côté du français, le berbère était également enseigné. Un ancien élève, aujourd'hui âgé de 85 ans, raconte à quel point ses camarades étaient surpris en voyant, pour la première fois, un Français parlant « sans accent notre langue maternelle. Il s'appelait M.Roux et il était très sévère. Il était même parfois violent », se souvient-il. Arsène Roux est tout simplement le directeur fondateur du collège d'Azrou et l'un des acteurs les plus marquants de l'établissement. Il parlait effectivement "le berbère sans accent", mais il était aussi agrégé d'arabe. Il était surtout un personnage politique "actif" : « …Alors qu'on faisait le cours de berbère, je me suis permis de dire à M. le directeur que je voudrais bien apprendre un peu d'arabe. Il s'est approché de moi et m'a donné une gifle, il m'a vraiment fait tomber par terre. Il m'a relevé et m'a dit : si jamais tu le répètes, je te fous à la porte » (entretien avec un ancien élève rapporté par M. Benhlal dans son ouvrage précité, p : 214). Mais par-delà toutes les considérations politiques, voire idéologiques, le collège d'Azrou reste une institution à la symbolique très forte et aux conséquences socio-politiques évidentes.
D'élite à pestiférés
L'évolution historique permet aux historiens, aujourd'hui, de reconnaître LA rupture que cet établissement a pu réaliser. Dans le livre de M.Benhlal, on peut ainsi lire : « un ancien collégien rapporte que son oncle lui martelait comme une antienne : ''écoute mon garçon, dans le temps, nous étions des gens qui faisions parler la poudre. Maintenant, il n'y a plus de poudre. La poudre de ce temps-ci, c'est l'instruction'' ». Au lendemain de l'Indépendance du Maroc, ces "cadres" n'ont eu aucun mal à intégrer les structures administratives et politiques du nouvel Etat. Les plus méritants avaient déjà fait carrière dans l'armée française, en s'illustrant dans les guerres coloniales : Mohammed Oufkir, Driss Ben Omar, Hammou, etc. D'autres rejoindront l'administration : Hassan Zemmouri, Lahcen Lyoussi, Tahar ou Assou (à l'Intérieur), Mohammed Chafik, Bouazza Ikken (à la Justice) … Après les coups d'Etat manqués de 1971 et 1972 contre Hassan II, ils deviennent des pestiférés, dissolvent leur "Association" et détruisent leurs archives. Le collège trône toujours au cœur de la ville d'Azrou. Il s'appelle désormais "Lycée Tarik". Les "anciens", dont les survivants sont aujourd'hui très âgés, ne sont pas près d'oublier ce que cet établissement a représenté pour eux et ce qu'il leur a apporté. Avec un mélange de nostalgie et d'amertume, ils se remémorent volontiers le "bon vieux temps", évoquent sans aigreur aussi bien le passé que le présent. « Finalement, l'enseignement du collège, tout rudimentaire qu'il fut, ne manqua pas de cristalliser la conscience des élèves sur leur condition de colonisés et de les faire réagir contre la politique coloniale. S'opéra alors une métamorphose, d'un milieu franco-tamazight, les N'Aït El Collège, à un milieu arabo-tamazight, les N'Aït El Watan », conclut Mohamed Benhlal.

Omar Brouksy


Source : le journal hebdomadaire
 
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