Pour la première fois de sa vie, en Égypte, il s’est senti culturellement proche des touristes allemands
Nom : Boualem
Prénom : Zakaria
Né en 1976 à Guercif
Signe particulier : Marocain à tendance paranoïaque
Au Caire, Zakaria Boualem à l’impression d’être perdu dans un feuilleton égyptien, errant sans fin à la recherche de la télécommande. Et c’est très difficile de ne pas pouvoir zapper. Il n’a pas mis longtemps à comprendre qu’il n’avait pas grand chose à partager avec les autochtones. Sentiment réciproque, d’ailleurs, puisque les commerçants locaux, les chauffeurs de taxis et autres fournisseurs de services en tous genres semblent prendre un immense plaisir à multiplier leurs prix par pi (3,14159 pour les intimes) dès qu’ils identifient Zakaria Boualem comme un Marocain. Notre héros a donc pu tester, durant quelques jours, le douloureux plaisir d’être pris pour un vilain à chaque coin de rue. Pour la première fois de sa vie, il s’est senti culturellement proche des touristes allemands, considérés par les habitants du Maroc (le plus beau pays du monde, pour les intimes et les aveugles) comme des réservoirs à euros inépuisables. Et puis, il y a cette sale habitude de rappeler à Zakaria Boualem qu’un jour funeste de décembre 2003, le Zamalek a battu le Raja en finale de la Champion’s league grâce à une erreur d’arbitrage flagrante :
- Ahh, al akh maghrabi (ah, tu es Marocain)…Tu te rappelles le jour où on vous a battu en finale de la Champion’s league ?
- Non…Vous avez battu qui ?
- Le Raga, bien sûr, tu dois t’en souvenir, ya sheikh !…
- Connais pas cette équipe !
- Si, affandi, une équipe de Casa qui joue en vert. Le raga !
- Non, on a pas ce nom chez nous.
- Mais enfin ce n’est pas possible ! Le Raga ! Le Raga ! En vert, avec Mustapha Chadli !
- Peut-être que tu dois parler du Raja, avec un J. Essaye au moins de le dire correctement ! Repète après moi, ya doctor : Rajjjjaa !
- …
- Le même J que dans Hajjjjjji, tu sais, Hajjjjjji, celui qui ne marque qu’un but par an, et à chaque fois contre l’Égypte. Tu sais, chez nous, il joue jamais, ya mouhandiss, on le laisse se reposer toute l’année, et BOUM, un but contre l’Égypte ! AHAHAHAHA !!
Il a rapidement décidé de se faire passer pour un Français d’origine maghrébine non identifiée. Grâce à ce subterfuge, il a pu éviter au maximum tous les discours lourds et hypocrites sur le thème du nous sommes tous arabes, nous sommes tous des frères musulmans, et la crème de la civilisation, et vive Nasser, vive les Pharaons, Oum Kaltsoum et Adil Imam. C’est que l’Égyptien est victime d’une sorte d’obsession névrotique terrible : il ne sait pas conduire une conversation de plus de trois minutes sans tomber dans un de ses deux sujets favoris, à savoir la religion ou la Palestine. Vous pouvez attaquer un débat sur les mérites comparés de Nokia et de Motorola, ou sur le goût des frites, vous allez très vite finir par parler de la religion ou de la Palestine, quel que soit votre degré d’intimité avec votre interlocuteur. Un exemple ?
- Tu es content de ta voiture ?
- Oui, à part le carburateur… Ils sont fabriqués en Israël… Ils nous envoient de la mauvaise qualité exprès… C’est du sabotage juif !
Exemple 2 :
- Vous avez l’heure, s’il vous plaît ?
- Il est neuf heures moins le quart, tu as fait la prière de Ichaa ?
- …
- Tu l’as pas faite ? Tu es Marocain ? Pourquoi tu fais pas la prière ?
Exemple 3 :
- Elle est bonne cette huile d’olive !
- Ahhh, et encore, avant que les juifs n’affament nos frères palestiniens, elle était encore meilleure, elle venait de Beit Lahm.
Assez d’exemples, tout le monde l’a compris : la discussion tourne rapidement en rond. Finalement, cette équipée au Caire a permis à Zakaria Boualem de comprendre deux choses.
Découverte numéro 1 : quitte à être Arabe, mieux vaut être Marocain. Bien sûr, ça aurait été cool d’être Suédois ou Malaisien, par exemple, pour des raisons de Sécurité sociale et d’accès à une école publique de qualité, mais bon il faut pas trop en demander. Quitte à être Arabe, mieux vaut être Marocain.
Découverte numéro 2, qui annule et remplace la première : en fait, Zakaria Boualem n’est pas Arabe. Il est Marocain.
Par Réda Allali
Tel Quel
Nom : Boualem
Prénom : Zakaria
Né en 1976 à Guercif
Signe particulier : Marocain à tendance paranoïaque
Au Caire, Zakaria Boualem à l’impression d’être perdu dans un feuilleton égyptien, errant sans fin à la recherche de la télécommande. Et c’est très difficile de ne pas pouvoir zapper. Il n’a pas mis longtemps à comprendre qu’il n’avait pas grand chose à partager avec les autochtones. Sentiment réciproque, d’ailleurs, puisque les commerçants locaux, les chauffeurs de taxis et autres fournisseurs de services en tous genres semblent prendre un immense plaisir à multiplier leurs prix par pi (3,14159 pour les intimes) dès qu’ils identifient Zakaria Boualem comme un Marocain. Notre héros a donc pu tester, durant quelques jours, le douloureux plaisir d’être pris pour un vilain à chaque coin de rue. Pour la première fois de sa vie, il s’est senti culturellement proche des touristes allemands, considérés par les habitants du Maroc (le plus beau pays du monde, pour les intimes et les aveugles) comme des réservoirs à euros inépuisables. Et puis, il y a cette sale habitude de rappeler à Zakaria Boualem qu’un jour funeste de décembre 2003, le Zamalek a battu le Raja en finale de la Champion’s league grâce à une erreur d’arbitrage flagrante :
- Ahh, al akh maghrabi (ah, tu es Marocain)…Tu te rappelles le jour où on vous a battu en finale de la Champion’s league ?
- Non…Vous avez battu qui ?
- Le Raga, bien sûr, tu dois t’en souvenir, ya sheikh !…
- Connais pas cette équipe !
- Si, affandi, une équipe de Casa qui joue en vert. Le raga !
- Non, on a pas ce nom chez nous.
- Mais enfin ce n’est pas possible ! Le Raga ! Le Raga ! En vert, avec Mustapha Chadli !
- Peut-être que tu dois parler du Raja, avec un J. Essaye au moins de le dire correctement ! Repète après moi, ya doctor : Rajjjjaa !
- …
- Le même J que dans Hajjjjjji, tu sais, Hajjjjjji, celui qui ne marque qu’un but par an, et à chaque fois contre l’Égypte. Tu sais, chez nous, il joue jamais, ya mouhandiss, on le laisse se reposer toute l’année, et BOUM, un but contre l’Égypte ! AHAHAHAHA !!
Il a rapidement décidé de se faire passer pour un Français d’origine maghrébine non identifiée. Grâce à ce subterfuge, il a pu éviter au maximum tous les discours lourds et hypocrites sur le thème du nous sommes tous arabes, nous sommes tous des frères musulmans, et la crème de la civilisation, et vive Nasser, vive les Pharaons, Oum Kaltsoum et Adil Imam. C’est que l’Égyptien est victime d’une sorte d’obsession névrotique terrible : il ne sait pas conduire une conversation de plus de trois minutes sans tomber dans un de ses deux sujets favoris, à savoir la religion ou la Palestine. Vous pouvez attaquer un débat sur les mérites comparés de Nokia et de Motorola, ou sur le goût des frites, vous allez très vite finir par parler de la religion ou de la Palestine, quel que soit votre degré d’intimité avec votre interlocuteur. Un exemple ?
- Tu es content de ta voiture ?
- Oui, à part le carburateur… Ils sont fabriqués en Israël… Ils nous envoient de la mauvaise qualité exprès… C’est du sabotage juif !
Exemple 2 :
- Vous avez l’heure, s’il vous plaît ?
- Il est neuf heures moins le quart, tu as fait la prière de Ichaa ?
- …
- Tu l’as pas faite ? Tu es Marocain ? Pourquoi tu fais pas la prière ?
Exemple 3 :
- Elle est bonne cette huile d’olive !
- Ahhh, et encore, avant que les juifs n’affament nos frères palestiniens, elle était encore meilleure, elle venait de Beit Lahm.
Assez d’exemples, tout le monde l’a compris : la discussion tourne rapidement en rond. Finalement, cette équipée au Caire a permis à Zakaria Boualem de comprendre deux choses.
Découverte numéro 1 : quitte à être Arabe, mieux vaut être Marocain. Bien sûr, ça aurait été cool d’être Suédois ou Malaisien, par exemple, pour des raisons de Sécurité sociale et d’accès à une école publique de qualité, mais bon il faut pas trop en demander. Quitte à être Arabe, mieux vaut être Marocain.
Découverte numéro 2, qui annule et remplace la première : en fait, Zakaria Boualem n’est pas Arabe. Il est Marocain.
Par Réda Allali
Tel Quel