La livraison d’octobre 2005 du « Monde diplomatique » donne un aperçu pertinent sur les enjeux et les luttes pour la défense de la diversité culturelle en perspective de la conférence de l’UNESCO en vue de l’approbation d’un texte de convention sur la question prévue du 3 au 15 octobre 2005.
Le paradigme éthique de la « diversité en dialogue » prenait le contre-pied de la thèse de Samuel Huntington sur l’inéluctabilité du « choc des cultures et des civilisations ».
Si, au niveau des grands principes, tous les Etats sans exception avaient, en 2001, loué la pluralité des altérités comme instrument capable d’« humaniser la mondialisation », il n’en alla toutefois pas de même, deux ans plus tard, lors de la décision ouvrant la voie à la rédaction du projet. Parmi le petit nombre de pays qui s’étaient abstenus figuraient les Etats-Unis. Ils n’avaient pas oublié le double échec, une décennie plut tôt, de leur diplomatie, farouchement opposée au principe de protection de l’« exception culturelle », reformulé ultérieurement en protection et promotion de la « diversité culturelle » : en 1993, face à l’Union européenne, dans le cadre de la phase finale du cycle de l’Uruguay de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT), qui allait donner naissance à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ; et face au Canada lors de la signature de l’Accord de libre-échange nord-américain (Alena) entré en vigueur en 1994.
Deux négociations qui, en reconnaissant le statut particulier des « produits de l’esprit », avaient du même coup légitimé les politiques publiques, plus spécialement dans le domaine de l’audiovisuel. Le champ d’application du projet de convention déborde le pré carré de l’audiovisuel et des industries culturelles, puisqu’il s’étend à la « multiplicité des formes par lesquelles les cultures des groupes et des sociétés trouvent leur expression ». Des formes qui concernent aussi bien les politiques de la langue que la valorisation des systèmes de connaissance des peuples autochtones. Il n’empêche que, dans l’opinion, ce sont des exemples empruntés aux industries de l’image qui illustrent les risques que la mondialisation libérale fait courir à la diversité culturelle. Ainsi le département d’Etat, à Washington, et la Motion Picture Export Association of Amercia (MPEAA) - créée en 1945 et rebaptisée Motion Picture Association (MPA) en 1994, porte-parole des intérêts des majors - ont-ils exercé des pressions sur des gouvernements comme ceux du Chili, de la Corée du Sud, du Maroc ou des anciens pays communistes, afin, dans le cadre d’accords commerciaux bilatéraux, de les faire renoncer à leur droit de mettre en place des politiques cinématographiques, en échange de compensations dans d’autres secteurs.
Trois sessions de réunions intergouvernementales, dont la dernière en juin 2005, ont été nécessaires pour peaufiner le texte soumis à la Conférence générale. Les rédacteurs ont tenté la médiation entre deux positions. L’une, majoritaire, et incluant l’Union européenne, qui défend le principe d’un droit international entérinant le traitement spécial des biens et services culturels, parce que « porteurs d’identité, de valeurs et de sens ». L’autre, soutenue par des gouvernements comme ceux des Etats-Unis, de l’Australie et du Japon encline à voir seulement dans ce texte une expression de plus du « protectionnisme » dans un secteur censé, comme les autres services, relever de la seule règle du libre-échange.
Entre les deux, un ensemble disparate d’argumentaires, parmi lesquels ceux formulés par des Etats exprimant leur crainte de voir s’effriter la cohésion nationale par contamination du principe de diversité. De ce point de vue, le texte résulte aussi d’une production interculturelle.
Le résultat est là : un ensemble de règles générales concernant les droits et les obligations des Etats : « Les parties, dit l’article 50, réaffirment (...) leur droit souverain de formuler et mettre en ?uvre leurs politiques culturelles et d’adopter les mesures pour protéger et promouvoir la diversité des expressions culturelles, ainsi que pour renforcer la coopération internationale afin d’atteindre les objectifs de la présente convention ».
Le principe de souveraineté est encadré par un ensemble d’autres principes directeurs : respect des droits de l’Homme, égale dignité et respect de toutes les cultures ; solidarité et coopération internationales, complémentarité des aspects économiques et culturels du développement, développement durable, accès équitable, ouverture et équilibre. Pour mettre en ?uvre le principe de l’accès équitable et celui de la solidarité et de la coopération internationales, les articles 14 à 19 prévoient, entre autres, un « traitement préférentiel pour les pays en développement » et l’établissement d’un fonds international pour la diversité culturelle, financé par des contributions volontaires publiques ou privées.
Encore conviendrait-il de s’interroger sur l’expérience de projets apparentés.
Au premier chef, celle du Sommet mondial sur la société de l’information, organisé par une autre agence des Nations Unies, l’Union internationale des télécommunications (UIT), et dont la première phase s’est tenue à Genève en décembre 2003, la seconde étant prévue à Tunis en novembre 2005.
Difficulté à mobiliser des ressources publiques dans les grands pays industriels, afin de financer un « fonds de solidarité numérique » qui permettrait de lutte contre l’inégalité d’accès au cyberspace. Intérêt des fondations philanthropiques des multinationales de l’industrie de l’information à combler le vide.
La construction de politiques culturelles est difficilement concevable sans le détour par la question des politiques de communication. Or la convention, et, plus fondamentalement, la philosophie même d’action de l’Unesco à l’égard de la diversité culturelle tendent non seulement à dissocier les deux problématiques, mais aussi à ignorer la seconde.
laverité.ma
Le paradigme éthique de la « diversité en dialogue » prenait le contre-pied de la thèse de Samuel Huntington sur l’inéluctabilité du « choc des cultures et des civilisations ».
Si, au niveau des grands principes, tous les Etats sans exception avaient, en 2001, loué la pluralité des altérités comme instrument capable d’« humaniser la mondialisation », il n’en alla toutefois pas de même, deux ans plus tard, lors de la décision ouvrant la voie à la rédaction du projet. Parmi le petit nombre de pays qui s’étaient abstenus figuraient les Etats-Unis. Ils n’avaient pas oublié le double échec, une décennie plut tôt, de leur diplomatie, farouchement opposée au principe de protection de l’« exception culturelle », reformulé ultérieurement en protection et promotion de la « diversité culturelle » : en 1993, face à l’Union européenne, dans le cadre de la phase finale du cycle de l’Uruguay de l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT), qui allait donner naissance à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ; et face au Canada lors de la signature de l’Accord de libre-échange nord-américain (Alena) entré en vigueur en 1994.
Deux négociations qui, en reconnaissant le statut particulier des « produits de l’esprit », avaient du même coup légitimé les politiques publiques, plus spécialement dans le domaine de l’audiovisuel. Le champ d’application du projet de convention déborde le pré carré de l’audiovisuel et des industries culturelles, puisqu’il s’étend à la « multiplicité des formes par lesquelles les cultures des groupes et des sociétés trouvent leur expression ». Des formes qui concernent aussi bien les politiques de la langue que la valorisation des systèmes de connaissance des peuples autochtones. Il n’empêche que, dans l’opinion, ce sont des exemples empruntés aux industries de l’image qui illustrent les risques que la mondialisation libérale fait courir à la diversité culturelle. Ainsi le département d’Etat, à Washington, et la Motion Picture Export Association of Amercia (MPEAA) - créée en 1945 et rebaptisée Motion Picture Association (MPA) en 1994, porte-parole des intérêts des majors - ont-ils exercé des pressions sur des gouvernements comme ceux du Chili, de la Corée du Sud, du Maroc ou des anciens pays communistes, afin, dans le cadre d’accords commerciaux bilatéraux, de les faire renoncer à leur droit de mettre en place des politiques cinématographiques, en échange de compensations dans d’autres secteurs.
Trois sessions de réunions intergouvernementales, dont la dernière en juin 2005, ont été nécessaires pour peaufiner le texte soumis à la Conférence générale. Les rédacteurs ont tenté la médiation entre deux positions. L’une, majoritaire, et incluant l’Union européenne, qui défend le principe d’un droit international entérinant le traitement spécial des biens et services culturels, parce que « porteurs d’identité, de valeurs et de sens ». L’autre, soutenue par des gouvernements comme ceux des Etats-Unis, de l’Australie et du Japon encline à voir seulement dans ce texte une expression de plus du « protectionnisme » dans un secteur censé, comme les autres services, relever de la seule règle du libre-échange.
Entre les deux, un ensemble disparate d’argumentaires, parmi lesquels ceux formulés par des Etats exprimant leur crainte de voir s’effriter la cohésion nationale par contamination du principe de diversité. De ce point de vue, le texte résulte aussi d’une production interculturelle.
Le résultat est là : un ensemble de règles générales concernant les droits et les obligations des Etats : « Les parties, dit l’article 50, réaffirment (...) leur droit souverain de formuler et mettre en ?uvre leurs politiques culturelles et d’adopter les mesures pour protéger et promouvoir la diversité des expressions culturelles, ainsi que pour renforcer la coopération internationale afin d’atteindre les objectifs de la présente convention ».
Le principe de souveraineté est encadré par un ensemble d’autres principes directeurs : respect des droits de l’Homme, égale dignité et respect de toutes les cultures ; solidarité et coopération internationales, complémentarité des aspects économiques et culturels du développement, développement durable, accès équitable, ouverture et équilibre. Pour mettre en ?uvre le principe de l’accès équitable et celui de la solidarité et de la coopération internationales, les articles 14 à 19 prévoient, entre autres, un « traitement préférentiel pour les pays en développement » et l’établissement d’un fonds international pour la diversité culturelle, financé par des contributions volontaires publiques ou privées.
Encore conviendrait-il de s’interroger sur l’expérience de projets apparentés.
Au premier chef, celle du Sommet mondial sur la société de l’information, organisé par une autre agence des Nations Unies, l’Union internationale des télécommunications (UIT), et dont la première phase s’est tenue à Genève en décembre 2003, la seconde étant prévue à Tunis en novembre 2005.
Difficulté à mobiliser des ressources publiques dans les grands pays industriels, afin de financer un « fonds de solidarité numérique » qui permettrait de lutte contre l’inégalité d’accès au cyberspace. Intérêt des fondations philanthropiques des multinationales de l’industrie de l’information à combler le vide.
La construction de politiques culturelles est difficilement concevable sans le détour par la question des politiques de communication. Or la convention, et, plus fondamentalement, la philosophie même d’action de l’Unesco à l’égard de la diversité culturelle tendent non seulement à dissocier les deux problématiques, mais aussi à ignorer la seconde.
laverité.ma