Agraw_n_Bariz
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Voici encore quelques extraits de l'entretien avec Mohand Ameziane.
Ce témoignage de Mohand Amezian nous montre qu'il s'agissait bien d'assassinats politiques et non de réglements de comptes, concernant les exactions commises par Allal El Fassi et son parti "Istiqlal" à l'encontre des combattants de l'Armée de Libération Nationale.
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-Revenons à la relation entre le Parti de l’Istiqlal et l’Armée de Libération. Vous avez dit qu’au nord, il y avait des assassinats et des enlèvements commis par certains dirigeants du parti de l’Istiqlal comme Torres et ben Barka. Quels étaient donc les objectifs de ce parti?
-L’Armée de Libération avait pris les armes contre les Français et les Espagnols. Allal al-Fassi n’a pas réussi à liquider cette armée. C’est pour cela qu’il a fondé une autre armée pour détruire la vraie Armée de libération. Tu comprends maintenant ? La fausse armée a pris les armes non pas pour combattre les Français et les Espagnoles, mais pour liquider les combattants de l’Armée de Libération Nationale. Les dirigeants directs de cette armée étaient les gouverneurs des provinces. Parmi eux figure Mansouri, gouverneur de la province d’Alhoceima. Le nombre de ces gouverneurs était de cinq. Assassinats et enlèvements étaient leur spécialité. Ils étaient à l’origine du désordre au pays à cette époque.
J’étais aussi sur leur liste. Mais ils ne m’ont pas assassiné. Le destin voulut que l’un de leurs mercenaires chargé de ma liquidation, me connaisse.
-Je possède un document écrit par un certain Dahbi, responsable de l’Armée de libération, dans lequel il décrit les derniers moments d’Abbas Messaadi[2], le célèbre combattant. Le document prétend que Fkih Basri et Ben Barka sont venus lui rendre visite à son siège à Taounate. Un désaccord entre les hommes a eu lieu. Abbas les a quittés pour se rendre à Fès. Peu après, il est retrouvé mort. D’après ce document, Basri et Ben Barka étaient directement mêlés à cet assassinat. Ce meurtre était-il le début de la liquidation de l’Armée?
-C’est l’Armée de Libération qui a libéré notre pays, pas les partis politiques. Allal al-Fassi n’a jamais parlé de Libération du Maroc. L’indépendance proclamée était un don de la France. Le lieu de naissance de l’Armée de Libération fut ce qu’on appelle le triangle de la mort : Bord, Tizi Ousli et Aknoul ( ).
-Quand êtes-vous arrêté et pourquoi ?
-Après la déclaration de l’indépendance, nous avons constitué une délégation qui représentait le nord. Nous sommes allés à la rencontre du roi à Tétouan. Nous formions une colonne de quelques centaines d’automobiles. Parmi nous, il y avait beaucoup de membres de l’Armée de Libération. Ils portaient leurs armes ainsi que les casquettes de l’Armée dont je garde encore un exemplaire. Il y avait aussi des citoyens qui nous accompagnaient. C’était juste trois mois après que la France eut déclaré l’Indépendance. Mais l’Espagne voulait encore gagner du temps. Elle cherchait à mobiliser quelques traîtres pour déclarer une soi-disant indépendance du nord. Et il y avait effectivement quelques contacts avec certains d’entre eux. J’ai été informé sur ce sujet plus tard.
Mohamed V est parti d’abord en Espagne chez Franco pour parler de sa visite à Tétouan. Cette ville était encore sous leur occupation. Il est donc venu et nous sommes allés le voir. Ahmed Morabit était chargé d’organiser notre jeunesse. Nous avons vu le roi dans sa résidence à l’Hôtel Darsa. Nous y avons passé toute la nuit. Allal el-Fassi, Ben Barka et le reste de leurs camarades étaient aussi dans le même hôtel. Le lendemain, le fils de Boulehyan vint me voir. J’étais le seul à qui il parlait sans réserve. Il considérait mon compagnon Mezyane comme un espion des Espagnols. Il me confia donc un plan secret que les Istiqlaliens étaient entrain de nourrir. Allal el-Fassi et ses hommes envisageaient d’envahir le Rif.
Je suis rentré à l’hôtel avec le Poète du Rif. Il m’abandonna et rejoignit les Istiqlaliens. Ils discutaient dans une salle. Aussitôt, je me suis mis à instruire nos hommes en commençant par Zeryouh. Ensuite, j’ai informé les élèves et les étudiants. Nous avons pris nos précautions. J’ai insisté auprès des jeunes de bien s’organiser et de ne rien laisser au hasard. Nous avons passé la nuit dans la rue. Je me souviens de l’état de désordre qui régnait dans la ville. Le lendemain, les habitants ont renouvelé leur fidélité au Trône et le roi décida de rentrer à Rabat. Nous avons décidé de faire la même chose.
À nouveau, nous avons formé une délégation qui représentait tout le nord. Nous avons choisi Mezyane comme porte-parole. Les adhérents de l’Istiqlal commencèrent partout à nous tracasser. ( )
À notre arrivée à Salé, Ahmed Maaninou et son groupe nous ont hébergés. À Salé aussi, les Istiqlaliens ne cessaient de nous mener la vie dure. Le lendemain, nous sommes partis voir le roi. Au Palais, nous, Mezyane et moi, sommes entrés directement dans le Cabinet Royal. Les Istiqlaliens étaient partout au palais. Notre garde-corps était un homme d’Ayt Arous. Il était grand et fort. Il s’est mis aussitôt à déchirer tous les drapeaux de l’Istiqlal qu’il rencontrait sur son chemin, parfois devant les yeux du roi. Nous étions armés. Mezyane a parlé en notre nom. Le roi nous a félicités de notre travail. Il ne cessait de répéter que c’était grâce à l’Armée de Libération qu’il a pu rentrer de son exil. Il nous a demandé de lui préparer des rapports sur la situation au nord. Il paraissait ignorer beaucoup de choses sur cette région. On m’a désigné pour accomplir cette tâche.
Dès mon retour à Tétouan, je me suis mis au travail. Au total, j’ai rédigé quarante rapports sur les crimes commis par le Parti de l’Istiqlal au nord. J’ai décrit en détail les enlèvements et les assassinats. J’envoyais mes rapports au Palais par la poste anglaise et au nom du Chef du Cabinet qui était à l’époque Mbarek Bekay. Pendant que je préparais mes rapports, les enlèvements continuaient. Mais les Istiqlaliens se sentaient démunis. Ils voulaient connaître la source de ces rapports. Ils ont finalement réussi à récupérer cinq de mes rapports par l’intermédiaire de la femme du Chef du Cabinet. Elle était en contact direct avec eux.( )
Aussitôt, ils ont découvert que j’étais derrière tous ces rapports. Ils contenaient les noms des combattants rifains assassinés ou disparus, des détails que seuls les gens originaires de cette région savaient. En plus, le gouverneur d’Alhoceima, Mansouri, a reconnu l’écriture de ma main. À Tétouan, je me sentais de plus en plus en danger. J’ai donc trouvé refuge chez des amis au quartier Sania Rmel. L’un d’eux prenait soin de mon courrier. Il m’informait aussi de tout ce qui se passait à l’extérieur de mon refuge. L’un de mes proches me confirma qu’ils me cherchaient partout à Tétouan. Ce dernier me recommanda de quitter immédiatement la ville. Dans le passé, ce membre de ma famille avait réussi à s’infiltrer au sein de l’Istiqlal. Il m’informait régulièrement.
J’ai donc décidé de rentrer à Rabat et de reprendre mon métier d’enseignant. J’ai réussi à retrouver un ancien ami inspecteur au ministère de l’Enseignement. Je lui ai demandé de m’installer au village Bamhamad où j’ai travaillé auparavant. Après un mois de travail, je me suis rendu pendant les vacances à Tétouan par la ville d’Ouazane. Un ami algérien m’y a emmené en voiture. À Dar Benkariche, encore sous contrôle espagnol, une jeune fille inconnue nous arrêta et demanda de l’amener à Tétouan. Une fois installée, elle commença à m’informer. J’ai compris qu’elle était envoyée par Mezyane. Ainsi j’ai obtenu toute l’information dont j’avais besoin. Partout dans le pays, les Istiqlaliens me cherchaient. A Fès, un Rifain que je connaissais, me confirma que la police était partout, ma photo à la main.
Une fois à Tétouan, j’ai fait mes adieux à mon ami l’algérien. J’ai pris du temps pour réfléchir. Mais, ma famille était nerveuse et il fallait quitter la ville. Ce que nous avons fait, deux autres membres de ma famille et moi. Une fois dehors, Moh Amezyane s’est présenté en me demandant de me rendre à la police. Il travaillait avec les Istiqlaliens. J’ai accepté. Mais, lorsque nous sommes arrivés devant une église, deux autres hommes inconnus m’ont demandé de les suivre au poste de police. Ils m’ont enfermé dans une cellule. Mezyane a aussitôt alarmé le Général Amezyane. Il lui a demandé de surveiller le poste de police pour empêcher toute tentative istiqlalienne de m’enlever. Le lendemain, ma famille vint me rendre visite. Mais la police les a renvoyés en disant que j’avais quitté ma cellule pour un lieu inconnu. En vérité, j’y ai passé trois jours debout. Il y avait un gardien marocain et un autre espagnol. Le marocain m’a donné un verre que j’ai cru être du thé. En vérité, il était plein d’urine. Le gardien espagnol m’a averti. J’ai décidé de ne plus rien manger ni boire. J’attendais.
On décida de m’emmener à Alhoceima. L’un des gardiens m’a raconté tout ce qui s’est passé à l’extérieur depuis mon arrestation. J’ai passé deux mois dans une prison. Durant toute cette période, j’ai vu les prisonniers y entrer et en sortir. On les torturait à l’Institut religieux dans lequel nous avions étudié. Le Gouverneur Mansouri en compagnie de la police venait me voir. J’étais en train de rédiger mes mémoires. Ils les ont arrachées de ma main et les ont déchirées. Ils m’ont isolé dans une autre cellule. Plus tard, on m’a mis dans une troisième cellule où se trouvait Cherif Tarjist. Le malheureux fut enlevé à Tétouan parce qu’on a trouvé une lettre chez lui, écrite par Abdelkrim. Il fut enfermé dans la prison Laâlou.
J’ai donc passé six mois dans la prison d’Alhoceima. Un jour, on m’a emmené à la maison d’Abdelkrim. Cette maison a été transformée en centre tortionnaire. J’ai pensé qu’on allait me torturer. En fait, on est allé récupérer un chef local que l’on appelait Si Bouterbouche. De là, on nous a transféré à la prison de Bab Laâlou à Rabat. C’est là que j’ai revu Adi Oubihi. La cellule était faite pour un seul prisonnier. Mais les Istiqlaliens y enfermaient six personnes à la fois. J’ai partagé ce lieu avec d’autres personnes parmi lesquelles Cherif Tarjist, le frère d’Aherdane et d’autres dont je ne me rappelle plus du nom. Nous étions enfermés sans forme de procès. Le directeur de la prison vint un jour nous voir. Il nous assura que toute personne emprisonnée chez lui ne sortira qu’après une période de six ans et une journée.
J’ai donc appris qu’Adi Oubihi se trouvait dans une cellule voisine. Il y était enfermé avec son fils Driss. La direction de la prison nous traitait mal. Le cuisinier était un véritable sadique. Un jour, nous avons décidé de lui apprendre une leçon de politesse. Il passait chaque jour devant ma porte par le couloir pour distribuer la nourriture. J’ai réussi à le maîtriser. Les autres prisonniers vinrent tous le battre. Terriblement battu, la direction de la prison nous convoqua. On nous a humiliés. On m’a rendu coupable de l’agression.
J’ai donc passé une année dans cette prison. Monsieur Maaninou, dont j’ai parlé ailleurs, a payé un avocat français pour me défendre le jour où on m’a traduit au tribunal. L’avocat me rassura : je n’avais rien commis de grave et l’accusation était faible. Le juge me libéra alors. À l’extérieur, des amis m’attendaient. Maaninou et ses hommes m’ont accueilli avec égard dans leur domicile à Salé. J’ai passé une semaine chez eux en attendant l’autorisation de quitter la ville. Mais Driss Dedi, l’inspecteur de police s’occupant de mon dossier, m’a annoncé qu’il m’avait interdit de quitter Salé. J’ai décidé de partir sans autorisation. À Ouezane, un ami m’a encouragé à rentrer au Rif pour voir ma famille.
-À propos d’Adi Oubihi, qui l’a emprisonné ? Les Français ou les Marocains ?
-Je t’ai déjà raconté que j’avais rencontré Adi à la prison de Kénitra. Je l’ai bien connu. Nous étions ensemble plus de dix heures par jour durant tout mon emprisonnement. C’était un homme originaire du sud. Il ne savait ni lire ni écrire. C’était un homme religieux qui haïssait les Français. Les habitants du sud le respectaient beaucoup. Il a joué un rôle important dans la résistance au sud. Le roi le respectait aussi. Il l’a nommé Wali du sud pour calmer les habitants. Les hommes d’Adi étaient tous des pachas et des caïds. Ceux-ci étaient, au contraire, tous éduqués et maîtrisaient parfaitement le français.
Adi possédait aussi des armes. Il les avait cachées soigneusement dans sa région natale. L’Istiqlal le savait et voulait les récupérer. Ces armes était le butin qu’Adi a fait sur l’armée française. Après l’indépendance, Adi voulait les envoyer aux combattants algériens. Les causes de son emprisonnement étaient une querelle avec Allal al-Fassi. Celui-ci lui a demandé juste après l’indépendance de devenir membre de l’Istiqlal. Ce qu’il a refusé catégoriquement. Pour le discréditer, les Istiqlaliens l’ont accusé en plein public d’activités subversives contre la monarchie. Ils ont réussi à convaincre le roi d’envoyer l’Armée marocaine au sud et combattre Adi et ses hommes. Ce qui s’est passé. Mais Adi a choisi de se rendre sans combat. Si Adi avait choisi l’affrontement militaire avec l’Istiqlal et l’armée, il aurait pu les écraser facilement. Mais, il a choisi de ne pas porter les armes contre l’armée de l’État. Allal al-Fassi a profité du chaos de la situation pour l’emprisonner. Adi Oubihi était un homme courageux. ( ).
[ Edité par Agraw_n_Bariz le 19/8/2004 19:07 ]
Ce témoignage de Mohand Amezian nous montre qu'il s'agissait bien d'assassinats politiques et non de réglements de comptes, concernant les exactions commises par Allal El Fassi et son parti "Istiqlal" à l'encontre des combattants de l'Armée de Libération Nationale.
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-Revenons à la relation entre le Parti de l’Istiqlal et l’Armée de Libération. Vous avez dit qu’au nord, il y avait des assassinats et des enlèvements commis par certains dirigeants du parti de l’Istiqlal comme Torres et ben Barka. Quels étaient donc les objectifs de ce parti?
-L’Armée de Libération avait pris les armes contre les Français et les Espagnols. Allal al-Fassi n’a pas réussi à liquider cette armée. C’est pour cela qu’il a fondé une autre armée pour détruire la vraie Armée de libération. Tu comprends maintenant ? La fausse armée a pris les armes non pas pour combattre les Français et les Espagnoles, mais pour liquider les combattants de l’Armée de Libération Nationale. Les dirigeants directs de cette armée étaient les gouverneurs des provinces. Parmi eux figure Mansouri, gouverneur de la province d’Alhoceima. Le nombre de ces gouverneurs était de cinq. Assassinats et enlèvements étaient leur spécialité. Ils étaient à l’origine du désordre au pays à cette époque.
J’étais aussi sur leur liste. Mais ils ne m’ont pas assassiné. Le destin voulut que l’un de leurs mercenaires chargé de ma liquidation, me connaisse.
-Je possède un document écrit par un certain Dahbi, responsable de l’Armée de libération, dans lequel il décrit les derniers moments d’Abbas Messaadi[2], le célèbre combattant. Le document prétend que Fkih Basri et Ben Barka sont venus lui rendre visite à son siège à Taounate. Un désaccord entre les hommes a eu lieu. Abbas les a quittés pour se rendre à Fès. Peu après, il est retrouvé mort. D’après ce document, Basri et Ben Barka étaient directement mêlés à cet assassinat. Ce meurtre était-il le début de la liquidation de l’Armée?
-C’est l’Armée de Libération qui a libéré notre pays, pas les partis politiques. Allal al-Fassi n’a jamais parlé de Libération du Maroc. L’indépendance proclamée était un don de la France. Le lieu de naissance de l’Armée de Libération fut ce qu’on appelle le triangle de la mort : Bord, Tizi Ousli et Aknoul ( ).
-Quand êtes-vous arrêté et pourquoi ?
-Après la déclaration de l’indépendance, nous avons constitué une délégation qui représentait le nord. Nous sommes allés à la rencontre du roi à Tétouan. Nous formions une colonne de quelques centaines d’automobiles. Parmi nous, il y avait beaucoup de membres de l’Armée de Libération. Ils portaient leurs armes ainsi que les casquettes de l’Armée dont je garde encore un exemplaire. Il y avait aussi des citoyens qui nous accompagnaient. C’était juste trois mois après que la France eut déclaré l’Indépendance. Mais l’Espagne voulait encore gagner du temps. Elle cherchait à mobiliser quelques traîtres pour déclarer une soi-disant indépendance du nord. Et il y avait effectivement quelques contacts avec certains d’entre eux. J’ai été informé sur ce sujet plus tard.
Mohamed V est parti d’abord en Espagne chez Franco pour parler de sa visite à Tétouan. Cette ville était encore sous leur occupation. Il est donc venu et nous sommes allés le voir. Ahmed Morabit était chargé d’organiser notre jeunesse. Nous avons vu le roi dans sa résidence à l’Hôtel Darsa. Nous y avons passé toute la nuit. Allal el-Fassi, Ben Barka et le reste de leurs camarades étaient aussi dans le même hôtel. Le lendemain, le fils de Boulehyan vint me voir. J’étais le seul à qui il parlait sans réserve. Il considérait mon compagnon Mezyane comme un espion des Espagnols. Il me confia donc un plan secret que les Istiqlaliens étaient entrain de nourrir. Allal el-Fassi et ses hommes envisageaient d’envahir le Rif.
Je suis rentré à l’hôtel avec le Poète du Rif. Il m’abandonna et rejoignit les Istiqlaliens. Ils discutaient dans une salle. Aussitôt, je me suis mis à instruire nos hommes en commençant par Zeryouh. Ensuite, j’ai informé les élèves et les étudiants. Nous avons pris nos précautions. J’ai insisté auprès des jeunes de bien s’organiser et de ne rien laisser au hasard. Nous avons passé la nuit dans la rue. Je me souviens de l’état de désordre qui régnait dans la ville. Le lendemain, les habitants ont renouvelé leur fidélité au Trône et le roi décida de rentrer à Rabat. Nous avons décidé de faire la même chose.
À nouveau, nous avons formé une délégation qui représentait tout le nord. Nous avons choisi Mezyane comme porte-parole. Les adhérents de l’Istiqlal commencèrent partout à nous tracasser. ( )
À notre arrivée à Salé, Ahmed Maaninou et son groupe nous ont hébergés. À Salé aussi, les Istiqlaliens ne cessaient de nous mener la vie dure. Le lendemain, nous sommes partis voir le roi. Au Palais, nous, Mezyane et moi, sommes entrés directement dans le Cabinet Royal. Les Istiqlaliens étaient partout au palais. Notre garde-corps était un homme d’Ayt Arous. Il était grand et fort. Il s’est mis aussitôt à déchirer tous les drapeaux de l’Istiqlal qu’il rencontrait sur son chemin, parfois devant les yeux du roi. Nous étions armés. Mezyane a parlé en notre nom. Le roi nous a félicités de notre travail. Il ne cessait de répéter que c’était grâce à l’Armée de Libération qu’il a pu rentrer de son exil. Il nous a demandé de lui préparer des rapports sur la situation au nord. Il paraissait ignorer beaucoup de choses sur cette région. On m’a désigné pour accomplir cette tâche.
Dès mon retour à Tétouan, je me suis mis au travail. Au total, j’ai rédigé quarante rapports sur les crimes commis par le Parti de l’Istiqlal au nord. J’ai décrit en détail les enlèvements et les assassinats. J’envoyais mes rapports au Palais par la poste anglaise et au nom du Chef du Cabinet qui était à l’époque Mbarek Bekay. Pendant que je préparais mes rapports, les enlèvements continuaient. Mais les Istiqlaliens se sentaient démunis. Ils voulaient connaître la source de ces rapports. Ils ont finalement réussi à récupérer cinq de mes rapports par l’intermédiaire de la femme du Chef du Cabinet. Elle était en contact direct avec eux.( )
Aussitôt, ils ont découvert que j’étais derrière tous ces rapports. Ils contenaient les noms des combattants rifains assassinés ou disparus, des détails que seuls les gens originaires de cette région savaient. En plus, le gouverneur d’Alhoceima, Mansouri, a reconnu l’écriture de ma main. À Tétouan, je me sentais de plus en plus en danger. J’ai donc trouvé refuge chez des amis au quartier Sania Rmel. L’un d’eux prenait soin de mon courrier. Il m’informait aussi de tout ce qui se passait à l’extérieur de mon refuge. L’un de mes proches me confirma qu’ils me cherchaient partout à Tétouan. Ce dernier me recommanda de quitter immédiatement la ville. Dans le passé, ce membre de ma famille avait réussi à s’infiltrer au sein de l’Istiqlal. Il m’informait régulièrement.
J’ai donc décidé de rentrer à Rabat et de reprendre mon métier d’enseignant. J’ai réussi à retrouver un ancien ami inspecteur au ministère de l’Enseignement. Je lui ai demandé de m’installer au village Bamhamad où j’ai travaillé auparavant. Après un mois de travail, je me suis rendu pendant les vacances à Tétouan par la ville d’Ouazane. Un ami algérien m’y a emmené en voiture. À Dar Benkariche, encore sous contrôle espagnol, une jeune fille inconnue nous arrêta et demanda de l’amener à Tétouan. Une fois installée, elle commença à m’informer. J’ai compris qu’elle était envoyée par Mezyane. Ainsi j’ai obtenu toute l’information dont j’avais besoin. Partout dans le pays, les Istiqlaliens me cherchaient. A Fès, un Rifain que je connaissais, me confirma que la police était partout, ma photo à la main.
Une fois à Tétouan, j’ai fait mes adieux à mon ami l’algérien. J’ai pris du temps pour réfléchir. Mais, ma famille était nerveuse et il fallait quitter la ville. Ce que nous avons fait, deux autres membres de ma famille et moi. Une fois dehors, Moh Amezyane s’est présenté en me demandant de me rendre à la police. Il travaillait avec les Istiqlaliens. J’ai accepté. Mais, lorsque nous sommes arrivés devant une église, deux autres hommes inconnus m’ont demandé de les suivre au poste de police. Ils m’ont enfermé dans une cellule. Mezyane a aussitôt alarmé le Général Amezyane. Il lui a demandé de surveiller le poste de police pour empêcher toute tentative istiqlalienne de m’enlever. Le lendemain, ma famille vint me rendre visite. Mais la police les a renvoyés en disant que j’avais quitté ma cellule pour un lieu inconnu. En vérité, j’y ai passé trois jours debout. Il y avait un gardien marocain et un autre espagnol. Le marocain m’a donné un verre que j’ai cru être du thé. En vérité, il était plein d’urine. Le gardien espagnol m’a averti. J’ai décidé de ne plus rien manger ni boire. J’attendais.
On décida de m’emmener à Alhoceima. L’un des gardiens m’a raconté tout ce qui s’est passé à l’extérieur depuis mon arrestation. J’ai passé deux mois dans une prison. Durant toute cette période, j’ai vu les prisonniers y entrer et en sortir. On les torturait à l’Institut religieux dans lequel nous avions étudié. Le Gouverneur Mansouri en compagnie de la police venait me voir. J’étais en train de rédiger mes mémoires. Ils les ont arrachées de ma main et les ont déchirées. Ils m’ont isolé dans une autre cellule. Plus tard, on m’a mis dans une troisième cellule où se trouvait Cherif Tarjist. Le malheureux fut enlevé à Tétouan parce qu’on a trouvé une lettre chez lui, écrite par Abdelkrim. Il fut enfermé dans la prison Laâlou.
J’ai donc passé six mois dans la prison d’Alhoceima. Un jour, on m’a emmené à la maison d’Abdelkrim. Cette maison a été transformée en centre tortionnaire. J’ai pensé qu’on allait me torturer. En fait, on est allé récupérer un chef local que l’on appelait Si Bouterbouche. De là, on nous a transféré à la prison de Bab Laâlou à Rabat. C’est là que j’ai revu Adi Oubihi. La cellule était faite pour un seul prisonnier. Mais les Istiqlaliens y enfermaient six personnes à la fois. J’ai partagé ce lieu avec d’autres personnes parmi lesquelles Cherif Tarjist, le frère d’Aherdane et d’autres dont je ne me rappelle plus du nom. Nous étions enfermés sans forme de procès. Le directeur de la prison vint un jour nous voir. Il nous assura que toute personne emprisonnée chez lui ne sortira qu’après une période de six ans et une journée.
J’ai donc appris qu’Adi Oubihi se trouvait dans une cellule voisine. Il y était enfermé avec son fils Driss. La direction de la prison nous traitait mal. Le cuisinier était un véritable sadique. Un jour, nous avons décidé de lui apprendre une leçon de politesse. Il passait chaque jour devant ma porte par le couloir pour distribuer la nourriture. J’ai réussi à le maîtriser. Les autres prisonniers vinrent tous le battre. Terriblement battu, la direction de la prison nous convoqua. On nous a humiliés. On m’a rendu coupable de l’agression.
J’ai donc passé une année dans cette prison. Monsieur Maaninou, dont j’ai parlé ailleurs, a payé un avocat français pour me défendre le jour où on m’a traduit au tribunal. L’avocat me rassura : je n’avais rien commis de grave et l’accusation était faible. Le juge me libéra alors. À l’extérieur, des amis m’attendaient. Maaninou et ses hommes m’ont accueilli avec égard dans leur domicile à Salé. J’ai passé une semaine chez eux en attendant l’autorisation de quitter la ville. Mais Driss Dedi, l’inspecteur de police s’occupant de mon dossier, m’a annoncé qu’il m’avait interdit de quitter Salé. J’ai décidé de partir sans autorisation. À Ouezane, un ami m’a encouragé à rentrer au Rif pour voir ma famille.
-À propos d’Adi Oubihi, qui l’a emprisonné ? Les Français ou les Marocains ?
-Je t’ai déjà raconté que j’avais rencontré Adi à la prison de Kénitra. Je l’ai bien connu. Nous étions ensemble plus de dix heures par jour durant tout mon emprisonnement. C’était un homme originaire du sud. Il ne savait ni lire ni écrire. C’était un homme religieux qui haïssait les Français. Les habitants du sud le respectaient beaucoup. Il a joué un rôle important dans la résistance au sud. Le roi le respectait aussi. Il l’a nommé Wali du sud pour calmer les habitants. Les hommes d’Adi étaient tous des pachas et des caïds. Ceux-ci étaient, au contraire, tous éduqués et maîtrisaient parfaitement le français.
Adi possédait aussi des armes. Il les avait cachées soigneusement dans sa région natale. L’Istiqlal le savait et voulait les récupérer. Ces armes était le butin qu’Adi a fait sur l’armée française. Après l’indépendance, Adi voulait les envoyer aux combattants algériens. Les causes de son emprisonnement étaient une querelle avec Allal al-Fassi. Celui-ci lui a demandé juste après l’indépendance de devenir membre de l’Istiqlal. Ce qu’il a refusé catégoriquement. Pour le discréditer, les Istiqlaliens l’ont accusé en plein public d’activités subversives contre la monarchie. Ils ont réussi à convaincre le roi d’envoyer l’Armée marocaine au sud et combattre Adi et ses hommes. Ce qui s’est passé. Mais Adi a choisi de se rendre sans combat. Si Adi avait choisi l’affrontement militaire avec l’Istiqlal et l’armée, il aurait pu les écraser facilement. Mais, il a choisi de ne pas porter les armes contre l’armée de l’État. Allal al-Fassi a profité du chaos de la situation pour l’emprisonner. Adi Oubihi était un homme courageux. ( ).
[ Edité par Agraw_n_Bariz le 19/8/2004 19:07 ]