Jean-Claude Eslin. «De notre point de vue, l’Acte d’Augustin consiste à avoir su opérer dans une œuvre qui comprend plus de quatre-vingt-dix volumes et opuscules, une articulation inédite entre le monde de l’Antiquité et le monde chrétien qui lui donne une nouvelle forme. En ce sens, Augustin représente le premier homme occidental, le premier moderne car il est le premier à avoir tenté cette articulation dans une expression philosophiquement intelligible et, l’ayant fait, il a ainsi modelé notre sensibilité pour des siècles. Par rapport à l’Empire romain, et aussi par rapport au christianisme d’Orient, par rapport à la stabilité des valeurs de ce monde et de l’homme antique sûr de lui, dans des circonstances instables, il marque une rupture, il représente le moment fondateur en ce qu’il instaure une inquiétude occidentale, il introduit une instabilité constitutive (en politique, en sexualité), une dynamique qui, après quinze siècles, n’est pas apaisée; Augustin, c’est l’inquiétude de l’esprit au sein même du port trouvé» (Saint Augustin, L’homme occidental, Paris 2002, p. 8-9). [/B]
On n’en finirait pas de rapporter les propos qui mettent en évidence ce rayonnement sans égal de la pensée et de l’œuvre d’Augustin sur l’Occident latin. «Aucune œuvre d’un auteur chrétien en langue latine ne susciterait dans l’Europe chrétienne autant d’admiration et d’inquiétude et ne connaîtrait une telle gloire» (Dominique de Courcelles, Augustin ou le génie de l’Europe, Paris 1994, p. 295). Au point que l’auteur de cette citation, bien que conscient qu’il parle selon ses propres termes «d’un berbère chrétien», donne pourtant pour titre à son œuvre: Augustin ou le génie de l’Europe. Et ce génie était un Numide de l’Empire romain. Quel transfert de sagesse du sud au nord de la Méditerranée!