Vers la standardisation de l'amazighe par l'école
Entretien avec Prof. Boudris Belaid
Directeur du Centre de la Recherche Didactique
et des Programmes Pédagogiques
à l'IRCAM.
Trois manuels scolaires pour l'enseignement de la langue amazighe, totalement écrits en caractères berbères, tifinagh, viennent d'être publiés et présentés à la vente sous les auspices du Ministère de l'Education Nationale et la Jeunesse en collaboration avec l'Institut Royal pour la Culture Amazighe (IRCAM), il s'agit de trois manuels scolaires pour trois régions Nord, Centre et Sud. On reconnaît le manuel du Sud à la couleur jaune, celui du Nord à la couleur bleue.
L'alphabet amazighe comporte 33 lettres contre 31 pour le français et 34 pour l'arabe. Dans la transcription des caractères tifinaghes, il s'agit d'une version simplifiée inspirée d'expériences précédentes dans d'autres langues avec un orthographe simplifié et efficace. Les cours de la langue amazighe qui avaient commencé, au niveau national depuis le début de l'année scolaire 2003/2004 dans 345 écoles dont quelques dizaines à Casablanca assurés par 1.200 enseignants et 25 milles élèves s'étaient passés de manuels jusqu'à la semaine dernière.
Néanmoins, les enseignants disposaient de fiches pédagogiques en attendant les manuels qui n'avaient été soumissionnés par les éditeurs qu'au mois de décembre 2003. Il y a lieu de noter que l'année prochaine le nombre des élèves et des enseignants devrait atteindre le triple du nombre actuel. M. Boudris Belaid, Directeur du Centre de la Recherche didactique et des Programmes Pédagogiques à l'Institut Royal de la Culture Amazighe nous donne ci-après quelques précisions:
Q: Comment en est-on arrivé à cette nouvelle matière enseignée avec un retard de plus d'un trimestre pour le manuel?
R: Le processus a commencé par l'élaboration d'un programme concrétisé dans une brochure comportant une fiche pédagogique pour activité orale qui s'appelle “awal inu” ce qui veut dire “ma langue”. Cela a meublé tout le premier trimestre. Auparavant il y a eu la formation des inspecteurs et des enseignants, cette formation a été axée sur l'aspect linguistique, civilisationnel et littéraire. Les fiches pédagogiques de l'activité orale comportaient de petits dialogues, des orientations, des indications, soit en tout une sorte de mode d'emploi.
Par contre, le manuel scolaire qui s'intitule tifawin a tamazight autrement dit “bonjour tamazight” commence par l'image qui peut être sujet de questions et d'observations.
L'enseignant est appelé à poser des questions sur les composantes de l'image, personnage, situation, événement, etc... c'est un moment d'observation et de mise en situation en même temps. Aprés, il y a un dialogue qui vise la compétence d'expression et de communication. Les dialogues portent sur différents thèmes et visent différentes compétences. Par exemple se présenter et présenter les autres, décrire, informer, etc... il y a aussi les thèmes visant à développer chez l'élève le sens de la citoyenneté du respect de l'environnement, le respect des autres, la valorisation du travail, etc... Activité du graphisme, moment réservé à l'apprentissage de la graphie amazighe d'une façon progressive.
Autre composante est l'activité de lecture qui prend comme point de départ une phrase clef tirée du dialogue à partir de laquelle l'enseignant essaie de développer les compétences chez l'élève.
Ajouter à cela quelques exercices de grammaire implicite et de conjugaison, des acitivités ludiques soit sous forme de comptines, mots croisés, soit des devinettes.
Ensuite, il y a l'évaluation et la préparation à la séquence qui suit.
Q: Combien d'élèves sont concernés par cet enseignement?
R: Il y a pour cette année 25 mille élèves de première année primaire dispatchés sur toutes les académies et toutes les délégations. Le choix est fait suite à la décision des autorités centrales du ministère de l'Education Nationale et de la Jeunesse.
Q: A-t-on pensé à l'enseignant?
R: On compte beaucoup sur l'apport de l'enseignant. On doit le doter d'outils nécessaires tout en sachant que la réussite du cours de l'amazighE dépend fondamentalement de la contribution personnelle de chaque enseignant qui est le planificateur sur qui repose la réussite de l'enseignement de l'amaizghe.
Q: Concernant l'élève comment doit-il affronter cette nouvelle matière devant la surcharge du programme?
R: Dans le cas de l'amazigh, il y a deux choses à retenir. D'abord ce qu'on appelle les pré-requis chez l'enfant amazighophone qui est une dimension à exploiter au maximum. Parceque cela renforce les acquis en famille parallèlement à l'apprentissage de l'école. Il y a l'importance du milieu social. Toutes les activités visant l'autonomie de l'élève trouvent dans ce milieu social l'occasion propice pour leur accomplissement.
Nous aurons droit, dans ce cas, à un va-et-vient entre l'école et le milieu social. De ce fait cela active le rôle social de l'école.
Pour les écoliers arabophones, le cours de l'amazigh est une occasion pour compléter l'image culturelle du Maroc. Le milieu joue le même rôle dans la mesure ou l'élève a toujours un ami ou un voisin qui parle amazighe et cela consititue une sorte de bain linguistique pour l'élève. En général, il faut envisager le cours comme une dynamique aussi bien scolaire que sociale. Il s'agit d'une redéfinition de la culture par l'école.
La lourdeur du programme est trés relative. Tout ce qui sort de l'intérêt national et immédiat de l'élève est généralement difficile à comprendre. Toutes les approches pédagogiques préconisent une progression et un élargissement des centres d'intérêts qui va du concret de l'immédiat vers l'abstraction et l'universel. Si on ajoute à celà qu'il y a des méthodes qui incitent l'élève à s'exprimer et à mener des activités autonomes, on comprendrait que le cours de l'amazighe est une occasion pour donner un sens social et concret à la mission de l'école et cela devient une motivation. A Rabat, nous avons effectué des visites à l'école Youssoufia et nous avons constaté combien les élèves étaient enthousiastes et motivés pendant le cours de l'amzighe.
Q: On ne parle plus dialectes mais d'une seule langue amazighe, alors qu'il y a des divergences constatées d'une région à l'autre?
R: En réalité, il s'agit d'une même et seule langue enseignée dans toutes les régions, mais avec la prise en considération du parler de chaque élève. Et cette position est dictée par deux facteurs. Le premier, c'est qu'il ne faut pas qu'il y ait rupture entre la langue parlée par l'élève et la langue enseignée. Mais il ne faut pas non plus que l'école consacre une forme de dialecte. L'une des missions de l'école est de donner l'occasion à la langue de se développer, de se diversifier et de s'enrichir.
Deuxième facteur est la standardisation de la langue amazighe passant par des décisions qui nécessitent des recherches, des enquêtes et cela prend du temps. Mais déjà nous avons fait des efforts considérables pour rapprocher les différens parlers. Et ceux qui ont fait l'expérience de passer d'un manuel à un autre vont constater cette unité profonde de la langue amazigh et par la même occasion l'effort considérable fourni dans ce processus de standardisation.
Les divergences qu'on peut constater encore aujourd'hui d'une région à une autre proviennent du fait que la langue n'était ni écrite, ni enseignée. Divergences tout à fait normales car elles existent dans toutes les langues qui accusent une forte différente entre l'orale et l'écrit. La standardisation passe par le dégagement de la complémentarité entre les différents parlers. Cette complémentarité permet au cas ou un mot se perd d'en trouver un autre dans une autre région. Cette complémentarité donne l'occasion à une richesse lexicale soit sur le plan des synonymes ou sur le plan des détails, des nuances. Pour prendre un simple exemple, il existe plusieurs mots berbères pour désigner le sable du désert sous une infinité de nuances à partir du mot “iguidi.”
En réàlité, ici, il s'agit d'un seul manuel en trois versions qui constituent un pas vers une standardisation et une normalisation rationnelle et très bien réfléchie.
Propos recueillis par Said FOULOUS.
L'OPINION: 17/03/2004
Entretien avec Prof. Boudris Belaid

Directeur du Centre de la Recherche Didactique
et des Programmes Pédagogiques
à l'IRCAM.
Trois manuels scolaires pour l'enseignement de la langue amazighe, totalement écrits en caractères berbères, tifinagh, viennent d'être publiés et présentés à la vente sous les auspices du Ministère de l'Education Nationale et la Jeunesse en collaboration avec l'Institut Royal pour la Culture Amazighe (IRCAM), il s'agit de trois manuels scolaires pour trois régions Nord, Centre et Sud. On reconnaît le manuel du Sud à la couleur jaune, celui du Nord à la couleur bleue.
L'alphabet amazighe comporte 33 lettres contre 31 pour le français et 34 pour l'arabe. Dans la transcription des caractères tifinaghes, il s'agit d'une version simplifiée inspirée d'expériences précédentes dans d'autres langues avec un orthographe simplifié et efficace. Les cours de la langue amazighe qui avaient commencé, au niveau national depuis le début de l'année scolaire 2003/2004 dans 345 écoles dont quelques dizaines à Casablanca assurés par 1.200 enseignants et 25 milles élèves s'étaient passés de manuels jusqu'à la semaine dernière.
Néanmoins, les enseignants disposaient de fiches pédagogiques en attendant les manuels qui n'avaient été soumissionnés par les éditeurs qu'au mois de décembre 2003. Il y a lieu de noter que l'année prochaine le nombre des élèves et des enseignants devrait atteindre le triple du nombre actuel. M. Boudris Belaid, Directeur du Centre de la Recherche didactique et des Programmes Pédagogiques à l'Institut Royal de la Culture Amazighe nous donne ci-après quelques précisions:
Q: Comment en est-on arrivé à cette nouvelle matière enseignée avec un retard de plus d'un trimestre pour le manuel?
R: Le processus a commencé par l'élaboration d'un programme concrétisé dans une brochure comportant une fiche pédagogique pour activité orale qui s'appelle “awal inu” ce qui veut dire “ma langue”. Cela a meublé tout le premier trimestre. Auparavant il y a eu la formation des inspecteurs et des enseignants, cette formation a été axée sur l'aspect linguistique, civilisationnel et littéraire. Les fiches pédagogiques de l'activité orale comportaient de petits dialogues, des orientations, des indications, soit en tout une sorte de mode d'emploi.
Par contre, le manuel scolaire qui s'intitule tifawin a tamazight autrement dit “bonjour tamazight” commence par l'image qui peut être sujet de questions et d'observations.
L'enseignant est appelé à poser des questions sur les composantes de l'image, personnage, situation, événement, etc... c'est un moment d'observation et de mise en situation en même temps. Aprés, il y a un dialogue qui vise la compétence d'expression et de communication. Les dialogues portent sur différents thèmes et visent différentes compétences. Par exemple se présenter et présenter les autres, décrire, informer, etc... il y a aussi les thèmes visant à développer chez l'élève le sens de la citoyenneté du respect de l'environnement, le respect des autres, la valorisation du travail, etc... Activité du graphisme, moment réservé à l'apprentissage de la graphie amazighe d'une façon progressive.
Autre composante est l'activité de lecture qui prend comme point de départ une phrase clef tirée du dialogue à partir de laquelle l'enseignant essaie de développer les compétences chez l'élève.
Ajouter à cela quelques exercices de grammaire implicite et de conjugaison, des acitivités ludiques soit sous forme de comptines, mots croisés, soit des devinettes.
Ensuite, il y a l'évaluation et la préparation à la séquence qui suit.
Q: Combien d'élèves sont concernés par cet enseignement?
R: Il y a pour cette année 25 mille élèves de première année primaire dispatchés sur toutes les académies et toutes les délégations. Le choix est fait suite à la décision des autorités centrales du ministère de l'Education Nationale et de la Jeunesse.
Q: A-t-on pensé à l'enseignant?
R: On compte beaucoup sur l'apport de l'enseignant. On doit le doter d'outils nécessaires tout en sachant que la réussite du cours de l'amazighE dépend fondamentalement de la contribution personnelle de chaque enseignant qui est le planificateur sur qui repose la réussite de l'enseignement de l'amaizghe.
Q: Concernant l'élève comment doit-il affronter cette nouvelle matière devant la surcharge du programme?
R: Dans le cas de l'amazigh, il y a deux choses à retenir. D'abord ce qu'on appelle les pré-requis chez l'enfant amazighophone qui est une dimension à exploiter au maximum. Parceque cela renforce les acquis en famille parallèlement à l'apprentissage de l'école. Il y a l'importance du milieu social. Toutes les activités visant l'autonomie de l'élève trouvent dans ce milieu social l'occasion propice pour leur accomplissement.
Nous aurons droit, dans ce cas, à un va-et-vient entre l'école et le milieu social. De ce fait cela active le rôle social de l'école.
Pour les écoliers arabophones, le cours de l'amazigh est une occasion pour compléter l'image culturelle du Maroc. Le milieu joue le même rôle dans la mesure ou l'élève a toujours un ami ou un voisin qui parle amazighe et cela consititue une sorte de bain linguistique pour l'élève. En général, il faut envisager le cours comme une dynamique aussi bien scolaire que sociale. Il s'agit d'une redéfinition de la culture par l'école.
La lourdeur du programme est trés relative. Tout ce qui sort de l'intérêt national et immédiat de l'élève est généralement difficile à comprendre. Toutes les approches pédagogiques préconisent une progression et un élargissement des centres d'intérêts qui va du concret de l'immédiat vers l'abstraction et l'universel. Si on ajoute à celà qu'il y a des méthodes qui incitent l'élève à s'exprimer et à mener des activités autonomes, on comprendrait que le cours de l'amazighe est une occasion pour donner un sens social et concret à la mission de l'école et cela devient une motivation. A Rabat, nous avons effectué des visites à l'école Youssoufia et nous avons constaté combien les élèves étaient enthousiastes et motivés pendant le cours de l'amzighe.
Q: On ne parle plus dialectes mais d'une seule langue amazighe, alors qu'il y a des divergences constatées d'une région à l'autre?
R: En réalité, il s'agit d'une même et seule langue enseignée dans toutes les régions, mais avec la prise en considération du parler de chaque élève. Et cette position est dictée par deux facteurs. Le premier, c'est qu'il ne faut pas qu'il y ait rupture entre la langue parlée par l'élève et la langue enseignée. Mais il ne faut pas non plus que l'école consacre une forme de dialecte. L'une des missions de l'école est de donner l'occasion à la langue de se développer, de se diversifier et de s'enrichir.
Deuxième facteur est la standardisation de la langue amazighe passant par des décisions qui nécessitent des recherches, des enquêtes et cela prend du temps. Mais déjà nous avons fait des efforts considérables pour rapprocher les différens parlers. Et ceux qui ont fait l'expérience de passer d'un manuel à un autre vont constater cette unité profonde de la langue amazigh et par la même occasion l'effort considérable fourni dans ce processus de standardisation.
Les divergences qu'on peut constater encore aujourd'hui d'une région à une autre proviennent du fait que la langue n'était ni écrite, ni enseignée. Divergences tout à fait normales car elles existent dans toutes les langues qui accusent une forte différente entre l'orale et l'écrit. La standardisation passe par le dégagement de la complémentarité entre les différents parlers. Cette complémentarité permet au cas ou un mot se perd d'en trouver un autre dans une autre région. Cette complémentarité donne l'occasion à une richesse lexicale soit sur le plan des synonymes ou sur le plan des détails, des nuances. Pour prendre un simple exemple, il existe plusieurs mots berbères pour désigner le sable du désert sous une infinité de nuances à partir du mot “iguidi.”
En réàlité, ici, il s'agit d'un seul manuel en trois versions qui constituent un pas vers une standardisation et une normalisation rationnelle et très bien réfléchie.
Propos recueillis par Said FOULOUS.
L'OPINION: 17/03/2004