Tachelhit parlée au Moyen Age

Tafart

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Tachelhiyt, l'un des parlers berbères au Maroc, doit avoir été parlée dans une vaste espace nord africaine. L'actuelle aire techelhit qui se limite a la vallée du Souss, l’Anti-Atlas et l'Atlas Occidental
ne serait en fait que le dernier refuge où ce parler s'est replié sur lui-même depuis des siècles. C'est une conclusion hâtive que je me permet de faire après avoir consulté une séries d'ouvrages récents.

La curiosité pour en savoir plus a été animée par une remarque d'un ami originaire du Rif il y'a quelques années. Il avait affirmé l'existence d'un petit îlot linguistique dans sa région natale isolé du reste du parler Zenati du Rif. Cet îlot en voie de disparition rapide, relève certainement de Tachelhit, insista t-il. Depuis lors, j’ai pu consulter 3 ouvrages récents. Les ouvrages consultés sont:

- The Berber Literary Tradition of the Souss (Nico van den Boogert, 1997)
- Catalogue des manuscrits arabes et berbères du fonds Roux (Nico van den Boogert, 1998)
- La révélation des énigmes. Lexiques arabo-berbères des XVII en XVIIIe. siècles (Nico van den Boogert, 1998)

Dans le dernier ouvrage (La révélation des énigmes..), l'auteur présente un dictionnaire ancien datant du 11e. siècle ou figurait une liste de mots berbères du parler tachelhit. Ensuite, il se demande comment l'auteur de ce dictionnaire Ibn Tunart, natif de Qala'a Beni Hammad en Algérie actuelle, pouvait maîtriser un dialecte ancien qui est supposé parlé uniquement au sud ouest du Maroc. Voici ce que l’auteur on dit a la page 11-12. La transcription des mots berbères cités ci-dessous est adapté a l’écriture d’usage sur l’Internet.

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"Les deux lexiques présentés ici proviennent d'un lexique bilingue intitulé Kitab al-asma "Lives des noms", compilé par Abu Abdallah Muhammad ibn Ja'far Al-Qaysi en l'an 540/1145. Ce lexique ou plutôt dictionnaire, dont l'auteur est communément connu sous le nom d'Ibn Tunart, est mentionné par as-Susi (Mokhtar Soussi, 1900-1963, red.) comme un "tarjamat alfaz 3arabiyya bi-chelh'a" (traduction arabes en Chelha)

On peut trouver des détails sur la vie d'Ibn Tunart dans plusieurs dictionnaires biographiques. Ibn Tunart naquit en 478/1058 a Qal'at Bani Hammad, dans le nord de l'Algérie. Il alla a l'école a Bougie et Alger, étudia a Cordoue en Andalousie et, plus tard, exerça la profession de juge et d'enseignant a Fès, ou il mourut en 567/1172.

Quatre rédactions différentes du "Kitab al-asma" ont ete conservées dans les manuscrits datant du XViie. au XXe. siècles. Elles sont toutes les quatre de l'auteur lui-même. La quatrième, la plus importante, contient plus de 2.500 entrées arabes avec leur traduction en berbère. Les entrées sont classées par sujet ( le corps humain, les animaux domestiques, les plantes ...). Ce classement a probablement ete inspiré par le "Muxassas" d'Ibn Sida (m. 458/1066), dictionnaire encyclopédique classe par sujets. Tous les autres dictionnaires arabes très connus, comme la "Jamhara" d'Ibn Durayd et le "Sah'ih' " d'al-Jawhari sont classés par ordre alphabétique.

De tous les parlers berbères modernes, celui qui se rapproche le plus du berbère ancien utilisé par Ibn Tunart est le tachelhit. Cela apparaît clairement a travers le vocabulaire d'Ibn Tunart dont la plus part des mots peut être retrouvée dans la tachelhit moderne et qui contient des mots tachelhit typiques comme "aghwy"(veau), "afulekey"(beauté), "asengar"(mil", "asid" (autruche), "tigemmi" (maison), "idgam" (hier) et "dar"(chez), tous comme des traits morphologiques, tels l'affixe pronominal de la deuxieme personne du singulier "te- ... -et", le suffixe pronominal de la personne du féminin pluriel "-wnet", le préfixe déictique "deg- .." et le suffixe démonstratif "elli". Plusieurs de ces mots et affixes peuvent être retrouvés dans un ou plusieurs autres parlers berbères, mais la tachelhit est la seule langue ou on les rencontre tous a la fois.

Il existe plusieurs mots qui ne figurent pas dans le berbère d'Ibn Tunart et dans la tachelhit premoderne des textes manuscrits, par exemple "kasra" (seulement), "wala" (très"), "ayseladd" (sauf).

On peut trouver des passages rédiges dans ce même berbère ancien dans l'anonyme "Kitab al-ansab" (Livre des généalogies) et dans les mémoires d'al-Baydaq (XIIe. et XIIIe. siècles).

Un point reste a éclaircir: comment un Berbère né en Algérie, pouvait-il parler ce qui semble être une forme ancienne de la tachelhit. En théorie on peut envisager qu’Ibn Tunart ne parlait pas le berbère et utilisant la langue de ses étudiants de Fès, mais cela est improbable. Une investigation plus approfondie de cette question doit être rapporte a une date ultérieure.” (fin citation)

p.s.: Plus tard, si j’ai du temps, je passerai une liste de mots tachelhit parlée au Moyen Age!

Que pensez vous de cette question? Est-il possible que de nos jours tachelhit soit encore parlée ailleurs en Afrique du Nord? Connaissez-vous des sources anciennes que celles d'Ibn Tunart?




[ Edité par Tafart le 15/8/2005 21:40 ]
 
Merci Tafart, très intéressant.

Moi je dirais simplement :) :

Le parler que tu évoques près du Rif est connu, plutôt que d'évoquer une grande répartition du Tachelhit, i lfaudrait plutôt évoquer les grands mouvements de populations qui ont eu cours à travers l'histoire.

Ce fut particulièrement le cas lors des dynasties almoravides et almohades, des tribus entières furent déplacées.

C'est une constante dans l'histoire de l'Afrique du Nord. Les Zenetes de l'Est (Lybie,...) ont déboulé sur l'Ouest, on les retrouve en nombre...chez les Rifains.

Quant à Ibn Tunart, cela se passe visiblement (faudrait vérifier) pendant les Almohades dont le chef militaire Abdel Moumen était originaire d'Algérie...
 
Mahdi ibn Tumrt(chef d'almohade) et en Tamazight: Asafu Tumrt
était originaire d'isrghinen(en darija sraghna)

.... Ibn Tunart d. 567/1172, not to be confused with the mahdi Ibn Tumart....



[ Edité par idir le 8/6/2005 20:09 ]
 
idir a écrit :
Mahdi ibn Tumrt(chef d'almohade) et en Tamazight: Asafu Tumrt
était originaire d'isrghinen(en darija sraghna)

.... Ibn Tunart d. 567/1172, not to be confused with the mahdi Ibn Tumart....


[ Edité par idir le 8/6/2005 20:09 ]


Je crois pas idir,

Ibn Tumert est originaire , je crois, de " Arghen" ( Hargha en Arabe ) dans l'Anti-Atlas.


[ Edité par Agraw_n_Bariz le 10/6/2005 13:56 ]
 
Tafart a écrit :

L'aire de Tachelhit et son ancienneté:

Tachelhiyt, l'un des parlers berbères au Maroc, doit avoir été parlée dans une vaste espace nord africaine. L'actuelle aire techelhit qui se limite a la vallée du Souss, l’Anti-Atlas et l'Atlas Occidental
ne serait en fait que le dernier refuge où ce parler s'est replié sur lui-même depuis des siècles. C'est une conclusion hâtive que je me permet de faire après avoir consulté une séries d'ouvrages récents.


Cette idée est entrain de faire son chemin. L'historien Ali Sidki Azayku, qui a su utilisé la linguistique et la philologie dans ses recherches historiques est arrivé à la même conclusion.

Pour corroborer cette thèse, voici un petit lexique du Bebrère parlé en Andalousie à l'époque médiévale. On y retrouve un vocabulaire typiquement chleuh ( parler masmouda ).
J'ai marqué d'une étoile les mots que je connais et qui sont encore usités aujourd'hui en Tachelhit et qu'on ne retrouve pas dans les parlers senhaja et zenata.

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Noms de plantes:

addad = chamélion blanc
aderyas = faux fenouil
adâr* aylal* (pied d'oiseau) = cerfeuil
ammas* imeqquren* = aristoloche longue
atrar = épine-vinette
awermi = rue de montagne
imliles = nerprun des teinturiers
arghis = épine-vinette d'Espagne
arkjan = argan
azezzou = garou
taqarnunt = chardon d'Espagne
tasemmount = oseille commune
taserghint = télèphe
tighandest = pyèthre
wajdim = cacalie

2 - Noms d'animaux

afellus* = poulet
aghelal* = escargot
agennich = camard
arezz* = guêpe
issi ou tissist* = araignée
taqerru = espèce de faucon
taferma = aigle du marais

3 - Noms d'outils et de vêtements

aqelmun* = capuchon
arkas = espadrille
amzur = natte tressée avec un ruban
seghnes = agrafe de coullier
tegra = boîte


- Vocabulaire militaire

abeqi = soufflet
agergit = sorte de javeline
agzal* = pique courte
zughzal = coup de poing
agh = jeter

5- vocabulaire politique

afrag* = tente du sultan
agllid* = prince
ameqran = chef
amezwaru* = premier

6- vocabulaire culinaire et technique

erkem = ragoût de tripes
issewi* n tifayi* = sauce de viande
telkhecha* = fèves cuits
adghes = colostrum
aghrum* = pain
zbezzin = couscous aux légumes
tarfist* = rafisa en arabe (plat)
berkuks* = couscous à gros grains
tameghra* = repas de mariage
smens* ( imensi ) = dîner

7- divers

azeghar* = plaine du Gharb
achkid* = viens ici
fkiyi* = donne-moi
rwel* = fuyez
ichir = garçon
itermimen = le derrière
asfirnas = sourire
mummu* = la prunelle de l'oeil
 
ça sent le glissemnt vers l'égocentrisme "Soussi" ou " chleuh"...

ce phénomène se retrouve aussi chez les Kabyles jusqu'à croire que "Kahina" est Kabyle alors que tout le monde sait qu'elle des Aurès...

A force de baigner dans le tribalisme, les Kabyles verront des kabyles partout même en Mauritanie et les Souss verront de chleuhs même sur la planète Mercure :lol: :lol: :lol: :lol: :lol: :lol: :lol: :lol: :lol: :lol: :lol: :lol: :lol: :lol: :lol:
 
Voici un texte que j'avais posté il y a quelques mois à ce même sujet :

" Je suis complétement d'accord avec toi Agerzam.

Et je ne suis pas loin de penser que les Masaesyles et les Massyles des historiens Latins ( les Numides qui ont occupé le Nord de l'Algérie pendant l'antiquité romaine ) ne sont autres que les Masmoudâ d'Ibn Khaldoun, autrement dit, les soussis d'aujourd'hui.

Ce sont les données de la Linguistique qui militent en faveur de cette hypothèse : le parler du Souss est le seul, parmi tous les parlers berbères, à contenir des emprunts latins ( ou du moins celui qui en contient le plus ). Or un tel phénomène linguistique ne pourrait s'expliquer que si les ancêtres des Soussis aient cotoyé les latins pendant plusieurs siècles

L'hypothèse qui consiste à expliquer la présence du vocabulaire latin en abondance dans le parler du Souss par des apports humains provenant du Nord de Tamazgha est tout à fait recevable. Mais alors comment expliquer que les parlers du Nord ( Rifain, Kabyle, Chaoui,... ) n'en contiennent pratiquement pas ?

Tu ne trouves pas qu'il y a ici un paradoxe ? Car ce sont les parlers du Nord qui devraient normalement en contenir en abondance.
Et si le Souss n'a reçu que quelques apports humains en provenance du Nord, on s'attendrait à ce que la langue de ceux qui seraient restés sur place ( Kabyles, Chaouis, Rifains et même nos Zemmours ) contienne davantage de vocabulaire latin.

Moi je pense que la population actuelle du Souss pourrait très bien n'être que le résidu d'un peuple qui, autrefois, occupait une bonne partie de Tamazgha ( au moins ses plaines côtières et ses montagnes ).

Il faut dire qu'aujourd'hui nous avons au moins trois certitudes :

1- Les ancêtres médiévaux des Soussis, les Masmouda, étaient les seuls berbères à ne pas pratiquer le nomadisme, contrairement aux Senhaja et aux Zénètes.

2- Nos berbères du Nord sont ou bien des Senhaja ( Zemours, Kabyles, ...), ou bien des Zénètes ( Rifains, Chaouis, Jerbis, Neffoussis, Siwis, ...).

3- Depuis la conquette arabe, des déplacements de populations entières se sont effectués et sur plusieurs siècles :

--> Du désert du Sud et du Sud-Ouest vers les plaines et les montagnes du Nord, pour les Senhaja.

--> Du désert de l'Est ( de Libye et d'Egypte ) vers les plaines et les montagnes du Nord pour les Zénètes.

Les Zénètes ont commencé leur migration vers le Nord très tôt, peut-être même avant l'arrivée des arabes.
En revanche, certaines fractions des Senhaja ne se sont définitivement fixées dans le Nord que tout récemment ( il y a quelques siècles seulement pour les Zemmours par exemple ).

Tout ceci pour dire qu'il serait tout à fait possible qu'on établisse un jour des liens de parenté entre les Numides qui ont occupé le Nord de Tamazgha pendant l'Antiquité romaine, les Masmouda du Moyen Age et les Soussis d'aujourd'hui. "
 
Cela ne veut rien dire.

D'abord il y a aussi beaucoup de mot qui se retrouvent dans d'autres régions et pas dans le Souss.

Ensuite, il y a des mots qui ont été retrouvé dans un traité andalou et qui se retrouvent dans le Rif, en Lybie, dans l'Aures et ...pas dans le Souss.


Enfin leur présence en Andalousie ne prouve rien par rapport à l'ère d'extension en Afrique du nord même, car les Almoravides et Almohades venaient du Sud du Maroc, donc cela n'a rien d'extraordinaire

Idem pour la ville d'Algérie d'où était origianire Ibn Tunart, elle était sous domination almohade.

Je terminaerai pas dire que vouloir appliquer des références actuelles (chleuhs, moyen-atlas, etc.) à une époque où elles n'étaient pas d'application reste délicat.

Je peux donner des contre-exemples :

ulilli : araignée se retrouvent du Rif à la Lybie, mais pas en Tachelhit, pourtant ce mot a été retrouvé dans un traité d'Andalousie.

Taferma : connu dans le Moyen-Atlas et Aures (En Algérie on trouve un mont Taferma).

...

Les données extraites de document historiques sont très dépendantes de l'influence politique que tel ou tel groupe avait à l'époque.

Le meilleur moyen d'étudier l'aire d'extension d'un parler reste la thoponymie qui est beaucoup plus conservatrice.
 
Mais il est vrai que l'argument de la plus grande présence de mots latins en Tachelhit milite pour une aire d'extension plus importante qu'elle ne l'a été aujourd'hui.

On doit aussi tenir compte que les parlers zénètes (Partie du Rif, Figuig, aprtie du Moyen-Atlas) sont des aprlers e Nomades arrivés plus tard au Maroc.
 
passant a écrit :
ça sent le glissemnt vers l'égocentrisme "Soussi" ou " chleuh"...

ce phénomène se retrouve aussi chez les Kabyles jusqu'à croire que "Kahina" est Kabyle alors que tout le monde sait qu'elle des Aurès...

A force de baigner dans le tribalisme, les Kabyles verront des kabyles partout même en Mauritanie et les Souss verront de chleuhs même sur la planète Mercure :lol: :lol: :lol: :lol: :lol: :lol: :lol: :lol: :lol: :lol: :lol: :lol: :lol: :lol: :lol:

Apprenons à séparer la science et l'idéologie.

Je suis plutôt panamazigh et je n'aime pas les ethnocentrismes.

Mais on ne doit pas taire les vérités historiques sous prétexte que ... !!!

[ Edité par Agraw_n_Bariz le 10/6/2005 12:31 ]
 
passant a écrit :
ça sent le glissemnt vers l'égocentrisme "Soussi" ou " chleuh"...

ce phénomène se retrouve aussi chez les Kabyles jusqu'à croire que "Kahina" est Kabyle alors que tout le monde sait qu'elle des Aurès...

A force de baigner dans le tribalisme, les Kabyles verront des kabyles partout même en Mauritanie et les Souss verront de chleuhs même sur la planète Mercure :lol: :lol: :lol: :lol: :lol: :lol: :lol: :lol: :lol: :lol: :lol: :lol: :lol: :lol: :lol:

tu devrais lire plus souvent, a Bogayo. Imsmuden, "les cultivateurs de l'ouest" comme diraient Azayku, ça te dit quelque chose ?

http://www.mondeberbere.com/azayku/txt/genealogie.htm
 
Merci schtrompf_i_mqorn pour ce texte de Azayku.

En voici un extrait :

" - L’impact de la géographie est réel.

En Afrique du Nord, on oublie souvent l’impact de la géographie sur l’activité humaine et l’influence des genres de vie sur la culture des hommes (44). C’est dire que la filiation biologique, sans être négligeable, bien entendu, n’est pas le seul facteur qui détermine la nomenclature sociale au sein d’un groupe humain donné. Il est évident qu’à chaque degré de développement d’une société correspond un système des critères et une échelle des valeurs. Par conséquent, nous estimons que la sédentarité et le nomadisme ne peuvent pas avoir les mêmes rapports avec l’environnement écologique et l’espace géographique. L’interférence des faits géographiques et sociaux ne saurait donc être la même dans les deux cas. Ainsi que les genres de vie différents entraînent nécessairement des modes d’organisation adéquats, le système des valeurs n’est jamais tout à fait identique dans les deux situations.

Les sources musulmanes nous présentent les Imsmûden, habitants de l’Atlas et de toute la partie Ouest du Maroc actuel (45), comme étant des paysans sédentarisés depuis de longs siècles (46). Sur ce point, Hérodote est, lui aussi, très explicite. Il y a, nous dit-il, « la Libye orientale (où) habitent les nomades, (qui) est basse et sablonneuse jusqu’au fleuve Triton, et celle à l’Occident de ce fleuve, habitée par les cultivateurs, (qui) est très montagneuse, très boisée… » (47) Or, le nom sous lequel nous connaissons ces cultivateurs à l’époque musulmane semble être très ancien.

En effet, les sources gréco-latines citent parmi les peuples anciens de ce qui est le Maroc actuel le peuple des Macanites (48) ou Macénites (49). On nous précise même l’emplacement exact de leur territoire : « Cette montagne (l’Atlas) se trouve au pays des Macénites, le long de l’océan vers l’Est… » (50) Au début de la deuxième moitié du deuxième siècle de l’ère chrétienne, ces Macénites ont constitué avec les Baquates une grande fédération qui menaçait Volubilis (51). Ces Macénites que R. Roget suppose être des Miknasa (52) seraient, à notre avis, les Maçamides (53), que les sources musulmanes situent dans les mêmes endroits, en précisant qu’ils habitaient déjà à l’époque antéislamique (54).

Si nous admettons que les Bacuatae, dont le pays est situé, d’après Ptolémée, au Nord de celui des Macénites (55), ont été les ancêtres des fameux Barghouata (56), on peut supposer que, déjà au IIe siècle, la confédération des Macénites (Masamid des auteurs musulmans) englobait toutes les populations du Haut-Atlas et des plaines situées au Sud du Bou-Regreg actuel (57). Même si d’autres informations incitent J. Desanges « à situer les Macénites non loin du cours supérieur du Bou-Regreg, sans doute à l’Est d’un axe Azrou-Khenifra, les Baquates devaient, comme le pense M. Frézouls, occuper le Nord du Moyen-Atlas. » (58) Rien n’empêche de penser que les Macénites s’étendaient vers le Sud et les Baquates vers le Sud-Ouest et occupaient en fin de compte toutes les plaines atlantiques situées au Nord de l’oued Oum-Rbiâ. (59)

En Afrique du Nord, il y eut donc deux grands genres de vie qui s’adaptaient parfaitement aux conditions géographiques et climatiques du pays. À notre avis, ces deux genres de vie malgré toutes les vicissitudes historiques déjà connues, ne s’annulaient pas, comme on l’a toujours souligné. Ils étaient complémentaires, au contraire. Étant donné que les nomades ont toujours eu tendance à devenir sédentaires, l’un des deux modes de vie s’est lentement substitué à l’autre.

Les nomades en ce sens étaient toujours, en Afrique du Nord, une sorte de réserve humaine qui assurait la continuité de l’occupation des terres fertiles, chaque fois que les calamités naturelles réduisaient le nombre des populations paysannes. Car, nous savons que les grandes incursions des populations nomades dans les pays des sédentaires n’avaient lieu qu’en temps de crise, et qu’elles n’étaient guère destructrices, sauf dans le cas des Hilaliens, qui est un cas spécifique. (60) L’interpénétration permanente de ces deux genres de vie est, à notre avis, à l’origine de la complexité décourageante de la réalité historique des populations de l’Afrique du Nord.

Cela dit, nous estimons que la recherche doit emprunter des chemins nouveaux pour cerner cette réalité historique dans toute sa complexité. La langue, entre autres, semble être l’un des meilleurs documents qui puisse aider à défricher le terrain. Car le langage, mieux que toute autre chose, reflète souvent les réactions profondes et constantes des groupes humains vis-à-vis de la nature et les répercussions de celle-ci sur leur comportement et leurs mentalités (61).

Nous sommes conscient que l’utilisation de la langue dans ce domaine pose des problèmes épineux, Surtout quand il s’agit d’une langue jusqu’a présent mal étudiée, en l’occurrence le tamazight (berbère). Néanmoins, nous estimons que cela ne doit pas empêcher de formuler des hypothèses susceptibles de suggérer des idées nouvelles et peut-être aussi de soulever des problèmes d’un genre nouveau. En effet, « à une histoire qui pose désormais au passé des questions toujours plus nouvelles, plus variées, plus ambitieuses ou plus subtiles, correspond une enquête élargie en tous sens à travers les traces de toute espèce que peut nous avoir laissées ce passé multiforme et inépuisable. » (62).

Essai d’interprétation linguistique
« C’est en écoutant le Nord-Africain parler de soi qu’on risque le mieux de restituer non seulement sa subjectivité, mais son milieu objectif. À preuve l’essentielle contribution que, de W. Marçais et E. Laoust jusqu’à Boris, l’ethnologie nord-africaine doit à la linguistique. » (63) Cela est d’autant plus vrai que l’histoire profonde de l’Afrique du Nord n’a guère d’écho dans nos sources écrites. (64) Si on écoutait parler les multitudes de « tribus » qui essaiment en Afrique du Nord, on pourrait éclaircir le problème des origines même lointaines d’un grand nombre parmi elles. (65) On nous dit toujours que les Imazighen pratiquent un grand nombre de parlers appartenant généralement à trois grands dialectes : tachelhit, tamazight et tarifit, sans pour autant nier l’existence d’une origine commune de ces trois dialectes. Plutôt que de considérer ce morcellement comme un handicap, la recherche historique devrait l’utiliser comme une source documentaire d’une grande valeur. En effet, l’étude de la langue peut nous renseigner non seulement sur le sens général des déplacements des différents groupes à travers toutes l’Afrique du Nord, mais aussi sur les genres de vie originels de l’ensemble humain auquel appartenait chacun de ces groupes (66).

Nous avons déjà signalé plus haut l’importance de l’influence de la géographie sur les genres de vie en Afrique du Nord. Nous allons essayer ici de formuler une hypothèse qui se base essentiellement sur une interprétation de la langue, ou, plus précisément, sur une nouvelle interprétation des noms patronymiques des ensembles humains les plus célèbres de l’Afrique du Nord (67). Mais auparavant nous allons faire quelques remarques générales sur les données linguistiques sur lesquelles se base notre analyse.

1) La composition est l’un des procédés les plus anciens que les Imazighen utilisent dans le domaine de l’enrichissement du lexique. (68) C’est un procède qui consiste à composer un mot nouveau en associant deux mots déjà connus. Les deux mots associés peuvent être aussi bien un nom+ un nom, avec ou sans la préposition « n » (= de) ; entre les deux noms composés, un verbe + un nom ou inversement. (69) « Le caractère pan-berbère (de la composition) est une preuve de l’ancienneté de cette procédure. » (70)

2) D’une façon générale, la voyelle initiale du deuxième nom disparaît dans le mot composé, (71) mais il y a aussi des cas où la voyelle initiale du premier mot subit le même sort. (72)

3) Les termes qui composent les noms analysés ici, sont encore utilisés chez les Imazighen, un peu partout, et avec les mêmes sens en général. (73)

Imsmûden ou les cultivateurs de l’ouest.
Nous avons déjà signalé que les sources les plus anciennes de l’histoire nous présentent les habitants de l’Afrique du Nord occidentale, en général, comme étant des agriculteurs attachés à la terre. (74) Ce fait pourrait être, à notre avis, confirmé par l’analyse du nom des Imsmûden, anciens habitants du Maroc. En effet, nous estimons que le terme « masumud » est un mot compose signifiant « celui (ou ceux) qui possède (nt), qui sème (nt) les graines. » Voici nos hypothèses :

Hypothèse A
Masmud (ou messmud, ou msmud) serait compose de ms + (a) mud. Ms (mess, mas) qui signifie : « maître (homme qui possède, qui a n’importe quoi), un homme chargé de garder des troupeaux, de cultiver un jardin, de faire un travail quelconque, est le ‘mess’ de ces troupeaux, de ce jardin, de ce travail, un homme qui a l’habitude du voyage, de la chasse…, est le ‘mess’ du voyage, de la chasse… » (75)

Amud qui signifie : semences, graines, semailles, culture, labourage et l’époque des labours. (76)

Msmud (= mes + (a) mud), signifierait donc : les gens qui possèdent, qui ont les semences, qui ont l’habitude de semer les céréales, c’est-à-dire, les paysans, les cultivateurs.

Hypothèse B
Le mot amsmud est un dérivé de amêzz amud qui est un compose forme du verbe êzz, signifiant, entre autres, planter, semer (77) (accompli : izzâ, inaccompli : zzû) et du préfixe du nom d’agent am et du nom amud « semences » ce qui donne am + êzz + amud, et après chute de la voyelle initiale du nom amud, amêzz mud, enfin, il se produit le dévoissement de zz. ss qui perd aussi sa longueur dans la séquence mssn - msm. Les processus de voisement et de dégémination sont communs dans les transpositions du tamazight vers l’arabe ou de l’arabe vers le tamazight. Nous citons à titre d’exemples :

Assâlat - tazâllit,

Assâwm - uzûm

On peut supposer que dans les mots empruntés par l’arabe à la tamazight, à une époque reculée, il se produit les processus inverses : amêzzmud-amêsmud

Le compose final ainsi obtenu serait donc amsmud : le semeur, le planteur, le cultivateur.

Hypothèse C
Le mot amêsmud est une variante de amêz amud, qui est compose de amêz + amud. Amêz (accompli yumêz, inaccompli amêz) signifie : « saisir, prendre » (78) ; amud signifie : « Semence ». Après chute de la voyelle initiale de amud et dévoissement de z, on obtient amsmud, qui en vient ainsi à signifier : « celui qui détient les semences, celui qui les empoigne. » (79)

Iznaten ou les éleveurs de moutons
En ce qui concerne les Iznaten, l’histoire nous rapporte qu’ils étaient dans leur grande majorité des nomades éleveurs d’animaux domestiques, le menu bétail en particulier (80). L’analyse de leur nom peut donner une certaine confirmation de l’image que l’histoire rapporte d’eux. Deux hypothèses peuvent être formulées à ce propos.

Hypothèse A
Iznaten au pluriel, aznat au singulier. Aznat est compose de azn : « expédier, envoyer » (81) + attn : « brebis. » (82) Iznaten signifierait donc : « ceux qui envoient leurs brebis aux pâturages, ceux dont l’activité essentielle est l’élevage nomadisant. »

Hypothèse B
Iznaten est compose de ehen (= ezen, azn) qui signifie : tentes (83) et de attn dont le sens est : être accru, (84), d’où le sens « tentes nombreuses, campements importants. » Ce qui impliquerait que les Iznaten sont des éleveurs nomadisants.

Izênagen ou les chameliers du Désert
« La partie du Désert occupée par les Sanhaja s’étendait à une distance de six mois de marche. » (85) L’épopée des Almoravides montre qu’ils étaient de vrais nomades habitués à vivre dans de grands espaces arides.

Leur nom semble découler non d’une ascendance généalogique quelconque, mais du caractère dominant de leurs activités. Deux possibilités d’interprétation peuvent être suggérées à ce propos.

Hypothèse A
Singulier azênag, pluriel Izênagen, ce mot est compose de ehen (=azn) (86) qui signifie « tente en peau » et de egen (= les rezzous) (87). La composition se réalise ainsi : ezên + egen - ezênegen- izênagen. Étant donne que l’amphatisation est une caractéristique des parlers sanhaja, on peut supposer que « z » peut être prononcé « êz ». Izênagen signifierait donc les tentes des gens qui font des razzia. Bien entendu, ce genre d’activité est très courant chez les nomades du désert (88).

Hypothèse B
Il peut s’agir aussi d’un composé de azn : « expédier, envoyer » (89) et egen : « Troupes irrégulières réunies pour une expédition guerrière ayant pour but le pillage. » (90) Le mot composé devient azneg (= aznag) au singulier, iznegen (= iznagn) au pluriel. La signification en serait donc : « ceux qui font des expéditions de razzia. »

Igzulen ou les pasteurs des régions présahariennes
Igzulen serait, à notre avis, les descendants des anciens Gétules (91) et ce malgré la réserve émise par G. Marcy (92). Car, nous l’avons déjà souligné, la transcription latine des noms nord-africains, y compris celui des Gétules, peut être défectueuse (93). Nous proposons donc l’interprétation suivante.

Étant donné que « les Gétules nomades parcouraient le désert et les steppes voisines comme les grands nomades actuels… » (94) ; que les Garamantes et les Nasamons les ont précédés dans l’occupation du grand désert (95) ; qu’ils étaient clairement signalés dans la frange présaharienne de toute l’Afrique du Nord à l’ouest de la Libye (96) ; que « Gétule n’a donc pas un sens politique, il n’a non plus aucun sens ethnique puisqu’il est employé systématiquement pour désigner des populations méridionales depuis l’océan jusqu’aux Syrtes et même au Sud de la Cyrénaïque (Strabon, 3, 19 et 23), c’est-à-dire des populations nécessairement nomades » (97) ; que les Igzulen (Jazula), tels que nous les connaissons à travers les sources musulmanes (98) ne différent pas des Gétules tant au point de vue des régions qu’ils occupaient qu’au point de vue de leur genre de vie, nous estimons que la décomposition de leur nom donne un sens qui confirme l’image que l’histoire nous en donne.

Hypothèse A
Igzulen, singulier agzul, serait à l’origine gzul, le « a » initial pouvant être un article ajouté au mot en question. (99) Le mot est compose de ks : « conduire au pâturage » (100) et de ulli : « chèvres, petit bétail en général. » (101) ks-gz par un processus de voisement généralisé à la séquence ulli-ul après chute de la voyelle finale « i » (102) et dégémination de « ll ».

ks-gz par assimilation de voisement au contact de « u ».

ulli-ul, par processus de réduction encore vivant dans les parlers de l’Anti-Atlas.

On obtient ainsi gzul qui devient igzulen après l’ajout des affixes du pluriel. Le sens serait alors : « pasteurs, éleveurs de chèvres, de petit bétail. »

Il n’est peut-être pas superflu de signaler qu’actuellement encore les Touareg désignent les gens d’après leur métier, leur caractère distinctif étant leur occupation habituelle. Ainsi disent-ils par exemple : « Kel ulli, gens de chèvre, surnom des Touareg plébéiens (…) des gens de vaches et des gens de chevaux (…), des gens de chamelles et des gens de chèvres ; kel-Tamadint, gens du fait de paître (gens qui paissent les troupeaux, pasteurs). » (103)

Hypothèse B
Une autre interprétation peut être suggérée pour élargir le champ des possibilités offertes par la langue. En effet, aguzul, pluriel Iguzulen, tel qu’on le prononce encore aujourd’hui dans le Souss, est compose de ag, « fils de… », et par extension, homme de (104) ; qui est équivalent de gu dans le Souss, et de isulal qui signifie : plaines désertes sans vallées bien marquées et loin des montagnes, parsemées de pâturages y formant comme des plaques peu étendues mais assez nombreuses. « Les isoulal sont propres, après les pluies, à y faire suivre l’herbe fraîche par les troupeaux, en les faisant aller d’une plaque de pâturage à une autre à mesure que celle où ils sont s’épuise. » (105) Le mot composé devient ag + isulal, la voyelle initiale « i » devient « u », état d’annexion oblige (106). Ce qui donne alors agusulal-aguzulal, après voisement contextuel de « s », aguzul, après chute de « al » par réduction syllabique (107).

Dans cet essai rapide, dont l’objectif est, avant tout, de susciter la curiosité scientifique des historiens et des chercheurs en général, pour rediscuter, sous un éclairage nouveau tout ce qui nous a été légué comme étant des évidences, nous avons mis l’accent sur les points suivants :

1) Étant donné que l’Afrique du Nord était depuis de longs siècles un pays de rencontre de civilisations, de cultures et d’institutions diverses, il est nécessaire de prendre en considération, dans toute étude concernant son passé et son présent, le phénomène d’acculturation, dont l’importance est ici considérable (108). Le phénomène doit être compris et interprété dans toute sa complexité, en ayant tout particulièrement présent à l’esprit le caractère d’inégalité culturelle qui a toujours régi son processus. C’est cette inégalité, peut-être, qui fut à l’origine d’une poussée assimilatrice visant à dépasser les problèmes qui entravent l’accomplissement définitif du fait inaccompli.

2) La nécessité d’entamer un processus de réconciliation entre les deux grandes périodes de notre histoire pour créer cet équilibre qui nous manque, tant que nous portons en nous, deux temps historiques qui s’annulent dans le présent. Cela est d’autant plus nécessaire que « le niveau le plus profond correspondant à la plus longue durée, est celui des cultures antérieures à l’islam dans chaque société : équilibres écologiques, systèmes de production, d’échanges, de croyances, de non croyances, de connaissances empiriques, de représentations, de conduites collectives… Tout cela est désigné par la culture officielle en Islam, comme en Occident, à l’aide d’un vocabulaire négatif : primitif, archaïque, païen, polythéiste, sauvage, populaire, superstitieux, survivant, résurgent, magique, mythologique… L’ethnographie coloniale au Maghreb et, plus généralement la raison positiviste et scientiste du XIXe siècle, ont fait un usage dogmatique de ce vocabulaire, postulant un progrès linéaire de la pensée, avec des dépassements irréversibles. En ignorant, marginalisant, voire détruisant les cultures dites populaires, la pensée arabe et islamique actuelle reprend à son compte, sans pouvoir se l’avouer, le positivisme tant dénoncé de la science coloniale. » (109)

3) La nécessité de réviser et de vérifier les bases interprétatives d’une histoire demeurée superficielle et pauvre à cause du moule généalogique limitant les perspectives de la recherche enrichissante. Et pour ce faire, les moyens sont nombreux sinon innombrables. Il faut surtout suivre de près l’influence des conditions géographiques et climatiques sur les comportements des hommes vis-à-vis de leur environnement naturel et humain. Nous estimons tout particulièrement que les genres de vie des différents ensembles habitant l’Afrique du Nord, imposés par la nature depuis des millénaires, ont largement contribué à modeler le devenir historique de ces ensembles. Par conséquent, nous croyons qu’ils constituent la trame profonde d’une histoire qui n’est, en définitive, que le résultat d’une conjugaison permanente entre deux modes de vie différents mais complémentaires.

4) La nécessité de rompre avec la conception appauvrissante consistant à refuser ou à mépriser tout document non écrit dans l’élaboration de l’histoire. Cela est d’autant plus fâcheux quand il s’agit de l’histoire des peuples sans écriture ou des peuples chez qui l’écrit ne représente rien par rapport à la grandeur, à la complexité et à la richesse de leur histoire.

L’écriture a toujours été, on le sait, un acte officiel, mais l’histoire ne se limite pas aux activités officielles. Celles-ci ne sont en réalité qu’un pâle reflet d’une grande histoire qui se déroule en dehors des champs privilégiés des historiographes. Pour reconstituer cette histoire profonde, il faut se documenter ailleurs. La langue reste l’un des meilleurs documents pouvant apporter de précieuses précisions sous des lumières nouvelles, à des problèmes irrésolus, mais qui paraissent comme étant définitivement élucidés (110).

En Afrique du Nord, pays d’acculturation par excellence, pays où coexistent encore de nos jours deux langues historiques, à savoir la tamazight et l’arabe, nous ne pouvons pas ignorer l’apport inestimable qu’apporterait l’étude de ces deux langues à la recherche historique. L’étude de la première, tout particulièrement, nous serait d’un grand secours, car elle nous permettrait de lire et d’interpréter correctement l’immense corpus tatoué à jamais sur toute l’étendue de la terre nord-africaine (111). "
 
Lorsque j'ai posé la question de l'ettendu de l'aire tachelhit, je l'ai fait par curiosité. Je suis interessé dans mes origines, ma langue maternelle, son histoire et son develeppement. Rien a faire avec ethnocentrisme ni regionalisme. Mieux, ce genre de raisonnement frene tout débat serieux sur l'histoire et le devenir de notre langue.

Objectivité oblige a signaler que l'ettendu de ce parler soit plus vaste que nous croyons. Le Souss n'est pas l'unique limite geographique de tachelhit. Elle s'ettend au dela de cette region. Les geographes marocains du Moyen Age faisaient mention dans leur description du pays de deux regions qui portent le même nom. C'est ce qu'ils appellent le "Sus al-adna"et le "Sus al- aqsa" (Le Souss proche et le Souss lointain). Ils situent le premier lieu au nord de Marakech et la vallée de Tansift jusqu'a la cote atlantique a l'ouest, tandisque le "Sus al-aqsa" doit correspondre a l'actuel ouest du Grand Atlas, la vallée du Souss et l'Anti-Atlas.

Il est tres probable que le "Sus al-adna" soit aujourd'hui entierement ou partiellement arabisé alors que tachelhit est encore parlée dans le "Sus al-aqsa", c'est a dire, l'actuel Souss.

Se basant sur cette description du Maroc medieval, on peut dire que tachelhit etait jadis parlée dans diverses regions avant meme le commencement des mouvements migratoires qui ont accompagnés l'extension politique des empires almoravide et almohade.

Reste encore une question:
quelqu'un m'a confirmé qu'en Algeriue aussi, plus precisement dans la region de Bousemghoun et ElBayad, on parle un dialect dit "chelha". S'agit-il du meme parler que tachelhit du Souss?
 
Cela nous ramène à l'origine de ce terme CHELHA.

Au Maroc, pour beaucoup CHELHA est tout ce qui est montagnard !

Un jour une tunisienne a aussi utilisé ce mot pour les berbères, amis je ne sais pas si c'est une pratique tunisienne ou si c'était sous l'influence de son beau-frère marocain...
 
passant a écrit :

... les Kabyles verront des kabyles partout même en Mauritanie ...

Oui les kabyle sont venus de ce qu'on appelle aujourd'hui la Mauritanie.

Car ils appartiennent aux Lamtouna ( Senhaja du désert du Sud-Ouest ), comme d'ailleurs les Znaga ( qui vivent toujours en Mauritanie ).

Ce sont les Lemtouna qui étaient à l'origine de l'empire Almoravide et c'est à l'époque des Almoravides ( 1055-1147 ) que les kabyles se sont installés au Nord.
D'ailleurs cetraines familles kabyles se disent encore " Imrabdên " ou " Imravdên ".

[ Edité par Agraw_n_Bariz le 10/6/2005 19:51 ]
 
Les Mecmouda


...Parmi les branches de cette grande famille, on remarque les Brghouata, les Ghomara, et les peuples de l’Atlas. Pendant une longue série de siècles, Les Mesmouda ont habité le Maghrib El-Aqca...

...Les Ghomara sont restés sur leur territoire actuel, au moins depuis les premières invasions muslmanes...

Précédemment, Ibn Khaldoun établit que les Ghomara sont une branche des Mecmouda : ‘Ce qui prouve, dit il, que ce peuple appartient à la race macmoudienne, est le fait que quelques unes de ses tribus, qui habitent entre Ceuta et Tanger, portent encore le nom Macmouda. C’est méme d’elles que le Qasr El Medjaz, où l’on s’embarque pour Tarifa, a tiré son appellation de Qasr Masmouda’.

L’ancien Qasr Masmouda, ou Qasr el Medjez, est appelé aujourd’hui El Qasr Sghir, par opposition à Qsar Ketama, ou Qsar Abdelkrim, appelé El Qsar el Kbir. Il n’y a plus entre Tanger et Ceuta de tribu portant le nom de Mecmouda. Cette région porte aujourdhui le nom d’Andjera, mais les Andjera appartiennent au coff Ghomari et les Ghomara, comme nous l’avons vu, sont une branche des Macmouda. La seule tribu du Nord marocain qui porte encore le nom de Mecmouda est celle dont nous nous occupons...

Source:
Quelques tribus de montagnes de la région du Habt / par Michaux-Bellaire.


Selon Robert Montagne, le recensement conduit par le gouvernement français dans 1800's en retard a indiqué que 75% de la population marocaine était Amazigh et deux tiers du 25% restant étaient bilingues, c.-à-d., parlez Tamazight et arabe. Il a ajouté que cette population bilingue était Amazigh mais il a été compté comme Arabe. Le recensement des années 70 a indiqué un pourcentage beaucoup inférieur (50% contre 75%), une conséquence directe du processus d'arabization. Il n'y avait aucune mention de la population bilingue.

Dans un livre de Robert Montagne il y a une carte linguistique où vous pouvez voir qu'à ce moment-là la ville d'Asfi était amazighophone(Tmazight n Sus/masmuda).
 
agerzam a écrit :


Cela nous ramène à l'origine de ce terme CHELHA.

Au Maroc, pour beaucoup CHELHA est tout ce qui est montagnard !

Un jour une tunisienne a aussi utilisé ce mot pour les berbères, amis je ne sais pas si c'est une pratique tunisienne ou si c'était sous l'influence de son beau-frère marocain...

en tunisie on désigne encore les ultimes tribus berbéres de chala7 , moi même j'avais un ami tunisien qui m'as parlé de sa famille comme quoi il est berbére et qu'il parle encore un peu berbére .
 
L origine du mot CHELHA et TACHELHIT est a rapproche avec l usage aujourdhui de TAMACHEK en Haute Volta et Mali pour designer les Amazighes.
Le commerce des esclaves d origine sahelosoudanaise soit pour l agriculture a l epoque saadienne notamment a Taroudante etsa plaine ou a Mogador et Chichawa............Tamachek est lui meme une alteration de tamazighte............et sans doute l erosion a fait disparaitre les consonnes d origine pour les signaler avec un H ...........
Tamazighte..................X....................Tamachek
tamachelh................
C est du moins ce que je pense.....il est donc tout a fait normal normal de trouver l usage de ce mot en Tunisie car il y avait deux grandes voies des caravanes Sud Nord traversant le sahara , l une aboutissant a tafilelt l autre en Tunisie........L algerie etait servie par les traitant marocains en esclaves.............la derniere caravane marocaine d esclaves a ete intercepte par l armee francaise a Bou Saada en 1903..............Les Francais qui avait interdit la traite durent laisser la caravane partir en direction de la Libye .Certains notables algeriens de l epoque ont achetes memes quelques esclaves sous le regard bienveillant de l officier francais
 
Beaucoup de groupes amazighs se disent ichlhiyen en Afrique du Nord. J'ai connu parsonnellement pas mal de tunisiens qui se disent Ichelhiyen. Même en Algérie, vers Bechar et vers l'est (touggourt par exemple) , ce mot est très utilisé pour désigner les Amazighs. Et la langue amazighe est désignée par tachlhite...Je ne vous cache pas que cela fait très bizarre de retrouver des gens aussi loin qui se revendiquent ainsi...

Juste pour une finir...en tachlhite, pour dire de quelqu'un qu'il est très gentil on dit iga zund achlhi
 
Bonjour les amis,

“La revelation des enigmes. Lexique arabo-berbère des XVIIe. et XVIIIe. siècles” est un ouvrage du berbérisant Néerlandais Nico van den Boogert. C’est une étude approfondie d’un lexique bilingue arabe – berbère qui date d’au moins le XIe. siècle. L’auteur de ce lexique serait un certain Ibn Tunart. Il est né en 1085 (et non 1058 comme mentionné dans mon dernier message sur ce sujet. Désolé, faute de frappe!) à Qala’at Beni Hammad en Algérie actuelle. Il a fait ses études en Andalousie. Il a été juge et enseignant à Fès où il est décédé en 1172. Ibn Tunart a nommé son ouvrage “Kitab al-asma” (Livre des noms). Cet ouvrage doit être compilé vers 1145.

Selon l’auteur Néerlandais, ce dictionnaire bilingue d’Ibn Tunart contient une liste de plus de 2500 mots rangés par sujet: corps humain, animaux domestiques, plantes …. La majorité de ces mots sont aujourd’hui inconnus dans tous les dialectes berbères de l’Afrique du Nord. Les seuls mots de ce dictionnaire qui correspondent un peu au Berbère moderne se trouvent uniquement en tachelhit (parler de la vallée du Souss, l’Anti-Atlas, l’ouest du Haut Atlas).

N'ayant jamais étudié la linguistique, je me suis pourtant toujours interessé à l'histoire de ma langue maternelle qui est tachelhit. Une question qui m’a depuis quelque temps préoccupée est ma conviction profonde que tachelhit parlée aujourd’hui au Souss n’est qu’une variante parmi d’autres qui était jadis utilisée à travers le Maroc et peut être même dans d’autres régions en Afrique du Nord. Tachelhit que nous parlons aujourd’hui est en fait un petit morceau de ce qui a échappé à l’oubli. Sinon, comment est-il possible qu’un certain Ibn Tunart, né au XIe. siècle en Algérie, loin de l’aire tachelhit, pouvait maîtriser ce parler et y composer un dictionnaire bilingue?

Enfin, voici donc la petite liste de mots berbères anciens que j’ai promise. C'est peut etre la seule liste de mots berbères au monde connue de notre temps qui provient du fin fond du Moyen Age. C'est tout simplement la langue parlée par nos arrières grands parents il y'a presque 1000 ans!

Pour raison des droits d’auteur, j’en ai selecté seulement une cinquantaine de mots portant sur des sujets differents. L’ouvrage que j’ai consulté en contient quelques milliers. Et il faut absolument que nos linguistes soient au courant de cet ouvrage!
C'est vraiment bouleversant pour un chacun interessé à l'histoire du Berbère.

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Notation des mots:
Lettre en majuscule = lettre amphatique.
Lettres occlusives (k) et (q) + (w).
Lettre (c) = prononcé (sh) comme en Anglais.

==========================

1. tumZiZrin = camomille
2. tablHtat = ? (traduction illisible sur la liste d’Ibn Tunart)
3. taynast = bourrache
4. taggawlt = férule
5. tiDallin = petit raisin
6. awnnifs = fumerette
7. ifzy = marrube
8. agan = concombre
9. tidgt = lentisque
10. tifrZaZin = coloquinthe
11. iGry = asphodèle
12. igran = noix de champs
13. waylillu = sureau
14. wamsa = fenouil
15. izry = armoise
16. tasslt = laurier
17. aZmay = jonc
18. taylalut = câpier
19. timzzira = lavande
20. taylafaw = ? (traduction illisible sur la liste d'Ibn Tunart)
21. asgu = sorte d’ocre rouge
22. tabusmmumt = oseille
23. tiznirt = palmier nain
24. armas = arroche
25. tammayt = tamaris
26. timsmDin = rue de murailles (pluriel de: ymsmTy)
27. flilu = coquelicot (autre synonyme dans le même dictionnaire d'Ibn Tunart = wisusn)
28. tazntukka = ortie
29. tiwwin / taddut = gomme du gommier
30. tuwwin n-tidgt = gomme du lentisque
31. tiZlluyt = céleri
32. tiGfrt = aubépine, arbuste épineux, sorte d’églantier
33. tayda = pin, arbre de fruit
34. azrud = lotier
35. asln = frêne
36. JaniJamt = jusquiame
37. tata = caméléon (synonyme dans le même dictionnaire: tayyu)
38. tumJJa = menthe
39. bu-zllum = rhumatisme
40. lbrS = lèpre
41. iwrmi = rue (plante medicinale)
42. aZuka = thuya (de Barbarie)
43. igg = térébinthe
44. tifst = lin
45. taGaGaJt = saponaire
46. tiwrart y-yzan = ivette musquée / pouliot de montagne
47. izm n igwDaD = raquette / cactus fausse figue
48. timrna n-iznkwaD = ivette / bugle
49. warllaG = soie du jujubier (synonyme dans le même dictionnaire: acakuk n-tmGarin)
50. iwriG = bile / jaunisse / mal de mer

(fin de la liste)

Références complètes:

- Boogert, Nico van den: La revelation des enigmes. Lexique arabo-berbères des
XVIIe. et XVIIIe. siècles. Travaux et documents de l’IREMAM n. 19. Aix-En-Provence, 1998.







[ Edité par Tafart le 18/6/2005 5:57 ]
 
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