Avant de commencer, je tiens à rétablir quelques vérités sur l’état linguistique de ce pays qu’est le Maroc. La famille linguistique amazigh se divise ici en trois langues dénommés tarifit, tamazight et tachelhit. De même que pour les zones arabophones du Maroc où se répartissent grosso modo 3 variétés d’arabes, le darija (le plus répandu, en pleine expansion), le jebli et le hassanya. Il ne faut pas non plus oublier le français, héritage de la période coloniale (1912-1956), qui perdure dans le cercle administratif du pays et dans la haute bourgeoisie. Aujourd’hui, la maîtrise de cette langue est vue comme une marque de réussite sociale, un positionnement élevé dans l’échelle sociale.
Cette mise au point, quant au paysage linguistique, accomplie, intéressons nous au développement récent, et à leurs stratégies d’évolutions adoptées, des associations culturelles berbères.
Sentiment d’infériorité.
Je me suis longtemps demandé quelle était la raison de cette situation minorée des Imazighen dans leur propre pays face aux langues dominantes, l’arabe et le français. Et paradoxalement aussi, pour les Ichelhiyen, cette position à l’extérieur face aux militants kabyles (avant-gardistes dans le combat revendicatif dans le monde amazigh) et leur taqbaylit.
Tout cela est le résultat d’une longue (plusieurs siècles) intériorisation d’une piètre image de soi, de la ruralité-berbérité renvoyée par la bourgeoisie citadines des grandes villes, les clercs orthodoxes bien pensant et le Makhzen centralisateur.
A l'origine des complexes, ce monde urbain, où sont apparues les premières associations, est une énorme machine à arabiser par l'Ecole (arabe littéraire) mais aussi par le monde du travail, par la place de la darija dans les liens sociaux, dans la vie de tous les jours. En effet cette dernière remplit le rôle d’une sorte de « lingua franca », langue de communication commune, adoptée par les différentes communauté linguistique qui se retrouvent dans ce melting-pot urbain. Pour survivre, pour être accepté, le rural amazighophone se doit de s’arabiser. Les langues amazighs se voient acculées, repoussées dans l'intimité des maisons, des familles, car marquées du sceau honteux de la ruralité, de toutes les tares du passéisme et de l’archaïsme par les élites citadines. Elles sont rejetées des lieux de sociabilités de la Cité, siège de tous les pouvoirs, tenus par les vieilles familles urbaines et bourgeoises.
Pour ce qui est du Makhzen et à sa tête le Sultan, aujourd’hui le Roi-imam, l’uniformisation est une manière de gouverner. En aliénant les diverses populations qui constituent ses « sujets », en les arabisant il les attache à une soumission définitive. Il est « commandeur des croyants » auquel chacun doit obéissance, défenseur et propagateur de la langue sacrée » du paradis », l’arabe. Les tribus amazighs de par leur langue non-arabe et de par leur mode de vie tribale s’opposaient à l’uniformisation-arabisation du sultan-jihadiste. C’est aussi en son nom qu’est prononcé la khotba de la grande prière du vendredi, derrière lequel chaque musulman doit se ranger pour prier. Quiconque s’y refuse est jugé, par la communauté des bons croyants, de jahiliste voué aux enfers. Le Sultan se veut le chef suprême des vrais musulmans, les clercs n’étant que ses relais à travers le pays, au travers de leur discours religieux.
Les clercs, tenants de l’Islam du droit chemin, condamnent régulièrement au long de l’Histoire ces hérétiques berbères tenant d’un islam « hors du chemin » à leurs yeux. Ils ont, en effet, la particularité, hautement condamnable à leurs yeux, d’appartenir à des société où le droit civil, azrerf ou orf, fait peu de place à la religion et à ses serviteurs zélés, les tolbas et autres fqihs. Face à eux les Berbères se trouvent dans une inconfortable position d’attraction-répulsion. Si ils rejettent toute interférence des religieux dans la gestion de la communauté tribale, ils sont subjugués par ses tenants de l’Ecrit et de la langue du prophète impeccable. Une langue étrangère à la vie courante, par là mystérieuse et porteuse de récompenses bénéfiques (pour l’au-delà rien moins que le Paradis, et pour le bas-monde un poste dans la fonction publique ou tout du moins dans un « bureau »), monde plus ou moins inaccessible, surtout à la campagne, à la majorité.
Le paradoxe des Amazigh.
C’est à partir de là que le travail des « associations » devient contradictoire.
Contradiction dans la défense même de la "part" amazigh de la société. Elles parlent de pluralité dans son discours mais milite pour l'uniformisation des langues berbères, et ce faisant, renient et jettent aux oubliettes, comme l’héritage d’un passé honteux, ces langues maternelles (tachelhit, tamazight, tarifit) qui reflètent trop la ruralité, l'archaïsme, la « honte ».
Ce faisant, ils tombent dans les excès qu’ils se disaient combattre. Ils défendent alors une identité "sublimé" de l’amazighité, qu'ils ne voient qu'en opposition à l’arabité officielle des panarabistes et autres baassistes de bas étage ; à tel point qu'ils reprennent les même chemins tortueux de ces derniers qui conduiront immanquablement à un ultime échec, ultime mais définitif cette fois-ci car l'alphabétisation-arabisation poursuit toujours son triste labeur de destruction. Tristes singes tentant d’imiter son maître en croyant se révolter.
Sous prétexte de pragmatisme et de "réalisme" politique, on n’ose s’appuyer sur les forces régionales des pays amazighs, on n’ose défier la « symbiose du peuple pour le glorieux trône alaouites » et l’unité sacralisé d’une « nation unie et indivisible ». En clair un manque de courage politique flagrant face à un autoritarisme qui utilise le nationalisme et le chauvinisme teinté d'une vision religieuse sectaire et puritaine.
Cooptation des élites amazighs.
Face à ces quémandeurs de reconnaissance sociale, l’Etat met en marche sa machine de récupération systématique des "élites", universitaires, dirigeants d'association importante (Tamaynut, AMREC). On promet à droite (promesse non tenue du discours télévisuel d’Hassan II de juillet 1994 de l'enseignement des "dialectes") on donne à gauche (journal télévisé quotidien en langues amazighe de 5 minutes à peine).
A la suite du Manifeste de Chafiq, soufflé par les hommes du Palais, on annonce en grande pompe la création de l’IRCAM et par là la réhabilitation de la part amazigh de l’identité du Maroc. Les pontes de l'IRCAM (nommé par le Prince) se comportent dignement au départ, refus pour certain de la pratique du baise main royal, menace de démission si l'alphabet latin n'est pas utilisé dans l'"optique" de l'enseignement des langues amazighs ; mais déjà happés par le monstre makhzénien, ils sont lentement digérés par la bête. Ajouté à cela un manque de courage évident du Palais face aux intégristes (parti, dit modéré, du PJD mais qui n'a dans son discours de modéré que son allégeance aux Alaouites) suivi d'une politique de fort lobbying et de promesses de postes et d'autres privilèges aux membres coopté de l'Ircam, ont amené à la compromission du choix des tifinagh. Alphabet pour le moins archaïque et qui a pour grand défaut d’ajouter pour les futurs élèves l'apprentissage d'un troisième alphabet, en plus de l’alphabet arabe pour l'enseignement de la sacro-sainte-paradisiaque-indéboulonable et inattaquable langue du Coran; et de l'alphabet latin pour l'enseignement du français essentiellement, mais aussi de l'anglais de plus en plus et de l'espagnol dans le Nord du pays.
Singer, imiter, ne pas tenir compte des erreurs, pourtant flagrante, de la politique linguistique menée par le Maroc depuis son « indépendance », tout ces "faux départ"; tifinagh, la négation du pluralisme linguistique amazigh par le projet de mettre en place, à très long terme il est vrai (plus on gagne du temps...), d'un Esperanto berbère artificielle et déconnecté de la société, nous amène à conclure que la place qu'occupe aujourd’hui la culture amazigh au Maroc est à son maximum. Si elle est enseigné ce sera sous la forme d'un corps étranger, d'une langue étrangère doté d'un alphabet utilisé seulement au Maroc et nul part ailleurs.... tout celà n'augure rien de bon quant à l'avenir.
L'affaire des panneaux "tifinagh" à Nador, les violentes et successives répressions des militants estudiantins (Imtghern, Agadir et Marrakeh), sans parler du népotisme et du clientélisme qui ronge le tout neuf IRCAM et de son attitude obséquieuse à l'égard du Palais, ne font hélas que confirmer cette vision pessimiste pour les Imazighen.
Un ultime sursaut ?
Mais rien n’est perdu, il suffirait que nous nous reprenions en main. Les associations amazighes se trompent de stratégie. Ils combattaient le Jacobinisme de l'Etat et la défense de la pluralité linguistique. Ce n'est pas maintenant en reprenant les valeurs de l'Etat, logique d'uniformisation qui veut que plusieurs langues ne peuvent cohabiter dans les frontière du pays, qu’ils vont réussir. Elles se trouvent aujourd’hui effrayés à l’idée de se voir accusé de remettre en question « l'Unité » sacralisée du pays (il faut savoir qu'on sacralise aussi les pierres des Palais royaux dans ce pays) et n’osent avancer que des revendication minimalistes d'une sorte de bilinguisme simpliste arabe-berbère. Bien entendu par berbère il faut comprendre l’Esperanto qui doit être façonné de toute pièces par les laboratoires des savants fous de l'Ircam.
Alors qu’en allant au bout de la logique de la défense des peuples autochtones défendue à l’Onu, de celle des langues régionales défendue aujourd’hui par toutes les nations éclairées, l’on pourrait mettre en place l’enseignement des langues maternelles qui ont une véritable assises sociales et non ce stupide équivalent amazigh de l'arabe classique qui a conduit à la « production » de générations « d'analphabètes polyglottes ».
Un enseignement et une régionalisation radicale et générale sur toute l'étendue du territoire, à l'instar de l'Espagne voisine, avec l'enseignement de Tachelhit dans son aire d'extension (Haut-Atlas occidental, Plaine du Sous, Anti-Atlas et Bani), le Tamazight (dans le Moyen-Atlas et le Haut-Atlas oriental) et le Tarifit dans le Rif et chez les Aït Iznasen. Et de même avec la Darija, le Jebli et le Hassania dans les autres parties du pays. Pour enfin jeter aux oubliettes cette langue des Clercs et autres Marabouts ou plutôt pour la reléguer dans les timzgadiwin et autres Masjid d’où elle n’aurait jamais dû sortir.
Il faut aussi faire de la sphère urbaine un monde où les langues amazighs ne seront plus synonymes de cul terreux , de paysans et autres gentillesses. Celà peut se réaliser par un travail régulier et encadré par ces mêmes associations qui ne manifestent trop souvent qu’entre 4 murs. Multiplier les discussions en langue amazighs dans les lieux de sociabilités de la ville, les cafés, les bus, rendre la rue aux Imazighen. Décomplexer les générations qui nous ont précédés par l’exemple… le combat ne fait que commencer pour que reverdisse l’Amazighité.
(source: forum mondeberbere.com)