La légende de Aïsha Qandisha
Aïsha Qandisha,
de Atanan ayt Oulahyan
Première publication parue dans Asays. com, 27 octobre 2004
<TABLE cellSpacing=0 cellPadding=0 width="100%" border=0><TBODY><TR><TD vAlign=top rowSpan=2>
Actuellement encore, cette sulfureuse histoire continue de persister du Nord au Sud du Maroc et bien au delà ; les gens se la racontent parfois les longs soirs d’hiver, comme une légende pour grandes personnes, en prenant bien soin d’éviter la présence des enfants, pour ne pas les effrayer ; même les esprits les plus éclairés, les hommes les plus courageux éprouvent un certain frisson en entendant prononcer ce nom terrible : « Aïsha Kandisha » !
Mais qui était- elle ? Une femme ensorcelée ou un génie ? Quelle était donc sa malédiction ? Les gens se montreront toujours réticents à en parler, et si l’on insiste un peu plus, il y aurait toujours quelqu’un qui en aurait entendu parler et le plus hardi des conteurs, celui qui semble le plus connaître les faits racontera que par les nuits sans lune, surtout dans les campagnes, aucun homme, surtout s’il fut jeune et en âge d’être marié ne devait s’aventurer seul dehors, et s’il se trouvait contraint de le faire, il ne devait surtout pas oublier de se munir d’une lame, n’importe laquelle, un poignard, un couteau ou un rasoir, grand ou petit, tranchant ou rouillé, qu’il devait rapidement planter dans le sol, dès que lui apparaissait cette séduisante créature féminine, aux pieds semblables aux sabots d’une chèvre ! Il ne devait surtout pas succomber à son charme irrésistible, car cette apparition était d’une beauté incomparable, les cheveux couleur de feu retombant sur des épaules blanches, à peine vêtue, elle susurrait d’une voix charmeuse le nom de sa victime qu’elle connaît, et elle se plaît à lui rappeler quelque détail secret de sa vie ; le malheureux qui tombe sous son charme la suit, inconscient de tout danger et ne revient plus jamais parmi les siens ! Combien de jeunes avaient ainsi disparu et que l’on ne revit plus ! Imprudents, ils sortirent seuls la nuit, et rencontrèrent assurément cette femme fatale qui les avait entraînés avec elle au royaume de l’ombre d’où l’on ne revient jamais. Rares furent les rescapés qui revinrent relater l’insoutenable rencontre : quelques- uns, s’ils parvinrent à se délivrer de l’ensorcelante créature succombèrent malgré tout à la terreur qu’ils ressentirent, ou devinrent fous, livrés à leur démence, errants par les chemins…
C’est ce qui advint de Moh, un brave gaillard d’une trentaine d’années ; il portait sa malheureuse histoire comme un lourd secret dont il ne parlait jamais, de peur de revivre l’abominable aventure qui lui arriva une nuit. Il raconta cette rencontre cauchemardesque une seule fois, à l’aube, lorsqu’il atteignit à moitié fou d’épouvante la première maison qu’il trouva sur son chemin. Le jeune homme fut accueilli tout tremblant, le visage blême, par ses voisins alarmés et une fois qu’il eut bu un verre de thé brûlant il parla de l’étrange femme qui lui était apparue sous un olivier, à proximité de la rivière. Personne n’osa l’interrompre quand il commença à raconter les faits d’une voix haletante, tellement il semblait avoir hâte de se débarrasser au plus vite de sa vision nocturne :
« Je rentrais hier chez moi, après avoir dîné chez les Aït Oumlil… Le soleil venait de se coucher, nous étions exténués par une rude et longue journée d’abattage des blés ; nous avions rentré le foin et je devais repartir seul car je devais ramener le mulet et aider à la moisson qui n’était pas toujours terminée chez nous. On me retint, bien sûr, et j’aurais dû écouter le père Aït Oumlil qui me demanda de dormir chez lui et de l’accompagner le lendemain, puisqu’il devait à son tour venir nous aider. Je n’avais écouté que ma raison, ne désirant trop m’attarder chez mes hôtes ; j’avais donc harnaché mon pauvre mulet, encore plus fatigué que moi et j’entrepris de traverser la forêt des Ida- ou- Kazzou ; la nuit venait de tomber mais je ne craignais rien ; mon mulet suivait docilement le chemin, je n’avais même pas à le guider ni à le contraindre à aller plus vite, on aurait dit qu’il était plus pressé que moi de retrouver sa paille, son étable et de se reposer avant une autre laborieuse journée…
Malgré la tombée de la nuit la lune éclairait suffisamment la route, il faisait encore chaud et les cigales emplissaient la forêt de leur vacarme assourdissant. Je n’y prêtai pas attention, bien au contraire, leur chant me berçait, m’engourdissait davantage. justement je m’éveillai de ma somnolence lorsque ce bruit familier cessa brusquement. Mon mulet, qui fut placide jusqu’à ce moment parut nerveux ; il secouait la tête, renâclait, les oreilles dressées et rigides, comme s’il entendait quelque bruit dans cette pénombre et ce silence étranges.
Je fus parcouru par un frisson subit lorsque il me sembla entendre une voix à peine audible gémir… Mon nom ! C’était la voix d’une femme qui m’appelait, elle semblait être dans la détresse, et je crus reconnaître son timbre si familier ! Malgré l’attitude inhabituelle de mon mulet qui s’affolait et cette voix mystérieuse et douce qui me réclamait je me ressaisis de ma frayeur et voulus découvrir malgré tout d’où venait cet appel, car une personne que je connaissais certainement avait besoin d’aide…
Et c’est alors qu’elle m’apparut, tellement belle et saisissante, vêtue d’un voile blanc étincelant, debout à côté d’un olivier. Je sautai de ma selle car ma monture semblait pétrifiée et ni ma harangue, ni mes coups ne semblaient vaincre sa détermination de ne plus avancer.
Je me dirigeai, comme subjugué vers elle car sa silhouette fine, sa voix cristalline ne pouvaient être que celles d’une jeune fille que je connaissais ; j’en fus convaincu lorsque je vis son magnifique visage, légèrement éclairé par un rayon de lune ; ses cheveux flamboyants d’un roux orangé ondulaient sur ses frêles épaules et retombaient comme un châle de feu sur sa poitrine, jusqu’à ses larges hanches… Elle avança son bras gauche dénudé vers une branche qu’elle semblait tenir et tendit vers moi sa main droite en me regardant, en me souriant affectueusement comme pour m’inviter à m’approcher davantage .
Je fis alors quelques pas vers elle et ô stupeur ! Il me sembla reconnaître nettement Danna, une jeune fille de mon voisinage, dont j’étais éperdument amoureux et que je rêvais d’épouser… Mais elle était morte depuis longtemps ! Emportée subitement par une méningite fulgurante, pure et vierge, sans que nos projets d’épousailles se concrétisent !
Mes cheveux se dressèrent littéralement sur ma tête et mon cœur battit comme un tambour fou dans ma poitrine et il me sembla qu’il allait sortir par ma gorge suffocante ou rompre. J’eus un éclair de lucidité et je réalisai qu’il ne pouvait s’agir que d’une seule créature, la terrible, l’ensorceleuse Aïsha Kandisha, la maudite ! Je fus liquéfié d’une terreur mortelle ; elle se rendit compte de mon effroi et cessa de sourire ; elle se fit plus pitoyable, plus cajoleuse et d’une voix déchirante elle me supplia d’approcher d’elle :
« Moh, Moh, m’implora - t – elle, ô fils de mes voisins, ne me reconnais – tu pas ? Ne te rappelles – tu plus de moi ? Aide – moi, je t’en supplie, donne – moi la main… ».
( fin de la première partie... )
</TD></TR></TBODY></TABLE>